La Civilisation et les grands fleuves historiques/10


CHAPITRE X


L’INDUS ET LE GANGE


L’histoire dans l’Inde et l’Inde dans l’histoire. — Régime des castes. — Épuisement précoce de la sève indienne. Aryas et Dacyous. — Temps idylliques. — Anarchie communaliste des Védas. — Le Pandjab et l’Aryavarta oriental. Magadha, Tritsou et Bharata. — Rois et prêtres. — La limite extrême des civilisations fluviales.


L’Inde est, à bien des égards, un pays énigmatique et mystérieux. Son histoire est la plus indéchiffrable de ses énigmes, le plus obscur de ses mystères. D’autres nations de l’antiquité nous ont légué leurs vieux monuments, tandis que ceux qu’on admire dans l’Inde ne remontent pas, suivant les meilleures autorités[1], au delà du IIIe siècle avant Jésus-Christ : à peine peut-on se permettre de reculer cette date de cent cinquante à deux cents ans[2].

L’Inde antique ne put élever de temples, de tombeaux à l’épreuve des siècles, sculpter des colosses, tailler des bas-reliefs pour l’admiration de la postérité la plus éloignée ; elle n’écrivit point ses fastes[3] et ne revit pour nous que dans ses hymnes sacrés, ses poèmes épiques. Pourtant, si l’on négligeait sa part dans l’histoire universelle, comme Auguste Comte y semblait disposé, nous serions condamnés à ignorer les débuts mêmes de la poésie, de la philosophie, de la législation ; la plus profonde, la plus « catholique » dans le vrai sens du mot, c’est-à-dire la plus répandue de toutes les religions, professée par près de 500 000 000 d’hommes, le bouddhisme, serait pour nous un insoluble problème. L’humanité doit à l’Hindoustan les prémices poétiques et intellectuelles de son histoire, mais l’histoire même de la Péninsule est encore, et probablement sera toujours ignorée. Un voile impénétrable, impénétré, nous la cache à l’époque des plus anciens hymnes védiques, et plus tard aux temps qui se reflètent, ombres fantastiques et incertaines, dans les grandes épopées du Ramayana et du Mahabharata. Le Manava dharma sastra, le code de Manou[4] que l’on rapporte à diverses époques, du ixe au ve siècle avant Jésus-Christ, est déjà la pierre tumulaire d’une civilisation dont la marche nous est inconnue, mais qui, dans l’évolution du genre humain, a devancé les autres civilisations fluviales. Ni l’Égypte, ni l’Asie antérieure, n’ont conçu, comme l’Inde, un régime social gouverné, pour ainsi dire, par le jeu même de ses organes, reposant sur ses forces propres, sans l’intervention permanente d’un pouvoir coercitif ; elles n’ont pas eu l’idée d’un ordre établi sur des bases que nous trouvons absurdes et cruelles, mais auxquelles, du moins, ne pouvait toucher l’arbitraire divin ou royal. Le « Code » a beau prodiguer aux prêtres des attributions surhumaines, des privilèges monstrueux, le pouvoir des brahmanes, celui de Brahma même, ne saurait convertir un Çoudra ou un Tchandala en un Vaicya, ou dégrader un homme d’une caste privilégiée, si cet homme n’a pas négligé de remplir les devoirs et les formalités que lui impose son état. Par l’iniquité des castes, l’Inde inaugure l’histoire du droit.

Mais le code de Manou ne marque pas l’apogée de cette évolution, il le dépasse, en quelque sorte. Après avoir opposé, par le régime des castes, une barrière infranchissable à l’arbitraire, l’humanité doit fatalement tendre à répartir d’une façon de moins en moins inique les privilèges et les charges, les douceurs et les amertumes de l’existence. Or, les lois de Manou fermaient à l’Inde cette route du progrès. Nous avons vu l’Égypte perfectionner son état social par la décomposition du despotisme absolu que lui imposait au début le décret inéluctable du Fleuve, c’est-à-dire le milieu topique. Ainsi semble avoir également procédé la Chaldée, sous l’égide des rois astrologues d’Our et de Babylone. De même, si postérieurement à la constitution des castes, elle eût conservé encore quelque aptitude à vivre pour l’histoire, l’Inde se serait nécessairement lancée dans la négation de la constitution brahmanique. Mais tout le code de Manou est pénétré comme d’un sentiment intérieur de renonciation, d’impuissance à continuer la mission glorieuse que les peuples du bassin indo-gangétique avaient remplie dans les temps antérieurs au brahmanisme. La note dominante est l’immutabilité, la mort : la « règle de la justice humaine », interprétée par les brahmanes, ne se contente pas de défendre un changement quelconque au régime des quatre castes ; elle prétend aussi, en dépit des Védas, reconnus cependant comme la source unique et divine de l’autorité, que ce régime existe de toute éternité ; qu’il est le signe distinctif du genre humain ; les peuples qui ne s’y conforment pas sont des mletcha, barbares d’essence inférieure à l’homme, ou des vratrya, rénégats plus dégradés que les Çoudras. L’abjection, michada, n’est point le lot des membres d’une caste inférieure, mais bien la conséquence du mélange des castes, des plus nobles, comme des plus infimes. Il semble puéril de considérer ce caractère d’inaliénabilité comme un produit direct de l’égoïsme brahmanique : en tout temps, en tout lieu, les classes privilégiées ont voulu perpétuer les avantages que l’évolution historique leur accordait momentanément : si les prêtres de l’Inde y ont longtemps réussi, c’est que l’Inde leur offrait des conditions exceptionnelles.

Les descendants de Pandou, lisons-nous dans le Mahabharata, réussirent, avec l’aide de Krichna, à triompher des Kouravas, leurs ennemis, mais au prix de si grands sacrifices que, la victoire obtenue, il ne leur restait ni force ni désir de vivre. On dirait que cette légende raconte les destinées du peuple hindou : il résolut triomphalement son problème historique, puis sembla se désintéresser des choses d’ici-bas pour s’abîmer dans les songes. Ce qui put lui rester de sève, il le dépensa en hautes spéculations métaphysiques ; plusieurs siècles durant, on ne connut de l’Inde que ses six écoles philosophiques[5] réputées orthodoxes, rattachant, par une filiation non interrompue, la démocratie égalitaire du bouddhisme au code brahmanique avec son inexorable division des castes. Comme les abbés voltairiens du xviiie siècle[6], ces philosophes n’avaient pas l’honnêteté ou la hardiesse d’abandonner franchement la religion nationale ; mais le Bouddha Çakya Mouni, ou tout autre fondateur de cette religion, n’eut d’autre mérite, en enseignant le dogme de l’égalité naturelle de tous les hommes, que d’oser proclamer sur la place publique une vérité démontrée déjà depuis Kapila. Trop peu soucieux des choses terrestres, Bouddha ne songea guère plus à l’abolition des castes[6], que le christianisme n’avait songé à l’affranchissement des esclaves[7], il se contenta de dépouiller la hiérarchie castale de toute sanction religieuse. Mais lorsque l’invasion macédonienne eut réveillé de leur torpeur séculaire les peuples du bassin indo-gangétique, une grande révolution éclata, dont le bouddhisme ne fut certes point le promoteur, mais qui donne à cette religion une importance non prévue ou même non désirée par ses premiers apôtres. Un Çoudra que les Pouranas nomment Tchandragroupta, et que nos savants identifient avec le Sandracottus à la cour duquel avait résidé le grec Mégasthène, tua le roi Nanda, le dernier rejeton de la dynastie kouravienne et réunit « sous un même parasol » les cent dix-huit peuples de l’Inde[8]. On ne sait pas grand’chose sur les faits et gestes des premiers souverains de cette nouvelle race royale, dont l’apparition seule était une violation flagrante des instructions de Manou ; mais le petit-fils et troisième successeur de Tchandragroupta fut le célèbre Açoka, si souvent comparé à Constantin ; il proclama la déchéance de la loi brahmanique et érigea le bouddhisme en religion d’État. À en juger par des monuments dont rien n’égale la splendeur, le règne d’Açoka et les années des premiers triomphes du bouddhisme furent la dernière période glorieuse de l’histoire de l’Inde ; encore ne devait-elle pas être de longue durée, puisque, au viie siècle de l’ère chrétienne, le pèlerin chinois Hiouen-Tsang trouvait la patrie de Çakya Mouni en pleine décadence. La victoire du bouddhisme avec Açoka n’avait pas été définitive, et le brahmanisme, qui apparaît déjà dans le code de Manou comme une doctrine morte, continue à empoisonner l’Inde des produits de sa décomposition, Civaïsme, Krichnaïsme, etc. D’ailleurs le bouddhisme, avec sa passion du repos[9], sa renonciation aux choses de ce monde, s’alliait trop au sentiment de lassitude qui caractérise la fin de la domination brahmanique pour amener une régénération vraie, durable, entière. Bien avant Mahmoud le Ghaznévide, qui, au xe siècle de l’ère chrétienne, jeta l’Hindoustan dans le domaine de l’Islam, la plupart des anciens et puissants royaumes du bassin indo-gangétique se meurent de marasme. Depuis que son histoire se dépouille pour nous de son mystère, l’Inde nous apparaît comme une « belle au bois dormant » que voudraient conquérir tous les fondateurs de grands empires, les Anglais et les Russes de nos jours, comme autrefois Tekklathabal-asar et Alexandre. Et elle accepte passivement son sort avec une indifférence d’hypnotisée.

Cette conception, réalisée rudimentairement par l’Inde, d’un ordre social réglé par le jeu même de ses rouages, nous frappe par ses analogies avec le panthéisme qui est au fond de toutes les doctrines religieuses hindoues, orthodoxes, réformées ou révolutionnaires : ce ne sont évidemment que deux faces d’une seule et même création. Mais où trouverons-nous la puissance créatrice ? Rien de plus facile que de désigner comme telle le prétendu « génie national », la synthèse des « aptitudes de race » qui explique tout, aux yeux de certains érudits, mais on ne résout pas un problème en se contentant de donner le nom d’x à la grande inconnue. Et, surtout à propos de l’Inde, une difficulté insurmontable se présente : Y a-t-il jamais eu une nation hindoue ? Si Mégasthène, envoyé de Séleucus Nicator à la cour de Tchandragroupta, comptait déjà cent dix-huit peuples distincts dans le bassin de l’Indus et du Gange, est-ce que maintenant encore, entre le versant méridional de l’Himalaya et l’île de Ceylan, n’habitent pas les « races » les plus disparates, avec toutes les colorations imaginables de la peau — du teint de « fraise à la crème » des belles Kachmiriennes au noir d’ébène de certaines tribus méridionales — avec les idiomes les plus variés, aryens, dravidiens, kohlariens, langues à flexion, agglutinantes, mono-syllabiques ? Le présent, comme le passé de l’Inde n’est que très relativement (et très peu) dominé par une sorte d’ « unité aryenne ». Ethnologiquement, toute statistique y est impossible ; la très grande majorité des habitants se compose d’Aryas indianisés ou d’indigènes aryanisés, à tous les degrés possibles de métissage. Mais un rameau du tronc aryen ayant réussi depuis longtemps à imposer le sanscrit aux quatre cinquièmes des « Indiens », nous pouvons identifier, jusqu’à un certain point, l’histoire de l’Inde avec celle des Aryens orientaux, détachés de la souche commune on ne sait à quelle époque, et que les hymnes les plus anciens du Rig-Veda nous montrent déjà cantonnés dans le nord-ouest du Pandjab. Ce groupe dominant se recommande d’ailleurs par son incontestable parenté, ne fût-elle que parenté de langues, avec les nations civilisées de l’Europe. Or, rien n’est plus contraire aux castes que le « génie » des races aryennes, qui, toujours et partout, en Europe comme en Asie, l’Hindoustan seul excepté, sont restées absolument étrangères à cette institution. Tous les savants s’accordent à dire que, même dans l’Inde, les castes étaient inconnues pendant la période ancienne : le seul passage du recueil des hymnes sacrés qui mentionne la division de l’humanité en branches distinctes, issues de différentes parties du corps de Brahma[10], est généralement regardé comme une interpolation. Le mot même de brahmane est étranger à la lexicologie védique[11], et lorsque le prêtre de profession apparaît enfin dans les chants sacrés des Aryas du « pays des Sept Rivières », il y est appelé pourohita. Le contraste entre la rigide hiérarchie du code de Manou et l’anarchie communaliste des siècles antiques est trop accusé pour n’avoir pas attiré l’attention des savants, et, depuis Burnouf, on considère l’histoire ancienne de l’Inde comme le produit de la corruption du « génie aryen » au contact des peuples dravidiens et kohlariens, que les envahisseurs védiques trouvèrent dans l’immense plaine indo-gangétique : ce sont les peuples mentionnés si souvent dans les chants sacrés sous le nom de Dacyous, les « serfs », les « ennemis ».

Quoique l’apparition de l’Hindoustan dans l’histoire semble postérieure de plusieurs siècles à l’époque de l’Égyptien Ménés et des rois astrologues de la Chaldée, Th. Buckle ne se trompe pas de tout point quand il assigne aux traditions des Hindous une antiquité plus reculée qu’à celles des autres nations historiques ; cette assertion, il est vrai, ne doit pas être interprétée dans un sens purement chronologique ; elle signifie que, pour l’Égypte et la Chaldée, nous ne savons rien de l’état social d’avant la fondation des grandes despoties ; tandis que, pour l’Inde, les plus anciens hymnes du Rig-Veda nous esquissent le tableau de l’existence des prêtres et des agriculteurs du haut Pandjab avant la constitution des castes et la fondation des premiers empires. On connaît les traits principaux de cette peinture riante qui semble réaliser sous sa forme idyllique « l’état de nature » imaginé par les philosophes du xviiie siècle. « Le premier état social des Aryas, dit Marius Fontaine[12], apparaît tel qu’après lui nul rêve d’indépendance nationale n’ira au delà de ce qui fut en Sapta Sindhou. » Les envahisseurs aryens étaient moins avancés dans la civilisation que les Dacyous, ces ennemis qu’il leur fallait combattre et vaincre dans leur route vers la Djamna et le Gange, les « Dacyous opulents et fiers…, couverts d’or et de pierreries, s’enorgueillissant de leur force…, peuple riche en troupeaux, industrieux, habile à faire des chars et des vêtements, paré de bijoux[13]. Mais ce n’étaient certes pas des barbares, au temps où ils composaient les premiers chants védiques ! Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’antiquité, on les voit connaissant l’agriculture et nombre de métiers utiles dont l’exercice est incompatible avec un état rudimentaire de la société : ils sont potiers, tisseurs d’étoffes, forgerons, tailleurs de pierre et de bois, voire même orfèvres[14]. Ils ne combattent pas en sauvages ; ils ont des cuirasses, des chars ; leur infanterie se compose de porte-glaives et d’archers armés de traits. S’ils ne peuplent point encore de villes (les premières cités aryennes ne sont mentionnées que dans les Pourana), la langue védique sait déjà distinguer l’agglomération urbaine, le poura des Dacyous, du village, grama[15]. Même avant l’époque des chants védiques, la famille aryenne était constituée sous une forme que n’a pas dépassée le code romain, fait d’autant plus remarquable que, de nos jours, le matriarcat à l’état primitif se retrouve encore dans le midi de l’Hindoustan. Point de trace, au foyer védique, de l’assujettissement de la femme, qu’on note presque partout à l’époque patriarcale. Le pitar, le « nourrisseur », le père de famille aryen, jouit, il est vrai, d’une certaine suprématie ; il est le gourou, ou maître spirituel, mais la situation subordonnée qui en résulte pour la femme n’est pas plus dégradante que celle que sanctionne le code français. Suivant la formule consacrée, la matrone romaine était Gaïa, partout où son mari était Gaïus ; chez les vaïcyas des premiers temps védiques, l’épouse du grihapati (maître de la maison) était grihapatni (maîtresse de la maison), et ne cessait jamais d’être sa compagne, même quand il apparaissait sous son caractère sacerdotal de deva, sacrificateur : si le père seul faisait les libations à Agni et à Soma, la matri « celle qui mesure », la mère prenait aussi sa part de la cérémonie en préparant les substances nécessaires. L’épouse védique est dam, dans le sens que nous-mêmes attribuons à ce mot : on n’en devient point l’époux par achat ou par violence ; on plaît aux dieux comme on plaît à sa bien-aimée, « en se rendant aimable[16] ». Des hymnes nombreux témoignent du prix que les Aryas attachaient à la beauté ; les délicatesses d’un amour, ni simplement platonique, ni grossièrement sensuel, ne leur étaient point inconnues[17].

Certains indianistes, et plus particulièrement Max Müller, exaltent l’esprit éminemment religieux des Aryas védiques. La plupart des hymnes du Rig-Veda, il est vrai, n’ont été composés que pour implorer ou glorifier les divinités, et celle qu’on célèbre est toujours la plus puissante, supérieure à toutes les autres. Mais il fut certainement une époque où le panthéon des richis (poètes védiques) n’était ni plus peuplé ni plus spiritualiste que celui des Égyptiens, quand, sauf le pharaon, ils ne connaissaient d’autres dieux que le bœuf et le bélier ; pendant de longs siècles, les Aryas du Pandjab adorent seulement Agni, le feu de l’âtre, et Soma, la boisson enivrante. Indra, le feu céleste, l’orage, ne vint que beaucoup plus tard. On trouve, de loin en loin, dans le Rig-Veda, des chants cosmogoniques et des pensées philosophiques, mais ils appartiennent à une époque postérieure comme le 120e hymne du livre X et dernier[18], que H. T. Colebrooke a depuis longtemps signalé à notre attention :

«… Il y avait les ténèbres, et tout était plongé à l’origine dans une obscurité profonde, Océan sans lumière. La semence, qui reposait, encore cachée dans son enveloppe, germe tout à coup par la vive chaleur. Puis vint s’y joindre, pour la première fois, l’amour, source nouvelle de l’esprit… Les poètes, méditant dans leur cœur, ont découvert ce lien entre les choses créées et ce qui est incréé. Cette étincelle qui jaillit partout, qui pénètre tout, vient-elle de la terre ou du ciel ? Qui connaît le secret ? qui nous a dit d’où est sortie cette création si variée ? Les dieux eux-mêmes sont arrivés plus tard à l’existence : qui sait d’où est tiré ce vaste monde ? Celui qui a été l’auteur de toute cette création, soit que sa volonté l’ait ordonné, soit que sa volonté ait été muette, le Très-Haut Voyant qui réside au plus haut des cieux, c’est lui qui le sait, ou peut-être lui-même ne le sait il pas ! »

Cet hymne, qui marque le point culminant de la croyance védique, n’en indique pas moins une certaine infériorité des dieux ; il les déclare « arrivés plus tard à l’existence » que la création. Il les subordonne en outre à ce Très-Haut Voyant qui a créé toutes choses sciemment ou inconsciemment, qui peut-être sait ou peut-être ignore le mystère de la création ;… mais, aux temps anciens, nulle mention ne fut faite de cet Être suprême, et de l’époque philosophique, si faiblement représentée dans le Rig-Veda, datent d’autres chants qui célèbrent la science, le scepticisme au détriment de la foi :

« La science est plus grande que tout ce qui est grand, et la prière, manifestation d’une croyance aveugle, est plus basse que tout ce qui est bas. La foi irréfléchie n’est pas arya (noble) ; elle doit retourner dans ces contrées lointaines d’où elle est venue. La science est forte, le penseur est résolu ; unis l’un à l’autre, ils doivent vaincre la foi. »

Au contraire, la nature des dieux des anciens temps védiques nous ramène à un fétichisme des plus grossiers. Agni, Soma, et, dans la suite, Indra, auxquels l’Arya du haut Pandjab consacre des chants sacrés, « réclament des offrandes, écoutent les invocations, accourent à l’autel où les libations sont préparées ; ils aiment les louanges comme les jeunes gens aiment la voix des jeunes filles ; tels que des cygnes voyageurs, des éperviers ou des buffles, ils se précipitent vers le soma. Accourez, buvez à votre soif, et donnez-nous des richesses et des enfants, ô dieux ! Soyez vainqueurs de nos ennemis ! Aswins unis à Mitra, à Varouna, à Dharna, aux Marouts, arrivez à la voix de votre chantre ! »

La piété de l’Arya est, on le voit, très peu désintéressée. S’il offre louanges et libations à ses divinités, c’est pour obtenir des biens, de la pluie, une postérité nombreuse, la perte de ses ennemis : « Les dieux doivent servir l’Arya comme les buffles et les chevaux… Les chantres n’ont donné la force à Indra que pour qu’il envoie de l’eau ; si dans ses mains ils ont placé la foudre, c’est pour qu’il frappe les Dacyous. » Passage caractéristique, car il reconnaît au poète, au hiérophante d’occasion ou de profession, un pouvoir sur les divinités mêmes. D’ailleurs ce sentiment se retrouve souvent dans le recueil védique : « Les dieux naissent du souffle du chantre inspiré », et, par suite, n’ont d’existence que par l’exaltation de leur évocateur. Pour affirmer que cette conception de la non-réalité des dieux est un trait particulier du « génie aryen », il faudrait connaître l’état mental des autres peuples à la période de leur évolution correspondant à celle des premiers chants du Rig-Veda. La comparaison est impossible, puisque aucune autre nation du globe ne nous a laissé de documents aussi primitifs ; mais cette faculté de créer les dieux, reconnue à l’inspiré par les hymnes les plus anciens, contient en germe, on le voit, le pouvoir exorbitant que les Brahmana et le Manava dharma sastra accorderont plus tard à la caste des prêtres : afin d’expliquer ce qui constitue pour nous l’iniquité suprême de cet ordre de choses, il n’est certes pas besoin de recourir à cette hypothèse, que le génie aryen s’est corrompu au contact des Dacyous jaunes ou noirs.

Il y eut évidemment une époque où les Aryas du Sapta-Sindhou ne connaissaient ni prêtres, ni rituel déterminé, où chaque père de famille invoquait les dieux créés de son souffle au gré de l’inspiration, et leur offrait, aidé de son épouse, les libations et les sacrifices. Chaque tribu avait ses divinités, inconnues ou indifférentes aux tribus voisines. Entre ces tribus, pas de lien fédéral ; l’unité nationale ne reposait que sur la communauté d’origine, de langage, d’institutions familiales et communales, sur l’adoration du foyer (Agni) et de ce soma « qui va du mortier au vase des sacrifices, donne l’ivresse, et avec l’ivresse tous les biens ». Ainsi, le second trait particulier de l’Inde brahmanique, sa propension à oublier la réalité pour se perdre dans une pieuse exaltation, à se plonger dans l’ivresse sacrée, aurait peut-être ses sources dans une tendance, une aptitude de race, déjà manifestée au début des temps védiques. L’incontestable liberté religieuse de cette période serait simplement le corollaire du défaut absolu d’organisation sacerdotale ou nationale permanente chez les Aryas des Sept Rivières. Tout le temps qu’ils restèrent cantonnés dans les fertiles et riantes vallées du haut Pandjab, leur vie politique se concentra exclusivement dans la commune autonome, — le viç[19], qui présente une analogie remarquable avec la djemaa des Kabyles, ou mieux encore avec le mir russe, car, au témoignage de savants auteurs, les vaïcyas, c’est-à-dire les communiers du haut Pandjab, procédaient périodiquement au partage des terres entre les ayant droit, comme cela se pratique encore en Russie. À la tête du viç, on voit un viçpati, sorte d’amin ou de staroste, chef électif de la communauté, fonctionnant aussi comme radj. Tous les chefs de famille jouissent des mêmes droits dans l’assemblée communale ; tous remplissent les fonctions de deva ou sacrificateur et poète d’hymnes religieux ; à l’heure du besoin, tous prennent les armes, c’est-à-dire deviennent kchatrya. Par tous ces droits et devoirs, tous les Aryas sont donc nécessairement égaux. Mais pendant un laps de temps dont la durée chronologique est inconnue, ce mot d’Arya ne fut nullement employé dans un sens ethnologique ; il signifiait simplement « homme libre », propriétaire ou maître de maison. Au-dessous de l’Arya il y avait le daça[20] (même vocable que le Dacyou) « serviteur », « vilain » ; les adorateurs des divinités védiques les supplient sans cesse de multiplier le nombre de leurs bêtes, de leurs enfants, de leurs daças. Ce nom s’applique plus tard à tous ceux que les Aryas réduisirent ou voulurent réduire en servitude, à tous les ennemis d’origine diverse qu’ils rencontrèrent dans leur expansion progressive du Pandjab vers le Gange, la Tchogra et les monts Vindhya, régions où l’on distinguait alors les Dacyous à peau jaune et les Dacyous à peau noire, les Anasa (nez épatés[21]), les Vricha cipra (museaux de buffle), les Açoutripa (carnivores, aimant la vie d’autrui), les « loups au poil rougeâtre », etc. Certains peuples d’origine incontestablement non aryenne, les Çoudras, par exemple, n’étaient pas regardés comme Dacyous ; d’un autre côté, le code de Manou, X, 43, mentionne des Dacyous parlant une langue barbare et des Dacyous parlant l’aryen ; nombre de castes dégradées, les Magadha, les Djalla, les Nata sont aryennes. À l’époque brahmanique, il est vrai, les habitants du Pandjab, les Magadha surtout ne sont plus considérés comme de vrais Aryas ; on les accuse d’ignorer les Védas et les sacrifices, de manger de la chair, de pratiquer comme les Naïrs les coutumes matriarcales, d’avoir la peau jaune[22]. La civilisation de l’Inde n’est certes pas une œuvre aussi exclusivement aryenne qu’on le prétend, mais la confusion des races et des langues, témoin la légende de la tour de Babel, a été bien grande aussi en Égypte et dans l’Asie antérieure : tout ce qui, dans l’histoire du bassin de l’Indus et du Gange, peut flatter nos modernes sentiments démocratiques, n’est point exclusivement l’œuvre du génie aryen. Gardons-nous de subordonner artificiellement à une idée préconçue les quelques notions historiques éparses dans les Védas, les poèmes épiques, les Brahmana et les Pourana ; n’attribuons pas en bloc à la corruption de ce génie par l’influence de races réprouvées les institutions qui, dans une société méditerranéenne ou océanique, devraient être regardées comme des preuves manifestes de dégénérescence. Comparée à l’anarchie communaliste des premiers temps védiques, l’Inde du Mahabharata et du Manava dharma sastra présente le spectacle d’une notable dégradation sociale, mais n’oublions pas que l’Inde primitive, avec sa sève et sa verdeur, n’avait pas plus de droit à figurer dans l’histoire que les libres djemaa des Kabyles ou certaines communautés franches du centre de l’Afrique ; au contraire, l’Inde brahmanique, que nous voyons étouffer dans le cadre des castes, eut la gloire de devancer toutes les autres grandes despoties fluviales, et d’accomplir jusqu’au bout la mission des civilisations primaires. Sa part de labeurs, sa tâche particulière ne fut point, purement et simplement, la constitution des castes : autrement large est son œuvre ; seule dans les temps antiques, nous le savons déjà, l’Inde est parvenue à réaliser un ordre social réglé par son mécanisme intérieur, indépendant d’un pouvoir coercitif personnel et arbitraire. Pour résoudre ce grand problème de l’histoire universelle, elle exagéra jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’inique, ces distinctions de classes qui se produisent partout, et qui, là comme ailleurs, sont dues à un ensemble très complexe de causes ethnologiques, sociales et politiques[23].

Si l’on attribue la constitution brahmanique à l’influence des populations autochtones ou immigrées depuis la plus haute antiquité dans l’Hindoustan, on ramène à presque rien l’importance historique de ces Aryas orientaux qu’on s’est plu cependant à nous présenter comme la race privilégiée de l’histoire. Rien n’est d’ailleurs plus arbitraire que d’appliquer aux termes Arya et Dacyou des hymnes védiques, la signification qu’ils ont pour les ethnographes et les anthropologistes modernes. Ce texte même du Mahabharata[24], où nous lisons que chaque caste de l’Inde, désignée par le mot varna (couleur) a sa teinte spécifique : le blanc, celle du brahmane ; le rouge, celle des kchatryas ; le jaune, celle des vaïcyas ; le noir, celles des çoudras, suffirait pour nous avertir qu’il ne s’agit point de nuances de la peau, ni de distinctions ethnologiques. S’il y eut jamais dans l’Inde une caste plus particulièrement aryenne ou blanche, c’est bien celle des kchatryas ; d’ailleurs, — les textes les moins contestés ne laissent aucun doute à ce sujet, — brahmanes, kchatryas et vaïcyas étaient indistinctement compris dans la dénomination d’Aryas (nobles) et de Dvidjas (deux fois nés)[25]. Le célèbre hymne des « grenouilles » est à cet égard fort instructif : après avoir comparé les Aryas « qui s’éveillent pour accomplir le rite sacré et chanter l’hymne », aux « grenouilles qui coassent quand les ondées célestes viennent à la terre, à la pauvre terre que l’été a rendue sèche comme une peau de bête étendue », le poète védique ajoute : « L’une mugit comme une vache, l’autre a le cri de la chèvre ; l’une est jaune, l’autre est verte. Elles ne sont toutes que des grenouilles, on les désigne par le même nom… Venant de toutes parts, leurs voix s’unissent dans un ensemble continu. Tels que les grenouilles sont les enfants des prêtres (c’est-à-dire les Aryas), qui, à l’approche de la nuit, versent le soma et murmurent autour du lac qui est le vase des libations. Que la grenouille inspirée ait le mugissement de la vache ou le cri de la chèvre, qu’elle soit jaune ou verte, sa parole vaut à l’Arya l’abondance des biens ; elle procure des vaches fécondes, des pâturages fertiles, elle prolonge la vie. » Cet hymne ne démontre-t-il pas que, dans l’Hindoustan, comme dans les autres pays historiques, la diversité des idiomes et des nuances de la peau fut dominée de bonne heure par une certaine unité nationale résultant de l’unité des institutions ; et celles-ci, déjà bien avant la fin de la période dite védique, avaient perdu le riant caractère de leurs premières origines.

Nul besoin de s’aventurer dans le dédale des subtilités et des hypothèses ethnologiques pour ramener sous la loi commune l’histoire ancienne du bassin indo-gangétique, et se rendre compte des transformations successives que les institutions politiques, sociales et religieuses de l’Inde ont subies avant d’atteindre à la rigidité sépulcrale du Manava dharma sastra : les principes généraux que nous avons déduits des annales de l’Égypte et de l’Assyro-Babylonie ressortent avec presque autant d’évidence de l’histoire compliquée et mystérieuse de l’Inde. Le contraste entre l’idyllique anarchie des premiers temps védiques et l’énervant despotisme des castes de la période brahmanique, correspond assez étroitement aux différences des milieux où se sont produites ces diverses phases ; la plus ancienne avait eu pour terrain les vallées élyséennes du Kophès, du Kachmir ; la dernière s’est déroulée dans le Madhya-desa, l’énorme plaine limitée au nord par la région pestilentielle des teraï, séparée, à l’est, du bassin du Brahmapoutra et du golfe du Bengale par la région infecte « où règne la déesse de la Mort[26] » ; elle n’offre d’issue vers le Dakchina-desa (le pays de droite, le Dekkan), au sud, que par les brèches sauvages des monts Vindhya ; à l’ouest, les déserts du Badjpoutana la séparent de la mer d’Oman.

« La plaine de Kachmir est, on le sait, une des contrées les plus belles de la Terre : les poètes hindous et persans l’ont chantée comme un lieu de délices et le nom même de Kachmir, repris par la tradition littéraire dans tout le monde civilisé d’Occident, est devenu synonyme de pays de merveilles et d’enchantement. Les voyageurs modernes, pourvus de tous les éléments de comparaison que leur donne l’exploration presque complète de la surface planétaire, confirment ce qu’ont dit les poètes de ce pays admirable… Le climat de Kachmir est unique dans l’Inde, et ressemble à celui de l’Europe occidentale, avec moins d’inconstance. » D’ailleurs, dans toute l’épaisseur de la région montagneuse, « des vallées comme celles du Kachmir s’ouvrent en cirques immenses où l’imagination populaire a vu des paradis habités par l’humanité pendant son âge d’or, et qui sont, en effet, des régions presque sans égales pour la salubrité du climat, la fertilité du sol, le charme et la magnificence des paysages reflétés dans les lacs et les eaux courantes, l’éclat du ciel qui s’arrondit au-dessus de l’amphithéâtre des neiges[27]. »

Tandis que, dans ces belles contrées où furent composés les plus anciens hymnes du Rig-Veda, et dans le voisinage de l’Hindou-kouch, l’abondance des pluies, jointe à la fertilité du sol, favorise la vie pastorale et l’exploitation agricole du sol par le travail libre de petits groupes indépendants, toute la vaste région qui, dans le code de Manou, porte le nom de « pays central », Madhya-desa, présente, au contraire, les caractères distinctifs de ces milieux favorables à l’histoire, tels que nous les avons déjà étudiés sur les bords du Nil et dans la « Syrie entre les Fleuves ». « La moindre irrégularité dans les balancements annuels du climat, suivant la pression atmosphérique, la marche des vents et des nuages, a les conséquences les plus graves en Hindoustan. Lorsque les pluies manquent ou se réduisent à de légères ondées, quand les rivières sont desséchées et les canaux taris, la famine est inévitable, et des millions d’hommes sont menacés de mort par inanition. Les disettes sont à craindre, surtout dans le Sindh et le Pandjab, dans le bassin gangétique et sur les côtes orientales, c’est-à-dire partout où la pluie moyenne est de 1 mètre à 1 m. 50 ; ces contrées se dépeupleraient périodiquement si les canaux d’irrigation ne permettaient de suppléer aux pluies. L’utilisation complète des eaux courantes, naissant pour la plupart en des régions où les pluies tombent en abondance, est le seul moyen d’assurer la réussite des récoltes, et, par conséquent, l’existence des cultivateurs dans le Sindh et toute la région du versant oriental de l’Inde…. Qu’une rivière se dessèche ou se déplace, les populations sont condamnées à périr, bien plus sûrement que si une armée de massacreurs avait envahi le pays[28]. »

À cette nécessité permanente de suppléer à l’insuffisance des pluies par des travaux trop importants pour être entrepris par des familles ou des communautés isolées, se rattache un second élément avec lequel nous avons aussi fait connaissance dans les autres grands bassins historiques : le remaniement perpétuel du sol par le caprice des eaux. « Une grève de cailloux cédant sur un point ou sur un autre, un tronc d’arbre qu’emporte le courant, suffisent pour que le lit se déplace ; le cours d’eau prend une direction nouvelle, et parfois vers un autre bassin… Les rivières qui descendent de l’avant-chaîne de l’Himalaya sont tellement de niveau les unes avec les autres et avec la plaine, qu’elles se rejoignent par des canaux naturels et artificiels, formant, au milieu des cultures et des forêts, un delta qui se perd, non dans l’Océan, mais dans le désert… La Djamna semble s’être dirigée autrefois vers l’Indus, fertilisant le Radjpoutana occidental… Le Sarasvati, qui se perd maintenant dans les sables, est énuméré dans le Mahabharata comme un des affluents du Gange[29]. »

Aujourd’hui il faut barrer de digues cette rivière tant célébrée par les psalmistes du Rig-Veda, afin d’y conserver assez d’eau pour que puissent s’y plonger les pèlerins, accourus de toutes les parties de l’Inde. Les rédacteurs brahmanes du code de Manou se rendaient sans doute bien compte des particularités topographiques de la contrée, lorsqu’ils divisèrent l’Aryavarta, c’est-à-dire le pays entre l’Himalaya et les monts Vindhya, en Madhya-desa (pays central) et en Ouditchia-desa (pays de gauche), ce dernier comprenant la région ondulée, depuis les brèches de l’Indus en amont du Kophès, jusqu’aux sources de la Ganga et de la Tchogra. Les premiers germes de l’influence aryenne ne pénétrèrent que beaucoup plus tard, sous le deuxième Rama, dans le « pays de droite » ou Dakchina-desa, le Dekkan.

Le Madhya-desa comprend deux régions géographiques distinctes : l’une, l’occidentale, s’étend bien loin en amont du confluent de l’Indus et du Satledj, sur le fond d’une ancienne mer, et forme une partie du Radjpoutana et le bas Pandjab de la division actuelle ; tandis que jusqu’au temps des poèmes épiques, les documents sanscrits le représentent comme arrosé par sept rivières (sapta sindhou). On en reconnaît sans peine cinq dans l’Indus et le Satledj avec les affluents de celui-ci : le Djilam avec le Tchinab et le Ravi ; la sixième, la célèbre Sarasvati, serait le Gaggar qui, au lieu de se jeter dans la Ganga, coule aujourd’hui vers l’ouest-sud-ouest, mais sans parvenir à rejoindre le Pantchanada, c’est-à-dire l’espèce de Chat-el-Arab par lequel les quatre affluents himalayens versent actuellement leurs eaux à l’Indus. La septième des rivières védiques, la Drichadvati, ne peut être identifiée avec aucun des cours d’eau permanents de l’époque présente : on croit en retrouver les traces dans un ouadi parallèle au Gaggar supérieur. La région orientale du Madhya-desa — le bassin de la Djamna (Yamouna) et du Gange — composée aussi de terrains d’alluvions à faible pente et arrosée de rivières coulant dans la même direction, est un peu plus élevée que l’occidentale ; elle offre l’aspect d’une immense vallée ondulée très légèrement. Entre les bassins de l’Indus et du Gange, le seuil de partage ne dépasse pas 250 mètres d’altitude, c’est-à-dire une vingtaine de mètres à peine au-dessus des eaux moyennes de la Djamna.

C’est la partie occidentale du Madhya-desa qui fut


No 7. Travaux d’irrigations dans les bassins indo-gangétiques.

le théâtre de l’histoire aryenne de l’Inde pendant toute la durée des temps védiques. Les poètes du Rig-Veda n’ont qu’un fleuve, le Sindhou (Indus) ; un seul de leurs hymnes fait mention du Gange. À l’époque brahmanique, au contraire, le rôle sacré passe à la Boura-Ganga, et tout le pays de l’ouest semble confondu dans une même réprobation. Ces deux courants, le courant indo-satledjien et le courant djamno-gangétique, se mêlent longtemps sans se réunir : la différenciation rigoureuse des castes et les privilèges exorbitants des brahmines appartiennent aux siècles de la prédominance gangétique.

Malgré la rareté des documents, malgré les altérations évidentes que ceux-ci ont subies entre les mains des brahmanes de l’époque postérieure, on peut suivre les envahisseurs aryens dans leur marche progressive du nord-ouest vers la Samoudra, vers cette informe région où l’Indus va se perdre dans une mer de boue après avoir frôlé les sables du désert. À mesure qu’ils s’éloignent des heureuses vallées du haut pays, cette superbe confiance en eux-mêmes qui leur inspira leurs plus beaux hymnes s’affaiblit peu à peu ; à la joie de vivre libres sous un ciel clément, au milieu de riches pâturages et de champs fertiles, succède la crainte de manquer de pluie. Le père de famille, et, au besoin, la mère, invoque encore pour son propre compte et n’écoutant que son inspiration, les divinités distributrices des biens, mais le culte se détourne de plus en plus d’Agni et de Soma, les paisibles patrons du foyer, pour importuner Indra, le dieu atmosphérique, et Roudra, le chef souverain des vents (Marouts), qui, à la voix tonnante de l’orage, vont traire les nuées, les « vaches célestes », pour arroser les semailles des Aryas. On affirme encore, il est vrai, que la prière chantée par un vaïcya vaut bien celle d’un deva, si elle procure la pluie et la richesse, mais on commence à accorder plus de crédit aux chants composés par quelque psalmiste de race, par quelque descendant des Richi des temps anciens. Les prêtres ont fait leur apparition ; il y en a même de deux autels : ceux d’Agni et ceux d’Indra, « qui sont les uns aux autres d’irréconciliables ennemis que le soma surexcite[30] ».

Les Aryas avaient toujours connu la division de la société en cinq classes, Pantcha manoucha : serviteurs, maîtres, guerriers, inspirés et seigneurs[31], mais, aux beaux temps védiques, aucune de ces classes ne dominait les autres. « Dans le combat, nous dit un ancien chant sacré, Agni peut favoriser un Arya obscur et pauvre et le faire triompher. » Mais la division s’accentue à mesure que change le milieu, et, bien avant la fin de l’époque védique, nous voyons déjà le Maître : non point le Viçpati électif des temps passés, mais le des-pote qui s’impose, « le mâle qui rompt les résistances pudiques de la vierge et libre communauté[32] ». Dans l’Aryavarta, la royauté précéda de plusieurs siècles la constitution de castes et la toute-puissance brahmanique ; le passage suivant du Mahabharata[33] nous montre que la conception aryenne de l’autorité ne différait en rien de celle qui s’imposa sur les bords du Nil, du Tigre et de l’Euphrate : « Du roi dépend le devoir,… du roi dépendent les cérémonies des sacrifices ; des sacrifices dépendent tous les dieux ; des dieux la pluie dépend ; de la pluie, les herbes de la terre, et des herbes comestibles dépend le bien physique éternel de l’homme. » Dans nul autre pays peut-être, ce que nous voudrions appeler la genèse psychologique du despotisme n’a été révélée avec la même précision et la même clarté et, chose étrange, lorsque, dans l’Inde, le pouvoir royal a été considérablement amoindri de fait et rabaissé au-dessous de celui des prêtres, cette conception de la royauté s’est à peine modifiée au fond. On lit dans le code de Manou, la clef de voûte pourtant de tout le système brahmanique, que le roi est formé de « particules tirées de l’essence des dieux principaux… Non seulement il surpasse en éclat tous les autres mortels, mais c’est une grande divinité qui réside sous cette forme humaine ». De la comparaison d’un grand nombre de chroniques locales de l’Inde, A. du Bois de Jancigny conclut que les Hindous considéraient leur roi, non comme un homme favorisé des dieux, mais comme un être supérieur divinement inspiré : les dieux sont les auteurs de ses actions. « Le roi était, pour ainsi dire, la royauté personnifiée, qui n’avait besoin que de son nom, et qui pouvait être ornée ou souillée par ses qualités personnelles, mais jamais affaiblie… Les rois ne sont pas plus coupables en exerçant des cruautés, que ne l’est le lion ou le tigre en assouvissant sa rage et sa faim dévorante[34]. » Certains textes du Mahabharata donneraient même à penser que les Hindous admiraient la férocité dans un roi, comme nous le faisons pour un chien de garde.

On a souvent comparé au Nil l’Indus qui répand ses eaux sur le désert, et le fertilise en partie par ses crues périodiques. On pourrait dire aussi que le Pandjab est une Égypte en miniature, entourée de quatre ou cinq Mésopotamies. Ce morcellement du territoire empêchait la formation d’une unité politique, tout en favorisant la création des despoties locales, se rattachant chacune à quelque héros légendaire, le Radja Taranjini[35], par exemple, ou le patriarche Kacyapa, qui régularisaient le cours des eaux, jetaient des chaussées gigantesques d’une montagne à l’autre ; ou Vaçou, fondateur du royaume de Magadha, qui perça le mont Kôlàhala pour délivrer la déesse-fleuve Çouktimati. Ces royautés pandjabiennes devaient bien, à l’occasion, se liguer contre quelque ennemi commun, mais, de ces coalitions, l’histoire locale nous offre peu de traces ; le plus souvent les chefs se traitaient les uns les autres en véritables dacyous, et le roi qui soumettait à son pouvoir plusieurs de ses rivaux prenait le titre de Samradj. Un despote des Magadha réussit le premier, semble-t-il, à réunir sous son sceptre toutes les tribus de l’Aryavarta occidental, y compris la partie supérieure du Douab djamno-gangétique. La capitale définitive de cet empire, né dans le bassin de l’Indus, fut Hastinapoura.

Les deux grands bassins de l’Aryavarta, on le sait, ne sont séparés par aucune barrière naturelle, si basse soit-elle, et les conditions du problème fondamental de la régularisation des eaux sont à peu près identiques dans les deux pays. Il tombe bien, en moyenne, un peu plus d’eau dans la vallée du Gange, de la Djamna jusqu’à Bénarès, que dans celle de l’Indus, mais la quantité de pluie qu’elle reçoit n’est pas suffisante pour assurer les récoltes : dans les bonnes années, il est vrai, la fertilité du sol y est au moins égale à celle de l’Égypte et de la Mésopotamie ; aussi l’Aryavarta oriental fut-il, de tout temps, une contrée peuplée au maximum, et, par suite, les sécheresses et les famines devaient y être au plus haut degré meurtrières. Un réseau de canaux soigneusement entretenus est indispensable pour maintenir dans leur lit la changeante et capricieuse Djamna avant sa jonction avec le Tchambal, et le Gange en amont de son confluent avec la Djamna.

L’histoire de ce vaste pays ne débute pour nous, à une époque indéterminée, qu’à la fondation de la grande despotie des Tritsou, dont le chef Sonidas est mentionné dans le Rig-Veda[36] comme l’adversaire des rois du Pandjab. Les Tritsou, à leur tour, furent éclipsés par les Bharata[37], descendus des hauts plateaux du Tchambal, qui établissent leur capitale à Ayodhia (Oud) sur la Tchogra, au centre même de la vallée du Gange.

L’étendue de l’Aryavarta oriental, la fertilité exubérante de son sol, son moindre morcellement en bassins isolés favorisaient la fondation d’un vaste empire, bien plus que ne le faisaient les conditions naturelles des cinq mésopotamies du Pandjab. Bientôt les rois des Bharata dépassèrent leurs rivaux au point de mépriser le titre honorifique de Samradj ; ils prirent celui de Savadamana ou de Tchatravartin, c’est-à-dire de « dominateurs de la Terre entière, de l’une à l’autre des mers[38] » (du golfe de Bengale au golfe d’Oman) ; et, dans la terminologie brahmanique, l’Inde entière est appelée Bharata-desa (le pays des Bharata).

La civilisation gangétique a-t-elle été plus précoce que son émule occidentale ? On ne saurait l’affirmer ; dans tous les cas, les riches vallées des bords du Gange et de ses grands affluents ont dû atteindre de bonne heure un degré supérieur de culture et de raffinement. Le Pandjab est resté jusqu’à ce jour pauvre en grosses villes, tandis que, dès la plus haute antiquité, on voit surgir dans l’Aryavarta oriental les opulentes cités d’Indraprachta, de Pratichtana, d’Ayodhia, de Varanasi ; Hastinapoura, devenue capitale de l’empire pandjabien de Magadha, avait été, d’après la tradition, fondée par un roi des Bharata.

Donc, à l’aurore des temps historiques, une différence, une seule, mais capitale, entre l’Égypte et l’Inde : sur les bords du Nil règne un seul absolu pharaonique ; dans l’Hindoustan, nous en voyons deux, luttant l’un contre l’autre avec des chances presque égales à première vue. Car, malgré sa supériorité de sol et de climat, le bassin djamno-gangétique a aussi ses désavantages. Enclavé, au nord, dans la région nauséabonde des teraï, il est envahi, à l’est, par les miasmes meurtriers qui soufflent des domaines de la terrible Kali ; les serpents les plus venimeux se coulent sous ses herbes luxuriantes[39] ; le tigre royal hante ses jongles ; les tribus sauvages le menacent, au nord, des hauteurs qui dominent le Brahmapoutra, au sud, des collines qui séparent le delta du Gange et le bassin de la Mahanadi. Enfin, « le séjour des Marouts n’est-il pas à l’est de la Yamouna[40] » ? Ces Marouts, c’est-à-dire les vents qui, dans le Pandjab, trayent complaisamment les vaches célestes au-dessus des champs des Aryas, deviennent, dans les pays gangétiques, les terribles cyclones dont un seul a parfois coûté la vie à plus de cent mille hommes. Plus terribles encore ces famines qui emportent en quelques mois plusieurs millions d’Hindous. Dans nul pays plus que dans l’Aryavarta gangétique, l’homme n’a dû se sentir le prisonnier éternel de la nature, maîtresse puissante et généreuse qui, à certains moments, prodigue à ses serviteurs les trésors les plus convoités, mais aussi dont les colères sont puissantes, effroyables. Aucun autre milieu ne fait mieux comprendre que vie et mort, bien et mal sont deux fleurs sur la même tige. Délivrez la vallée du Gange de ses cyclones destructeurs, son climat deviendra partout celui des teraï malfaisants ; le tigre « mangeur d’hommes » protège les récoltes contre les myriades de rongeurs qui extermineraient par la famine la foule pâle des indigènes. Au sein de cette indomptable nature, les paisibles herbivores, les insectes, la jongle et les folles herbes sont les fléaux les plus redoutables.

Nous avons vu, par suite de l’évolution du temps, l’absolu pharaonique de l’Égypte se diviser en deux parties distinctes, le temporel et le spirituel, qui ne tardèrent pas à lutter avec acharnement ; mais, sur les bords du Nil, la caste des prêtres ne réussit pas à s’assurer un triomphe durable. Tout autrement dans l’Inde : bien avant la fin de la période védique, l’usage s’était établi, pour les rois comme pour les simples particuliers, de remettre les fonctions sacerdotales du père de famille à des pourohita, descendants de quelque illustre poète de l’antiquité, ou à un chantre dont l’hymne[41] avait attiré la protection des dieux dans quelque grave circonstance publique ou privée. La classe des hiérophantes gagnait en influence à mesure que le rituel prenait une forme plus arrêtée et que des cérémonies particulières et complexes, comme l’Açvameda ou sacrifice du cheval[42] s’ajoutèrent aux libations de soma qui résumaient l’ancien culte des Aryas. Les souverains n’avaient pas encore abdiqué leurs fonctions sacerdotales, que nous les voyons déjà entourés de pourohita nombreux ; mais le zèle des prêtres pour la faveur royale témoigne suffisamment de leur rôle subordonné. « Le roi devant lequel marche le prêtre, seul demeure solidement établi dans sa propre maison ; à lui la terre obéit en tout temps ; devant lui le peuple s’incline…. Le roi qui donne la richesse au prêtre implorant sa protection, ce roi-là conquerra sans résistance les trésors, soit de ses ennemis, soit de ses amis, car les dieux le protégeront[43]. » Mais dans l’Hindoustan, la classe des prêtres, une fois constituée, ne garde pas longtemps, comme en Égypte, cette situation secondaire ; partout où l’occasion s’en présentait, elle se posait en adversaire du pouvoir royal, et l’occasion ne manquait point dans ces contrées du Gange où, malgré les efforts de tant de générations mortes à la tâche, l’homme ne parvenait pas à maîtriser la nature. Bien avant la fin des temps védiques, on voit les pourohita lutter à outrance contre les rois soutenus par les Kchatryas. Malheureusement les rares documents parvenus jusqu’à nous ont été mutilés ou défigurés par les brahmanes de la période postérieure, et présentent un fouillis inextricable de contradictions, de mensonges, de réticences pieuses. Dans le Rig-Veda, cette lutte se rattache à la rivalité de Vacichta, pourohita d’un roi gangétique, et de Viçvamitra[44], que les interpolations brahmaniques cherchent à faire passer aussi pour un personnage sacré, mais qui semble avoir été plutôt un puissant monarque du Pandjab. Ces deux hommes se disputent la possession de Sabala, vache mystérieuse qu’il suffit de traire pour obtenir la satisfaction de tous les désirs. Cette vache appartient au prêtre, mais le roi veut se l’approprier, de par son droit absolu de souverain. À la tête de puissantes armées, il attaque son rival ; au seul nom de Vacichta, son possesseur légitime, la vache divine fait sortir, des différentes parties de son corps, des peuplades entières qui détruisent les guerriers de Viçvamitra, et le prêtre se défait des cent fils de son ennemi par le houmkara, c’est-à-dire par la simple répétition de la syllabe houm, qui a une si grande importance dans les pratiques des fakirs modernes. Le combat ainsi engagé dura plusieurs générations, puisque la Bhagavata Pourana en rapporte l’issue à la huitième incarnation de Vichnou, Paraçou Rama, Rama à la Hache, issu, par les femmes, de ce même Viçvamitra, tandis que, par son père, il appartenait à la souche sacrée des pourohita. Ce héros, qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme du Ramayana, Rama Tchandra, neuvième incarnation de Vichnou, extermina vingt et une fois de suite les Kchatryas partisans du pouvoir royal, et fit don de la terre entière aux brahmanes.

Le monde s’aperçut alors que le prêtre n’est pas fait pour le gouverner : les simples vaïcyas, voire même les çoudras infimes, enlevèrent les richesses et les femmes des brahmanes : ce ne fut partout que trouble et confusion ; la Terre consternée supplia le champion de la toute-puissance sacerdotale de rétablir la paix autour de lui. Alors, d’après les Pourana, Paraçou Rama transforma les anciennes classes en castes[45], c’est-à-dire qu’il créa la première constitution qu’ait connue le genre humain, le premier pacte par lequel les diverses classes sociales se soumirent à un ordre établi, résultat des luttes sanglantes où se dessécha la sève vitale des populations indo-gangétiques. Dans l’accroissement du pouvoir des prêtres, l’Inde trouvait un contrepoids à la toute-puissance royale ; les castes déshéritées se courbèrent sous ce double joug, espérant perpétuer un équilibre si péniblement acquis, et ne plus voir renaître d’interminables combats.

Arrivée à la limite extrême de la période fluviale des civilisations, la nation hindoue, enfermée dans son milieu sans issue, se résigne à la mort dans l’histoire pour se livrer à l’extase contemplative des fakirs, cette plante éclose spontanément du sol gangétique. De nos jours, le régime rigoureux des castes ne fait loi que dans l’Aryavarta oriental, tandis que sur l’Indus, radjpoute ou kachmirien, on entend encore les derniers échos des traditions védiques et kchatryennes.


  1. D’après Wheeler, History of India, t. I, les plus anciens monuments du pays seraient les ruines attribuées au roi Açoka, le Constantin du bouddhisme. Ferguson, dans son History of Architecture, dit formellement que les Hindous ont appris des Grecs de la Bactriane l’art des grandes constructions. Cf. Tree and Serpent worship, et Lecture on Indian architecture du même auteur. — Mme Manning, dans son Ancient and Mediæval India, t. I, affirme que les premiers architectes de l’Inde furent les artistes grecs qu’Alexandre y laissa, vers l’an 326 avant Jésus-Christ.
  2. Rájendalála Mitra, Antiquities of Orissa. Cf. aussi the Indo-Aryans, t. I. du même auteur.
  3. Les Pourana, livres historiques de l’Hindoustan, sont tous d’une époque relativement moderne.
  4. Ce nom de Manou, imposé au premier code brahmanique de l’Inde, indiquerait qu’on n’en attribuait pas la rédaction à un personnage déterminé. Manou, en effet, signifie le « Mesureur », l’« Homme ». N’était le respect de la nomenclature établie, il serait peut-être préférable île traduire Manava dharma sastra par « Règles de la Justice humaine ». Déjà, dans le langage védique, Manava, Manoucha est employé dans le sens de « humanité » en général ; Dharma est la règle de la justice et de la sagesse.
  5. Celles de Kapila, Patandjali, Djaïmini, Vyaça, Gautama, Kanada.
  6. a et b Max Müller. Essais de Mythologie comparée.
  7. Je dois dire cependant que le bouddhisme n’a point, à l’égard des castes, ces ménagements que l’on rencontre si souvent dans saint Paul, par exemple, envers l’esclavage. La religion de Çakya Mouni affirme hautement que les hommes sont égaux et que les castes sont une iniquité : à ce dogme surtout il doit ses succès en Chine et en Mongolie.
  8. C’est le chiffre donné par Mégasthène qui n’avait vu cependant qu’une faible partie de l’Inde.
  9. « Mieux vaut être assis que debout, et couché qu’assis. Mieux vaut être mort que vivant ! » dicton des plus populaires chez les bouddhistes. Le but suprême de leurs aspirations, le nirvana, tend à l’anéantissement de toute action, de tout désir, de tout l’être, en un mot.
  10. L’hymne 89 du Rig-Veda, X, appelé Pouroucha-Soukhta : on le croit contemporain des Brahmana et des Oupanichad. Cf. Em. Burnouf, Bhagawata Pwana, t. I (préface) ; S. Roth, Brahma und die Brahmanen, dans Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, t. I, 1878.
  11. Le nom neutre brahmàn, avec l’accent tonique, est employé dans le Rig-Veda avec le sens de « prière », de « ce qui est révélé. » On y rencontre aussi le mot brahmân, avec l’accent sur la dernière syllabe : il signifie l’homme qui dit des prières à haute voix, mais n’a pas encore l’acception de prêtre de naissance ou de caste. (Max Müller, Essais sur l’Histoire des Religions, traduits par G. Harris.)
  12. L’Inde védique.
  13. Hymnes du Rig-Veda.
  14. Cf. Birdwood, the Industrial arts of India. « Je suis ouvrier, mon père est médecin, ma mère meunière : nos fonctions sont diverses et nous désirons le gain comme les vaches de l’orge. » Hymne au Soma, cité par Girard de Rialle dans ses Études védiques.
  15. Déjà, dans le liv. I du Rig-Veda. — L’hymne iv du livre II célèbre Indra qui détruit quatre-vingt-dix-neuf villes des Dacyous, réservant la centième à son protégé, l’Aryen Divo-dasa.
  16. Rig-Veda.
  17. Marius Fontaine, ouv. cité.
  18. Les hymnes du Rig-Veda ne sont pas rigoureusement classés par ordre chronologique ; mais, en général, les premiers livres ont un caractère beaucoup plus archaïque que les derniers.
  19. Cette racine s’est conservée dans le slave vés (village) et dans le lithuanien viespati (roi, souverain).
  20. Ch. Lassen ; Max Müller ; Hunter, Annals of rural Bengal. À Ceylan, daça s’emploie encore aujourd’hui dans le sens de « vilain », « esclave ».
  21. L’Arya était fier de son nez régulier. Il honorait Indra du qualificatif de sousipra » au beau nez. ».
  22. Ch. Lassen, ouv. cité.
  23. Cf. Ém. Burnouf, Essai sur le Véda ; A. Maury, la Terre et l’Homme ; de Quatrefages, Matériaux pour servir à l’histoire de l’Homme, cinquième année, p. 357 à 369. — Cf. sur les castes la belle page de Max Müller dans ses Essais.
  24. Reproduit par J. Muir : Original sanscrit texts, etc. Part. 1, the Mythical and legendary account of Caste.
  25. On naît selon la chair une première fois ; une seconde fois selon l’esprit, par la soumission au régime brahmanique.
  26. Kali-kata, dont les Anglais ont fail Calcutta, « séjour de la déesse de la Mort », est un nom qui, à bon droit, pourrait s’étendre à tout le delta gangétique.
  27. Élisée Reclus, ouv. cité, t. VIII.
  28. Élisée Reclus, ouv. cité, t. VIII ; cf. aussi Rob. B. Buckley, Irrigation works India.
  29. Élisée Reclus, ouv. cité.
  30. Texte védique.
  31. Cette division doit être antérieure à l’émigration aryenne, puisqu’elle se retrouve intégralement chez les Iraniens. À l’ouest du Souleïman-dagh, voici comme se classaient les Pantcha manoucha : les Mages (brahmanes), les Arizantes (Kchatryas), les Buxos (Vaïcyas), les Struchates (pasteurs), et, tout au bout, les Paraïtaka, qui, comme les Tchandala de l’Inde, étaient regardés comme vivant en dehors de l’humanité.
  32. Rig-Veda.
  33. Adi Parva, 1720, 1721.
  34. A. du Bois de Jancigny, Histoire de l’Inde ancienne et moderne.
  35. Ce nom signifie « Torrent royal ».
  36. Cf. tout ce qui s’y rapporte à la lutte entre Visvamitra et Vacichta, le pourohita du roi des Tritsou.
  37. D’après le Ramayana, le fondateur de l’empire des Bharata fut un frère puîné de Rama-Tchandra, de la dynastie lunaire, neuvième incarnation de Vichnou.
  38. Chr. Lassen, Indische Allerthumskunde.
  39. Le cobra (Naja tripudians), le Daboia Russellii. Jos. Fayrer évalue à 200 000 le nombre des victimes connues des serpents dans la décade de 1871 à 1880. L’année 1880 seulement nous donne le chiffre officiel de 18 610 morts.
  40. Texte védique.
  41. « Un hymne par lequel on avait invoqué les dieux au commencement d’une bataille et qui avait assuré au roi la victoire sur ses ennemis, était considéré comme un talisman infaillible et devenait le chant de guerre de la tribu tout entière. » (Max Müller, Essais.)
  42. Il se peut que ce sacrifice, symbolique des holocaustes humains, fût pratiqué dès la plus haute antiquité par quelques tribus aryennes ; les autres ne la connurent que plus tard.
  43. Rig-Veda, IV, I. 8.
  44. D’après Chr. Lassen, Indische Allerthumskunde, Viçvamitra était roi de Kanyakouldja, ville des Magadha. Certains documents brahmaniques reconnaissent son origine royale ou guerrière, mais prétendent qu’il s’était acquis les privilèges de la nature brahmanique par des pratiques d’un ascétisme au-dessus de toute description.
  45. Ém. Burnouf ; Chr. Lassen, ouv. cités.