La Chute du Christ/Avertissement des éditeurs

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AVERTISSEMENT


DES ÉDITEURS


Les pages suivantes sont l’œuvre d’un poète anglais, à qui sa situation personnelle et les préjugés nationaux défendent pour l’instant de publier l’original dans son pays. L’auteur, réduit à faire connaître son poème en France, dans la patrie de la liberté religieuse, a du moins fait tous ses efforts pour que sa conception philosophique et sa réalisation poétique ne fussent pas trop amoindries par leur translation en une langue étrangère. Il a veillé à ce que la traduction fût aussi littérale que possible et l’a soigneusement révisée.

C’est cette traduction que nous offrons au public, persuadés que dans la crise religieuse qui nous agite, ce poème, de sentiment biblique et de pensée positive, combinaison tout anglaise de Milton et de Spencer, trouvera même en France, surtout en France, nombre d’esprits préparés pour le comprendre.

Cette œuvre étrange est inspirée d’une admirable prophétie d’Isaïe, qui montre Nabuchodonosor descendu aux enfers après tous les rois dont il a précipité la ruine, et salué par leurs huées triomphales : Ergo vulneratus es sicut et nos, factus es similis nostri. — « Te voilà donc blessé comme nous, te voilà donc semblable à nous. » L’auteur a transporté la scène, des rois d’autrefois aux dieux d’autrefois, et de Nabuchodonosor au Christ. Le Dieu chrétien, tué à son tour par l’homme, après tous les dieux que l’homme avait autrefois tués pour lui, vient rejoindre dans l’enfer ses victimes, qui le saluent par le même cri de vengeance : Ergo vulneratus es sicut et nos… De cette fiction audacieuse le poète dégage une grande pensée, l’écoulement éternel de la matière divine, la souveraineté de l’homme sur ses dieux qu’il crée, puis qu’il détruit, et il essaie d’entrevoir le destin futur de l’humanité, veuve du Christ.

La Bible étant en France un livre plus célèbre que connu, nous croyons utile de donner la traduction du passage dont le poème est inspiré, traduction faite également sous les yeux de l’auteur :

paroles sur la chute du roi de babylone

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5. Le Seigneur a brisé la verge du méchant, le sceptre de l’oppresseur ;

6. Celui qui frappait les hommes avec fureur de coups sans trêve, qui foulait les peuples avec rage d’une poursuite sans relâche.

7. En paix et en repos la terre entière ! Cris de triomphe qui éclatent !

8. Jusques aux cyprès qui sont dans la joie et les cèdres du Libanon : « Puisque te voilà à terre, la cognée ne montera plus sur nous ! »

9. Et le Schéol dans l’abîme a frémi et court à tes devants ; il réveille les Rephaïm, tous les mâles rois de la terre ; il soulève de leurs trônes tous ceux qui ont régné sur les hommes.

10. Et tous de concert te crient : « Te voilà donc blessé comme nous, te voilà semblable à nous !

11. » Descendues au Schéol ta splendeur et la voix de tes lyres ! Sous toi s’étend le ver pour ta couche et sur toi le ver pour ta couverture.

12. » Comment es-tu tombé du ciel, astre de lumière, Fils du matin ? Comment as-tu été abattu à terre, toi qui écrasais les nations ?

13. » Tu te disais : « Je monterai au ciel, par-dessus les étoiles divines j’élèverai mon trône, et je trônerai sur la Montagne de Réunion[1], dans les flancs du Nord.

14. » Je monterai sur le faîte des nuées et je serai comme le Tout-Puissant ! »

15. » Et te voilà descendu au Schéol, dans les flancs de l’abîme.

16. » Et ceux qui te voient, te regardent, t’examinent, et disent : « Quoi ! c’est là celui qui faisait trembler la terre et frissonner les empire ! »

(Isaïe, XIV, 5, sq.)
  1. La montagne où siègent réunis les dieux.