La Chouette, par M. le baron E. de N⋆⋆⋆⋆

Chez Barba, Libraire.
LA
CHOUETTE.
POÈME.
Par M. Le Baron E. de N****.
On produit, on imprime et on lit tant et plus,
Donc les mauvais écrits ont chance d’être lus.
PARIS,
chez barba, libraire,
palais-royal,

1839.

préface.

Voyant cette pompeuse annonce,
Poème, alors on y renonce ;
Dans sa lecture on craint de s’engager :
Lecteur, n’ayez souci de cette espèce,
Mon œuvre n’est point une pièce
Qu’à son titre on puisse juger.

réponse.

Non, je n’ai pas peur d’un poème.
D’une élégie il en serait de même ;
Ainsi, pauvre auteur, ce n’est pas
De là d’où vient mon embarras :
Mais c’est de la chouette, oiseau des plus funèbres,
Et dont le seul aspect me ferait reculer ;
En la voyant j’oserais parier
Que ton œuvre doit être une œuvre de ténèbres.

LA
CHOUETTE.
POÈME,
I.
LE PROJET.

Quelle muse invoquer pour rendre cette fable
Ou plutôt cette histoire à chacun profitable,
Je pourrais, comme aucuns, saisissant mes pinceaux,
Crier à plein gosier : Chantre des animaux,
Ô sublime, ô naïf, ô divin La Fontaine,
Répands sur mes écrits… ! — Vraiment, tu me fais peine,
Me dirait le bonhomme ; ami, dans mon tombeau
Laisse-moi reposer ; où le prends-tu si haut ?
Vas sur ledit tombeau, lis en mon épitaphe
Les quatre derniers vers… Sinon vois la girafe
À la ménagerie, afin d’examiner
Les mœurs des animaux avant d’en raisonner,

Promène tes loisirs et ne fais point de livre.
Le conseil est fort bon, que ne puis-je le suivre !
Ça, je commence, et dis, dût-on le prendre à mal,
De tout être animé hormis de l’animal,
La superstition et la force brutale,
D’où naissent l’ignorance et la grossièreté,
Maintiennent sous leur joug la triste humanité ;
La raison les combat, la lutte est inégale ;
On doit en convenir, en ce siècle vanté
Les méchans et les sots sont en majorité.
Une chouette était au trou d’une masure,
Tranquille, elle habitait en cet humble réduit,
Lons-temps elle suivit l’instinct de sa nature,
Se défiant de tout, ne sortant que la nuit.
Tout allait à souhait, quand notre infortunée
Concevant d’elle-même une orgueilleuse idée.
Se dit : Toujours à bien ma raison me conduit.
Or, sa raison lui fit oublier la prudence,
Et l’on verra bientôt ce qu’elle en recueillit.
C’est alors que songeant à la grande puissance
De l’homme, à son esprit à bon droit redouté,
Elle s’imagina, captant sa bienveillance
Sur le beau sentiment de la reconnaissance
Fonder tout l’avenir de sa sécurité,
Sans trop considérer s’il était praticable,
Ce projet lui parut utile et profitable ;

Mû par un sort fatal, le faible en son malheur
En cherchant un appui rencontre un oppresseur.
L’homme a bâti mon domicile,
Je lui dois ce modeste asile,
Se dit-elle, j’y trouve un abri, c’est assez,
Et j’ai le cœur trop bien placé
Pour payer ce bienfait par de l’ingratitude ;
Soyons plutôt amis, car, j’ai la certitude
Qu’il me veut quelque bien, et je crois qu’en ceci
Je ne m’abuse pas, la preuve, la voici,
Je vais la donner tout à l’heure.
Je ne veux point agir comme ces animaux
Qui guerroient contre lui, sans cesse, sans repos,
J’en reviens à ma preuve. Au pied de ma demeure
L’homme a fait croître un espalier,
Deux pêchers, trois poiriers, et un abricotier,
Arbres en plein rapport et de belle apparence.
Étalent de leurs fruits la précoce abondance,
De la belle saison tous les ans au retour
Mon maître s’en vient chaque jour…
Quoi ! mon maître, ai-je dit ? hélas ! pauvre pécore,
Je ne m’en dédis pas, je le redis encore,
Mon maître ! hélas ! pour prix de ma soumission
Obtiendrai-je de toi secours, protection ?
Je sais pourtant déjà que, loin de me maudire,
Certain jour, jour heureux ! je te vis me sourire,

Lorsque tu m’aperçus rentrer à mon logis,
Portant au bec une souris :
Cet animal friand de tes fruits se régale :
Je venais de le prendre à l’aube matinale,
Le long de ton verger ; il serait scélérat,
Le service rendu de devenir ingrat.
Vois ! pour te conserver des fruits que je dédaigne,
Je combats le mulot, détruis la musaraigne.
Tu dis un certain soir, je donnerais six francs
À qui me détruirait ce nid de moineaux francs ;
Je t’entendis, la nuit à peine était tombée
Que déjà toute la nichée,
Père, mère, avec les petits
Étaient croqués, anéantis ;
Ainsi j’expédiai toute cette canaille,
Et de leur nid tu vis la paille,
Qui çà et là volait, jonchant tout le guérêt.
Pour moi, modeste et sans apprêt,
Je ne vins pas chercher le prix de ce service !
Oh ! non ! mais en ton cœur tu me rends bien justice,
Tu te dis : protégeons cet utile animal,
Car il m’a toujours fait du bien, jamais de mal ;
Plutôt que de souffrir que jamais on m’opprime,
Qui, tu t’escrimerais et de quarte et de prime :
Nous pourrions entre nous contracter au besoin
Un solide traité où, te chargeant du soin

De veiller sur mes jours, je ferais la promesse
D’exterminer des rats la dévorante espèce ;
Tu… tu… Notre chouette à ce mot s’endormit,
Songeant réaliser cette espérance folle ;
Si tu n’en fais autant, ô lecteur bénévole,
Tourne la page et poursuis mon récit.

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II.

RENCONTRE. AVANCES. DÉCEPTION.

Ces pauvres animaux sont pleins d’insouciance,
Ah ! ne les plaignons pas, ils sont peut-être heureux ;
Si le don de l’intelligence,
Leur eût été transmis, quel avenir affreux !
Un taureau qui rumine, un pigeon qui roucoule.
Quel est leur sort, grands dieux, j’en ai la chair de poule ;
Pourraient-ils affronter un supplice pareil,
S’ils le savaient ? oh non, le refuge à leur peine,
L’oubli de tous leurs maux ce serait le sommeil,
Le sommeil seul allégerait leur chaîne.
Or, quelque peu, quoique réfléchissant,
Notre chouette était de l’espèce animale,
Nulle appréhension, nulle crainte fatale

Ne la saisit en s’éveillant ;
Comptant de bonne foi sur l’amitié de l’homme,
Au contraire elle avait dormi d’un très-bon somme.
Elle se réveilla pourtant et fit un bond
Croyant entendre le canon
Des remparts d’une citadelle,
Elle ouvrit de grands yeux et vit une chandelle,
Deux, puis trois, ressemblant à des feux incertains
Qui circulaient par les chemins.
Bref, le nombre augmentant, elle en crut voir un mille,
Et dans ce hameau si tranquille,
Des chants, des cris confus, des hommes rassemblés,
Au milieu de la nuit frappent ses sens troublés.
Elle examine encor, et voit avec surprise
Que tous ces lumignons pénètrent dans l’église,
Elle s’élance alors, et d’un rapide essor
Franchissant du saint lieu le dôme à la croix d’or,
Et de la mort planant sur l’enclos solitaire.
Elle s’abat soudain au mur du cimetière :
Le porche de l’église était placé non loin,
Et les divers chemins se croisaient à ce point.
Elle apprit que c’était du Dieu Christ la naissance,
Qui de ces bonnes gens amenait l’affluence ;
Regrettant d’avoir pris l’alarme pour si peu,
Elle allait promptement s’éloigner de ce lieu,
Où tout ce bruit, ces chants, et l’éclat des lumières,

L’obligèrent maintes fois à cligner les paupières…
Ne dites pas, madame, en lisant cet écrit,
Pourquoi vint-elle là ? Pourquoi ? c’était écrit.
Le proverbe le dit, faut-il qu’on le repète,
Curieux comme femme, ou bien comme chouette.
La nôtre allait partir, quand au détour d’un mur
Elle vit s’approcher… ô ciel, c’est lui, bien sûr,
C’est mon maître, il est là, va-t-il me reconnaître ?
En m’avançant tout près il me verra peut-être ?
Oh quel bonheur ! il faut saisir l’occasion,
Qui, je veux m’en donner la satisfaction,
Et ce sera pour lui jouissance complète.
Voilà donc, dira-t-il, ma gentille chouette.
Son maître, accompagné de son jeune garçon,
Arrivait, à l’avance ayant fait réveillon,
Ils s’étaient oubliés, et mes retardataires
S’en venaient très-pressés de faire leurs prières,
De leur marche obligés de modérer l’ardeur,
Ayant par trop choyé la vigne du Seigneur.
Les voyant approcher la chouette se dresse,
Et vous leur fait des yeux tout brillans de tendresse
Mais de ces deux flambeaux la sinistre lueur,
Perçant l’obscurité, fit une telle peur
Au jeune jouvenceau, que saisissant son père,
Regardez, lui dit-il, au mur du cimetière ;
C’est le diable, je crois ! oh, sauvons-nous d’ici ;

Le père se retourne en disant : qu’est ceci ?
Qu’y a-t-il ? Eh ! parbleu, que tu es femmelette,
Ne vois tu pas, nigaud, que c’est une chouette ?
Attends-moi ! Le voyant venir de son côté,
Notre chouette sent tout son cœur transporté
D’une indicible joie, et lui fait en silence,
Quand il est au plus près, sa belle révérence.
Le père fait un signe en étendant la main
À son fils qui lui passe un caillou du chemin,
Et de toute sa force il le lance à la tête
De l’oiseau stupéfait ; criant : maudite bête !
Il la manqua d’un doigt. La chouette debout
Le fixe d’un regard affreux, puis tout-à-coup
Elle se précipite, et du vent de son aile
Aux mains de ce manant elle éteint la chandelle.
J’éteins la mienne aussi, lecteur, il est minuit,
Et je vais me coucher ; bonsoir et bonne nuit.

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III.

LA MAISON DU GARDE. LA PAUVRE SŒUR,
LE CRI DE DOULEUR.

Si le diable n’était dans la Sainte Écriture
Je n’y voudrais pas croire, amis, je vous le jure,
Car voyez quel conflit entre lui… Mais, Monsieur,
Halte-là, s’il vous plaît, (peste ! c’est le lecteur).
Cet esprit de travers en vérité bredouille,
Relisez, mon ami, le gland et la citrouille,
Apprenez à polir et vos mœurs et vos vers,
— Merci. Notre chouette, en traversant les airs.
Avait le cœur gonflé d’une douleur amère ;
 Las ! c’était donc une chimère,
Tout ce bel avenir de paix et de bonheur,

Qu’elle avait cru fonder sur l’amitié de l’homme ;
 Hélas ! trop souvent voici comme
Lorsque que l’on obéit aux élans de son cœur…
Ah ça ! l’amour de moi fait qu’ici je m’oublie,
Car voilà de la belle et bonne hypocrisie,
 Avec les autres passe encor,
 De moi à moi ce serait duperie,
Un singe ne rit pas, lui, de sa singerie.
Raisonnons, s’il se peut, plus sensément, d’abord,
Convenons-en, l’intérêt nous domine,
Moi comme autrui. D’où me vient la ruine
De tous mes beaux projets ? Mais plus j’y réfléchis,
Plus je puis certes dire aussi moi, quel gâchis !
Enfin son intérêt, le mien, allaient ensemble,
Je mangeais ses souris, pour ce faire il me semble
Que je lui demandais de me laisser mon trou,
Et de ne me gober mes petits peu ni prou,
Enfin l’homme est vraiment un être inconcevable,
Et je crois son esprit façonné par le diable ;
 N’y songeons plus, car je m’y perds.
 Il me tournait l’âme à l’envers
Avec son gros caillou, le butor, quand j’y pense,
Aussi avecque lui n’ayons plus d’accointance,
Garde tes pêches, va, gare à tes abricots !
Ma foi j’y laisserai arriver les mulots
Tant qu’ils voudront. Raisonnant de la sorte,

À travers les taillis la chouette s’emporte.
Elle était sur un bois ; je ne sais ses raisons,
Voulait-elle quitter le séjour des maisons ?
Il lui vint en l’esprit de regagner son gîte,
Mais elle repoussa ce projet au plus vite ;
Moi, revoir cet ingrat, habiter sa maison !
Je me mépriserais moi-même, oh ! non, non, non !
Haletante elle arrive au logement d’un garde,
Et s’abat sur un toit en forme de mansarde,
Cette maison touchait à un assez grand bois,
Loin des lieux que fuyait la chouette aux abois ;
Lasse, elle s’établit au bord d’une gouttière,
En face était la rue et la porte-cochère
Qui s’ouvrait le matin pour entrer dans le parc,
En dedans de la porte était pendu un arc,
Instrument de chasseur, pour les plaisirs du maître,
Ce détail vous paraît fastidieux, peut-être,
Mais il est important de le peindre à vos yeux,
Notre chouette aussi examina ces lieux ;
Il était pleine nuit, mais notre aventurière
Y voyait en tout lieu fort bien et sans lumière,
 Or cette faculté lui fit apercevoir
Quelque chose de blanc se dessinant sur noir,
Qui était accolé à la porte cochère,
Puis certains mouvemens… Quoi ! vous tremblez, ma chère ;
 Lectrice aimable, allez, rassurez-vous,

Par hasard auriez-vous quelque peur des hiboux ?
C’en était un vraiment. La chouette atterrée
Par le pressentiment qui vint à sa pensée,
À peine peut voler vers ces funestes lieux,
Vers le gibet fatal placé devant ses yeux ;
Ô surprise, Ô terreur, qu’y voit-elle attachée
Sanglante pantelante, et la tête penchée,
C’est l’espoir de ses ans, c’est sa plus jeune sœur.
Toutes deux se quittant, l’autre soir, par malheur,
Sur un mince sujet avaient eu quelque noise,
Car la petite était un tant soit peu sournoise,
Voulant trancher sur tout et de tout décider ;
Sa sœur, de son côté, ne voulait lui céder,
Et ces fâcheux débats, ces disputes frivoles,
Souvent se terminaient pis que par des paroles,
Elles s’aimaient pourtant, quelquefois le bonheur
Apportant dans nos sens certaine lassitude,
De quereller on prend la mauvaise habitude,
C’est dans l’adversité qu’on retrouve son cœur.
Chaque sœur l’éprouva. Ma fille, mon amie,
Dit l’aînée, ah ! grands dieux ! va si jamais j’oublie
Tous mes torts envers toi, mon funeste abandon ;
Je devais te veiller jour et nuit ! quel pardon
Puis-je espérer du ciel ? Ah ! j’en serai punie
Par des maux éternels ! d’une voix affaiblie,
La petite lui dit : Je n’ai plus qu’un moment,

Je le sens, ô ma sœur, la vie m’abandonne,
Cesse de t’accuser, pour moi je te pardonne,
Profite de l’avis que te donne en mourant
Une sœur qui t’aimait, fuis le séjour de l’homme ;
Regarde, par pitié, regarde, voici comme
Ils m’ont déchirée, oui, par simple amusement,
Qui, pour se divertir, et de plus je m’attends
Encor demain matin, si bientôt je n’expire,
À voir recommencer mon horrible martyre.
Achève moi, ma sœur, prends ce soin douloureux.
Ce matin, vers midi, je dormais dans le creux
Du mur que tu connais ; d’une main ennemie
Tout-à-coup, sans rien voir, je me sentis saisie,
Le soleil tout en plein pénétrait dans mon trou,
Et cela m’est venu, ma foi, je ne sais d’où,
Où donc me portaient-ils ? je l’ignorais, n’importe ;
Ces cruels m’ont bientôt clouée à cette porte,
Par chaque aile étendue, ah ! plains mon triste sort !
Puis ils ont pris en main cet instrument de mort,
Cet arc, et le tendant à l’aide d’une corde…
Voilà qu’à ce moment je crus que la discorde
Allait se mettre entre eux, ils étaient à crier,
C’était à qui sur moi tirerait le premier :
Je n’entendis plus rien… subitement la planche
Sur laquelle j’étais, retentit d’un coup sec,
Et de bois vermoulu une poussière blanche

En sortit, me couvrant et la face et le bec ;
D’un second trait, hélas ! je me sentis percée,
Par le milieu du corps à la planche fixée ;
Et ce fut en riant que l’un de mes bourreaux
Le tira violemment, m’arrachant les boyaux.
À ce récit affreux tu frémis, ah ! ma chère !
Eh bien, ce ne fut pas la fin de ma misère ?
Il en partit encor trois, quatre, cinq, dix !
Enfin tu vois l’état dans lequel ils m’ont mis,
Que leur avons-nous fait ? toi, moi, pauvres chouettes ?
Que du bien, nous mangeons les souris, les belettes,
Sais-tu pour quel motif leur fureur les conduit ?
Nous leur portons malheur ! nous voyons clair la nuit !
Pitié, pitié, pitié ! ah, ma sœur ! ah, la tête !
En achevant ce mot la malheureuse bête
Dans le corps éprouva de vils tressaillemens,
Et son ame s’en fut du séjour des vivans ;
Elle baissa la tête et ferma la paupière :
Ah oui, c’était bien là sa minute dernière.
Voyant qu’elle expirait, sa sœur poussa un cri
Qui dut troubler au loin le repos de la nuit.
Telle la Niobé, ou plutôt Andromède
Attachée au rocher, criait : à moi, à l’aide,
Telle fit la chouette, et dans ce bel accord
Je ne sais pas des deux qui cria le plus fort.

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IV.

LE RÉVEILLON. C’EST LA SORCIÈRE.
LE BON CURÉ.

Lectrice, commençons mon récit sans prologue,
Quand le sujet abonde à quoi bon l’épilogue ?
L’autre chant je reçus un petit camouflet
Peut-être à celui-ci recevrais-je un soufflet ;
De votre belle main, ce serait sans me plaindre
Que je l’endurerais, même il serait à craindre
Que j’en voulusse encor recevoir. Par malheur,
Je suis très-entêté, paresseux, raisonneur ;
Et jugez d’un seul trait de quoi je suis capable,
Jamais je ne consens à m’avouer coupable.
J’avoue un tort, pourtant, qui me rend malheureux,
C’est d’être trop sensible au charme de vos yeux.

Point de prologue donc, c’est dit : notre criarde
Est sur le toit, entrons dans la maison du garde.
— Ah ça, dépêchons-nous, qu’on allume du feu ;
Ah qu’il fait froid ici ! je suis gelé, bon Dieu !
Ma femme, apportes-tu les boudins, les saucisses ?
Dis-moi ? je ne vois pas où sont mes quatre épices.
— Bon ! nous laisseras-tu souffler quelques momens,
À peine arrivons-nous, et ces pauvres enfans
Tout transis, qu’il nous faut vaquer à la besogne,
De la cave au grenier pendant que Monsieur grogne.
Le mari se tint coi ; pour ne plus dire un mot
Il s’en fut, vrai moyen d’être servi plus tôt.
Chacun s’agite, alors ; bientôt le feu s’allume,
Afin de l’activer on y met du bitume,
Sur les charbons ardens on étale soudain
La fine crépinette et l’aune de boudin.
Il paraît que le tout n’alla pas à sa guise,
Car la mère cria : Eh bien, quelle sottise !
Et quel désordre ici me mets-tu dans mon feu,
Tu vas me renverser le gril au beau milieu.
J’ai bien assez de mal, peut-être, avec la poële.
Oh ! ma mère, écoutez, dit l’enfant toute pâle,
Entendez-vous ces cris, ces lamentables cris ?
C’est sur la cheminée au-dessus du logis.
Voilà donc ce qui fait que le feu n’a pu prendre,
Que trois fois mon boudin a roulé dans la cendre,

Dit la mère : sur nous on a jeté un sort,
O Dominum nostrum, tibi confiteor.
La maman, se signant, pour faire sa prière
Se mit à deux genoux devant la crémaillère ;
Puis se signant encor, elle dit : Sans tarder
Qu’on appelle ton père ; enfant, va le chercher.
— Si tu veux qu’elle y aille, il faudra qu’on l’y porte,
Dit le plus jeune fils, enfant très-résolu,
Ma sœur croit que le diable est derrière la porte.
Eh bien ! moi, moi j’irai, fût-ce un diable velu !
En effet, ce garçon au hardi caractère
Courut dans l’escalier au-devant de son père.
Les deux femmes alors, seules en ce moment,
Entendirent les cris bien plus distinctement,
Frémissans et plaintifs se succédant sans cesse,
Ils portaient dans le cœur le trouble et la tristesse ;
Quelquefois saccadés, convulsifs, irritans
On eut semblé ouïr le râle des mourans.
Le cœur serré, transi, nos pauvres créatures
Demandaient au bon Dieu la fin de leurs tortures,
Toujours sur leurs genoux en fervente oraison.
Tout-à-coup on entend des pas dans la maison,
La peur les prit d’abord, ce fut bientôt le calme
Et la sérénité qui revint en leur âme :
Le garde avait parlé, on entendait sa voix,
Riant avec ses fils, ils remontaient tous trois.

— Cà, que se passe-t-il ? cria-t-il en colère ;
Et que faites-vous donc ? eh, la fille ! eh, la mère !
Mes boudins sont-ils cuits ; où est mon saucisson ?
Morbleu ! nous faisons là un joli réveillon !
Sans souper vous plaît-il que ce soir je me couche ?
Sa fille lui posa la main devant la bouche :
— Mon père, écoute-moi, écoute jusqu’au bout :
La maudite sorcière est la cause de tout ;
C’est elle en envoyant sa vilaine chouette…
Oui, je n’ai pas voulu l’autre soir faire emplette
D’un sachet, dit la mère. — Ah ! c’est bon à savoir,
Vous allez visiter les sorcières le soir !
— Eh quel mal y a-t-il, elle m’a bien prédit ;
Ce qui m’est arrivé depuis toute ma vie
Était d’elle connu. — Ah çà ! mais à la fin,
Que voulez-vous de moi ? vous m’ennuyez, j’ai faim !
— Nous voulons qu’on lui tue aussitôt sa chouette ;
— Et que ne parliez-vous, la chose serait faite !
— Allez donc ! par après nous ne craindrons plus rien,
Car la chouette a tout son esprit dans le sien,
C’est connu. — C’est connu ? ce qui reste à connaître,
Et qui, j’en répondrais, ne pourra jamais l’être,
Ce sera de trouver deux folles comme vous.
Allons, finissons-en, convenons entre nous
Que vous ne parlerez de semblables sornettes,
Me laisserez tranquille avecque vos chouettes ;

Je tuerai celle-ci, mais à condition
Que vous allez me faire un joli réveillon :
Du boudin, du jambon, du vin, de la saucisse.
Faites vite surtout, et que Dieu vous bénisse.
Le garde ce disant, retira son fusil
Soigneusement couvert d’un fourreau de coutil,
Après l’avoir chargé descendit dans la rue,
Vers le faîte du toit il dirigea sa vue,
Tout d’abord il ne put rien distinguer, rien voir,
Le temps était brumeux et le ciel était noir ;
Mais à l’obscurité sa vue accoutumée,
Lui fit apercevoir enfin la cheminée.
Il fixa son regard sur ce point culminant,
La chouette ayant fait un cri en cet instant,
Ce cri, ce cri fatal de notre infortunée,
Décida de la vie et de la destinée ;
À l’instant en effet la détente partit,
Le coup répercuté dans les airs retentit,
Et la nuit succédant à ce feu peu durable,
L’obscurité devint bien plus impénétrable.
Lors le garde incertain du succès de son coup,
Croyait n’avoir rien fait qu’effrayer le hibou.
Quand soudain une plume effilée, légère,
Se balançant au vent lui frôla la visière ;
D’autres plumes tombant, il vit à ces lambeaux,
Qu’il n’avait pas tiré sa poudre à des moineaux.

Il n’était que trop vrai, la chouette modèle,
Atteinte d’un gros plomb qui vint lui briser l’aile,
Étourdie à ce coup culbuta tout d’abord
Depuis le haut du toit jusques à la gouttière,
Puis machinalement à l’aide de l’essor
De son autre aile intacte, elle glissa par terre,
Là, confuse, abattue et prévoyant son sort,
Tremblante, consternée, elle attendait la mort.
La pauvrette bien que trouvant la vie amère
Frémissait en pensant à la porte-cochère,
Connaissant des humains l’impitoyable cœur,
Elle tremblait d’avance et songeait à sa sœur ;
Sans espoir, cependant l’instinct de la nature,
(Surtout voulant de l’homme éviter la souillure)
Lui fit apercevoir un asile assez sûr
Parmi quelques fagots rangés le long du mur,
Elle s’y dirigea vivement, non sans crainte,
Dans les pattes n’ayant reçu aucune atteinte ;
Elle put y courir, s’y blottit, s’y tint coi
En soutenant son aile à un fétu de bois :
Le garde cependant cria : holà, la mère !
Qu’on descende et qu’on porte ici de la lumière,
Dépêchons-nous, morbleu ! et tâchons une fois
D’en finir ; si j’ai chaud, je veux que l’on me berne
Ainsi disant, à force il soufflait dans ses doigts.
Son cadet l’Éveillé descendit la lanterne ;

Tous deux aux alentours se mirent à chercher,
Réjouis qu’ils étaient par l’odeur agréable
De boudins et d’oignons qu’on venait de hacher.
Ah çà, permettez-vous, ô lecteur trop aimable,
Pardon, c’est à regret, il m’est fort déplaisant
D’interrompre un passage aussi intéressant ;
Mais cependant qu’ils cherchent et se mettent en quête,
Sans trop vous déranger veuillez tourner la tête,
Voyez-vous s’approcher un nouvel arrivant ?
Oui, bien ! ce personnage à l’air doux, bienveillant,
Se reconnaît assez, c’est l’abbé l’Espinasse,
Par la grâce de Dieu, curé de la paroisse.
Il venait d’assister, au hameau de Vilbond,
À ses derniers momens un pauvre moribond.
Que faites-vous donc là avec votre chandelle ?
Dit-il. Ah tiens ! c’est vous, curé, quelle nouvelle ?
Venez, et aidez-nous s’il vous plaît à chercher,
Une chouette ici qu’on ne peut dénicher ;
Mes femmes en avaient la cervelle tournée,
De l’entendre crier dessus la cheminée,
Je crois qu’elle a du plomb, sinon je suis déçu,
Car sans elle au logis je serais mal reçu.
Le curé complaisant se mit donc de la quête,
Et Dieu voulut qu’à peine il eut baissé la tête
Il surprit tout d’un coup la chouette, tous deux
Tels que chiens en arrêt se regardant aux yeux.

Le curé allongea la main, voulut la prendre,
Elle se débattit au milieu des fagots,
Jurant, claquant du bec et poussant des sanglots
Tant et plus, à la fin il lui fallut se rendre ;
La pauvrette ignorait en voulant s’esquiver,
Qu’elle échappait aux mains qui devaient la sauver.
Le curé relevant un pli de sa soutane,
L’y posa doucement, puis il reprit sa canne
Qu’il avait pour l’instant mise contre le mur,
L’abbé, lui dit le garde, il fait encor obscur,
Venez vous reposer là-haut dans notre chambre,
Dam ! si vous n’y flairez pas l’ambre,
Ce que vous sentirez, je crois, sera meilleur
Pour l’appétit d’un voyageur.
Qu’en dites-vous, que vous en semble ?
Faites-moi cet honneur, que nous soupions ensemble,
Ma femme a préparé un petit réveillon,
Auquel tout en donnant la bénédiction
Vous donnerez aussi votre coup de fourchette.
— Ce serait grand plaisir, et vraiment je regrette,
Répondit le curé, d’en user pour si peu ;
Je voudrais seulement me mettre auprès du feu,
Car le froid de la nuit… Quand à ce que je mange
Je ne puis, vous savez… — Si cela vous arrange,
Lui dit le garde, alors c’est comme il vous plaira,
Et vous ferez en tout ce qui vous conviendra ;

Montez : allons, enfans, que l’on fasse une place,
Et vite, auprès du feu, à Monsieur l’Espinasse
Dit le garde en entrant, et puis attablons-nous,
Nous l’avons bien gagné, ma foi, qu’en dites-vous ?
Et posant son fusil contre l’espagnolette :
Voudriez-vous, l’abbé, garder cette chouette ?
Dit-il au bon curé, donnez-la à l’enfant,
Demain avec son arc il tirera au blanc.
— Il tirera au blanc, dites-vous ? vous, son père !
Au lieu de lui donner une leçon sévère,
Vous l’excitez vous-même à ce jeu si cruel.
Si Dieu nous a donné sur un être mortel
Le droit d’en disposer pour notre subsistance,
Sachez que de nous faire un jeu de sa souffrance,
Est un crime commis envers l’humanité.
Je me propose donc sur cette vérité,
De vous faire un sermon que vous viendrez entendre,
Pas plus tard que demain, car vous devez comprendre
Que ce n’est pas ici le moment ni le lieu,
D’expliquer sur ce point la volonté de Dieu.
Là le curé se tut ; l’œil fixé sur la chaise
Où il mit la chouette, et les pieds sur la braise
Il parut absorbé dans ses réflexions,
Sans doute songeait-il à ses dévotions.
Sur ce, le verre en main, le coude sur la table,
Le garde avec ses fils, prenant un air capable

Leur fit à sa façon un commentaire en l’air,
Des dires du curé résumé très-peu clair,
Se ressentant du vin qui brouillait sa cervelle,
Notre homme à la bouteille avait souvent recours,
Et de petit vin blanc humectait son discours,
Mons l’Éveillé mit une épingle à la chandelle,
Et mes deux garnemens se riaient sans pudeur
De leur père aviné qui faisait le docteur ;
De ne pas se moquer il eût été plus sage
Car le rouge déjà lui montant au visage,
Il saisit par le cou son plus jeune garçon,
Et allait le traiter d’une rude façon.
La mère s’aperçut de cette fâcherie,
Et vint fort à propos arrêter sa furie ;
Le prenant par le bras lui montra le curé,
Le conjurant des yeux d’être plus modéré.
Le garde dans le fond était bonne personne.
Sinon qu’un peu brutal ; allez, je vous pardonne,
Dit-il, sans le curé vous l’auriez payé cher.
Sus la fille arriva tremblante dans sa chair :
Oh ! ma mère, dit-elle, oh ! j’en aurai les fièvres,
Regardez le curé qui agite ses lèvres,
Le voilà maintenant qui marmotte en ses dents,
La chouette et puis lui se parlent en dedans.
C’est bon, dit la maman, eh bien, laisse-le faire,
Il vaincra le démon, — Ainsi soit-il, ma mère !

Pour sûr il a commerce avec tous les sorciers,
Il ne s’aperçoit pas qu’il brûle ses souliers.
Je n’ose l’avertir. — Garde-t’en bien, ma chère,
Si tu faisais cela, tu romprais le mystère,
Sous le lit la chouette irait droit se cacher,
Et là ce n’est pas moi qui viendrais l’y chercher ;
Ne dis rien à ton père, il faut nous en défendre,
Tu le connais, bien sûr il ferait de l’esclandre ;
Mais très-heureusement il ne nous entend point,
Car le voilà là-bas qui ronfle dans un coin.
Tout-à-coup le curé se leva. Je vous laisse,
Je dois être chez moi pour l’heure de la messe.
Il est grand temps, dit-il, déjà le jour a lui.
Il sortit emportant la chouette avec lui.
Quand il tourna le dos un grand éclat de rire
Partit. C’était du fait du plus jeune garçon,
Son père s’éveillant, s’approcha sans rien dire,
Et vous le souffleta de la bonne façon ;
Là, dit-il en pleurant, mais qu’y a-t-il, mon père ?
De rire du curé je n’ai pu m’empêcher
En pensant que tantôt vous étiez à prêcher
Comme lui. Je n’ai fait pis que je n’ai vu faire.
— Ma fille, éclaire donc monsieur notre curé !
Que dites-vous, maman ? plus souvent que j’irai,
Il est dans l’escalier avecque la chouette,
Écoutez donc, j’ai peur ! — Tu as raison, fillette.

Ne vous en inquiétez, dit le fils beau plaisant,
Ils pourront s’éclairer l’un l’autre sûrement :
Le curé a l’esprit tout rempli de lumières,
Et la chouette en a dans la tête deux fières.
— Joli ! — Nous avons tous bien besoin du sermon,
C’est demain, iras-tu, dis, papa ? — Ma foi non !
Çà, dit le garde, enfin, il est bien temps qu’on aille
Se coucher, de dormir j’ai grand besoin, je baille !
Eh bien, allez-y donc et taisez-vous, dormeur,
Voilà que vous avez endormi mon lecteur !
— C’est vous, plutôt ! — C’est moi ! voyez-vous l’insolence !
— Oui, parbleu, j’en appelle à toute l’assistance
Qui saura bien vous dire où est notre endormeur ?
Il est sous votre nez ? — Se taira-t-il ? — Lecteur !
Lecteur ! réveillez-vous, mon cher, sur ma parole
Tout est bientôt fini, lisez, ce sera drôle.
Ah bon ! je vois son œil qui commence à s’ouvrir,
Vous verrez qu’avec moi promettre c’est tenir.

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ÉPILOGUE.

Le bon curé fit donc à ses ouailles
Un beau sermon qui traitait de volailles
En général, et puis se reportant
Fort à propos au sujet des chouettes
Il leur disait : Barbares que vous êtes !
Ô scélérats ; enfin c’était touchant.
Ce sermon débité avec entraînement,
Et de même écouté avec recueillement,
Sur tous les assistans agit de telle sorte
Que l’on vit des hiboux cloués à chaque porte.
Et de tous les côtés ils avaient compris tous,
Qu’en disant scélérats, il parlait des hiboux.

Le curé confia notre pauvre chouette
 À sa gouvernante Toinette
Qui la guérit fort bien, quand arriva Longchamps
 On lui donna la clé des champs,
 Pour la préserver toutes fois
Des gardes et gamins, engeance scélérate,
 Toinette lui mit à la patte
Un bout de fil avec une petite croix.
Ami lecteur, je t’ai bien ennuyé, peut-être,
Tu étais averti, tu n’es pas pris en traître :
« On produit, on imprime et on lit tant et plus,
« Donc les mauvais écrits ont chance d’être lus. »
T’ai-je amusé ? Vrai, je m’en félicite,
De ta douce indulgence il faut te remercier ?
 Car pour bon poète ou sorcier
Je ne crois pas que jamais l’on me cite.

FIN.