Traduction par anonyme.
H. Nicolle (1p. 259-285).



CHAPITRE XIII.


Sur son sein d’albâtre, elle porte une croix brillante, que l’enfant de Jacob lui-même, baiseroit avec respect, et que l’infidèle adoreroit.
Pope.


Pendant les deux premiers jours qui suivirent la mort de l’hermite, la solitude de lauretta ne fut point troublée. L’espoir d’être bientôt rendue à son Alphonse, pouvoit seul lui faire supporter la vue du triste spectacle qu’elle étoit forcée de contempler.

Le soir du jour qui devoit précéder celui où elle attendoit le retour du paysan, elle venoit de se jeter sur son lit, lorsqu’elle crut entendre le murmure de plusieurs voix. Tremblante et respirant à peine, elle écouta dans cet état d’angoisse silencieuse, pendant lequel on craint de remuer, de peur de perdre le son que l’on désire d’entendre. Bientôt elle distingua le bruit des pas dans la partie extérieure de la cellule. Au même moment elle entendit ces mots : « Donnez-moi la lumière. » La lumière avança, et le premier objet qui frappa les yeux de Lauretta, fut la figure de Théodore.

Lauretta poussa un cri. Sur-le-champ l’homme qui tenoit la lanterne l’ayant remise à Théodore, s’avança, prit le bras de Lauretta, et l’entraîna hors de la cellule. Théodore cacha la lumière sous son manteau, et les suivit de près.

Le moment si redouté par Lauretta étoit maintenant arrivé. Un froid mortel glaça son cœur, et l’empêcha d’articuler un seul mot. Son guide continua à marcher très-vîte et à l’entraîner avec lui. Il gardoit ainsi que Théodore, le plus profond silence. Quand la faculté de parler revint à Lauretta, elle ne leur adressa pas une seule fois la parole. Elle savoit trop bien que Théodore seroit sourd à ses prières, et elle pensa aussi que l’agent de Théodore, soit qu’il connût ses desseins, ou bien qu’il se fût aveuglément vendu à ses volontés, seroit insensible à la voix du malheur.

La foible lumière des étoiles éclairoit leur marche. Bientôt Lauretta reconnut la forêt qu’elle avoit en partie traversée le matin du jour où elle s’étoit si miraculeusement échappée de sa prison. Lorsqu’ils eurent encore marché pendant quelque tems, elle commença à distinguer le fatal château, situé sur une éminence, qu’ils étoient sur le point d’atteindre.

En ce moment un bruit pareil à celui qui avoit tant occupé Lauretta, la seconde nuit de son emprisonnement, se fit entendre dans l’éloignement. Elle tressaillit, en se rappellant les trompeuses espérances que ces sons lui avoient fait concevoir. Son guide, auquel ce soudain mouvement fit conjecturer qu’elle vouloit se dégager, serra plus étroitement son bras, et tournant en même tems la tête vers Théodore, il dit : « Ils sont là. » — « Eh bien, arrêtons-nous quelque minutes, » reprit Théodore. — « Oh, non, répondit son compagnon, ils seront rentrés long-tems avant que nous arrivions à la caverne. D’ailleurs, quand ils ne le seroient point, ils ne nous verroient pas. » — « Bien, répondit Théodore, marchons. »

« La caverne ! dit en elle-même Lauretta ; et soudain son imagination lui représenta cette caverne comme la tombe qui lui étoit destinée. L’affreuse idée de ne jamais revoir son Alphonse, changea tellement toutes ses résolutions, qu’elle étoit sur le point de se jeter à genoux, et de s’efforcer d’émouvoir la pitié de son guide, lorsqu’une voix, à peu de distance d’elle, s’écria : « Lauretta Byroff ! »

« Oh Dieu ! qu’est-ce que j’entends, dit Lauretta ? »

Ils étoient encore dans la forêt. Théodore dit à l’homme qui conduisoit Lauretta de s’arrêter. Celui-ci obéit. Ils regardèrent de tous côtés, autour d’eux. Ils n’apperçurent personne. Tout étoit tranquille.

« Voilà qui est bien extraordinaire, dit Théodore. Ces paroles vous étoient adressées, ajouta-t-il, en se tournant vers Lauretta. Que signifient-elles ? Je veux le savoir. »

« Je l’ignore, répondit Lauretta. »

« N’est-ce pas là votre nom, reprit Théodore avec vivacité ? »

« Vous savez que mon nom est Lauretta. »

Répondez directement. Je vous demande si Byroff est votre nom de famille. »

« Non. »

« Quel est-il donc ? Ne cherchez point à me tromper. »

« C’est Byroff. »

Un moment de réflexion l’avoit fait ressouvenir de ne pas prononcer un nom, que son mari cachoit avec tant de soin, et elle étoit trop ennemie du mensonge, pour en substituer un faux.

« Vous vous accusez vous-même d’un premier mensonge. Comment puis-je être assuré que vous n’en proférez pas un second ? En conséquence donnez-moi l’explication de cette voix mystérieuse, où vous touchez à votre dernier moment. »

« Cela n’est pas en mon pouvoir. J’en atteste le ciel. »

« C’est donc à moi à en trouver l’explication, s’écria Théodore en tirant du foureau son épée, sur laquelle il avoit porté la main, à l’instant où il avoit commencé à questionner Lauretta ; il ordonna à son compagnon de ne pas la quitter, et s’enfonça dans la forêt, du côté d’où la voix étoit partie.

Lauretta et son guide étonnés, le suivirent des yeux pendant quelques instans. Un coup violent, qui parut porté par une main invisible, étendit le dernier par terre. Il entraîna Lauretta dans sa chute. Aussi-tôt un homme enveloppé dans un manteau, la releva, lui dit à l’oreille : « Silence ! » prit son bras et l’entraîna rapidement avec lui. Ils continuèrent à marcher vers le château en ruines. Cela surprit extrêmement Lauretta ; car, ne pouvant douter que l’inconnu ne s’intéressât à son sort, elle avoit d’abord pensé qu’il chercheroit à l’éloigner le plutôt possible d’un lieu qui recéloit les complices de Théodore. Cependant, comme elle étoit au pouvoir de cet étranger, et comme elle n’ignoroit pas que s’il étoit ennemi, ses questions ne serviroient à rien, et qu’au contraire, s’il étoit ami, elles seroient une désobéissance à un ordre, dont peut-être son salut dépendoit, elle triompha de sa curiosité. Le peu de mémoire que sa mystérieuse situation lui avoit laissé, lui rappella que la voix de son nouveau guide ne lui étoit pas inconnue ; mais elle ne put jamais se rappeller où elle l’avoit entendue.

Arrivé à la distance d’environ une centaine de pas du château, son guide détourna à gauche et entra dans une étroite vallée. Lorsqu’ils eurent encore fait quelques pas, il s’arrêta : il laissa aller le bras de Lauretta, se baissa, et s’étant frayé un passage à travers une touffe de ronces et d’épines, qui bordoient un des côtés de la vallée, il tira d’une de ses poches une lanterne, dont la lumière montra à Lauretta la bouche d’une caverne, assez large pour qu’on pût y entrer en marchant sur ses mains et sur ses genoux.

Son guide se mit à genoux et dit à Lauretta d’une voix basse, de le suivre. — Elle hésita d’abord. — C’étoit certainement là, la caverne dont Théodore et le coquin qui l’avoient tirée de la cellule de l’hermite, avoient parlé. — Elle tressaillit. — « Je vous conjure de me suivre, lui dit son guide. » — Son accent étoit doux et persuasif. Lauretta fit un signe de croix et le suivit.

Après qu'ils eurent fait quelques pas, ils arrivèrent dans une chambre voûtée. La foible lumière de la lanterne portée par son guide, permettoit à peine à Lauretta de distinguer les objets. Ils traversèrent cette voûte et entrèrent dans un long et étroit passage, taillé dans le roc. Leurs pas retentissoient dans ce sombre souterrain, et Lauretta ne pouvoit pas s’empêcher de retourner souvent la tête, pour s’assurer que personne ne la suivoit.

Parvenu à l’extrémité du passage, ils entrèrent dans une autre chambre voûtée, plus vaste encore que la première. — Le guide de Lauretta ouvrit une porte de côté, qui donnoit sur un escalier en pierre. Il commença à en descendre les marches. — Lauretta s’arrêta. — « Vîte, vîte, je vous en conjure, lui dit-il en la prenant par la main. » — « Le souvenir de cette voix la frappa de nouveau. Elle se laissa conduire dans un passage entièrement semblable à celui qu’ils venoient de parcourir. À droite étoit une petite porte. Le guide l’ouvrit, Lauretta apperçut alors une petite chambre, dans laquelle il y avoit une table, un lit et une lampe. Ils y entrèrent. Aussi-tôt le guide se dépouilla d’un long manteau et d’une espèce de capuchon dont il étoit enveloppé. Lauretta reconnut Ralberg.

Elle resta immobile d’étonnement. Elle ne savoit ce qu’elle avoit à espérer ou à craindre.

« Ne vous allarmez pas, lui dit-il, en voyant devant vous celui que vous avez cru votre ennemi. Jamais il ne le fut volontairement, et soyez assuré que maintenant il vous protégera au péril de sa vie. Mais pour votre salut et le mien, il est indispensable que je vous quitte à l’instant. — Ne craignez rien, personne ne troublera ici votre solitude, et comptez que vous me reverrez bientôt. »

Après avoir allumé la lampe, il se disposa à partir.

« Oh ! ne me quittez pas, s’écria Lauretta, en s’attachant à son habit. »

« Au nom du ciel, ne me retenez pas. Il y va de votre vie. — Si par hasard vous entendiez des pas, éteignez la lampe. — Que les anges veillent sur vous ! »

À peine eut-il prononcé ces derniers mots, qu’il se hâta de fermer la porte. Lauretta l’entendit s’éloigner.

Pendant quelques minutes, elle resta à la place où Ralberg l’avoit laissée. — Lorsqu’elle s’étoit vue une seconde fois en son pouvoir, elle n’avoit d’abord éprouvé que le sentiment de la crainte ; ses paroles avoient ensuite ranimé ses espérances ; mais sa conduite mystérieuse l’empêchoit de s’abandonner à la joie à laquelle, sans cela, elle se seroit livrée.

« Pourquoi cet homme, se disoit-elle à elle-même, qui, il y a si peu de tems, a été l’un des artisans de mon malheur, a-t-il tout-à-coup changé de principes ? Je me rappelle encore le son effrayant de sa voix, et son air terrible, la première fois que je le vis. Cependant je me rappelle aussi que sa voix rauque et ses manières me parurent peu naturelles. Ô trompeuse espérance ! pourtant tout semble aujourd’hui confirmer mes conjectures. Sa voix est douce. Sa physionomie n’est plus la même. Les nuages qui obscurcissoient son front, sont dissipés. Ses yeux expriment la pitié et une tendre inquiétude. Le sourire de la satisfaction siège sur ses lèvres. — Et mon nom ! par quels moyens peut-il l’avoir appris ? Comment expliquer tant de mystères ? »

Ses yeux avoient été, pendant ce monologue, fixés sur la terre. Elle les leva alors. Le premier objet qui frappa sa vue fut la lampe, et presqu’aussi-tôt elle apperçut auprès de cette lampe, sur la même table, un poignard !

Son sang se glaça. — « Je me ressouviens parfaitement que ce poignard n’étoit pas sur la table, lorsque je suis entrée dans cette chambre. Ainsi nul doute qu’il n’y ait été placé par Ralberg. — Il m’a déclaré qu’il défendroit ma vie au péril de la sienne. — Il sait donc qu’on doit attenter à ma vie. — Alors pourquoi me laisser dans un lieu, où je suis menacée d’un si grand danger ? — Et si réellement il veut me protéger, pourquoi me laisser sous les yeux cet instrument de mort ? — Je le vois trop, je dois m’attendre à voir bientôt paroître l’infâme Théodore. Bientôt il ne me restera que l’alternative du suicide ou du déshonneur. — Mais si Ralberg est l’agent du chevalier, comment expliquer ce qui s’est passé dans la forêt ? — Peut-être Théodore a-t-il eu des doutes sur la fidélité de l’homme qu’il avoit amené avec lui à la cellule de l’hermite, et a-t-il pris ce moyen de s’en-débarrasser, pour se soustraire aux soupçons. — Oui, cette dernière conjecture est la seule probable. Seule elle explique la conduite d’un homme qui se prétend mon ami, et qui m’enferme dans l’endroit où mon ennemi mortel devoit lui-même me conduire. »

Pendant plusieurs heures, le moindre bruit ne troubla pas le calme profond qui régnoit autour de Lauretta. L’infortunée attendoit, dans des angoisses mortelles, l’affreux moment qui devoit mettre le comble à ses malheurs. — À la fin, elle entendit les pas précipités de quelqu’un qui s’avançoit vers sa chambre. — Elle se rappella sur-le-champ, que Ralberg lui avoit recommendé d’éteindre, sa lampe. Mais elle n’en eut pas le courage. — Elle s’imagina que son meurtrier, craignant de ne pouvoir supporter la vue de sa victime se débattant contre la mort, vouloit consommer son forfait dans les ténèbres.

La clef fut alors mise dans la serrure. Lauretta se jeta en bas du lit sur lequel elle s’étoit assise. La porte s’ouvrit, et Ralberg entra. — Après avoir déposé sur la table un petit panier qu’il avoit apporté, il ferma la porte, et prenant la main de Lauretta, il lui parla ainsi :

« Vous ai-je bien entendue cette nuit dans le bois ? N’avez-vous pas avoué que vous étiez Lauretta Byroff, après que je vous ai en appellée par ce nom ? »

« Je l’ai avoué. »

Ralberg alors tira de sa poche le crucifix d’ivoire que Lauretta portoit ordinairement à son col, attaché au colier de perles, donné à sa mère par son grand père, le jour de son mariage avec le comte Byroff.

« Ceci est donc à vous, dit Ralberg, en le lui présentant. »

« Oui, c’est à moi, répondit Lauretta, avec empressement. Je me souviens que je le laissai dans la tour du château, et depuis j’en ai souvent pleuré la perte. »

« Il vous est donc bien cher ! »

« Autant que doit l’être le dernier présent d’une mère mourante. »

Lauretta ne put prononcer ces derniers mots, sans verser des larmes. Ralberg soupira, et mit un instant ses mains devant ses yeux.

« Où votre mère est-elle morte ? »

« Au couvent de Sainte-Hélène. »

Ralberg reprit la main de Lauretta, et avec un accent déchirant, il s’écria : « Quel est votre père ? »

« Le comte Byroff. »

Des pleurs s’échappèrent des yeux de Ralberg.

« Ne me trompez pas sur ce point, s’écria-t-il de nouveau, je vous en conjure. — Je vous l’ordonne. »

Il y avoit quelque chose dans son ton et dans ses manières qui en imposait à Lauretta. Elle répondit :

« Je ne vous trompe pas. Ma mère l’a ainsi déclaré sur son lit de mort. »

« Ma fille ! ma fille ! — Et en embrassant Lauretta, Ralberg ajouta :

« Tu vois ton malheureux père. Je suis celui qui fut le comte Byroff. »

Ces dernières paroles retentirent sur le cœur de Lauretta. Elle trouvoit un protecteur, un ami, et dans cet ami un père. Elle reçut ses embrassemens avec amour et respect. Son père la tint quelque tems pressée contre son sein.

« Cette croix, dit-il enfin, en la lui rendant, fut le premier présent que je fis à votre mère. Oh ! dites-moi ! dites-moi tout ce qui lui est arrivé. — Mais non. — Je ne dois pas m’exposer à entendre ce triste récit en ce moment. Il me retiendroit ici trop long-tems. Il faut que je vous quitte à l’instant, ou peut-être je ne vous reverrois jamais. »

« Hélas ! n’ai-je retrouvé un père, que pour être une seconde fois séparée de lui ? »

« Oh ! ma fille, je rougis de vous avouer l’état dans lequel vous retrouvez votre père. Le malheur m’a réduit au désespoir, et, le désespoir à…… Écoutons ! Serions-nous découverts ?…… Non…… Tout est tranquille. »

« À quoi ? demanda Lauretta. »

« À m’associer à une bande de scélérats, dont les crimes outragent tous les jours l’humanité. — Écoutons ! n’entendez-vous pas le pas des chevaux ? — Il faut que je fuie à l’instant, ou je vous perds pour toujours. — Adieu. Il se passera quelque tems avant qu’il me soit possible de vous revoir. »

Il sortit promptement, ferma la porte sur Lauretta, comme la première fois, et le bruit de ses pas expirant par dégrès, tout rentra dans le silence.

Lauretta eut de la peine à s’assurer si ce qui venoit de se passer n’étoit pas un songe. Lorsqu’elle en fut enfin bien convaincue, elle versa des larmes de joie.

La réflexion revint. Elle commença à méditer sur les dernières paroles de son père. Elle chercha à s’expliquer à elle-même le mystère de sa présente situation. Ses efforts furent inutiles. La déclaration de son père qu’il se passeroit quelque tems avant qu’il lui fût possible de la revoir, ne l’étonnoit pas moins qu’elle ne l’affligeoit.

« Je suis en sûreté, s’écria-t-elle ; mais mon Alphonse l’ignore, et quel tourment n’éprouvera-t-il point, lorsqu’il ne me trouvera pas dans la cellule de l’hermite ? Le cadavre de mon bienfaiteur lui fera croire qu’on a usé de violence envers nous deux. Oh ! pourquoi n’ai-je pas conjuré mon père de chercher quelques moyens de faire cesser les mortelles inquiétudes de mon Alphonse ? Peut-être quand il reviendra, ne sera-t-il plus tems. »

Tourmentée par une foule d’idées contraires, elle ne put fermer l’œil de la nuit. Le lendemain matin elle examina le panier que le comte Byroff avoit déposé la veille sur la table. Il contenoit des provisions pour deux ou trois jours, une bouteille de vin, une d’eau, et de l’huile dans un flacon pour sa lampe.

La journée se passa. Personne ne troubla la solitude de sa prison. La nuit revint. Elle ne dormit pas davantage que la précédente. Elle avoit sans cesse devant les yeux l’image de son Alphonse, au moment où il arriveroit à la cellule. Elle se leva et s’efforça de calmer, par la prière, l’agitation de son esprit ; mais le crucifix devant lequel elle se mit à genoux, ne servit qu’à lui rappeller tous les effrayans mystères dont sa destinée étoit enveloppée.

Le jour suivant s’écoula, sans que le comte Byroff eût visité sa fille. Les craintes de Lauretta changèrent alors d’objet. Elle commença à redouter qu’on ne se fût apperçu de la dernière visite que son père lui avoit faite, comme il avoit paru tant l’appréhender. La seule considération qui lui laissoit encore quelque espoir, étoit que la première démarche de ceux qui auroient fait cette découverte, eût probablement été de rechercher la cause de cette visite.

L’insomnie, l’incertitude et la crainte avoient épuisé ses forces. Plusieurs heures avant minuit, elle tomba dans un profond sommeil qui, malheureusement pour elle, ne fut pas long. Quel fut son chagrin, en se réveillant, de voir que sa lampe étoit éteinte ! Elle avoit négligé d’y mettre de l’huile. L’obscurité profonde dans laquelle elle se trouva, augmenta ses terreurs.

Craignant, sans trop savoir pourquoi, de changer de position, au milieu des ténèbres, elle resta sur son lit. Il étoit alors près de minuit. Tout-à-coup elle entendit marcher à pas mesurés vers la porte de sa chambre. L’espérance et la joie rentrèrent dans son âme. Elle se leva sur son lit, et bientôt le comte Byroff s’offrit à sa vue, revêtu d’un froc.

Lauretta descendit de son lit, et alla au devant de son père. Celui-ci l’embrassa, et, sans faire attention à l’obscurité dans laquelle il la trouvoit, que d’ailleurs il pouvoit prendre pour l’effet des instructions qu’il lui avoit données, il l’aida sur-le-champ à s’envelopper du manteau qu’il avoit laissé la nuit précédente dans cette chambre, et il lui dit de le suivre le plus promptement possible.

Le comte étoit déjà à la porte de la chambre, lorsque, retournant en arrière, il prit le poignard sur la table, l’attacha à sa ceinture, ordonna une seconde fois à Lauretta de le suivre de près et sans bruit, et marcha devant elle.

Lauretta suivit en silence les pas de son père. Elle vit, à la lumière de la lampe, portée devant elle par le comte, qu’il la reconduisoit par le même chemin qu’elle avoit suivie avant d’arriver au triste séjour où elle avoit passé des heures si cruelles. Elle remarqua que la main de son père trembloit, et que sa physionomie exprimoit l’inquiétude et la crainte.

Sorti du souterrain, le comte Byroff jeta la lampe par terre pour l’éteindre, et ayant refermé l’entrée de la caverne, il détacha un cheval qui avoit été attaché au tronc d’un arbre, le conduisit sur un terrein uni, sauta dessus, et après avoir pris sa fille devant lui, il partit au grand galop.

Ils firent environ une lieue, en observant le plus profond silence ; le comte cependant le rompoit quelquefois en s’adressant à son cheval, afin de lui faire hâter le pas. À la fin Lauretta se hasarda à demander à voix basse ; — « Où allons-nous ? » — » Le comte répondit : « C’est vous qui devez diriger ma route ; mais en ce moment ? gardez le silence, je vous en conjure. Quelqu’un peut être caché parmi ces arbres. » — Lauretta obéit. Mais l’idée que son père venoit de lui suggérer augmenta ses craintes. Elle ne pût pas s’empêcher de promener de tous côtés des regards inquiets, et d’observer avec attention toutes les ombres qui lui falloit traverser, tremblant toujours d’appercevoir celle d’un homme. Souvent même son imagination lui faisoit voir ce qu’elle craignoit.

Il faisoit une de ces nuits pendant lesquelles la lune décroissante paroît à l’horison pleine et d’un rouge sanglant, et teint de feu tous les objets sur lesquels la perspective la fait paroître, pour ainsi dire, prête à tomber. Nos voyageurs ayant tourné le coin d’un petit bois qu’ils traversoient, la lune brilla tout-à-coup à leurs yeux. La scène étoit romantique. Lauretta se livra, malgré elle, au plaisir de la contempler. La lune s’enfonça insensiblement sous l’horizon, et, laissa nos voyageurs sans autre guide que la foible et tremblante lumière des étoiles.

Ils étoient partis du château depuis trois heures, lorsque le comte arrêta son cheval devant une chaumière. Il frappa à la porte. On lui ouvrit à l’instant. Les habitans de cette simple demeure, un homme d’un moyen âge et son jeune fils, tous deux bergers, s’empressèrent de faire entrer dans leur cabane le comte et sa fille.

Le comte exigea d’eux la promesse que, sous aucun prétexte, ils ne permettroient à personne d’entrer dans la chaumière, tant qu’il y seroit, et n’avoueroient pas qu’aucun étranger y soit caché, si on leur en faisoit la question. Ils consentirent à faire cette promesse, moins par l’espoir de la récompense dont le comte promit de payer leur discrétion, que par la crainte de son ressentiment, s’ils le trahissoient ; car son habit leur faisoit croire que c’étoit un moine. Le comte s’en apperçut ; et comme il connoissoit la superstition des paysans de ces contrées, il ne douta plus qu’il n’avoit rien à craindre de ses hôtes, pendant tout le tems qu’il jugeroit convenable d’interrompre son voyage.

Après avoir pourvu à ce que le cheval qui lui étoit si nécessaire, ne manquât de rien, le comte demanda à Lauretta si elle se sentoit disposée à se livrer au sommeil ; mais elle lui déclara que l’agitation de son esprit ne lui permettroit pas de fermer un seul instant les yeux. Alors, il lui témoigna le désir d’entendre de sa bouche l’histoire de sa vie. Elle fut intérieurement fâchée de ce qu’il ne lui offroit pas de l’instruire de la sienne auparavant ; cependant, elle s’empressa de se rendre à l’invitation de son père. Elle se retira avec lui dans la seule chambre qui, avec celle occupée par le berger et son fils, formoient toute la chaumière, et là elle lui fit le récit de tous les événemens de sa vie, depuis le premier moment de son entrée dans le monde, jusqu’à celui où il l’avoit arrachée des mains de Théodore et de son complice.


Fin du premier volume.