La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 203-206).

ÉROS


 
Éros, éclatant vainqueur,
Dont la puissance féconde
Domine et règle le monde,
Éros, ô dompteur du cœur !

Lançant par toute la terre
Des traits de feu frémissants,
Tu soumets les plus puissants,
Comme aussi le plus austère.


Dans la splendeur du matin
Quand, à travers les espaces,
Vêtu de flammes, tu passes
Aux sons d’un luth argentin,

L’univers entier tressaille,
La mer, le sol ont frémi ;
Des chants s’élèvent parmi
Les vagues et la broussaille.

Car souveraine est ta loi,
Dieu de force et de lumière ;
Le palais et la chaumière
Te nomment leur jeune roi.

Partout, sentant ta présence,
L’homme dresse des autels,
Et même les Immortels
Reconnaissent ta puissance.

La nuit, pour te reposer,
Tu choisis les tendres joues
D’une vierge, et tu t’en joues
En l’éveillant d’un baiser.


Elle alors, sous tes caresses,
Frissonne amoureusement ;
Ses lèvres, son sein charmant
Sous tes lèvres tu les presses.

Soudain, tu l’enchaînes, puis,
Ouvrant tes ailes que dore
La poussière de l’aurore,
Légèrement tu t’enfuis.

Ainsi, de tous côtés, vole
Et fait naître le désir
Le dieu qu’on ne peut saisir,
L’enfant cruel et frivole.

Quand, sur les monts éclatants,
Fleurit la molle hyacinthe,
Quand la forêt brille, ceinte
Des guirlandes du printemps,

Abandonnant Chypre, l’île
Aux couronnes de gazon,
Et l’antre où chaque saison
Loin des êtres il s’exile,


Le dieu qui vit dans les fleurs,
Le folâtre, l’insensible,
S’élance, prenant pour cible,
À ses traits subtils, les cœurs.

Éros, première des causes,
Ô père du mouvement,
Éros, Désir immanent,
Force attractive des choses !

Par toi, les terres, les eaux,
L’univers entier s’anime ;
Tu fais tressaillir l’abîme
Et l’ordre naît du chaos.

L’espace que tu fécondes
Frémit sous ton souffle ardent ;
Et dans les cieux l’on entend
Le chant lumineux des mondes.