La Chaumière africaine/Chapitre 8



CHAPITRE VIII.

Les Naufragés forment une caravane pour se rendre par terre au Sénégal. — Ils trouvent de l’eau dans le désert. — Quelques personnes de la caravane opinent pour qu’on abandonne la famille Picard. — Conduite généreuse d’un vieux capitaine d’infanterie. — Découverte d’un Oasis de pourpier sauvage. — Premier repas de la caravane dans le désert. — On rencontre un petit camp d’Arabes. — M. Picard achète deux chevreaux. — Des Maures offrent leurs services aux naufragés. — On arrive ensuite au grand camp des Maures. — M. Picard est reconnu par un Arabe. — Généreux procédé de cet Arabe. — Départ précipité de la caravane. — On loue des ânes.


Après que nous fûmes un peu revenus de l’état d’abattement où nous étions en arrivant à terre, les autres naufragés nous apprirent qu’ils étaient descendus à la côte dans la matinée, et qu’ils avaient franchi les brisans à force de rames et de voiles ; mais ils n’avaient pas été aussi heureux que nous : un malheureux, en voulant débarquer avec trop de précipitation, eut les jambes brisées sous la chaloupe ; il fut déposé sur le rivage et abandonné aux soins de la Providence. L’officier qui commandait la chaloupe, (M. Espiau) nous reprocha d’avoir été si méfians, lorsqu’il voulut nous aborder pour prendre notre famille à son bord. Il était bien vrai qu’il avait débarqué soixante-trois hommes ce jour même. Peu de temps après notre refus, il prit les passagers de la Yôle qui auraient infailliblement péri dans la nuit si orageuse du 6 au 7. Le Canot dit du Sénégal, commandé par M. Maudet, avait fait côte en même temps que la chaloupe de M. Espiau. Les embarcations de MM. Schmaltz et Lachaumareys étaient les seules qui eussent continué de faire route pour le Sénégal, tandis que les neuf dixièmes des Français confiés à ces Messieurs s’entr’égorgeaient sur le Radeau ou mouraient de faim dans les déserts brûlans du Sahara.

Sur les cinq heures du soir, on convint de former une caravane et de pénétrer dans le désert pour tâcher d’y découvrir de l’eau douce. Nous en trouvâmes en effet à peu de distance de la mer, en creusant dans le sable. Bientôt toutes les personnes de la caravane furent réunies autour de ce puits, qui fournit assez d’eau pour nous désaltérer tous. Cette boisson saumâtre fut trouvée délicieuse, quoiqu’ayant un petit goût sulfureux ; sa couleur était celle du petit lait. Comme nos robes toutes mouillées étaient en lambeaux, et que nous n’avions pas de quoi en changer, quelques officiers généreux nous offrirent leurs habits. Ma belle-mère, ma cousine et ma sœur s’en revêtirent. Pour moi, je préférai de garder ma robe. Nous restâmes auprès de notre fontaine bienfaisante pendant plus d’une heure. On prit ensuite la direction du Sénégal, c’est-à-dire la route du sud : car nous ne savions pas au juste où était ce pays. On convint que les femmes et les enfans marcheraient en avant de la caravane, afin que nous ne fussions pas exposés à rester en arrière. Les matelots chargèrent volontairement les plus petits enfans sur leur dos, et tout le monde se mit en route en longeant la côte. Quoi qu’il fût près de sept heures, le sable était encore brûlant, ce qui nous faisait souffrir cruellement, attendu que nous étions sans souliers, les ayant perdus dans les vagues en descendant à terre. Aussitôt que nous fûmes arrivés sur les bords de la mer, nous nous mîmes tous à marcher sur le sable humide afin de nous rafraîchir un peu. Durant toute la nuit, nous voyageâmes ainsi sans rencontrer autre chose que des coquillages qui nous déchiraient les pieds.

Le 9 au matin, nous apperçûmes une gazelle sur le haut d’une petite colline, qui disparut aussitôt et ne donna pas le temps de la tirer. Le désert offrait à notre vue une immense plaine de sable sur laquelle on n’appercevait pas un seul brin de verdure. Cependant, nous trouvâmes encore de l’eau en creusant dans le sable. Dans la matinée, deux officiers de marine se plaignirent de ce que notre famille ralentissait la marche de la caravane. Il est vrai que des femmes et de jeunes enfans ne pouvaient pas marcher aussi vite que ces Messieurs. Nous forcions notre marche le plus qu’il nous était possible, néanmoins nous restions souvent en arrière, ce qui obligeait de faire halte pour nous attendre. Ces officiers se réunirent à d’autres individus et tinrent conseil entre eux, pour délibérer s’ils devaient nous attendre, ou nous abandonner dans le désert. Je dois dire cependant, que peu de personnes furent de ce dernier avis. Mon père informé de ce qui se trâmait contre nous, alla trouver les chefs du complot et leur reprocha dans les termes les plus forts, leur égoïsme et leur peu d’humanité. La dispute devint très-vive ; ceux qui avaient envie de nous abandonner, tirèrent leurs épées, et mon père mit la main sur un poignard dont il s’était muni en quittant la Frégate. À cette vue, nous nous élançâmes vers lui, le conjurant de rester plutôt dans les déserts avec sa famille, que d’implorer des secours de gens qui étaient peut-être moins humains que les Maures mêmes. Plusieurs personnes prirent notre parti, et notamment M. Bégnère, capitaine d’infanterie qui pour faire cesser toute dispute dit à ses soldats : « Mes amis ! vous êtes Français, et j’ai l’honneur d’être votre chef, aussi nous n’abandonnerons jamais une famille malheureuse dans ces déserts, tant que nous pourrons lui être utiles ». Ce discours bref, mais énergique, fit rougir ceux qui voulaient nous abandonner. Tous se réunirent alors au vieux capitaine, en disant qu’ils ne se sépareraient pas de nous, mais à condition que nous marcherions plus vite. M. Bégnère et ses soldats répliquèrent qu’il ne fallait pas stipuler de conditions, lorsqu’il s’agissait de faire une bonne action, et l’infortunée famille Picard se mit encore en route avec toute la caravane. Quelques temps après cette dispute, M. Rogéry, membre de la société philantropique du Cap-Vert, quitta secrètement la caravane, s’enfonça au milieu des déserts, sans trop savoir ce qu’il y allait chercher. Il voulait peut-être explorer l’ancien pays des Numides et des Gétules, et donner un esclave de plus à l’empereur de Maroc. Que fallait-il davantage pour acquérir de la célébrité ? Cet intrépide voyageur n’eut pas le temps de trouver ce qu’il cherchait ; car il fut arrêté peu de jours après par les Maures, et amené captif au Sénégal, où il fallut que le Gouverneur payât sa rançon.

Sur le midi, la faim se faisait sentir si fortement parmi nous, qu’on se décida à pénétrer au-delà des petites montagnes de sable qui bordent la côte, pour voir si nous ne pourrions pas trouver quelques herbes bonnes à manger ; mais nous ne trouvâmes que des plantes vénéneuses, parmi lesquelles étaient plusieurs espèces d’euphorbes. Des lianes d’une verdure éclatante, tapissaient les dunes ; nous goûtâmes de leurs feuilles, elles étaient aussi amères que le fiel. La caravane se reposa en cet endroit, pendant que plusieurs officiers, pénétraient plus avant dans l’intérieur. Au bout d’une heure, ils revinrent chargés de pourpier sauvage qu’ils distribuèrent à chacun de nous. Aussitôt tout le monde se mit à dévorer sa botte d’herbage, sans en laisser la plus petite parcelle. Mais comme nos ventres affamés étaient loin d’être rassasiés par cette modique ration, les soldats et les matelots retournèrent à la recherche du pourpier. Ils en rapportèrent bientôt une assez grande quantité qui fut également distribuée et dévorée sur le champ, tant la faim nous faisait trouver ce mets délicieux. Pour moi, j’avoue que je ne crois pas avoir rien mangé de ma vie avec autant d’appétit. Nous trouvâmes aussi de l’eau en cet endroit, mais d’un goût détestable. Après ce repas vraiment frugal, nous nous remîmes en route. La chaleur était portée au dernier degré ; les sables sur lesquels nous marchions étaient brûlans ; cependant plusieurs d’entre nous traversaient ce brasier sans souliers, et les femmes n’avaient que leurs cheveux pour coëffure Lorsque nous fûmes arrivés sur les bords de la mer, nous courûmes tous nous coucher dans les premiers flots. Après nous y être reposés quelque temps, nous reprîmes notre route en suivant la plage humide. Dans la journée, nous rencontrâmes plusieurs gros crabes qui nous furent d’un grand secours ; aussi à chaque instant cherchions-nous à étancher notre soif en suçant les pattes crochues de ces crustacés. Sur les neuf heures du soir, on fit halte entre deux collines de sable assez élevées. Après un court entretien sur nos infortunes, tout le monde témoigna le désir de passer une partie de la nuit dans cet endroit, attendu que nous entendions de tous côtés les rugissemens des léopards. On délibéra sur les moyens de pourvoir à notre sûreté ; mais bientôt le sommeil vint mettre fin à nos craintes. À peine avions-nous reposé quelques heures, que l’effroyable rugissement des bêtes féroces nous réveilla et nous fit tenir sur la défensive. Il faisait un superbe clair de lune, et malgré mes craintes et l’aspect horrible du lieu, jamais la nature ne m’avait paru si majestueuse. Tout-à-coup, on annonce quelque chose qui ressemble à un lion. Cette nouvelle est entendue avec la plus grande émotion ; chacun voulant constater la vérité, fixe l’objet indiqué, l’un croit voir la longue crinière du roi des animaux ; l’autre assure que sa gueule est déjà ouverte pour nous dévorer ; plusieurs armés de fusils, couchent l’animal en joue, s’avancent de quelques pas, et reconnaissent que le prétendu lion n’est qu’un arbuste qu’un vent léger agitait. Cependant les hurlemens des bêtes féroces qui nous avaient tant effrayés, se faisant encore entendre par intervalle, nous crûmes devoir regagner les bords de la mer afin de continuer notre route vers le sud.

Notre situation avait été très-périlleuse pendant la nuit ; néanmoins au point du jour, nous eûmes la satisfaction de voir qu’il ne nous manquait personne. Au lever du soleil, nous marchâmes un peu vers l’est en pénétrant dans l’intérieur, afin de trouver de l’eau douce ; nous perdîmes beaucoup de temps en recherches inutiles. La contrée que nous traversions était un peu moins aride que le pays que nous avions parcouru le jour précédent. Des collines, des vallons, et une vaste plaine de sable parsemés de quelques Mimosas, offraient à nos regards une variété que nous n’avions encore rencontrée nulle part dans le désert. Ce pays est borné à l’est par une chaîne de montagnes ou hautes dunes de sable qui a sa direction du nord au sud. Nous n’apperçûmes pas la moindre trace de travaux agricoles.

Vers les dix heures du matin, quelques personnes de la caravane voulurent aller à la découverte dans l’intérieur, et ce ne fut pas en vain. Elles revinrent bientôt nous apprendre qu’elles avaient apperçu deux tentes Arabes sur une petite élévation. Aussitôt nous dirigeâmes nos pas de ce côté. Nous eûmes à franchir de grandes dunes très-mouvantes, et nous arrivâmes dans une vaste plaine couverte çà et là de verdure ; mais ce gazon était si dur et si piquant, qu’on ne pouvait marcher dessus sans s’écorcher les pieds. Notre présence dans ces affreuses solitudes mit en fuite trois ou quatre jeunes bergers Maures qui gardaient un petit troupeau de brebis et de chèvres dans un Oasis. Nous arrivâmes enfin aux tentes que nous cherchions ; nous n’y trouvâmes que trois Mauresses et deux petits enfans qui ne parurent nullement effrayés de notre visite. Un nègre domestique d’un officier de marine nous servait d’interprète auprès de ces bonnes femmes ; après avoir appris nos malheurs, elles nous offrirent du millet et de l’eau en payant. Nous achetâmes un peu de ce grain à raison de trente sols par chaque poignée ; l’eau nous fut donnée moyennant trois francs le verre ; elle était fort bonne et peu de personnes regrettèrent l’argent qu’elle coûtait. Comme un verre d’eau sur une poignée de millet cru était un bien faible repas pour des gens affamés, mon père acheta deux chevreaux, qu’on ne voulut pas lui céder à moins de vingt piastres (100 francs) ; nous les tuâmes aussitôt, et nos Mauresses nous les firent cuire dans une grande chaudière. Pendant qu’on apprêtait notre repas, mon père à qui notre position ne permettait pas de faire à lui seul cette dépense, engagea ceux de la caravane qui avaient de l’argent à y contribuer ; un ancien officier de marine, qui devait être capitaine de port au Sénégal, fut le seul qui s’y refusa, quoiqu’il eût sur lui près de trois mille francs, ainsi qu’il s’en est vanté dans la suite. Les soldats et les matelots, dont plusieurs lui avaient vu compter un rouleau de pièces d’or en descendant à la côte du désert, lui reprochèrent fortement sa sordide avarice ; mais il se montra insensible à ces reproches et n’en mangea pas moins sa portion des chevreaux comme tous nos compagnons d’infortune.

Sur le point de nous remettre en route, nous vîmes venir à nous plusieurs Maures armés de lances. À l’instant, les gens de notre caravane saisissent leurs armes et se disposent à nous défendre en cas d’attaque. Deux officiers suivis de plusieurs soldats et matelots et de notre nègre interprète, vont au-devant d’eux, pour savoir quels motifs les amènent. Ils reviennent aussitôt suivis de ces Maures qui nous disent, que loin de vouloir nous faire du mal, ils viennent nous offrir leurs services pour nous guider jusqu’au Sénégal. Cette proposition ayant été accueillie avec reconnaissance par toute la caravane, les Maures qui nous avaient tant causé d’effroi deviennent nos protecteurs et nos amis, tant il est vrai que le vieux proverbe : il est de bonnes gens partout, ne peut jamais mentir. Comme le camp de ces Maures était assez éloigné du lieu où nous étions, nous partîmes de suite, afin de pouvoir y arriver avant la nuit. Après avoir fait environ deux lieues à travers les sables brûlans, nous nous trouvâmes de nouveau sur les bords de la mer. Sur le soir, nos conducteurs nous firent pénétrer dans l’intérieur, disant que nous étions très-près de leur camp, qu’ils appelaient en leur langage Berkelet. Mais cette distance courte pour des Maures, fut trouvée bien longue par les femmes et les enfans, à cause des dunes de sable qu’il fallait monter et descendre à chaque instant, ainsi que des arbustes épineux sur lesquels nous étions souvent obligés de marcher. Ce fut surtout alors, que ceux qui étaient pieds nus, sentirent vivement la perte de leurs souliers. Pour moi, déjà déguenillée d’une manière affreuse, je laissai dans les buissons plusieurs lambeaux de ma robe, et j’eus les pieds et les jambes tout en sang. Enfin après deux grandes heures de marche et de souffrances, nous arrivâmes au camp de la tribu à laquelle appartenaient nos conducteurs Arabes. À peine entrions-nous dans ce camp, que les chiens, les enfans et les femmes des Maures nous accablèrent de mille importunités. Les uns nous jetaient du sable dans les yeux, les autres s’amusaient à nous arracher les cheveux tout en feignant de vouloir les examiner ; ceux-ci nous pinçaient, ceux-là nous crachaient à la figure ; les chiens nous mordaient les jambes, tandis que de vieilles harpies arrachaient les boutons des habits de nos officiers, ou cherchaient à en enlever les galons. Cependant nos conducteurs eurent pitié de nous ; ils firent éloigner les chiens et la foule des curieux qui nous avaient déjà fait souffrir autant que les épines qui avaient déchiré notre peau. Les chefs du camp, nos guides, et quelques bonnes femmes s’occupèrent ensuite à nous trouver de quoi souper. On nous donna de l’eau en assez grande quantité, et sans nous la faire payer ; on nous vendit du poisson séché au soleil, et quelques jattes de lait aigre, mais le tout à un prix assez raisonnable.

Dans ce camp, il se trouvait un Maure qui avait autrefois connu mon père au Sénégal, et qui parlait un peu français ; aussitôt que le Maure l’eut reconnu, il s’écria : tiens toi Picard ! ni a pas connaître moi Amet ? à ces sons français sortis de la bouche d’un Maure, nous fûmes tous ravis d’étonnement. Mon père se rappelant un jeune orfèvre qu’il avait jadis employé au Sénégal, reconnut le Maure Amet et lui serra la main. Après que ce bon Maure eut appris notre naufrage, et à quelle extrémité notre malheureuse famille était réduite, il ne put retenir ses larmes. Ce fut peut-être la première fois, que l’on vit un Musulman répandre des pleurs sur les infortunes d’une famille chrétienne. Le Maure Amet ne se borna pas à déplorer nos malheurs : il voulut nous prouver qu’il était humain et généreux ; aussitôt une grande quantité d’eau et de lait nous fut distribuée gratis. Il construisit aussi pour notre famille, une grande tente avec des peaux de chameaux, de bœufs et de moutons, parce que sa religion ne lui permettait pas de loger des chrétiens dans la sienne. Le temps paraissait très-sombre, et l’obscurité qu’il faisait nous donnait de l’inquiétude. Amet et nos conducteurs firent allumer de grands feux pour nous rassurer. Ensuite ils nous souhaitèrent le bon soir, et se retirèrent dans leurs tentes, en nous disant : « Dormez tranquillement, le Dieu des Chrétiens est aussi celui des Musulmans ».

On avait résolu de ne quitter ce lieu vraiment hospitalier qu’au point du jour : mais dans la nuit, quelques personnes qui avaient probablement beaucoup d’argent, s’imaginèrent que les Maures ne nous avaient conduits dans leur camp, qu’afin de mieux nous piller. Elles communiquèrent leurs craintes à d’autres, et prétendirent que les Maures qui se promenaient autour de leurs troupeaux, pour en éloigner les bêtes féroces par les cris qu’ils poussaient de temps en temps, avaient déjà donné le signal pour nous surprendre et nous égorger. Aussitôt une terreur générale se répand parmi tous nos gens, et l’on veut partir desuite. Mon père, quoiqu’il connût la perfidie de la plupart des peuplades du désert, tâcha cependant de nous rassurer, en nous disant qu’il n’y avait rien à craindre, parce que les Arabes redoutaient trop les habitans du Sénégal, qui ne manqueraient pas de nous venger, si l’on nous insultait ; mais rien ne put calmer les esprits effrayés ; il fallut se mettre en route au milieu de la nuit. Les Maures qui furent bientôt instruits de nos craintes, nous firent toutes sortes de protestations ; et voyant que nous persistions à vouloir quitter leur camp, ils nous offrirent des ânes pour nous porter jusqu’au fleuve du Sénégal. On loua ces montures à raison de 12 francs par jour, pour chaque tête, et nous partîmes sous la conduite des Maures qui nous avaient déjà guidés la veille. Le maure Amet ayant sa femme malade ne put nous accompagner, mais il nous recommanda fortement à nos guides. Mon père n’avait pu louer que deux ânes pour toute notre famille ; et comme elle était nombreuse, ma sœur Caroline, ma cousine et moi, nous fûmes encore obligées de nous traîner, ainsi que notre malheureux père à la suite de la caravane, qui à la vérité n’allait guère plus vite que nous.

À peu de distance du camp, le brave et compatissant capitaine Bégnère, voyant que nous n’avions pas de monture, nous força d’accepter celle qu’il avait louée pour lui, en nous disant, que jamais il n’irait à cheval, quand des demoiselles exténuées de fatigue le suivraient à pied. Ce digne officier que le Roi a depuis récompensé honorablement, ne cessa d’avoir pour notre malheureuse famille, des soins et des attentions que je n’oublierai jamais.

Durant le reste de la nuit, nous voyageâmes d’une manière assez agréable, en montant alternativement l’âne du capitaine Bégnère.