La Chine en folie/Un reportage est un reportage
UN REPORTAGE EST UN REPORTAGE
Ici nous ne parlons que pour les hommes qui ont l’habitude de changer de lit. Les autres ne nous entendraient pas.
Je m’éveillai l’après-midi dans cet état de béatitude bien connu des voyageurs au long cours.
Où étais-je ? Au Caire ? À Tokio ? À New-York ? Temps délicieux où l’on ne sait plus où l’on vit ! La mouette saurait-elle dire sous quel degré de latitude se trouve la vague qui la berce ?
Au souvenir de ces moments je comprends les gens qui boivent, qui jouent, qui se droguent. Ils doivent connaître des instants qui s’apparentent à ces instants. Mais j’en tiens encore pour les miens. Ne pas savoir où l’on respire, n’est-ce pas être déjà un corps glorieux ?
J’ouvris la fenêtre. Je vis que dehors tout était dégoûtant. Je me rappelai que j’étais en Chine.
Au fait pourquoi suis-je en Chine ? C’est, dis-je en laçant mes bottes, pour assister à la guerre entre M. Tsang-Tso-lin et M. Wou-Pé-Fou. Je sentis qu’un sourire passait sur ma face. Et je m’adressai encore la parole. Es-tu bien sûr, me dis-je, que les lecteurs de ton journal attendent chaque matin, le cœur battant, des nouvelles de MM. Wou-Pé-Fou et Tsang-Tso-lin ? Un beau crime à Ménilmontant l’emportera toujours sur une guerre dans la province du Tchély, mon ami. De plus ne sais-tu pas que cinq mille cadavres n’ont pas la même valeur suivant qu’ils pourrissent à cinq cents ou à vingt mille kilomètres de Paris ?
Bah ! un reportage est un reportage. Là-dessus je me coiffai et je partis à la recherche du truculent bandit qui a nom Tsang-Tso-lin.