La Comtesse de Rudolstadt (Œuvres illustrées)/Chapitre 40

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XL.

En reprenant connaissance, Consuelo se vit assise sur des tapis de pourpre, qui recouvraient les degrés de marbre blanc d’un élégant péristyle corinthien. Deux hommes masqués en qui elle reconnut, à la couleur de leurs manteaux, Liverani et celui qu’avec raison elle pensait devoir être Marcus, la soutenaient dans leurs bras, et la ranimaient de leurs soins. Une quarantaine d’autres personnages, enveloppés et masqués, les mêmes qu’elle avait vus autour du simulacre du cercueil de Jésus, étaient rangés sur deux files, le long des degrés, et chantaient en choeur un hymne solennel, dans une langue inconnue, en agitant des couronnes de roses, des palmes et des rameaux de fleurs. Les colonnes étaient ornées de guirlandes, qui s’entrecroisaient en festons, comme un arc de triomphe, au-devant de la porte fermée du temple et au-dessus de Consuelo. La lune, brillant au zénith, de tout son éclat, éclairait seule cette façade blanche ; et au-dehors, tout autour de ce sanctuaire, de vieux ifs, des cyprès et des pins, formaient un impénétrable bosquet, semblable à un bois sacré, sous lequel murmurait une onde mystérieuse, aux reflets argentés.

« Ma sœur, dit Marcus, en aidant Consuelo à se lever, vous êtes sortie victorieuse de vos épreuves. Ne rougissez pas d’avoir souffert et faibli physiquement sous le poids de la douleur. Votre généreux cœur s’est brisé d’indignation et de pitié devant les témoignages palpables des crimes et des maux de l’humanité. Si vous fussiez arrivée ici debout et sans aide, nous aurions moins de respect pour vous qu’en vous y apportant mourante et navrée. Vous avez vu les cryptes d’un château seigneurial, non pas d’un lieu particulier, célèbre entre tous par les crimes dont il a été le théâtre, mais semblable à tous ceux dont les ruines couvrent une grande partie de l’Europe, débris effrayants du vaste réseau à l’aide duquel la puissance féodale enveloppa, durant tant de siècles, le monde civilisé, et fit peser sur les hommes le crime de sa domination farouche et l’horreur des guerres civiles. Ces hideuses demeures, ces sauvages forteresses ont nécessairement servi de repaire à tous les forfaits que l’humanité a dû voir s’accomplir, avant d’arriver, par les guerres de religion, par le travail des sectes émancipatrices, et par le martyre de l’élite des hommes, à la notion de la vérité. Parcourez l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne, les pays slaves : vous ne trouverez pas une vallée, vous ne gravirez pas une montagne sans apercevoir au-dessus de vous les ruines imposantes de quelque terrible manoir, ou tout au moins sans découvrir à vos pieds, dans l’herbe, quelque vestige de fortification. Ce sont là les traces ensanglantées du droit de conquête, exercé par la caste patricienne sur les castes asservies. Et si vous explorez toutes ces ruines, si vous fouillez le sol qui les a dévorées, et qui travaille sans cesse à les faire disparaître, vous trouverez, dans toutes, les vestiges de ce que vous venez de voir ici : une geôle, un caveau pour le trop-plein des morts, des loges étroites et fétides pour les prisonniers d’importance, un coin pour assassiner sans bruit ; et, au sommet de quelque vieille tour, ou dans les profondeurs de quelque souterrain, un chevalet pour les serfs récalcitrants et les soldats réfractaires, une potence pour les déserteurs, des chaudières pour les hérétiques. Combien ont péri dans la poix bouillante, combien ont disparu sous les flots, combien ont été enterrés vivants dans les mines ! Ah ! si les murs des châteaux, si les flots des lacs et des fleuves, si les antres des rochers pouvaient parler et raconter tout ce qu’ils ont vu et enfoui d’iniquités ! Le nombre en est trop considérable pour que l’histoire ait pu en enregistrer le détail !

« Mais ce ne sont pas les seigneurs seuls, ce n’est pas la race patricienne exclusivement qui a rougi la terre de tant de sang innocent. Les rois et les prêtres, les trônes et l’Église, voilà les grandes sources d’iniquités, voilà les forces vives de la destruction. Un soin austère, une sombre mais forte pensée a rassemblé dans une des salles de notre antique manoir une partie des instruments de torture inventés par la haine du fort contre le faible. La description n’en serait pas croyable, la vue peut à peine les comprendre, la pensée se refuse à les admettre. Et cependant ils ont fonctionné durant des siècles, ces hideux appareils, dans les châteaux royaux, comme dans les citadelles des petits princes, mais surtout dans les cachots du saint office ; que dis-je ? ils y fonctionnent encore, quoique plus rarement. L’inquisition subsiste encore, torture encore ; et, en France, le plus civilisé de tous les pays, il y a encore des parlements de province qui brûlent de prétendus sorciers.

« D’ailleurs la tyrannie est-elle donc renversée ? Les rois et les princes ne ravagent-ils plus la terre ? La guerre ne porte-t-elle pas la désolation dans les opulentes cités, comme dans la chaumière du pauvre, au moindre caprice du moindre souverain ? La servitude n’est-elle pas encore en vigueur dans une moitié de l’Europe ? Les troupes ne sont-elles pas soumises encore presque partout au régime du fouet et du bâton ? Les plus beaux et les plus braves soldats du monde, les soldats prussiens, ne sont-ils pas dressés comme des animaux à coups de verge et de canne ? Le knout ne mène-t-il pas les serfs russes ? Les nègres ne sont-ils pas plus maltraités en Amérique que les chiens et les chevaux ? Si les forteresses des vieux barons sont démantelées et converties en demeures inoffensives, celles des rois ne sont-elles pas encore debout ? Ne servent-elles pas de prisons aux innocents plus souvent qu’aux coupables ? Et toi, ma sœur, toi la plus douce et la plus noble des femmes, n’as-tu pas été captive à Spandaw ?

« Nous te savions généreuse, nous comptions sur ton esprit de justice et de charité ; mais te voyant destinée, comme une partie de ceux qui sont ici, à retourner dans le monde, à fréquenter les cours, à approcher de la personne des souverains, à être, toi particulièrement, l’objet de leurs séductions, nous avons dû te mettre en garde contre l’enivrement de cette vie d’éclat et de dangers ; nous avons dû ne pas t’épargner les enseignements, même les plus terribles. Nous avons parlé à ton esprit par la solitude à laquelle nous t’avons condamnée et par les livres que nous avons mis entre tes mains ; nous avons parlé à ton cœur par des paroles paternelles et des exhortations tour à tour sévères et tendres ; nous avons parlé à tes yeux par des épreuves plus douloureuses et d’un sens plus profond que celles des antiques mystères. Maintenant, si tu persistes à recevoir l’initiation, tu peux te présenter sans crainte devant ces juges incorruptibles, mais paternels, que tu connais déjà, et qui t’attendent ici pour te couronner ou pour te rendre la liberté de nous quitter à jamais. »

En parlant ainsi, Marcus, élevant le bras, désignait à Consuelo la porte du temple, au-dessus de laquelle les trois mots sacramentels, liberté, égalité, fraternité, venaient de s’allumer en lettres de feu.

Consuelo, affaiblie et brisée physiquement, ne vivait plus que par l’esprit. Elle n’avait pu écouter debout le discours de Marcus. Forcée de se rasseoir sur le fût d’une colonne, elle s’appuyait sur Liverani, mais sans le voir, sans songer à lui. Elle n’avait pourtant pas perdu une seule parole de l’initiateur. Pâle comme un spectre, l’œil fixe et la voix éteinte, elle n’avait pas l’air égaré qui succède aux crises nerveuses. Une exaltation concentrée remplissait sa poitrine, dont la faible respiration n’était plus appréciable pour Liverani. Ses yeux noirs, que la fatigue et la souffrance enfonçaient un peu sous les orbites, brillaient d’un feu sombre. Un léger pli à son front trahissait une résolution inébranlable, la première de sa vie. Sa beauté en cet instant fit peur à ceux des assistants qui l’avaient vue ailleurs invariablement douce et bienveillante. Liverani devint tremblant comme la feuille de jasmin que la brise de la nuit agitait au front de son amante. Elle se leva avec plus de force qu’il ne s’y serait attendu ; mais aussitôt ses genoux faiblirent, et pour monter les degrés, elle se laissa presque porter par lui, sans que l’étreinte de ses bras, qui l’avait tant émue, sans que le voisinage de ce cœur qui avait embrasé le sien, vinssent la distraire un instant de sa méditation intérieure. Il mit entre sa main et celle de Consuelo la croix d’argent, ce talisman qui lui donnait des droits sur elle, et qui lui servait à se faire reconnaître. Consuelo ne parut reconnaître ni le gage ni la main qui le présentait. La sienne était contractée par la souffrance. C’était une pression mécanique, comme lorsqu’on saisit une branche pour se retenir au bord d’un abîme : mais le sang du cœur n’arrivait pas jusqu’à cette main glacée.

« Marcus ! dit Liverani à voix basse, au moment où celui-ci passa près de lui pour aller frapper à la porte du temple, ne nous quittez pas. L’épreuve a été trop forte. J’ai peur !

— Elle t’aime ! répondit Marcus.

— Oui, mais elle va peut-être mourir ! » reprit Liverani en frissonnant.

Marcus frappa trois coups à la porte, qui s’ouvrit et se referma aussitôt qu’il fut entré avec Consuelo et Liverani. Les autres frères restèrent sous le péristyle, en attendant qu’on les introduisît pour la cérémonie de l’initiation ; car, entre cette initiation et les dernières épreuves, il y avait toujours un entretien secret entre les chefs Invisibles et le récipiendaire.

L’intérieur du kiosque en forme de temple, qui servait à ces initiations au château de ***, était magnifiquement orné, et décoré, entre chaque colonne, des statues des plus grands amis de l’humanité. Celle de Jésus-Christ y était placée au milieu de l’amphithéâtre, entre celles de Pythagore et de Platon. Apollonius de Thyane était à côté de saint Jean, Abailard auprès de saint Bernard, Jean Huss et Jérôme de Prague à côté de sainte Catherine et de Jeanne d’Arc. Mais Consuelo ne s’arrêta pas à considérer les objets extérieurs. Toute renfermée en elle-même, elle revit sans surprise et sans émotion ces mêmes juges qui avaient sondé son cœur si profondément. Elle ne sentait plus aucun trouble en la présence de ces hommes, quels qu’ils fussent, et elle attendait leur sentence avec un grand calme apparent.

« Frère introducteur, dit à Marcus le huitième personnage, qui, assis au-dessous des sept juges, portait toujours la parole pour eux, quelle personne nous amenez-vous ici ? Quel est son nom ?

— Consuelo Porporina, répondit Marcus.

— Ce n’est pas là ce qu’on vous demande, mon frère, répondit Consuelo ; ne voyez-vous pas que je me présente ici en habit de mariée, et non en costume de veuve ? Annoncez la comtesse Albert de Rudolstadt.

— Ma fille, dit le frère orateur, je vous parle au nom du conseil. Vous ne portez plus le nom que vous invoquez ; votre mariage avec le comte de Rudolstadt est rompu.

— De quel droit ? et en vertu de quelle autorité ? demanda Consuelo d’une voix brève et forte comme dans la fièvre. Je ne reconnais aucun pouvoir théocratique. Vous m’avez appris vous-mêmes à ne vous reconnaître sur moi d’autres droits que ceux que je vous aurai librement donnés, et à ne me soumettre qu’à une autorité paternelle. La vôtre ne le serait pas si elle brisait mon mariage sans l’assentiment de mon époux et sans le mien. Ce droit, ni lui ni moi ne vous l’avons donné.

— Tu te trompes, ma fille : Albert nous a donné le droit de disposer de son sort et du tien ; et toi-même tu nous l’as donné aussi en nous ouvrant ton cœur, et en nous confessant ton amour pour un autre.

— Je ne vous ai rien confessé, répondit Consuelo, et je renie l’aveu que vous voulez m’arracher.

— Introduisez la sibylle », dit l’orateur à Marcus.

Une femme de haute taille, toute drapée de blanc, et la figure cachée sous son voile, entra et s’assit au milieu du demi-cercle formé par les juges. À son tremblement nerveux, Consuelo reconnut facilement Wanda.

« Parle, prêtresse de la vérité, dit l’orateur ; parle, interprète et révélatrice des plus intimes secrets, des plus délicats mouvements du cœur. Cette femme est-elle l’épouse d’Albert de Rudolstadt ?

— Elle est son épouse fidèle et respectable, répondit Wanda ; mais, dans ce moment, vous devez prononcer son divorce. Vous voyez bien par qui elle est amenée ici ; vous voyez bien que celui de nos enfants dont elle tient la main, est l’homme qu’elle aime et à qui elle doit appartenir, en vertu du droit imprescriptible de l’amour dans le mariage. »

Consuelo se retourna avec surprise vers Liverani, et regarda sa propre main, qui était engourdie et comme morte dans la sienne. Elle semblait être sous la puissance d’un rêve et faire des efforts pour se réveiller. Elle se détacha enfin avec énergie de cette étreinte, et regardant le creux de sa main, elle y vit l’empreinte de la croix de sa mère.

« C’est donc là l’homme que j’ai aimé ! dit-elle, avec le sourire mélancolique d’une sainte ingénuité. Eh bien, oui ! je l’ai aimé tendrement, éperdument ; mais c’était un rêve ! J’ai cru qu’Albert n’était plus, et vous me disiez que celui-ci était digne de mon estime et de ma confiance. Puis j’ai revu Albert ; j’ai cru comprendre, à son langage, qu’il ne voulait plus être mon époux, et je ne me suis pas défendue d’aimer cet inconnu dont les lettres et les soins m’enivraient d’un fol attrait. Mais on m’a dit qu’Albert m’aimait toujours, et qu’il renonçait à moi par vertu et par générosité. Et pourquoi donc Albert s’est-il persuadé que je resterais au-dessous de lui dans le dévouement ? Qu’ai-je fait de criminel jusqu’ici, pour que l’on me croie capable de briser son âme en acceptant un bonheur égoïste ? Non, je ne me souillerai jamais d’un pareil crime. Si Albert me croit indigne de lui pour avoir eu un autre amour que le sien dans le cœur ; s’il se fait un scrupule de briser cet amour, et qu’il ne désire pas m’en inspirer un plus grand, je me soumettrai à son arrêt ; j’accepterai la sentence de ce divorce contre lequel pourtant mon cœur et ma conscience se révoltent ; mais je ne serai ni l’épouse ni l’amante d’un autre. Adieu, Liverani, ou qui que vous soyez, à qui j’ai confié la croix de ma mère dans un jour d’abandon qui ne me laisse ni honte ni remords. Rendez-moi ce gage, afin qu’il n’y ait plus rien entre nous qu’un souvenir d’estime réciproque et le sentiment d’un devoir accompli sans amertume et sans effort.



Quelques squelettes presque entiers… (Page 148.)

— Nous ne reconnaissons pas une pareille morale, tu le sais, reprit la sibylle ; nous n’acceptons pas de tels sacrifices ; nous voulons inaugurer et sanctifier l’amour, perdu et profané dans le monde, le libre choix du cœur, l’union sainte et volontaire de deux êtres également épris. Nous avons sur nos enfants le droit de redresser la conscience, de remettre les fautes, d’assortir les sympathies, de briser les entraves de l’ancienne société. Tu n’as donc pas celui de disposer de ton être pour le sacrifice, tu ne peux pas étouffer l’amour dans ton sein et renier la vérité de ta confession, sans que nous t’y ayons autorisée.

— Que me parlez-vous de liberté, que me parlez-vous d’amour et de bonheur ? s’écria Consuelo en faisant un pas vers les juges avec une explosion d’enthousiasme et un rayonnement de physionomie sublime. Ne venez-vous pas de me faire traverser des épreuves qui doivent laisser sur le front une éternelle pâleur, et dans l’âme une invincible austérité ? Quel être insensible et lâche me croyez-vous, si vous me jugez encore capable de rêver et de chercher des satisfactions personnelles après ce que j’ai vu, après ce que j’ai compris, après ce que je sais désormais de la vie des hommes, et de mes devoirs en ce monde ? Non, non ! plus d’amour, plus d’hyménée, plus de liberté, plus de bonheur, plus de gloire, plus d’art, plus rien pour moi, si je dois faire souffrir le dernier d’entre mes semblables ! Et n’est-il pas prouvé que toute joie s’achète dans ce monde d’aujourd’hui au prix de la joie de quelque autre ? N’y a-t-il pas quelque chose de mieux à faire que de se contenter soi-même ? Albert ne pense-t-il pas ainsi, et n’ai-je pas le droit de penser comme lui ? N’espère-t-il pas trouver, dans son sacrifice même, la force de travailler pour l’humanité avec plus d’ardeur et d’intelligence que jamais ? Laissez-moi être aussi grande qu’Albert. Laissez-moi fuir la menteuse et criminelle illusion du bonheur. Donnez-moi du travail, de la fatigue, de la douleur et de l’enthousiasme ! Je ne comprends plus la joie que dans la souffrance ; j’ai soif du martyre depuis que vous m’avez fait voir imprudemment les trophées du supplice. Oh ! honte à ceux qui ont compris le devoir, et qui se soucient encore d’avoir en partage le bonheur ou le repos sur la terre ! Il s’agit bien de nous, il s’agit bien de moi ! Oh ! Liverani ! si vous m’aimez d’amour après avoir subi les épreuves qui m’amènent ici, vous êtes insensé, vous n’êtes qu’un enfant indigne du nom d’homme, indigne à coup sûr que je vous sacrifie l’affection héroïque d’Albert. Et toi, Albert, si tu es ici, si tu m’entends, tu ne devrais pas refuser du moins de m’appeler ta sœur, de me tendre la main et de m’aider à marcher dans le rude sentier qui te mène à Dieu. »



Trenck.

L’enthousiasme de Consuelo était porté au comble ; les paroles ne lui suffisaient plus pour l’exprimer. Une sorte de vertige s’empara d’elle, et, ainsi qu’il arrivait aux pythonisses, dans le paroxysme de leurs crises divines, de se livrer à des cris et à d’étranges fureurs, elle fut entraînée à manifester l’émotion qui la débordait par l’expression qui lui était la plus naturelle. Elle se mit à chanter d’une voix éclatante et dans un transport au moins égal à celui qu’elle avait éprouvé en chantant ce même air à Venise, en public pour la première fois de sa vie, et en présence de Marcello et de Porpora :

I cieli immensi narrano
Del grande Iddio la gloria !

Ce chant lui vint sur les lèvres parce qu’il est peut-être l’expression la plus naïve et la plus saisissante que la musique ait jamais donnée à l’enthousiasme religieux. Mais Consuelo n’avait pas le calme nécessaire pour contenir et diriger sa voix ; après ces deux vers, l’intonation devint un sanglot dans sa poitrine, elle fondit en pleurs et tomba sur ses genoux.

Les Invisibles, électrisés par sa ferveur, s’étaient levés simultanément, comme pour entendre debout, dans l’attitude du respect, ce chant de l’inspirée. Mais en la voyant succomber sous l’émotion, ils descendirent tous de l’enceinte et s’approchèrent d’elle, tandis que Wanda la saisissant dans ses bras et la jetant dans ceux de Liverani lui cria :

« Eh bien ! regarde-le donc, et sache que Dieu t’accorde de pouvoir concilier l’amour et la vertu, le bonheur et le devoir. »

Consuelo, sourde pendant un instant, et comme ravie dans un autre monde, regarda enfin Liverani, dont Marcus venait d’arracher le masque. Elle fit un cri perçant et faillit expirer sur son sein en reconnaissant Albert. Albert et Liverani étaient le même homme.