La Conquête sanitaire de nos colonies

LA CONQUÊTE SANITAIRE
DE
NOS COLONIES

Il est presque fastidieux de répéter que la France se dépeuple. Nous devrions donc multiplier d’autant plus les efforts pour diminuer notre mortalité que nous voulons moins prendre de peine pour augmenter le chiffre de notre natalité[1].

Or, la France devenait une puissance coloniale de premier ordre au moment où le nombre de ses naissances diminuait dans des proportions inusitées, même chez elle[2]. Un parti très puissant s’opposait à cette évolution de notre pays, en s’appuyant surtout sur le fait que la stagnation de la population nous interdisait toute ambition exotique. Il ne fut pas tenu compte de cet argument et la France s’intéresse chaque jour davantage à son empire colonial. Le nombre de nos nationaux dont la fortune ou les moyens d’existence dépendent de nos colonies s’accroît également avec une grande rapidité.

Nos compatriotes fixés aux colonies forment, dès maintenant, une importante partie de notre population. Les statistiques nous révèlent qu’ils sont quatre-vingt-dix mille, presque tous dans la force de l’âge. Si l’on veut additionner à ce chiffre tous les habitans de nos possessions, Afrique du Nord comprise, qui appartiennent à la race blanche, on dépasse largement le million.

La valeur intrinsèque d’un homme, estimable en argent, est partout considérable ; elle s’accroît beaucoup aux colonies. Il semble toutefois qu’aucun peuple du monde n’attache moins de prix que nous à conserver en bonne santé ses coloniaux, civils ou militaires. Nos expéditions coloniales, les plus récentes comme les autres, nous ont coûté de nombreuses pertes d’hommes qu’une meilleure organisation sanitaire nous aurait épargnées.

Sans remonter plus loin dans notre histoire, l’expédition de 1881 en Tunisie donna, malgré l’expérience acquise en Algérie, une mortalité de 6,1 pour 100. Un peu plus tard, dans les années 1885 et 1886, les expéditions du Tonkin et du Soudan coûtèrent les premières 7,5 et 9,9, les secondes 22,5 et 20 pour 100 des effectifs européens engagés. La seconde campagne de Madagascar, qui date de 1895, fut la plus meurtrière de toutes. Nos pertes atteignirent le chiffre inconcevable de 40 pour 100. Les causes de cette hécatombe sont connues, nos troupes étaient en majeure partie composées de tout jeunes soldats tirés de l’armée métropolitaine. Et, contrairement à tous les principes, on ne craignit pas de faire durement travailler ces jeunes hommes à peine formés, dans les marais de la côte où ils furent décimés par le paludisme et la dysenterie. Ces souvenirs sont trop pénibles à rappeler, mieux vaut passer outre !

L’expédition du Maroc, toute récente, parut d’abord recommencer les erremens anciens. Aussi la mortalité causée par la typhoïde et la dysenterie atteignit-elle, dans les premiers temps, 14 pour 100 des effectifs. Il ne faudrait pas prétendre que ces pertes, si douloureuses qu’elles soient, représentent la rançon obligée de toute conquête coloniale. L’expédition anglaise contre les Ashantis fut effectuée en 1873 dans des conditions physiques absolument analogues à celles qui caractérisent notre meurtrière campagne du Dahomey. Elle coûta cependant si peu d’hommes à nos voisins qu’elle mérite encore aujourd’hui d’être citée comme un modèle. Ils avaient réuni 7 225 combattans dont 2 600 Européens. Leurs pertes au feu furent de 5 officiers et de 47 hommes tués. 600 hommes durent être rapatriés, mais la mortalité globale ne dépassa pas 1,8 pour 100. Aussi, que de précautions prises ! Le commandant en chef, sir G. Wolseley et le Dr Holme, chef du service de santé, demandèrent et obtinrent qu’on préparât d’avance pour les troupes des camps installés en des points convenablement choisis et débarrassés de toute végétation. Des puits devaient y être creusés, les eaux d’alimentation filtrées. Des gîtes d’étape, séparés les uns des autres de trente-deux kilomètres, étaient prévus pour le transport et l’évacuation des malades. La longueur des étapes que devait effectuer la colonne elle-même n’excéderait pas dix milles. Les hommes seraient vêtus de toile ou de flanelle selon les saisons et les heures de la journée. Leurs rations étaient largement mesurées et, pour le service particulier d’un bataillon européen de 680 hommes, on calculait qu’il faudrait 650 porteurs. Il était cependant prévu qu’après deux mois de campagne et malgré ce luxe de précautions, les troupes fourniraient 30 ou 40 p. 100 d’indisponibles ; aussi des approvisionnemens devaient-ils être réunis pour parer à cette éventualité. Enfin, le commandement qui demanda d’abord 36 médecins pour la colonne, en reçut et en utilisa 44.

Quelle différence avec notre façon de procéder au Dahomey, dans un pays tout à fait semblable à l’Ashantiland, contre un ennemi de force équivalente, dont la capitale, Abomey, se trouvait à une distance de la côte à peu près égale à celle qui en séparait Coumassie !

Notre colonne expéditionnaire fut mise en route vers l’intérieur le 14 septembre 1892 et disloquée après la victoire définitive, le 26 novembre 1892. Elle se composait de 1138 blancs et seulement de 930 indigènes. Cinq cents hommes de renfort la complétèrent au cours des opérations et la totalité des effectifs réunis sur la côte du Bénin, en vue de l’expédition, monta au chiffre de 3 351 hommes.

Les moyens de transport se composaient seulement de 132 mulets et de 2 239 porteurs. Enfin nous disposions de six médecins. On compta 173 Européens morts de maladies. Nous avions de plus 81 hommes, dont 11 officiers, tués par le feu de l’ennemi et 441 blessés, indigènes compris. Les fatigues subies, même par les blessés ou les malades, furent telles que treize d’entre eux moururent le 16 octobre, tandis qu’on les évacuait sur le poste d’Adigon.

Ces pertes ne nous ont pas empêchés de conquérir le Dahomey, mais il n’en fut pas toujours ainsi. N’est-ce pas le chiffre élevé de nos malades et de nos morts plus que l’échec de Farafate, durant la première expédition de Madagascar en 1885, qui nous fit nous contenter alors d’une paix boiteuse et peu profitable ?


L’ère de nos grandes expéditions coloniales est close aujourd’hui, autant du moins qu’on peut prévoir l’avenir. Celle de la mise en exploitation intensive de notre vaste domaine exotique s’ouvre enfin. On vient de voir quelles économies de vies humaines nous aurions réalisées, si nous avions su protéger contre les maladies et le climat nos soldats coloniaux en expédition, avec autant de soins que font les Anglais pour les leurs. Cette façon d’agir aurait procuré des profits moraux et matériels considérables, non seulement au pays, mais à la cause coloniale elle-même.

On connaît si bien en Allemagne la valeur pécuniaire de la vie humaine qu’il existe dans l’empire toute une législation pour la mieux préserver, C’est la loi de l’Assurance obligatoire contre la maladie. Elle impose à l’Etat lui-même de grosses dépenses, dans une intention éminemment pratique et non pour des fins humanitaires, comme on pourrait croire.

Il nous eût été très profitable de considérer la question sanitaire aux colonies d’une façon analogue à celle des Allemands chez eux. L’opinion publique n’aurait d’abord jamais été, comme elle le fut parfois, effrayée et surexcitée par l’élévation de nos pertes. La bonne réputation sanitaire de nos colonies, plus vite établie, aurait en second lieu permis d’avancer beaucoup le moment de leur mise en valeur et de payer moins cher les résultats obtenus.

Les premiers défricheurs de la Mitidja mouraient en si grand nombre sur leurs fertiles champs malsains qu’on put appeler Bouffarik le tombeau des Européens.

La Mitidja, dira-t-on, n’en est pas moins aujourd’hui, soixante-dix ans après la conquête, la plus riche région de l’Algérie et l’une des plus salubres ! Mais ne sait-on plus que nous avons longtemps hésité à garder l’Algérie, trop coûteuse en soldats et en colons ? Oublie-t-on également le désastre des 12 000 hommes envoyés au Kourou par le marquis de Choiseul et décimés par la fièvre jaune ? Ce seul souvenir retarde cependant, après plus d’un siècle, l’essor de notre Guyane ! Cela s’explique sans peine.

L’agriculture ou le commerce, l’administration elle-même ne sont pas aux colonies ce qu’ils sont en Europe. Un colon expérimenté est un homme habile en son métier, habitué de plus au pays qu’il met en valeur, dont il connaît les ressources spéciales, les dangers et, le plus souvent, la langue. Toutes ces connaissances particulières ont demandé de nombreuses années d’un apprentissage ordinairement pénible. La mort de ce colon représentera donc une grosse perte, non seulement à cause de la valeur intrinsèque du disparu, mais par suite de la difficulté de son prompt remplacement. Le dommage subi deviendrait désastreux, si un certain nombre de colons expérimentés mouraient à la fois. Leur place, si difficile à remplir en temps ordinaire, courrait d’autant plus de risques d’être laissée vacante que la réputation de leur colonie subirait des atteintes plus fâcheuses. Il est juste de le dire, notre administration coloniale s’est intéressée comme celle des autres peuples à la santé des Européens, colons ou fonctionnaires. Elle a multiplié, surtout dans ces dernières années, non seulement les hôpitaux mais aussi les laboratoires. Des casernes, des maisons confortables se sont élevées un peu partout par ses soins, pour abriter nos soldats ou nos fonctionnaires. De grands travaux ont été entrepris pour doter d’eaux potables nos villes coloniales, pour les débarrasser de leurs matières usées. On a été plus loin dans cette voie féconde. Le général Galliéni créa le premier on 1896 un service d’assistance médicale indigène à Madagascar, MM. Beau en Indo-Chine, Roume et Merlin sur la côte d’Afrique, suivirent cet exemple. Le général Lyautey, à peine nommé résident général au Maroc, fit de même à son tour.

Ces services d’assistance médicale indigène constituent un des plus puissans moyens que nous ayons d’apprivoiser nos indigènes et d’étendre notre influence politique. Ils servent aussi nos intérêts économiques en contribuant à augmenter le nombre de nos sujets. L’intérêt sanitaire de nos compatriotes fixés aux colonies y trouve également son compte ; toutes les races ne sont-elles pas solidaires devant la maladie, et l’un des moyens les plus efficaces de protéger les nôtres n’est-il visiblement pas d’améliorer la santé des masses indigènes au milieu desquelles ils vivent ?

Nous ne nous en sommes pas encore tenus là et nous avons créé au Sénégal des services d’hygiène pour les grandes villes de cette colonie. Ces nouveaux organismes sanitaires ont pour principale mission de détruire les larves des moustiques stégomya dont la piqûre communique la fièvre jaune. Ils doivent également lutter contre le paludisme, fléau moins effrayant peut-être, mais plus meurtrier encore que le vomito negro. Leurs attributions s’étendent au contrôle de la construction des nouveaux immeubles, à la surveillance de tout ce qui touche à l’hygiène publique. Suivant la parole de leur créateur, M. Roume, à l’un des médecins chargés de ces délicates fonctions, leurs chefs doivent remplir le rôle de commissaire du gouvernement auprès des municipalités élues des grandes villes.

Il semble donc que les pouvoirs publics aient, au point de vue de l’hygiène, réalisé dans nos colonies des efforts presque comparables à ceux qui ont été accomplis dans la métropole. La léthalité et la mortalité coloniales, l’Algérie mise à part, dépassent cependant beaucoup celles de la France.

La mortalité de l’élément européen civil, qui fut en Algérie de 47 pour 1 000 dans les années 1853 à 1856, n’atteint plus aujourd’hui, d’après Parret, que 20,7 pour 1 000, celle des indigènes elle-même ne dépasse pas 23 pour 1 000. Mais la situation de nos vieilles colonies est déjà moins satisfaisante. La plupart offrent cependant les conditions physiques les plus favorables. Ce sont des îles de faible étendue, fortement peuplées, très cultivées par conséquent, et l’on sait qu’il n’est pas de meilleur agent d’assainissement du sol que la culture.

Il serait trop long d’étudier toutes ces colonies. L’île de la Réunion qui va nous servir d’exemple comptait, en 1902, 173 315 habitans et 177 777 en 1905. Sa population s’accroît donc avec une rapidité que devrait lui envier la métropole. Elle a encore enregistré en 1911 un gain de 1 744 âmes[3]. Malgré tout l’optimisme qui pourrait se dégager de ces chiffres, l’état sanitaire de la colonie n’est pas ce qu’il devrait être. L’accroissement de la population ne provient que de la forte natalité locale qui atteint la proportion de 33 pour 1000, tandis que la mortalité se tient à 23 pour 1 000. Or ce dernier chiffre est nettement supérieur à celui de la France qui pourrait avoir, elle-même, une mortalité moins considérable. Il convient de signaler que les statistiques de nos vieilles colonies ne peuvent donner de précisions absolues, au point de vue auquel on se place ici, car on y mêle indistinctement toutes les races.

La situation sanitaire des colonies plus récentes est encore moins bonne. Leurs plus grandes villes elles-mêmes, où les millions ont été largement dépensés, ne jouissent pas de la salubrité qu’elles devraient avoir.

Voici un tableau démographique de Dakar, grande cité de l’Ouest africain, presque entièrement construite dans ces dix dernières années, sous un climat qui, sans être parfait, peut passer pour très supportable.


Années Naissances Morts d’Européens Naissances Morts d’indigènes
1903 26 43 342 389
1904 29 39 384 487
1905 31 48 424 508
1906 28 48 479 579

Le chiffre de la population atteignait alors environ 1 000 Européens et 18 000 indigènes. Si l’on veut bien songer à ce fait que la population européenne de la ville se composait d’individus généralement dans la force de l’âge, le tribut fort élevé qu’elle payait à la mortalité paraîtra beaucoup plus considérable encore. Il dépasse en effet de plus du double celui de la métropole et il est supérieur à celui de l’Algérie d’il y a soixante ans. On peut calculer qu’une meilleure hygiène aurait permis d’économiser par an vingt morts au moins dans cette seule ville, pourvue cependant d’eaux potables, d’égouts collecteurs, d’hôpitaux et de maisons confortables.

Ces chiffres sont éloquens, ils dispensent d’en citer d’autres, et mieux vaut démontrer par un exemple tout ce que nous aurions pu faire.

Des statistiques, contemporaines des précédentes, nous sont fournies par le service sanitaire du canal de Panama ; elles témoignent avec une abondante clarté que nos faibles efforts et les maigres résultats obtenus par nous ne sont pas ce qu’ils devraient être.

Personne n’ignore l’affreuse mortalité qui sévissait sur les chantiers du canal de Panama lorsqu’ils appartenaient à la Compagnie française. Celle-ci ne se désintéressait pas du problème de la santé publique, mais elle était moins résolue et moins armée que les autorités américaines qui lui succédèrent. Voici ce qu’ont fait ces dernières.

Une population de 32 000 ouvriers séjourna pendant l’année 1907 dans ces territoires du canal, mille fois plus vastes que Dakar et beaucoup plus insalubres. La composition de cette véritable armée de travailleurs ne pouvait donner, au point de vue qui nous occupe, que des garanties bien minces. La mortalité totale qui se maintenait jusque-là à 49 pour 1 000 descendit cependant à 39 pour 1 000. Si l’on n’étudie que les Européens dont le nombre atteignit 7 727 unités, la mortalité de cet élément fut de 15,95 pour 1 000, inférieure de près des deux tiers à la mortalité européenne de Dakar. Les Américains dépensaient à la vérité un peu plus de cinq millions de francs par an pour obtenir ce résultat. Mais ils ne croyaient pas le payer trop cher, puisque le budget sanitaire du canal fut prévu pour l’exercice suivant (1908) à la somme de 18 875 000 francs, chiffre que notre parcimonie habituelle trouvera sans doute exagéré.


Les succès obtenus par les Américains au Panama sont, en même temps qu’un reproche et un exemple, un encouragement pour nous. Nous avons passé en revue les diverses parties de l’œuvre sanitaire accomplie déjà dans nos colonies, nous savons qu’elle n’est pas parfaite, et nous n’ignorons pas à quels résultats magnifiques nous pourrions prétendre en l’améliorant.

Mais quelle route suivre pour atteindre le but ?

Notre première erreur fut peut-être de n’avoir pas tracé un plan général de protection sanitaire pour l’ensemble de nos colonies. Que devrait être ce plan, il semble aussi facile de le tracer qu’il sera long, pénible et coûteux de le réaliser !

Les hygiénistes coloniaux peuvent borner leurs efforts, du moins en ce qui concerne la population européenne, à la diminution de la mortalité. Il faut pour cela étudier d’abord la pathologie spéciale de ces régions, créer par conséquent des laboratoires. Ces centres de recherches scientifiques existent déjà nombreux. L’Indo-Chine, l’Afrique Occidentale, Madagascar, le Congo lui-même, depuis que la libéralité de la Société de géographie permit d’en créer un à Brazzaville pour l’étude de la maladie du sommeil, possèdent de ces établissemens.

Vient ensuite la question des soins à donner aux malades. Cette partie du programme sanitaire ne fut pas plus négligée chez nous qu’ailleurs et nous avons réalisé dans cet ordre d’idées à peu près tout le possible.

La troisième partie du programme consiste dans la défense des colonies contre les maladies épidémiques ou contagieuses. Elle est à peine esquissée en certains points et pas même prévue en beaucoup d’autres. Il faut toujours revenir, quand on parle de notre hygiène publique, à la loi du 15 février 1902. Cette loi prévoyait la création dans la métropole de services d’hygiène départementaux et municipaux dont les fonctions seraient de veiller à l’application de tous règlemens édictés afin de préserver la santé publique.

L’article 9 de cette loi spécifia qu’une enquête devait être menée dans toute commune dont la mortalité dépasserait la mortalité générale de la région pendant trois années consécutives. Si l’on reprend l’exemple précédent de l’île de la Réunion, on s’aperçoit, en consultant les statistiques particulières des communes de cette colonie, naguère si salubre, qu’il y aurait souvent eu lieu à enquête.

Salazie, station fréquentée, - eut une mortalité de 12,0 pour 1 000 en 1904 et de 30,4 en 1908, Sainte-Rose de 23,1 en 1904 et 47,2 en 1910. Le chef-lieu lui-même, Saint-Denis, compta dans ces dix dernières années plus de morts que de naissances. On ne s’est, bien entendu, jamais préoccupé de ces faits, puisque la Réunion ne possède pas de services d’hygiène, et les causes de ces excès de mortalité ont continué à exister sans qu’on fasse rien pour les détruire.

Nos ports coloniaux possèdent des médecins arraisonneurs dont la mission consiste à contrôler l’état sanitaire des bateaux provenant de régions contaminées. Une simple barrière de ce genre est manifestement insuffisante. Les épidémies peuvent également franchir les frontières de terre, elles peuvent même avoir une origine locale. Il faudrait donc créer partout des services d’hygiène pour dépister les maladies contagieuses et pour les combattre sans retard. Le Sénégal est seul[4] à posséder de ces services spéciaux : encore n’en avait-il que dans ses trois principales villes. On y a récemment créé de nouvelles circonscriptions, mais l’œuvre, commencée il y aura bientôt dix ans, n’est pas encore au point. Elle a déjà rendu cependant de réels services à la colonie. Un exemple récent prouve même qu’elle pourrait, telle quelle, suffire aux besoins les plus pressans. La petite épidémie de fièvre jaune qui, répandue dans toutes les escales sénégalaises, causa près de trente morts à la fin de 1912, n’atteignit jamais en effet Saint-Louis, bâtie dans une île entourée de marécages, mais où le service d’hygiène fit toujours preuve d’une grande fermeté.

La réforme sanitaire la plus utile qui reste à réaliser pour l’avenir de nos colonies serait donc de pourvoir nos possessions, les plus anciennes comme les plus récentes, d’organismes semblables aux services d’hygiène sénégalais.

Les grandes villes contiennent à elles seules la majorité des Européens coloniaux. Elles seraient dotées les premières de ces services, mais la brousse, elle aussi, n’en devrait pas être dépourvue. Les médecins de nos colonies, ainsi appelés à préserver la santé des gens bien portans, auraient partout fort à faire. Le paludisme serait leur premier et plus redoutable ennemi, mais combien d’autres ils auraient à combattre ! Ce serait, au Congo, la trypanosomiase, contre laquelle une simple société privée projetait, il y a deux ans, d’entreprendre une campagne qui coûterait plus de 200 000 francs ; ce serait, dans nos vieilles colonies des Antilles, la fièvre jaune, tout comme sur la côte occidentale d’Afrique ; ce serait enfin la lèpre en Nouvelle-Calédonie et à Madagascar…

Parallèlement aux services d’hygiène, les services d’assistance médicale indigène continueraient à remplir leur rôle si important. On ne pourra plus dorénavant qu’y apporter des améliorations de détail, mais voici une autre partie du programme sanitaire dont on ne s’est guère occupé jusqu’ici chez nous.

La question s’est posée pour les Européens, presque dès le début de la colonisation, de savoir s’ils pouvaient se conserver longtemps sous les tropiques en bonne santé, s’ils pouvaient « s’acclimater. »

Comme leurs rivaux, Portugais, Espagnols et Anglais, nos ancêtres croyaient pouvoir implanter leur race dans toutes les régions où ils abordaient.

Ils croyaient également à la possibilité d’y faire pousser le blé ou la vigne de la terre natale. Nous n’ignorons plus que le blé ne fructifie pas sous les tropiques. Nous connaissons également les effets désastreux que les climats chauds produisent à la longue sur nos organismes, même indemnes de toute maladie.

On ne trouva d’abord qu’un remède à ce mal des tropiques, le rapatriement. C’est encore à peu près le seul procédé officiel que nous sachions employer dans nos colonies. Les étrangers en utilisent un autre plus économique, dont nous aurions grand tort de ne pas tirer également profit.

Le rapatriement d’un fonctionnaire impose à son administration des frais considérables de transport, de solde, de remplacement. Si c’est un colon qui doit revenir en Europe pour sa santé, le voyage, souvent coûteux pour ses ressources, risque d’entraîner sa ruine en l’éloignant de ses affaires. Il faut sauver cependant à tout prix la vie ou la santé de l’un comme de l’autre, car tous deux représentent un capital précieux, mais rien n’est plus naturel que de rechercher et de préférer le moyen le moins dispendieux de parvenir au but.

C’est pour ce motif que les Anglais et les Hollandais ont créé des sanatoria dans les montagnes de l’Inde et de Java, à des altitudes telles qu’on y retrouve une température analogue à celle des pays d’Europe. Les Européens fatigués par un séjour dans les régions basses et chaudes peuvent s’y retremper sans quitter la colonie et les maladies aiguës n’y sont que rarement traitées. Ces stations devraient donc s’appeler de préférence des « preventoria. »

Les Américains eux-mêmes, nouveaux venus dans la vie coloniale, viennent d’achever, pour leurs troupes et leurs fonctionnaires des Philippines, une station d’altitude, pourvue de casernes, de villas privées, de cercles et d’hôpitaux dont le prix total dépasse plusieurs millions. Les Allemands, moins bien pourvus par la nature, sauf au Cameroun, envoient aux Canaries leurs coloniaux de l’Ouest Africain.

Nous ne pouvons pas nous targuer d’avoir accompli des efforts comparables à ceux de ces peuples étrangers. On remarque cependant, sur les montagnes qui avoisinent nos vieux établissemens de l’océan Indien, de petites constructions aux façades blanches, visibles de très loin au milieu des verdures. Elles servaient naguère de maisons de repos pour nos fonctionnaires. Mayotte, Nossi-Bé, Diego possédaient de ces cases, symboliquement nommées « convalescences. »

Nos pères avaient donc reconnu l’utilité de la cure d’altitude, nous n’avons pas assez suivi l’exemple qu’ils nous léguaient ; mais les richesses latentes qu’offrent nos diverses possessions pour l’établissement de stations de repos sont cependant si considérables qu’il nous faudrait peu d’efforts pour égaler les autres peuples. La nature généreuse nous offre un peu partout en effet de magnifiques emplacemens où dresser les sanatoria d’altitude qui doivent remplacer aujourd’hui les anciennes « convalescences. »

Nos Antilles possèdent dans l’île de la Guadeloupe, à 900 mètres d’altitude, le camp Jacob, qui n’est guère qu’une caserne. Le climat de ces îles est chaud, mais une occupation séculaire en a rendu peu à peu les effets moins nuisibles, grâce aux grandes facilités de vie et au confort dont on peut s’y entourer.

L’ile de la Réunion est mieux partagée. Deux stations d’altitude existent déjà sur ses mornes élevés, mais elles ne sont pas aménagées.

Cilaos est pourvue d’eaux chaudes abondantes. Salazie, dont les eaux sulfureuses jaillissent à 876 mètres d’altitude, possède une organisation un peu moins rudimentaire que sa voisine. On a pu voir précédemment combien l’état sanitaire de la localité laisse encore à désirer. Or la mise en état de la station lui permettrait de rendre des services considérables. Les dépenses consenties à cet effet ne seraient pas improductives, car les baigneurs de Maurice et des Seychelles viendraient en nombre fort appréciable, s’ils savaient devoir y trouver le confort et les soins nécessaires.

Nos nouvelles possessions sont moins bien pourvues que les anciennes, la nature les a cependant plus favorisées encore. Madagascar offre les meilleures conditions possibles pour la création de sanatoria. Après avoir rappelé pour mémoire les installations tout à fait rudimentaires de la montagne d’Ambre, près de Diego et de Nossi-Comba, voisine de Nossi-Bé, il convient de décrire plus longuement Antsirabé.

Cette localité, peu connue en dehors de la grande île, possède des sources froides bicarbonatées sodiques dont la composition rappelle celle des eaux de Vichy et d’abondantes sources chaudes carbonatées calciques. Elle constitue de plus une station d’altitude idéale. Antsirabé s’élève en effet, à 150 kilomètres au S.-E. de Tananarive, sur un vaste plateau d’une altitude moyenne de 1 500 mètres que dominent, à peu de distance, les puissans sommets de l’Ankaratra.

Des pitons dont l’aspect rappelle celui des Puys d’Auvergne parsèment ce plateau, que traversent de nombreuses rivières aux lits très encaissés.

Les cratères des plus rapprochés de ces puys abritent des lacs petits, mais profonds. Des herbes drues et de rares buissons poussent sur le sol volcanique mêlé tantôt de calcaire, tantôt d’un sable grossier. Des bœufs et d’innombrables porcs s’en nourrissent. Les habitans, Hovas fortement teintés, habitent des fermes clairsemées aux murs blanchis de chaux qu’entourent de vastes champs de pommes de terre.

Pas d’arbres nulle part, ou peu s’en faut. Les eucalyptus et les vernis du Japon récemment plantés autour d’une des sources sont cependant d’une fort belle venue.

Le village, devenu chef-lieu de province, compte un administrateur, un médecin, plusieurs autres fonctionnaires, quelques colons et de 1 500 à 2 000 indigènes. Il possède même un petit hôtel[5] à peu près passable, mais les sources ne sont pour ainsi dire pas aménagées. On y prend son bain dans des trous revêtus de planches, creusés à même dans le sol d’où sourdent les eaux.

Antsirabé se trouve à égale distance de Tananarive et de Fianarantsoa. Le général Galliéni, dont l’œuvre, avec le recul du temps, parait de plus en plus belle, créa le premier une route entre ces deux villes. Un service d’automobiles reliait depuis 1910 Antsirabé et Tananarive. Il fut récemment prolongé jusqu’à Fianarantsoa, et le gouverneur général Picquié mit l’an passé en adjudication le premier secteur d’une voie ferrée qui doit desservir Antsirabé.

Si l’on veut capter les eaux de la précieuse source, créer un établissement de bains convenable et moderne, si l’on se décide à construire un ou plusieurs hôtels confortables avec quelques villas privées, Antsirabé attirera vers lui de nombreux voyageurs, venus non seulement des diverses régions de Madagascar, mais encore des Mascareignes, voisines, et de toute la Côte Orientale d’Afrique. Cinq à huit jours suffiraient, dès aujourd’hui, à des voyageurs venus de Zanzibar ou du Cap pour atteindre la future grande station malgache. On pourrait réduire peut-être de moitié ce laps de temps. L’afflux des baigneurs qui suivrait toute amélioration des moyens de communication et de transports permettrait d’augmenter le confort de la station pour le plus grand bénéfice des malades eux-mêmes. Il assurerait également la prospérité de la région tout entière où la colonisation européenne, ainsi stimulée, pourrait réaliser des merveilles.

L’aménagement d’Antsirabé n’empêcherait pas d’améliorer à peu de frais quelques-unes des anciennes « convalescences. » D’autres sources, thermales ou minérales, comme Antsiravazo, pourraient être plus tard appropriées selon leur valeur et les besoins locaux.

Il y aurait peut-être aussi lieu de faire quelques légers sacrifices pour la protection de la source ferrugino-gazeuse d’Hammam Agnoussi, qui coule à 600 mètres d’altitude dans un beau vallon d’Anjouan, la perle des Comores, groupe d’îles très pittoresques, situé entre Madagascar et l’Afrique.

L’Indo-Chine est presque aussi riche que Madagascar. A défaut de l’immense et salubre plateau central hova et betsiléo, notre empire indo-chinois possède dans chacune de ses parties des socles montagneux, plus ou moins vastes, mais très suffisans pour la création de sanatoria comparables aux meilleurs établissemens créés par les Anglais ou les Hollandais.

Le Dr Yersin découvrit en 1898 le plateau du Lang-Biang, dont la superficie atteint 400 kilomètres carrés et dépasse par conséquent celle du département de la Seine. Ce plateau, éloigné de la mer d’environ 450 kilomètres à vol d’oiseau, se dresse à une altitude moyenne de 1 400 mètres. Il est constitué par une longue suite de mamelons herbeux surplombés par des montagnes dont trois sommets atteignent 2400 mètres. Alors que la température moyenne annuelle s’élève sur la côte à 26°, qu’elle est encore plus considérable à Saïgon, on jouit sur le Lang-Biang d’une température moyenne de 47°, et le thermomètre y descend parfois jusqu’à 0. Il y pleut beaucoup, par malheur, cent soixante-treize jours par an en moyenne, tandis que les stations anglaises de l’Hymalaya comptent deux semaines de plus de beau temps.

M. Doumer eut le premier l’idée de créer un sanatorium sur ce plateau. Un petit village, Dalat, y fut fondé par ses ordres, ainsi qu’une station agricole où l’on a fait d’intéressans croisemens de bovidés du pays avec des vaches bretonnes, bonnes laitières comme on sait.

Mais surtout, une route partie de Pharang sur la côte d’Annam permit, dès l’année 1900, d’accéder au plateau à travers les forêts dangereuses qui en interdisaient précédemment l’accès. Le gouverneur général actuel, M. A. Sarraut, voudrait reprendre les projets primitifs et remplacer cette route par un chemin de fer relié à la voie ferrée Saigon-Khan-Hoâ. Cette ligne nouvelle permettrait aux habitans de la capitale cochinchinoise d’atteindre Dalat en moins de vingt heures.

Son accès ainsi facilité, le Lang-Biang exigera encore une grosse mise de fonds pour être adapté à ses nouvelles destinées. Il faudra en effet percer des routes sur le plateau lui-même, sans préjudice, bien entendu, d’autres grandes voies d’accès dont l’avenir indiquera vraisemblablement l’utilité. On devra aussi, suivant l’exemple des étrangers, aménager les eaux, construire des hôtels, des habitations privées, un cercle et surtout des casernes, où viendront passer au moins plusieurs mois, chaque année, une partie des troupes européennes du corps d’occupation. Cela conduirait à considérer le Lang-Biang comme une forteresse naturelle, sorte de réduit de la défense de la colonie. Nos troupes y vivraient en temps de paix à l’abri de la maladie et des dangers du climat ; peut-être en temps de guerre pourraient-elles l’utiliser également comme une place forte. L’installation de quelques colons, celle d’indigènes adonnés à des cultures vivrières et à l’élevage, contribueraient puissamment à l’amélioration des conditions d’existence de la station, tout en n’imposant pas de grosses dépenses supplémentaires. Ainsi compris, ce sanatorium géant attirerait, avec nos compatriotes d’Annam, de Cochinchine et du Cambodge, les étrangers du Siam et peut-être des Détroits. Lui aussi pourrait donc, tout comme Antsirabé de Madagascar, devenir un facteur appréciable de la prospérité matérielle de la colonie.

Devrait-on se borner en Indo-Chine à l’appropriation du Lang-Biang ? M. Vieillard, fonctionnaire tonkinois, préconisait récemment, dans le Bulletin économique de l’Indo-Chine, la création dans un petit village nommé Chapa, voisin de Lao-Kay[6], d’une station de repos à 1 273 mètres d’altitude. Chapa se trouve à proximité de la province chinoise du Yunan. La grande voie ferrée, qui joint la capitale de cette importante vice-royauté à Hanoï et à la mer, touche, comme on sait, Lao-Kay. Une route permettrait donc d’atteindre, en quelques heures, la nouvelle station. Celle-ci, se trouvant par 22° de latitude Nord, alors que le Lang-Biang est de dix degrés plus près de l’équateur, présenterait des conditions d’habitabilité peut-être meilleures que celles du sanatorium annamite.

Mais il existe déjà une véritable station d’altitude au Tonkin. Le massif du Tam-Dao, dont le point culminant dépasse 1 200 mètres, surplombe en effet les plaines du Delta de sorte qu’Hanoï n’en est pas éloigné de plus de 60 kilomètres.

On atteint même le sanatorium en moins de deux heures si l’on part de Vinh-Yen, localité desservie par le chemin de fer. La station s’élève à 930 mètres d’altitude dans un site ravissant où se pressent déjà onze villas appartenant aux divers services administratifs de la colonie. On y construit de plus en ce moment un hôtel pour le public.

Une dépêche ministérielle prescrivit, dès l’année 1901, l’étude des massifs les plus voisins du Delta en vue d’y installer des cantonnemens pour nos troupes. Ce sont les seuls services civils qui utilisent cependant le Tam-Dao auquel on peut reprocher d’être fort insuffisant pour satisfaire à tous les besoins. Aussi les faveurs du public se partagent-elles entre le Tam-Dao, la plage sablonneuse de Do-Son et surtout les stations élevées du Yunan, Yunan-Fou, Montzé, Milati. Les stations balnéaires doivent être écartées en principe. Quant aux sanatoria d’altitude, la nomenclature de ceux que nous pourrions établir au Tonkin et dans l’Annam du Nord est loin d’être épuisée. Le Tran-ninh mérite cependant d’être au moins signalé au passage. Il étage ses monts puissans à 200 kilomètres environ de la mer d’Annam ; mais que de magnifiques emplacemens ne trouvera-t-on pas au milieu de ses forêts de pins qui rappellent nos paysages d’Europe !

Deux autres groupes importans de colonies, notre Afrique occidentale et notre Congo, restent à étudier. On doit reconnaître que le premier des deux se trouve bien près de France. Il n’y a donc pas lieu de consentir de trop gros sacrifices, afin de le doter de sanatoria. Certains plateaux du Fouta-Djalon offrent cependant les conditions indispensables pour une création de ce genre, d’autant que rien de comparable aux grandes stations dont l’étude précède n’y serait nécessaire. Quelques cases, peut-être un ou deux petits hôtels suffiraient à tous les besoins. Les points les plus propres à l’installation de ces stations d’altitude devront être vraisemblablement choisis sur des plateaux en partie sablonneux, élevés de onze ou douze cents mètres et situés à peu de distance de Mamou. Cette ville toute récente est desservie par le pittoresque chemin de fer de Guinée.

Dalaba, où fut créé il y a peu d’années une ferme modèle, mériterait surtout d’attirer l’attention. L’eau est abondante et pure dans les environs, de nombreux troupeaux paissent autour des « roundé » établis sur les hauteurs voisines par les pasteurs Peuls. La température de ces plateaux descend pendant la saison sèche jusqu’à 3 et 4°, elle n’y dépasse pas 20 ou 22°. Les pluies sont par malheur très fréquentes et d’une grande violence pendant l’hivernage, surtout du mois de juin à celui d’octobre.

On pourrait encore établir des stations en d’autres points de la région, notamment à 40 kilomètres du port de Konakry, sur le mont Kakoulima, qui dresse ses mille mètres de roches tout près de la voie ferrée. M. A. Chevalier, le très distingué botaniste, prévoyait récemment aussi l’utilisation future de plateaux salubres élevés de plus de mille mètres, qu’il explora dans l’hinterland de notre Côte d’Ivoire, tout près du Libéria.

Peut-être trouverait-on également de bons emplacemens de « convalescences » en plein Soudan, au Sud de Sikasso ? Doter de bonnes stations d’altitude l’Afrique occidentale française ne présenterait donc pas d’insurmontables difficultés.

La situation n’est malheureusement pas aussi favorable dans notre Congo, dont les besoins sont dès aujourd’hui plus pressans. Cette vaste région, bien délaissée jusqu’ici par nous, mais qui va sans doute faire dorénavant de plus rapides progrès, n’offre guère d’emplacemens susceptibles d’être choisis pour cet usage. A moins que des découvertes peu probables ne viennent modifier la situation, nous n’aurons que la ressource d’y créer des stations balnéaires analogues au Do-Son tonkinois ou bien au Cap Saint-Jacques des Saïgonnais.

Il ne reste plus à étudier que nos colonies d’Océanie, mais on peut les négliger ici sans inconvéniens. Nos compatriotes n’y sont et n’y seront jamais nombreux, sauf en Calédonie. Or, cette île est tout entière un excellent sanatorium où nos colons des Nouvelles-Hébrides, archipel au climat tropical, peuvent dès maintenant venir se retremper.

Il existe en Indo-Chine une excellente pratique, en vertu de laquelle une indemnité de séjour est accordée aux petits fonctionnaires qui désirent faire dans la colonie une cure de repos. Toutes nos possessions pourvues de sanatoria devraient suivre cet exemple si libéral. Ce serait le meilleur moyen pour elles de « lancer » ces établissemens sanitaires, ce serait par conséquent le meilleur moyen d’en tirer le plus tôt possible les meilleurs résultats.


On peut conclure de cette rapide excursion à travers notre empire colonial que nous n’y avons pas encore accompli tous les efforts nécessaires pour la protection de l’Hygiène publique. Nous avons notamment négligé d’aménager les sanatoria qui nous sont cependant indispensables.

Il faudrait, pour réparer la faute commise et regagner le temps perdu, dépenser plusieurs millions. Ce serait d’autant moins une charge écrasante pour les budgets coloniaux qu’une partie des dépenses d’hygiène « paierait, » tout comme celle de la construction des ports ou des chemins de fer, et que toutes permettraient de réaliser tout de suite des économies considérables de vies humaines et d’argent.

Les créations de services nouveaux d’hygiène et celles de sanatoria présenteraient encore un autre avantage, inappréciable. L’esprit public colonial en serait transformé, celui surtout de nos administrations. Engagés dans cette voie féconde, les pouvoirs publics réaliseraient promptement, sans nul doute, bien d’autres progrès auxquels on ne peut songer aujourd’hui parce que le vent ne souffle pas de ce côté.

L’administration romprait bientôt avec la déplorable habitude, qu’elle a trop souvent encore, de mal loger ses fonctionnaires. La situation, sous ce rapport, est surtout déplorable dans nos deux empires africains de l’Ouest. A part les chefs de cercle, la plupart des fonctionnaires de la brousse, en Afrique occidentale, même s’ils sont mariés et chargés de famille, doivent se contenter de deux, parfois d’une seule pièce. Des ménages sont contraints de voisiner avec des célibataires, d’une façon tellement complète qu’elle en devient tout à fait pénible. Les installations congolaises sont plus rudimentaires encore.

On s’attaquerait aussi, sans doute, au terrible fléau de l’alcoolisme, contre lequel les colonies de Madagascar, de la Côte d’Ivoire et le protectorat du Maroc ont déjà commencé une campagne au seul profit de leurs indigènes[7].

L’alcoolisme qui contribue à détruire les habitans de Tahiti et des Marquises, les tribus du Gabon et les Serères du Sénégal, produit cependant aussi chez nos nationaux, surtout parmi nos troupiers, des ravages effroyables. On peut affirmer qu’une large part de la mortalité des coloniaux lui revient sans conteste.

Que de choses à dire encore sur ce sujet si vaste !

Une des principales est de répéter qu’on ne perde plus de temps, car il est indispensable pour nous d’entreprendre avec méthode et de mener promptement à bien la conquête sanitaire de nos colonies, à peine commencée encore aujourd’hui.

Il faudra, pour cette œuvre grandiose, de l’argent, mais nous sommes très riches, des hommes de talent et de conscience aussi, mais on n’en a jamais manqué chez nous.


Dr D’ANFREVILLE DE LA SALLE.

  1. Nous avons perdu l’an passé 19 habitans sur 1 000, le Danemark 12,9, la Norvège 13,4, l’Angleterre 13,9, la Belgique 15 et l’Allemagne 16,2. Ces chiffres démontrent dans quelle erreur vivent ceux qui croient notre hygiène publique supérieure à celle des autres peuples.
  2. Elles atteignaient encore en 1880 le chiffre de 25 pour 1 000, elles n’étaient plus en 1912 que de 18,7 pour 1 000.
  3. La mortalité fut pour cette année 1911 de 4 027 décès et l’on compta dans le même temps 5 771 naissances.
  4. Un arrêté local du 29 juin 1910 a créé à la Martinique, en même temps qu’un laboratoire de bactériologie, un service de lutte antilarvaire, mais ce n’est guère qu’une ébauche de ce qu’il faudrait y réaliser.
  5. Antsirabé possède également par malheur une léproserie installée en amont d’un des deux groupes de sources chaudes qu’on n’utilise pas pour ce motif.
  6. La distance de Chapa à Lao-Kay est de 37 kilomètres. La précipitation annuelle des eaux de pluies y atteint 2 600 millimètres, près de 1 000 millimètres de plus qu’à Hanoï, ce qui est beaucoup.
  7. Le général Lyautey, par un dahir du 8 avril 1914, a interdit l’entrée, la fabrication et la vente de l’absinthe dans tout le Maroc. Il a pris également de sévères mesures en vue de limiter le nombre des débits de boissons.