La Conquête du pain/Objections

Tresse & Stock (p. 187-211).


OBJECTIONS




I


Examinons maintenant les principales objections qu’on oppose au communisme. La plupart proviennent évidemment d’un simple malentendu ; mais quelques-unes soulèvent des questions importantes et méritent toute notre attention.

Nous n’avons point à nous occuper de repousser les objections que l’on fait au communisme-autoritaire : nous-mêmes les constatons. Les nations civilisées ont trop souffert dans la lutte qui devait aboutir à l’affranchissement de l’individu pour pouvoir renier leur passé et tolérer un gouvernement qui viendrait s’imposer jusque dans les moindres détails de la vie du citoyen, alors même que ce gouvernement n’aurait d’autre but que le bien de la communauté. Si jamais une société communiste-autoritaire parvenait à se constituer, elle ne durerait pas, et serait bientôt forcée par le mécontentement général, ou de se dissoudre, ou de se réorganiser sur des principes de liberté.

C’est d’une société communiste anarchiste que nous allons nous occuper, d’une société qui reconnaisse la liberté pleine et entière de l’individu, n’admette aucune autorité, n’use d’aucune contrainte pour forcer l’homme au travail. Nous bornant dans ces études au côté économique de la question, voyons si, composée d’hommes tels qu’ils sont aujourd’hui, — ni meilleurs ni plus méchants, ni plus ni moins laborieux, — cette société aurait des chances de se développer heureusement ?

L’objection est connue. « Si l’existence de chacun est assurée, et si la nécessité de gagner un salaire n’oblige pas l’homme à travailler, personne ne travaillera. Chacun se déchargera sur les autres des travaux qu’il ne sera pas forcé de faire. » Relevons d’abord la légèreté incroyable avec laquelle on met cette objection en avant sans se douter que la question se réduit, en réalité, à savoir si, d’une part, on obtient effectivement par le travail salarié les résultats que l’on prétend en obtenir ? Et si, d’autre part, le travail volontaire n’est déjà pas aujourd’hui plus productif que le travail stimulé par le salaire ? Question qui exigerait une étude approfondie. Mais, tandis que, dans les sciences exactes, on ne se prononce sur des sujets infiniment moins importants et moins compliqués, qu’après de sérieuses recherches, on recueille soigneusement des faits et on en analyse les rapports, — ici on se contente d’un fait quelconque, — par exemple, l’insuccès d’une association de communistes en Amérique — pour décider sans appel. On fait comme l’avocat qui ne voit pas dans l’avocat de la partie adverse le représentant d’une cause ou d’une opinion contraire à la sienne, mais un simple contradicteur dans une joute oratoire ; et qui, s’il est assez heureux de trouver la riposte, ne se soucie pas autrement d’avoir raison. C’est pourquoi l’étude de cette base fondamentale de toute l’économie politique, — l’étude des conditions les plus favorables pour donner à la société la plus grande somme de produits utiles avec la moindre perte de forces humaines, — n’avance pas. On se borne à répéter des lieux communs, ou bien on fait silence.

Ce qui rend cette légèreté d’autant plus frappante, c’est que même dans l’économie politique capitaliste, on trouve déjà quelques écrivains, amenés par la force des choses à mettre en doute cet axiome des fondateurs de leur science, axiome d’après lequel la menace de la faim serait le meilleur stimulant de l’homme pour le travail productif. Ils commencent à s’apercevoir qu’il entre dans la production un certain élément collectif, trop négligé jusqu’à nos jours, et qui pourrait bien être plus important que la perspective du gain personnel. La qualité inférieure du labeur salarié, la perte effrayante de force humaine dans les travaux de l’agriculture et de l’industrie modernes, la quantité toujours croissante des jouisseurs qui, aujourd’hui, cherchent à se décharger sur les épaules des autres, l’absence d’un certain entrain dans la production qui devient de plus en plus manifeste, — tout cela commence à préoccuper jusqu’aux économistes de l’école « classique ». Quelques-uns d’entre eux se demandent s’ils n’ont pas fait fausse route en raisonnant sur un être imaginaire, idéalisé en laid, que l’on supposait guidé exclusivement par l’appât du gain ou du salaire ? Cette hérésie pénètre jusque dans les universités : on la hasarde dans les livres d’orthodoxie économiste. Ce qui n’empêche pas un très grand nombre de réformateurs socialistes de rester partisans de la rémunération individuelle et de défendre la vieille citadelle du salariat, alors même que ses défenseurs d’autrefois la livrent déjà pierre par pierre à l’assaillant.


Ainsi on redoute que, sans contrainte, la masse ne veuille pas travailler.

Mais, n’avons-nous pas déjà entendu, de notre vivant, exprimer ces mêmes appréhensions à deux reprises, par les esclavagistes des États-Unis avant la libération des nègres, et par les seigneurs russes avant la libération des serfs ? — « Sans le fouet, le nègre ne travaillera pas », — disaient les esclavagistes. — « Loin de la surveillance du maître, le serf laissera les champs incultes », disaient les boyards russes. — Refrain des seigneurs français de 1789, refrain du moyen âge, refrain vieux comme le monde, nous l’entendons chaque fois qu’il s’agit de réparer une injustice dans l’humanité.

Et chaque fois, la réalité vient lui donner un démenti formel. Le paysan affranchi de 1792 labourait avec une énergie farouche inconnue à ses ancêtres ; le nègre libéré travaille plus que ses pères ; et le paysan russe, après avoir honoré la lune de miel de son affranchissement en fêtant la Saint-Vendredi à l’égal du dimanche, a repris le travail avec d’autant plus d’âpreté que sa libération a été plus complète. Là où la terre ne lui manque pas, il laboure avec acharnement, — c’est le mot.

Le refrain esclavagiste peut avoir sa valeur pour des propriétaires d’esclaves. Quant aux esclaves eux-mêmes, ils savent ce qu’il vaut : ils en connaissent les motifs.


D’ailleurs, qui donc, sinon les économistes, nous enseigna que, si le salarié s’acquitte tant bien que mal de sa besogne, un travail intense et productif ne s’obtient que de l’homme qui voit son bien-être grandir en proportion de ses efforts ? Tous les cantiques entonnés en l’honneur de la propriété se réduisent précisément à cet axiome.

Car, — chose remarquable, — lorsque des économistes, voulant célébrer les bienfaits de la propriété, nous montrent comment une terre inculte, un marais ou un sol pierreux se couvrent de riches moissons sous la sueur du paysan-propriétaire, ils ne prouvent nullement leur thèse en faveur de la propriété. En admettant que la seule garantie pour ne pas être spolié des fruits de son travail soit de posséder l’instrument de travail, — ce qui est vrai, — ils prouvent seulement que l’homme ne produit réellement que lorsqu’il travaille en toute liberté, qu’il a un certain choix dans ses occupations, qu’il n’a pas de surveillant pour le gêner et qu’enfin, il voit son travail lui profiter, ainsi qu’à d’autres qui font comme lui, et non pas à un fainéant quelconque. C’est tout ce que l’on peut déduire de leur argumentation, et c’est ce que nous affirmons aussi.

Quant à la forme de possession de l’instrument de travail, cela n’intervient qu’indirectement dans leur démonstration pour assurer au cultivateur que personne ne lui enlèvera le bénéfice de ses produits ni de ses améliorations. — Et pour appuyer leur thèse en faveur de la propriété contre toute autre forme de possession, les économistes ne devraient-ils pas nous démontrer que sous forme de possession communale, la terre ne produit jamais d’aussi riches moissons que lorsque la possession est personnelle ? Or cela n’est pas. C’est le contraire que l’on constate.

En effet, prenez, comme exemple, une commune du canton de Vaud, à l’époque où tous les hommes du village vont en hiver abattre le bois dans la forêt qui appartient à tous. Eh bien, c’est précisément pendant ces fêtes du travail que se montre le plus d’ardeur à la besogne et le plus considérable déploiement de force humaine. Aucun labeur salarié, aucun effort de propriétaire ne pourrait supporter la comparaison.

Ou bien encore, prenez un village russe, dont tous les habitants s’en vont faucher un pré appartenant à la commune, ou affermé par elle, c’est là que vous comprendrez ce que l’homme peut produire lorsqu’il travaille en commun pour une œuvre commune. Les compagnons rivalisent entre eux à qui tracera de sa faux le plus large cercle ; les femmes s’empressent à leur suite pour ne pas se laisser distancer par l’herbe fauchée. C’est encore une fête du travail pendant laquelle cent personnes font en quelques heures ce que leur travail accompli séparément n’eût pas terminé en quelques jours. Quel triste contraste fait, à côté, le travail du propriétaire isolé !

Enfin, on pourrait citer des milliers d’exemples chez les pionniers d’Amérique, dans les villages de la Suisse, de l’Allemagne, de la Russie et de certaines parties de la France ; les travaux faits en Russie par les escouades (artèles) de maçons, de charpentiers, de bateliers, de pêcheurs, etc., qui entreprennent une besogne pour s’en partager directement les produits ou même la rémunération, sans passer par l’intermédiaire des sous-entrepreneurs. On pourrait encore mentionner les chasses communales des tribus nomades et à l’infini nombre d’entreprises collectives menées bien. Et partout on constaterait la supériorité incontestable du travail communal, comparé à celui du salarié ou du simple propriétaire.


Le bien-être, c’est-à-dire, la satisfaction des besoins physiques, artistiques et moraux, et la sécurité de cette satisfaction, ont toujours été le plus puissant stimulant au travail. Et quand le mercenaire parvient à peine à produire le strict nécessaire, le travailleur libre qui voit l’aisance et le luxe s’accroître pour lui et pour les autres en proportion de ses efforts, déploie infiniment plus d’énergie et d’intelligence et obtient des produits de premier ordre bien plus abondants. L’un se sent rivé à la misère, l’autre peut espérer dans l’avenir le loisir et ses jouissances.

Là est tout le secret. C’est pourquoi une société qui visera au bien-être de tous et à la possibilité pour tous de jouir de la vie dans toutes ses manifestations, fournira un travail volontaire infiniment supérieur et autrement considérable que la production obtenue jusqu’à l’époque actuelle, sous l’aiguillon de l’esclavage, du servage et du salariat.


II


Quiconque peut se décharger aujourd’hui sur d’autres du labeur indispensable à l’existence, s’empresse de le faire, et il est admis qu’il en sera toujours ainsi.

Or le travail indispensable à l’existence, est essentiellement manuel. Nous avons beau être des artistes, des savants, aucun de nous ne peut se passer des produits obtenus par le travail des bras : pain, vêtement, routes, vaisseaux, lumière, chaleur, etc. Bien plus : si hautement artistiques ou si subtilement métaphysiques que soient nos jouissances, il n’en est pas une qui ne repose sur le travail manuel. Et c’est précisément de ce labeur, — fondement de la vie, — que chacun cherche à se décharger.


Nous le comprenons parfaitement. Il doit en être ainsi aujourd’hui.

Car faire un travail manuel signifie actuellement s’enfermer dix et douze heures par jour dans un atelier malsain, et rester dix ans, trente ans, toute sa vie, rivé à la même besogne.

Cela signifie se condamner à un salaire mesquin, être voué à l’incertitude du lendemain, au chômage, très souvent à la misère, plus souvent encore à la mort à l’hôpital, après avoir travaillé quarante ans à nourrir, vêtir, amuser et instruire d’autres que soi-même et ses enfants.

Cela signifie : porter toute sa vie aux yeux des autres le sceau de l’infériorité, et avoir soi-même conscience de cette infériorité, car, — quoi qu’en disent les beaux messieurs, — le travailleur manuel est toujours considéré comme l’inférieur du travailleur de la pensée, et celui qui a peiné dix heures à l’atelier n’a pas le temps et encore moins le moyen de se donner les hautes jouissances de la science et de l’art, ni surtout de se préparer à les apprécier ; il doit se contenter des bribes qui tombent de la table des privilégiés.

Nous comprenons donc que dans ces conditions, le travail manuel soit considéré comme une malédiction du sort.

Nous comprenons que tous n’aient qu’un rêve : celui de sortir ou de faire sortir leurs enfants de cette condition inférieure : de se créer une situation « indépendante », — c’est-à-dire, quoi ? — de vivre aussi du travail d’autrui !

Tant qu’il y aura une classe de travailleurs des bras et une autre classe de « travailleurs de la pensée » — les mains noires, les mains blanches, — il en sera ainsi.


Quel intérêt, en effet, peut avoir ce travail abrutissant pour l’ouvrier, qui d’avance connaît son sort, qui du berceau à la tombe, vivra dans la médiocrité, la pauvreté, l’insécurité du lendemain ? Aussi, quand on voit l’immense majorité des hommes reprendre chaque matin la triste besogne, on reste surpris de leur persévérance, de leur attachement au travail, de l’accoutumance qui leur permet, comme une machine, obéissant en aveugle à l’impulsion donnée, de mener cette vie de misère sans espoir du lendemain, sans même entrevoir en de vagues lueurs qu’un jour, eux, ou du moins leurs enfants, feront partie de cette humanité, riche enfin de tous les trésors de la libre nature, de toutes les jouissances du savoir et de la création scientifique et artistique, réservées aujourd’hui à quelques privilégiés.

C’est précisément pour mettre fin à cette séparation entre le travail de la pensée et le travail manuel, que nous voulons abolir le salariat, que nous voulons la Révolution sociale. Alors le travail ne se présentera plus comme une malédiction du sort : il deviendra ce qu’il doit être : le libre exercice de toutes les facultés de l’homme.


Il serait temps, d’ailleurs, de soumettre à une analyse sérieuse cette légende de travail supérieur que l’on prétend obtenir sous le fouet du salaire.

Il suffit de visiter, non pas la manufacture et l’usine modèles qui se trouvent par-ci par-là à l’état d’exception, mais l’usine telles qu’elles sont encore presque toutes, pour concevoir l’immense gaspillage de force humaine qui caractérise l’industrie actuelle. Pour une fabrique organisée plus ou moins rationnellement, il y en a cent ou plus, qui gâchent le travail de l’homme, cette force précieuse, sans autre motif plus sérieux que celui de procurer peut-être deux sous de plus par jour au patron.

Ici, vous voyez des gars de vingt à vingt-cinq ans, toute la journée sur un banc, la poitrine renfoncée, secouant fiévreusement la tête et le corps pour nouer avec une vitesse de prestidigitateurs, les deux bouts de méchants restes de fil de coton, revenus des métiers à dentelles. Quelle génération laisseront sur la terre ces corps tremblants et rachitiques ? Mais… «  ils occupent si peu de place dans l’usine, et ils me rapportent chacun cinquante centimes par jour », dira le patron !

Là, vous voyez, dans une immense usine de Londres, des filles devenues chauves à dix-sept ans à force de porter sur la tête d’une salle à l’autre des plateaux d’allumettes, tandis que la plus simple machine pourrait charroyer les allumettes à leurs tables. Mais… il coûte si peu, le travail des femmes n’ayant pas de métier spécial ! À quoi bon une machine ! Quand celles-là n’en pourront plus, on les remplacera si facilement… il y en a tant dans la rue !

Sur le perron d’une riche maison, par une nuit glaciale, vous trouverez l’enfant endormi, nu-pieds, avec son paquet de journaux dans les bras… Il coûte si peu, le travail enfantin, qu’on peut bien l’employer, chaque soir, à vendre pour un franc de journaux, sur lesquels le pauvret touchera deux ou trois sous. Vous voyez enfin l’homme robuste se promenant les bras ballants ; il chôme pendant des mois entiers, tandis que sa fille s’étiole dans les vapeurs surchauffées de l’atelier d’apprêt des étoffes, et que son fils remplit à la main des pots de cirage, ou attend des heures au coin de la rue qu’un passant lui fasse gagner deux sous.

Et ainsi partout, de San Francisco à Moscou et de Naples à Stockholm. Le gaspillage des forces humaines est le trait prédominant, distinctif de l’industrie, — sans parler du commerce où il atteint des proportions encore plus colossales.

Quel triste satire dans ce nom d’économie politique que l’on donne à la science de la déperdition des forces sous le régime du salariat !


Ce n’est pas tout. Si vous parlez au directeur d’une usine bien organisée, il vous expliquera naïvement qu’il est difficile aujourd’hui de trouver un ouvrier habile, vigoureux, énergique, qui se donne au travail avec entrain. — « S’il s’en présente un, vous dira-t-il, parmi les vingt ou trente qui viennent chaque lundi nous demander de l’ouvrage, il est sûr d’être reçu, alors même que nous serions en train de réduire le nombre de nos bras. On le reconnaît au premier coup d’œil, et on l’accepte toujours, quitte à se défaire le lendemain d’un ouvrier âgé ou moins actif. » Et celui qui vient d’être renvoyé, tous ceux qui le seront demain, vont renforcer cette immense armée de réserve du capital — les ouvriers sans travail — qu’on n’appelle aux métiers et aux établis qu’aux moments de presse, ou pour vaincre la résistance des grévistes. Ou bien, ce rebut des meilleures usines, ce travailleur moyen, va rejoindre l’armée tout aussi formidable des ouvriers âgés ou médiocres, qui circule continuellement entre les usines secondaires, — celles qui couvrent à peine leurs frais et se tirent d’affaire par des trucs et des pièges tendus à l’acheteur, et surtout au consommateur des pays éloignés.


Et si vous parlez au travailleur lui-même, vous saurez que la règle des ateliers est que l’ouvrier ne fasse jamais tout ce dont il est capable. Malheur à celui qui, dans une usine anglaise, ne suivrait pas ce conseil, qu’à son entrée il reçoit de ses camarades !

Car les travailleurs savent que si, dans un moment de générosité, ils cèdent aux instances d’un patron et consentent à intensifier le travail pour achever des ordres pressants, ce travail nerveux sera exigé dorénavant comme règle dans l’échelle des salaires. Aussi, dans neuf usines sur dix, préfèrent-ils ne jamais produire autant qu’ils le pourraient. Dans certaines industries, on limite la production, afin de maintenir les prix élevés, et parfois on se passe le mot d’ordre de Co-canny qui signifie : « À mauvaise paie mauvais travail ! »

Le labeur salarié est un labeur de serf : il ne peut pas, il ne doit pas rendre tout ce qu’il pourrait rendre. Et il serait bien temps d’en finir avec cette légende qui fait du salaire le meilleur stimulant du travail productif. Si l’industrie rapporte actuellement cent fois plus que du temps de nos grands-pères, nous le devons au réveil soudain des sciences physiques et chimiques vers la fin du siècle passé ; non à l’organisation capitaliste du travail salarié, mais malgré cette organisation.


III


Ceux qui ont sérieusement étudié la question, ne nient aucun des avantages du communisme — à condition, bien entendu, qu’il soit parfaitement libre, c’est-à-dire anarchiste. — Ils reconnaissent que le travail payé en argent, même déguisé sous le nom de « bons », en des associations ouvrières gouvernées par l’État, garderait le cachet du salariat et en conserverait les inconvénients. Ils constatent que le système entier ne tarderait pas à en souffrir, alors même que la société rentrerait en possession des instruments de production. Et ils admettent que grâce à l’éducation intégrale donnée à tous les enfants, aux habitudes laborieuses des sociétés civilisées, avec la liberté de choisir et de varier ses occupations, et l’attrait du travail fait par des égaux pour le bien-être de tous, une société communiste ne manquerait pas de producteurs, qui bientôt tripleraient et décupleraient la fécondité du sol et donneraient un nouvel essor à l’industrie.

Voilà ce dont conviennent nos contradicteurs : « mais le danger, disent-ils, viendra de cette minorité de paresseux qui ne voudront pas travailler, malgré les excellentes conditions qui rendront le travail agréable, ou qui n’y apporteront pas de régularité et d’esprit de suite. Aujourd’hui, la perspective de la faim contraint les plus réfractaires à marcher avec les autres. Celui qui n’arrive pas à l’heure fixe est bientôt renvoyé. Mais il suffit d’une brebis galeuse pour contaminer le troupeau, et de trois ou quatre ouvriers nonchalants ou récalcitrants pour détourner tous les autres et amener dans l’atelier l’esprit de désordre et de révolte qui rend le travail impossible ; de sorte qu’en fin de compte il faudra en revenir à un système de contrainte qui force les meneurs à rentrer dans les rangs. Eh bien, le seul système qui permette d’exercer cette contrainte, sans froisser les sentiments du travailleur, n’est-il pas la rémunération selon le travail accompli ? Car tout autre moyen impliquerait l’intervention continuelle d’une autorité qui répugnerait bientôt à l’homme libre ».

Voilà, croyons-nous, l’objection dans toute sa force.


Elle rentre, on le voit, dans la catégorie des raisonnements par lesquels on cherche à justifier l’État, la loi pénale, le juge et le geôlier.

« Puisqu’il y a des gens — une faible minorité — qui ne se soumettent pas aux coutumes sociables, » disent les autoritaires, « il faut bien maintenir l’État, quelque coûteux qu’il soit, l’autorité, le tribunal et la prison, quoique ces institutions elles-mêmes deviennent une source de maux nouveaux de toute nature. »

Aussi pourrions-nous nous borner à répondre ce que nous avons répété tant de fois à propos de l’autorité en général : « Pour éviter un mal possible, vous avez recours à un moyen qui, lui-même, est un plus grand mal, et qui devient la source de ces mêmes abus auxquels vous voulez remédier. Car, n’oubliez pas que c’est le salariat, — l’impossibilité de vivre autrement qu’en vendant sa force de travail, — qui a créé le système capitaliste actuel, dont vous commencez à reconnaître les vices. »

Nous pourrions aussi remarquer, que ce raisonnement est après coup un simple plaidoyer pour excuser ce qui existe. Le salariat actuel n’a pas été institué pour obvier aux inconvénients du communisme. Son origine, comme celle de l’État et de la propriété, est tout autre. Il est né de l’esclavage et du servage imposés par la force, dont il n’est qu’une modification modernisée. Aussi cet argument n’a-t-il pas plus de valeur que ceux par lesquels on cherche à excuser la propriété et l’État.

Nous allons examiner cette objection cependant et voir ce qu’elle pourrait avoir de juste.


Et d’abord, n’est-il pas évident que si une société fondée sur le principe du travail libre était réellement menacée par les fainéants, elle pourrait se garer, sans se donner une organisation autoritaire ou recourir au salariat ?

Je suppose un groupe d’un certain nombre de volontaires, s’unissant dans une entreprise quelconque pour la réussite de laquelle tous rivalisent de zèle, sauf un des associés qui manque fréquemment à son poste ; devra-t-on à cause de lui dissoudre le groupe, nommer un président qui imposera des amendes, ou bien enfin, distribuer, comme l’Académie, des jetons de présence ? Il est évident qu’on ne fera ni l’un ni l’autre, mais qu’un jour on dira au camarade qui menace de faire péricliter l’entreprise : — « Mon ami, nous aimerions bien travailler avec toi ; mais comme tu manques souvent à ton poste, ou que tu fais négligemment ta besogne, nous devons nous séparer. Va chercher d’autres camarades qui s’accommoderont de ta nonchalance ! »

Ce moyen est si naturel qu’il se pratique partout aujourd’hui, dans toutes les industries, en concurrence avec tous les systèmes possibles d’amendes, de déductions de salaire, de surveillance, etc. ; l’ouvrier peut entrer à l’usine à l’heure fixe, mais s’il fait mal son travail, s’il gêne ses camarades par sa nonchalance ou d’autres défauts, s’ils se brouillent, c’est fini. Il est forcé de quitter l’atelier.

On prétend généralement que le patron omniscient et ses surveillants maintiennent la régularité et la qualité du travail dans l’usine. En réalité, dans une entreprise tant soit peu compliquée, dont la marchandise passe par plusieurs mains avant d’être terminée, c’est l’usine elle-même, c’est l’ensemble des travailleurs, qui veillent aux bonnes conditions du travail. C’est pourquoi les meilleures usines anglaises de l’industrie privée ont si peu de contre-maîtres — bien moins, en moyenne, que les usines françaises, et incomparablement moins que les usines anglaises de l’État.

Il en est de cela comme du maintien d’un certain niveau moral dans la société. On prétend en être redevable au garde-champêtre, au juge et au sergent de ville ; tandis qu’en réalité il se maintient malgré le juge, le sergent et le garde-champêtre. — «  Beaucoup de lois beaucoup de crimes ! » — on l’a dit bien avant nous.


Ce n’est pas seulement dans les ateliers industriels que les choses se passent ainsi, cela se pratique partout, chaque jour, sur une échelle dont les rongeurs de livres, seuls, sont encore à se douter.

Quand une compagnie de chemin de fer, fédérée avec d’autres compagnies, manque à ses engagements, quand elle arrive en retard avec ses trains et laisse les marchandises en souffrance dans ses gares, les autres compagnies menacent de résilier les contrats et cela suffit d’ordinaire.

On croit généralement, du moins, on l’enseigne, — que le commerce n’est fidèle à ses engagements que sous la menace des tribunaux ; il n’en est rien. Neuf fois sur dix, le commerçant qui aura manqué à sa parole ne comparaîtra pas devant un juge. Là où le trafic est très actif, comme à Londres, le fait seul d’avoir forcé un débiteur à plaider, suffit à l’immense majorité des marchands, pour qu’ils se refusent désormais à traiter d’affaires avec celui qui les aura fait aboucher avec l’avocat.


Mais pourquoi alors, ce qui se fait aujourd’hui même entre compagnons d’atelier, commerçants et compagnies de chemin de fer, ne pourrait-il se faire dans une société basée sur le travail volontaire ?

Une association, par exemple, qui stipulerait avec chacun de ses membres le contrat suivant : — « Nous sommes prêts à vous garantir la jouissance de nos maisons, magasins, rues, moyens de transport, écoles, musées, etc., à condition que de vingt à quarante-cinq ou à cinquante ans, vous consacriez quatre ou cinq heures par jour à l’un des travaux reconnus nécessaires pour vivre. Choisissez vous-même, quand il vous plaira, les groupes dont vous voudrez faire partie, ou constituez-en un nouveau, pourvu qu’il se charge de produire le nécessaire. Et, pour le reste de votre temps, groupez-vous avec qui vous voudrez en vue de n’importe quelle récréation, d’art ou de science, à votre goût.

« Douze ou quinze cents heures de travail par an dans un des groupes produisant la nourriture, le vêtement, et le logement, ou s’employant à la salubrité publique, aux transports, etc., — c’est tout ce que nous vous demandons pour vous garantir tout ce que ces groupes produisent ou ont produit. Mais si aucun des milliers de groupes de notre fédération ne veut vous recevoir, — quel qu’en soit le motif, — si vous êtes absolument incapable de produire quoi que ce soit d’utile, ou si vous vous refusez à le faire, eh bien, vivez comme un isolé ou comme les malades. Si nous sommes assez riches pour ne pas vous refuser le nécessaire, nous serons enchantés de vous le donner. Vous êtes homme et vous avez le droit de vivre. Mais, puisque vous voulez vous placer dans des conditions spéciales et sortir des rangs, il est plus que probable que dans vos relations quotidiennes avec les autres citoyens vous vous en ressentirez. On vous regardera comme un revenant de la société bourgeoise, — à moins que des amis, découvrant en vous un génie, ne s’empressent de vous libérer de toute obligation morale envers la société en faisant pour vous le travail nécessaire à la vie.

« Et enfin, si cela ne vous plaît pas, allez chercher ailleurs, de par le monde, d’autres conditions. Ou bien, trouvez des adhérents, et constituez avec eux d’autres groupes qui s’organisent sur de nouveaux principes. Nous préférons les nôtres. »


Voilà ce qui pourrait se faire dans une société communiste si les fainéants y devenaient assez nombreux pour qu’on eût à s’en garer.


IV


Mais nous doutons fort qu’il y ait lieu de redouter cette éventualité dans une société réellement basée sur la liberté entière de l’individu.

En effet, malgré la prime à la fainéantise offerte par la possession individuelle du capital, l’homme vraiment paresseux est relativement rare, à moins d’être un malade.

On dit très souvent entre travailleurs que les bourgeois sont des fainéants. Il y en a assez, en effet, mais ceux-là sont encore l’exception. Au contraire, dans chaque entreprise industrielle, on est sûr de trouver un ou plusieurs bourgeois qui travaillent beaucoup. Il est vrai que le grand nombre des bourgeois profitent de leur situation privilégiée pour s’adjuger les travaux les moins pénibles, et qu’ils travaillent dans des conditions hygiéniques de nourriture, d’air, etc., qui leur permettent de faire leur besogne sans trop de fatigue. Or, ce sont précisément les conditions que nous demandons pour tous les travailleurs sans exception. il faut dire aussi que, grâce à leur position privilégiée, les riches font souvent du travail absolument inutile ou même nuisible à la société. Empereurs, ministres, chefs de bureaux, directeurs d’usines, commerçants, banquiers, etc., s’astreignent à faire, pendant quelques heures par jour, un travail qu’ils trouvent plus ou moins ennuyeux, — tous préférant leurs heures de loisir à cette besogne obligatoire. Et si dans neuf cas sur dix cette besogne est funeste, ils ne la trouvent pas pour cela moins fatigante. Mais c’est précisément parce que les bourgeois mettent la plus grande énergie à faire le mal (sciemment ou non) et à défendre leur position privilégiée, qu’ils ont vaincu la noblesse foncière et qu’ils continuent à dominer la masse du peuple. S’ils étaient des fainéants, il y a longtemps qu’ils n’existeraient plus et auraient disparu comme les talons rouges.

Dans une société qui leur demanderait seulement quatre ou cinq heures par jour de travail utile, agréable et hygiénique, ils s’acquitteraient parfaitement de leur besogne et ils ne subiraient certainement pas, sans les réformer, les conditions horribles dans lesquelles ils maintiennent aujourd’hui le travail. Si un Pasteur passait seulement cinq heures dans les égouts de Paris, croyez bien qu’il trouverait bientôt le moyen de les rendre tout aussi salubres que son laboratoire bactériologique.


Quant à la fainéantise de l’immense majorité des travailleurs, il n’y a que des économistes et des philanthropes pour discourir là-dessus.

Parlez-en à un industriel intelligent, et il vous dira que si les travailleurs se mettaient seulement dans la tête d’être fainéants, il n’y aurait qu’à fermer toutes les usines ; car aucune mesure de sévérité, aucun système d’espionnage n’y pourraient rien. Il fallait voir l’hiver dernier la terreur provoquée parmi les industriels anglais lorsque quelques agitateurs se sont mis à prêcher la théorie du Co-Canny, « à mauvaise paie, mauvais travail ; filez à la douce, ne vous esquintez pas, et gâchez tout ce que vous pourrez ! » — « On démoralise le travailleur, on veut tuer l’industrie ! » criaient ceux-mêmes qui tonnaient jadis contre l’immoralité de l’ouvrier et la mauvaise qualité de ses produits. Mais si le travailleur était ce que le représentent les économistes — le paresseux qu’il faut sans cesse menacer du renvoi de l’atelier — que signifierait ce mot de « démoralisation ? »


Ainsi, quand on parle de fainéantise possible, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une minorité, d’une infime minorité dans la société. Et avant de légiférer contre cette minorité, ne serait-il pas urgent d’en connaître l’origine ?

Quiconque observe d’un regard intelligent sait très bien que l’enfant réputé paresseux à l’école est souvent celui qui comprend mal ce qu’on lui enseigne mal. Très souvent encore, son cas provient d’anémie cérébrale, suite de la pauvreté et d’une éducation antihygiénique.

Tel garçon, paresseux pour le latin et le grec, travaillerait comme un nègre si on l’initiait aux sciences, surtout par l’intermédiaire du travail manuel. Telle fillette réputée nulle en mathématiques devient la première mathématicienne de sa classe si elle est tombée par hasard sur quelqu’un qui a su saisir et lui expliquer ce qu’elle ne comprenait pas dans les éléments de l’arithmétique. Et tel ouvrier, nonchalant à l’usine, bêche son jardin dès l’aube en contemplant le lever du soleil, et le soir à la nuit tombante, quand toute la nature rentre dans son repos.

Quelqu’un a dit que la poussière est de la matière qui n’est pas à sa place. La même définition s’applique aux neuf-dixièmes de ceux qu’on nomme paresseux. Ce sont des gens égarés dans une voie qui ne répond ni à leur tempérament ni à leurs capacités. En lisant les biographies des grands hommes, on est frappé du nombre de « paresseux » parmi eux. Paresseux, tant qu’ils n’avaient pas trouvé leur vrai chemin, et laborieux à outrance plus tard. Darwin, Stephenson et tant d’autres étaient de ces paresseux-là.

Très souvent le paresseux n’est qu’un homme auquel il répugne de faire toute sa vie la dix-huitième partie d’une épingle, ou la centième partie d’une montre, tandis qu’il se sent une exubérance d’énergie qu’il voudrait dépenser ailleurs. Souvent encore, c’est un révolté qui ne peut admettre l’idée que toute sa vie il restera cloué à cet établi, travaillant pour procurer mille jouissances à son patron, tandis qu’il se sait beaucoup moins bête que lui et qu’il n’a d’autre tort que d’être né dans un taudis, au lieu de venir au monde dans un château.

Enfin, bon nombre des « paresseux » ne connaissent pas le métier par lequel ils sont forcés de gagner leur vie. Voyant la chose imparfaite qui sort de leurs mains, s’efforçant vainement de mieux faire, et s’apercevant que jamais ils n’y réussiront à cause des mauvaises habitudes de travail déjà acquises, ils prennent en haine leur métier et, n’en sachant pas d’autre, le travail en général. Des milliers d’ouvriers et d’artistes manqués sont dans ce cas.

Au contraire, celui qui, dès sa jeunesse, a appris à bien toucher du piano, à bien manier le rabot, le ciseau, le pinceau ou la lime, de manière à sentir que ce qu’il fait est beau, n’abandonnera jamais le piano, le ciseau ou la lime. Il trouvera un plaisir dans son travail qui ne le fatiguera pas, tant qu’il ne sera pas surmené.


Sous une seule dénomination, la paresse, on a ainsi groupé toute une série de résultats dus à des causes diverses, dont chacune pourrait devenir une source de bien au lieu d’être un mal pour la société. Ici, comme pour la criminalité, comme pour toutes les questions concernant les facultés humaines, on a rassemblé des faits n’ayant entre eux rien de commun. On dit paresse ou crime, sans même se donner la peine d’en analyser les causes. On s’empresse de les châtier, sans se demander si le châtiment même ne contient pas une prime à la « paresse » ou au « crime »[1].


Voilà pourquoi une société libre, voyant le nombre de fainéants s’accroître dans son sein, songerait sans doute à rechercher les causes de leur paresse pour essayer de les supprimer avant d’avoir recours aux châtiments. Lorsqu’il s’agit, ainsi que nous l’avons déjà dit, d’un simple cas d’anémie. « Avant de bourrer de science le cerveau de l’enfant, donnez-lui d’abord du sang ; fortifiez-le et, pour qu’il ne perde pas son temps, menez-le à la campagne ou au bord de la mer. Là, enseignez-lui en plein air, et non dans les livres, la géométrie — en mesurant avec lui les distances jusqu’aux rochers voisins ; — il apprendra les sciences naturelles en cueillant les fleurs et pêchant à la mer ; — la physique en fabriquant le bateau sur lequel il ira pêcher. — Mais, de grâce, n’emplissez son cerveau de phrases et de langues mortes. N’en faites pas un paresseux ! »


Tel enfant n’a pas des habitudes d’ordre et de régularité. Laissez les enfants se les inculquer entre eux. Plus tard, le laboratoire et l’usine, le travail sur un espace resserré, avec beaucoup d’outils à manœuvrer, donneront la méthode. N’en faites pas vous-mêmes des êtres désordonnés, par votre école qui n’a d’ordre que dans la symétrie de ses bancs, mais qui, — véritable image du chaos dans ses enseignements, — n’inspirera jamais à personne l’amour de l’harmonie, de la suite et de la méthode dans le travail.


Ne voyez-vous donc pas qu’avec vos méthodes d’enseignement, élaborées par un ministère pour huit millions d’écoliers qui représentent huit millions de capacités différentes, vous ne faites qu’imposer un système bon pour des médiocrités, imaginé par une moyenne de médiocrités. Votre école devient une université de la paresse, comme votre prison est une université du crime. Rendez donc l’école libre, abolissez vos grades universitaires, faites appel aux volontaires de l’enseignement, — commencez par là, au lieu d’édicter contre la paresse des lois qui ne feront que l’enrégimenter.


Donnez à l’ouvrier qui ne peut s’astreindre à fabriquer une minuscule partie d’un article quelconque, qui étouffe auprès d’une petite machine à tarauder qu’il finit par haïr, donnez-lui la possibilité de travailler la terre, d’abattre des arbres dans la forêt, de courir en mer contre la tempête, de sillonner l’espace sur la locomotive. Mais n’en faites pas un paresseux en le forçant, toute sa vie, à surveiller une petite machine à poinçonner la tête d’une vis ou à percer le trou d’une aiguille !

Supprimez seulement les causes qui font les paresseux, et croyez qu’il ne restera guère d’individus haïssant réellement le travail, et surtout le travail volontaire, que besoin ne sera d’un arsenal de lois pour statuer sur leur compte.

  1. Voyez notre brochure Les Prisons, Paris, 1889.