La Chasse des dames d’amour, avec la reformation des filles de ce temps/Le Pot aux roses descouvert

Chez la veufue du Carroy, ruë des Carmes, à la Trinité (p. 7-14).

LE
POT AVX ROSES DESCOUUERT,
en forme de Dialogue.

Où la Courtizane Iacqueline, & ſa mere
Cardine, deuiſent du rabais de leur meſtier,
& des miſeres de ce temps.
Cardine.

OV fuſtes vous hier tout le long du iour, ma fille ? Patientez vn peu, me dittes-vous, en ſortant, ie ne tarderay gueres. Mais i’auois beau vous attendre : car il ne tint pas à vous que ie ne m’allaſſe coucher ſans ſouper, & ie crois que ie ſerois encore à ieun, ſi la voiſine ne m’euſt apporté de l’argent de la dentelle que ie luy donnay à reuendre auant hier. Parlez Madame, vous pleurez au lieu de me reſpondre ?

Jacqueline.

Que diantre voulez-vous que ie die ? l’on ne voit autre choſe que moy dans les maiſons d’Amour. Ie cours maintenant apres les Crocheteurs, au lieu qu’autresfois ie me faiſois cheualler à des gros Meſſieurs. I’ay plus de peine qu’vne pauure beſte à gagner voſtre vie & la mienne : & toutesfois vous ne m’en ſçauez aucun gré. Bien au contraire, ſi ie manque à vous apporter tresbien de l’argent, tous les ſoirs que ie m’en reuien crottée iuſques au cul, ie ne ſuis pas bonne à donner au chien, voſtre ordinaire eſt de m’appeller Yurongneſſe, Chienne chaude, Coureuſe de ramparts, Buiſſonniere : mais par la mercy Dieu, ie ſçay bien que ſi deſormais vous en voulez auoir vous en gaignerez vous meſmes.

Cardine

Te veux-tu taire, vilaine, tu parle vn peu trop hardiment es tu bien ſi effrontée d’vſer de telles menaſſes en mon endroit. Où eſt le reſpect que tu me dois ? où le fruict des inſtructions que ie t’ay données : Va putain, tu ne vaudras iamais rien, n’as-tu point de honte de traitter ainſi ta mere ?

Jacqueline.

A quoy ſont bonnes toutes ces iniures. I’en fay moins d’eſtime que de mes vieux pattins.

Ie ſuis telle que vous m’auez faicte, & ce vous eſt vn plus grand blaſme de m’appeller putain, qu’à moy de l’eſtre. Vous n’ignorez pas qu’autre que vous ne m’a inſtruicte à faire l’Amour : mais c’eſt tout vn, puis que vous me croyez ſi meſchante, ie ſuis contente de ne l’eſtre plus, laiſſez-moy faire ſeulement. Ma fy auant qu’il ſoit demain nuict, ie ne ſeray plus auec vous : Car auſſi bien Guillemette ma grande amie m’a promis de me donner entrée dans la maiſon d’vne Dame, où ie paſſeray le temps à monter des rabats, & à trauailler en tapiſſerie, ou en linge, & poſſible à quelque autre meſtier.

Cardine.

Quoy ? ma fille, me voudrois-tu bien quitter maintenant que ie ſuis ſur mes vieux iours ? Eſt il poſſible que tu ne puiſſes endurer de moy des iniures que i’aduouë eſtre grande, mais qui te ſembleront excuſables, ſi tu viens à conſiderer que les vieilles femmes, comme moy, ſont d’ordinaire faſcheuſes & rudes à leurs enfans pluſtoſt de parole que d’effect. Ne penſe donc plus, mon enfant, à ce que ie t’ay dict, ny moins encore à laiſſer ma compagnie pour t’engager au ſeruice d’autruy. Tes merites te rendent digne d’eſtre ſeruie, au lieu de ſeruir : & d’ailleurs, où trouuera-t’on vne Beauté en qui la nature n’ait mis quelque defaut, que l’enuie meſme ne ſçauroit remarquer en toy. Car tu n’as les cheueux roux, ny le teint enfumé, ny le front ſcillonné de rides, ny les ſourcils touffus ; ny les yeux eſgarez & louches, ny le nez racourcy ny ſes iouës decolorées, ny les leures paſles & mortes, ny les dents mangées d’vne roüille noire & faictes comme les cheuilles d’vn luth, mais ſemblables à deux rangs de perles Orientales. Vne colomne d’albaſtre n’eſt pas plus polie que ton col, ny deux boules d’iuoire plus rondes que celle de ton ſein. Au reſte tu as la taille ſi belle qu’il n’eſt aucunement beſoin que pour l’agrandir tu marches ſur des eſchaſſes de liege. Toutes ces beautez ioinctes aux charmes, aux attraicts, & aux graces qui les accompagnent, ne ſont elles pas des phitres aſſez puiſſants pour rendre inſenſez les plus ſages, & les induire à t’aymer ? Auec ces ameçons, ne peux-tu pas attirer à toy des riches robbes, des coliers de perles, des chaiſnes d’or, & tels autres ioyaux de prix, ſans t’aller captiuer ſoubs la caprice d’vne maiſtreſſe, qui ne payera que de vaines promeſſes les bons offices que tu luy auras rendus ? Tu vois comme par ces meſmes voyes ta compagne la Bauolette s’eſt enrichie, & il ne tient qu’à toy que tu n’en faſſes autant.

Jacqueline.

O que vous me faictes de beaux comptes ma mere ! ie ſçay auſſi bien l’art d’aimer que la Bauolette, & ie vous aduiſe qu’elle meſme que vous croyez ſi riche, eſt auſſi pauure que nous. Elle n’a maintenant aucun amy non plus que moy, & voila ce qui nous rend toutes deux eſgalement riches : Car depuis que le monde eſt hors de Paris, toutes les filles d’Amour ſont en deſroute : les vnes vont cherchant de nouueaux pigeons, ayant perdu ceux qui ſouloient nicher dans leur colombier, & les autres eſtallent leurs denrées en plein marché, ſi bien que la neceſſité contraint deſia les plus belles de donner pour vn morceau de pain la chair que nous ſçauons vendre ſi cherement à ces beaux fraizez.

Cardine.

Tu ne parle pas mal, ma fille, mais encore faut-il viure à quelque prix que ce ſoit, quoy que ie ſçache bien, comme tu viens de me dire qu’en l’abſence de ces gens d’eſpée, noſtre meſtier ne peut pas beaucoup valoir. Mais qui ferions-nous ? il faut prendre patience & en attendant mieux chaſſer à toute ſorte ce gibier.

Jacqueline.

Vos paroles me font ſouuenir de celles que i’ouys n’agueres en noſtre ruë : ie m’eſtois arreſtée à la porte d’vne mienne amie, quand ie vy venir vn homme de fort bonne mine, lequel ayant rencontré fortuitement noſtre ſœur, Et bien mon cœur (luy dit-il en termes que ie n’entends gueres bien) voicy vne pauure ſaiſon pour les pauures filles qui ſont en ruth. Certes ie vous plaints grandement, & ie voy bien qu’à ce coup tous limiers iront en queſte dans vos taillis, & que vous n’en aurez que les fumées ; ainſi ie puis bien dire que depuis le partement de mon dernier amy Rufin il ne s’eſt paſſé iour auquel ie n’aye aſſez couru ſans rien prendre, Vous le ſçauez aſſez, ma mere, tellement que ie ne ſçaurois plus eſtre oyſiue, ny trauailler pour ſi peu de gain. C’eſt pourquoy en attendant que le monde reuienne, ie ſuis d’aduis d’entrer en ſeruice, comme ie vous ay deſia dit, tant pour auoir dequoy m’entretenir, qu’afin de me conſeruer pour Rufin de qui i’eſpere tirer de bonnes nippes à ſon retour.

Cardine.

I’approuve fort ta reſolution, ma fille, & ie ſuis contente d’en voir l’effect, pourueu, qu’entrant au ſeruice de la Dame que tu dits tu face en ſorte qu’elle ne cognoiſſe point que tu és du meſtier, & que par ton inuention i’aye moyen de viure durant ce temps-là.

Jacqueline.

Ne vous ſouciez de rien, ma mere, i’ay deſja pourueu à l’un & à l’autre : Car outre qu’à l’abord ie feray la ſuccree, & la bonne meſnagere, i’ay encore aduiſé pour le mieux de m’en aller aux Halles, où ie vendray tout attirail de Damoiſelle, ſçauoir mes deux colets montez, mon corps de cotte, qui eſt de damas tout fin neuf, ma robbe d’eſtamine, & mon bon cotillon de taffetas, ne me reſeruant que ma robbe de ſarge, & ma cotte de camelot : ie prendray encore vn chapperon de Bourgeoiſe, auec vn collet double : & en ceſt equipage i’entreray en la maiſon de Madame, que vous cognoiſſez, laquelle ne ſe doutant nullement de moy, ſur le bon rapport que luy en a deſia faict voſtre commere Guillemette, me prendra pour la fille de quelque honneſte Bourgeois. Or afin que vous ne ſoyez point incommodée durant ce temps là, ie vous donneray l’argent de mes beſongnes que i’auray vendues, duquel vous pourrez vous ayder, iuſques à ce que i’en aye gagné d’autre.

Cardine.

C’eſt bien dit, ma fille, ie ſuis fort aiſe que tu ayes trouué ceſte intention, & i’en attends l’iſſuë auec vne extréme impatience.

Jacqueline.

Ce n’eſt pas encor le tout, ma mere : pour empeſcher que l’homme que vous ſçauez, qui m’a penſée de &c, ne vous importune, ie vous conſeille de changer de quartier, & d’aller à la chambre de la couſine Marguerite, où perſonne ne vous ira chercher : car pour moy : ie ſuis bien certaine, qu’eſtant ainſi deſguiſée, & loing de ceſte ruë, aucun ne me cognoiſtra.

Cardine.

Voilà qui ne va pas mal, mais tu ne dis pas auſſi que changeant de logis, ne perdrons nos meilleurs chalands, qui ne manqueront point à leur retour de nous venir trouuer iuſques dans noſtre chambre.

Iacqueline.

Ne vous mettez point en peine de cela, ma mere, ceux qui nous chercheront ne ſçauent que trop que c’eſt noſtre ordinaire de n’auoir aucune demeure arreſtée : & de porter noſtre marchandiſe par tout. O qu’ils nous ſçauront bien trouuer, s’ils ont enuie de nous reuoir.

Cardine.

A la bonne heure, ma fille, va donc faire en ſorte que tu puiſſe vendre tes meilleures beſongnes, & ie m’en iray voir de mon coſté de trouuer la couſine Marguerite, à qui ie raconteray tout le faict.

Jacqueline.

Ie m’y en vay tout de ce pas. A Dieu iuſques à tantoſt.

Cardine.

A Dieu, Iacqueline, mais ie te prie ne tarde pas tant qu’à laccouſtumée : car pour moy, ie me rendray à la chambre dans vne heure au plus tard.

FIN.