La Chine en folie/Un reportage est un reportage

Albin Michel (p. 47-48).

UN REPORTAGE EST UN REPORTAGE

Ici nous ne parlons que pour les hommes qui ont l’habitude de changer de lit. Les autres ne nous entendraient pas.

Je m’éveillai l’après-midi dans cet état de béatitude bien connu des voyageurs au long cours.

Où étais-je ? Au Caire ? À Tokio ? À New-York ? Temps délicieux où l’on ne sait plus où l’on vit ! La mouette saurait-elle dire sous quel degré de latitude se trouve la vague qui la berce ?

Au souvenir de ces moments je comprends les gens qui boivent, qui jouent, qui se droguent. Ils doivent connaître des instants qui s’apparentent à ces instants. Mais j’en tiens encore pour les miens. Ne pas savoir où l’on respire, n’est-ce pas être déjà un corps glorieux ?

J’ouvris la fenêtre. Je vis que dehors tout était dégoûtant. Je me rappelai que j’étais en Chine.

Au fait pourquoi suis-je en Chine ? C’est, dis-je en laçant mes bottes, pour assister à la guerre entre M. Tsang-Tso-lin et M. Wou-Pé-Fou. Je sentis qu’un sourire passait sur ma face. Et je m’adressai encore la parole. Es-tu bien sûr, me dis-je, que les lecteurs de ton journal attendent chaque matin, le cœur battant, des nouvelles de MM. Wou-Pé-Fou et Tsang-Tso-lin ? Un beau crime à Ménilmontant l’emportera toujours sur une guerre dans la province du Tchély, mon ami. De plus ne sais-tu pas que cinq mille cadavres n’ont pas la même valeur suivant qu’ils pourrissent à cinq cents ou à vingt mille kilomètres de Paris ?

Bah ! un reportage est un reportage. Là-dessus je me coiffai et je partis à la recherche du truculent bandit qui a nom Tsang-Tso-lin.