Traduction par anonyme.
H. Nicolle (1p. 166-173).



CHAPITRE IX.


Pressé par le danger, assiégé d’ennemis, tu es accablé de maux. Ta douleur est juste ; mais ne te laisse pas aller à un indigne désespoir. Les dieux, quand il en sera tems, sauront interposer leur puissant secours. C’est lorsque la vertu, battue par la douleur, est sur le point de faire naufrage, qu’un vent imprévu la conduit dans le port.
Philips.


Lauretta, en se réveillant, se leva de sa chaise, et jeta autour d’elle des regards inquiets, ignorant absolument où elle étoit, et ne se souvenant plus du tout des événemens de la nuit précédente. Mais bientôt sa mémoire revint, et avec elle tous ses chagrins. Elle leva les yeux vers l’étroite et haute fenêtre de sa chambre. Les rayons du soleil brilloient de tout leur éclat et pénétroient dans sa prison. Elle conjectura qu’il pouvoit être à-peu-près midi, et s’étonna d’avoir dormi si long-tems et si profondément. Elle s’avança vers la porte qu’elle trouva fermée, et en se rappellant la disposition des différens meubles de sa prison, elle ne vit pas la moindre raison de soupçonner que personne y fût entré pendant son sommeil. Elle examina sa lampe, tout étoit consumé ; et le flacon de vin qu’elle avoit mis par terre étoit au même endroit où elle l’avoit placé.

Dans la soirée, le bruit des verroux annonça Kroonzer. Il entra avec de nouvelles provisions. Il plaça sur la table un nouveau flacon de vin et un autre d’eau, et après avoir mis une autre mèche à la lampe, l’avoir remplie d’huile, il sortit sans dire un mot.

Bientôt la nature eut revêtu le noir manteau de la nuit. La belle prisonnière, craignant de s’abandonner de nouveau à l’insensibilité du sommeil, commença à se promener lentement dans sa chambre. Foible et languissante, elle ne tarda pas à s’arrêter ; elle appuya un de ses bras contre le mur ; sa tête tomba insensiblement sur sa main, et elle resta ainsi absorbée dans ses cruelles réflexions. Tout-à-coup le bruit des pas de plusieurs chevaux frappa son oreille. Elle s’élança du côté de la fenêtre, elle écouta. — Elle entendit alors les sons confus de plusieurs voix. Transportée d’espoir et respirant à peine, elle s’écria :

« Le généreux baron, a prêté son appui à mon Alphonse. Ils viennent me délivrer. »

L’inquiétude revint avec le silence. Elle s’avança vers la porte, et tremblante d’espoir et de crainte, elle crut encore entendre le bruit des pas. Mais la réflexion lui donna bientôt la triste conviction, que ses sens l’avoient trompée.

Cependant elle se flatta encore de la possibilité que ses amis la cherchassent dans quelque partie du bâtiment éloignée de sa prison, et qu’enfin ils la découvriroient.

Un bruit confus de voix et de pas, qui paroissoit s’approcher de sa chambre, fit succéder la crainte à l’espérance. Jusqu’à cet instant, l’espoir d’être délivrée et rendue à son cher Alphonse, avoit seul occupé son imagination. L’odieux Théodore se présenta alors à son esprit, et chaque pas sembloit accroître l’horrible probabilité, que le moment étoit venu, où elle devoit tomber victime de son infâme passion, ou rendre le dernier soupir dans ses bras homicides.

Le bruit augmenta.

« Par ici, par ici, s’écria une voix inconnue, suivez-moi, voilà le chemin. »

Lauretta respiroit à peine. Un coup frappé à sa porte la fit frissonner. La même voix cria :

« La clef n’y est pas ; demandez-la à Kroonzer. »

Lauretta ne faisoit pas le moindre mouvement. Plusieurs voix parlèrent alors en même tems, mais si confusément, qu’elle ne put distinguer un seul mot. Soudain tout s’éloigna, et les sons expirans par degrés, le silence reprit dans ces lieux, son effrayant empire.

Craignant leur retour, Lauretta continua de rester auprès de la porte. Elle ne savoit comment expliquer ce qu’elle avoit entendu. Plus elle y réfléchissoit, plus elle se perdoit dans ses conjectures.

Quelque tems s’étant écoulé, sans qu’elle entendît le moindre bruit, ses alarmes commencèrent à se dissiper ; mais l’espoir d’une prompte délivrance s’évanouit en même tems que ses craintes. Elle fondit en pleurs, tomba sur son lit et s’abandonna au plus violent désespoir.

Le sommeil vint enfin, malgré elle, suspendre ses pleurs et ranimer ses forces épuisées. Le soleil étoit depuis long-tems sur l’horizon lorsqu’elle se réveilla. Elle resta presque toute la journée sur son lit, absorbée dans sa douleur et dans ses vaines conjectures sur le sort qui l’attendoit. Le soir Kroonzer reparut, apportant encore de nouvelles provisions. Il parut très-surpris de ce qu’elle n’avoit pas touché à celles qu’il avoit apporté la veille. Il l’engagea à prendre enfin quelque nourriture. Sans faire attention à ce qu’il disoit, elle le conjura de lui expliquer ce qu’elle avoit entendu le jour précédent. Il ne répondit pas ; mais après avoir préparé la lampe, il l’alluma et sortit de la chambre, en lui répétant l’invitation de manger au moins quelque fruit et un peu de pain.

Pour obéir non à Kroonzer, mais à la voix impérieuse de la nature, Lauretta mangea un peu et but un grand verre d’eau. Elle résolut de ne plus même goûter au vin, persuadée, par l’effet qu’il avoit produit sur elle la première nuit de son emprisonnement, qu’il étoit somnifère ; et quoiqu’elle eut bien désiré pouvoir oublier ses chagrins, elle n’osa pas s’exposer à retomber dans un état d’insensibilité.

Ainsi se passèrent six jours, pendant lesquels personne n’entra dans sa prison que Kroonzer. À l’heure accoutumée, il ne manquoit pas d’arriver. Mais elle ne put jamais en obtenir un seul mot de réponse aux questions qu’elle lui adressa.

Elle n’entendit plus le bruit qui lui avoit d’abord causé tant de plaisir et ensuite tant d’effroi, le second jour de sa captivité. Elle en conclut qu’elle étoit prisonnière pour la vie. Le désespoir commença à céder la place à une tranquille mélancolie.

Vers le milieu de la septième nuit, elle fut tirée du profond sommeil dans lequel elle étoit ensévelie depuis plusieurs heures, par un violent coup de tonnère, qui ébranla la tour. Elle sauta en bas de son lit et se tint un instant debout, se rappellant à peine où elle étoit, ne sachant point ce qu’elle avoit entendu. Un éclair frappa le côté de la tour, contre lequel elle étoit appuyée, la muraille s’écroula à l’instant, et entraîna dans sa chute la tremblante Lauretta.