La Chasse au Météore/Chapitre XIII

XIII

Dans lequel on voit, comme l’a prévu le juge Proth, surgir le troisième larron, bientôt suivi d’un quatrième.

Mieux vaut renoncer à peindre la profonde douleur de la famille Hudelson et le désespoir de Francis Gordon. Assurément celui-ci n’aurait pas hésité à rompre avec son oncle, à se passer de son agrément, à braver sa colère et ses inévitables conséquences. Mais ce qu’il pouvait contre Mr Dean Forsyth, il ne le pouvait pas contre Mr Hudelson. En vain Mrs Hudelson avait-elle essayé d’obtenir le consentement de son mari et de le faire revenir sur sa décision : ni ses supplications, ni ses reproches ne firent fléchir l’entêté docteur. Loo, la petite Loo elle-même, s’était vue impitoyablement repoussée malgré ses prières, ses cajoleries et ses larmes impuissantes.

Désormais, on ne pourrait même plus recommencer ces tentatives, puisque l’oncle et le père, définitivement frappés de folie, étaient partis pour de lointains pays.

Combien pourtant ce double départ était inutile ! Combien inutile le divorce dont les affirmations des deux astronomes avaient été la cause déterminante pour Mr Seth Stanfort et pour Mrs Arcadia Walker ! Si ces quatre personnages s’étaient imposé seulement vingt-quatre heures de réflexion supplémentaire, leur conduite eût été certainement toute différente.

Dès le lendemain matin, en effet, les journaux de Whaston et d’ailleurs publièrent, sous la signature de J. B. K. Lowenthal, directeur de l’Observatoire de Boston, une note qui modifiait grandement la situation. Pas tendre pour les deux gloires whastoniennes, cette note, que l’on trouvera ci-dessous reproduite in extenso.

« Une communication, faite, ces jours derniers, par deux amateurs de la ville de Whaston, a fortement ému le public. Il nous appartient de remettre les choses au point.

« On nous permettra auparavant de déplorer que des communications de cette gravité soient faites à la légère, sans avoir été au préalable soumises au contrôle de savants véritables. Ces savants ne manquent pas. Leur science, garantie par brevets et diplômes, s’exerce dans un grand nombre d’observatoires officiels.

« Il est très glorieux, sans doute, d’apercevoir le premier un corps céleste qui a la complaisance de traverser le champ d’une lunette braquée vers le ciel. Mais ce hasard favorable n’a pas la vertu de transformer du coup de simples amateurs en mathématiciens de profession. Si, méconnaissant cette vérité de bon sens, on aborde inconsidérément des problèmes qui exigent une spéciale compétence, on s’expose à commettre des erreurs dans le genre de celle qu’il est de notre devoir de redresser.

« Il est bien exact que le bolide dont toute la terre s’occupe en ce moment a éprouvé une perturbation. MM. Forsyth et Hudelson ont eu le grand tort de se contenter d’une seule observation et de baser sur cette donnée incomplète des calculs qui, d’ailleurs, sont faux. En tenant compte seulement du trouble qu’ils ont pu constater le soir du 11 ou le matin du 12 mai, on arriverait, en effet, à des résultats entièrement différents des leurs. Mais il y a plus. Le trouble dans la marche du bolide n’a ni commencé ni fini le 11 ni le 12 mai. La première perturbation remonte au 10 mai, et il s’en produit encore à l’heure actuelle.

« Cette perturbation ou plutôt ces perturbations successives ont eu comme résultat, d’une part, de rapprocher le bolide de la surface de la terre et, d’autre part, de faire dévier sa trajectoire. À la date du 17 mai, la distance du bolide avait décru de 78 kilomètres environ, et la déviation de sa trajectoire atteignait près de 55 minutes d’arc.

« Cette double modification de l’état de choses antérieur n’a pas été réalisée en une seule fois. Elle est au contraire le total de changements très petits qui n’ont cessé de s’ajouter les uns aux autres depuis le 10 de ce mois.

« Il a été jusqu’ici impossible de découvrir la raison du trouble que le bolide a éprouvé. Rien dans le ciel ne paraît être de nature à l’expliquer. Les recherches continuent sur ce point, et il n’y a pas lieu de mettre en doute qu’elles n’aboutissent à bref délai.

« Quoi qu’il en soit à cet égard, il est au moins prématuré d’annoncer la chute de cet astéroïde, et a fortiori de fixer l’endroit et la date de cette chute. Évidemment, si la cause inconnue qui influence le bolide continue à agir dans le même sens, il finira par tomber, mais rien n’autorise jusqu’ici à affirmer qu’il en sera ainsi. Actuellement, sa vitesse relative a nécessairement augmenté, puisqu’il décrit une orbite plus petite. Il n’aurait donc aucune tendance à tomber, dans le cas où la force qui le sollicite cesserait de lui être appliquée.

« Dans l’hypothèse contraire, les perturbations constatées à chaque passage du météore ayant été jusqu’à ce jour inégales, et leurs variations d’intensité semblant n’obéir à aucune loi, on ne saurait, tout en pronostiquant la chute, en préciser le lieu ni la date.

« En résumé, nous conclurons ainsi qu’il suit : La chute du bolide paraît probable ; elle n’est pas certaine. Dans tous les cas, elle n’est pas imminente.

« Nous conseillons donc le calme, en présence d’une éventualité qui demeure hypothétique et dont la réalisation peut au surplus ne conduire à aucun résultat pratique. Nous aurons soin, d’ailleurs, à l’avenir, de tenir le public au courant par des notes quotidiennes qui relateront au jour le jour la marche des événements. »

Mr Seth Stanfort et Mrs Arcadia Walker eurent-ils connaissance des conclusions de J. B. K. Lowenthal ? Ce point est demeuré obscur. En ce qui concerne Mr Dean Forsyth et le docteur Sydney Hudelson, c’est à Saint-Louis, dans l’État de Missouri, pour le premier, et à New-York, pour le second, qu’ils reçurent le camouflet à eux adressé par le directeur de l’Observatoire de Boston. Ils en rougirent comme d’un véritable soufflet.

Quelque cruelle que fût leur humiliation, il n’y avait qu’à s’incliner. On ne discute pas avec un savant comme J. B. K. Lowenthal. Mr Forsyth et Mr Hudelson revinrent donc l’oreille basse à Whaston, celui-là faisant le sacrifice de son billet payé jusqu’à San-Francisco, celui-ci abandonnant à une compagnie rapace le prix de sa cabine déjà retenue jusqu’à Buenos-Aires.

De retour à leurs domiciles respectifs, ils montèrent impatiemment, l’un à sa tour, l’autre à son donjon. Il ne leur fallut pas beaucoup de temps pour reconnaître que J. B. K. Lowenthal avait raison, puisqu’ils eurent beaucoup de peine à retrouver leur bolide vagabond et qu’ils ne l’aperçurent pas au rendez-vous que leurs calculs, décidément inexacts, lui assignaient.

Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson ne tardèrent pas à ressentir les effets de leur pénible erreur. Qu’étaient-ils devenus, ces cortèges qui les avaient triomphalement conduits à la gare ? Visiblement la faveur publique s’était retirée d’eux. Qu’il leur fut douloureux, après avoir savouré à longs traits la popularité, d’être soudain privés de ce breuvage enivrant !

Mais un souci plus grave s’imposa bientôt à leur attention. Ainsi que le juge John Proth l’avait prédit à mots couverts, un troisième compétiteur se dressait en face d’eux. Ce fut d’abord un bruit sourd qui courut dans la foule, puis, en quelques heures, ce bruit sourd devint nouvelle officielle, annoncée à son de trompe urbi et orbi.

Difficile à combattre, ce troisième larron, qui réunissait en sa personne tout l’univers civilisé. Si Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson n’avaient pas été aveuglés à ce point par la passion, ils eussent dès l’origine prévu son intervention. Au lieu de s’intenter réciproquement un procès ridicule, ils se seraient dit que les divers gouvernements du monde s’occuperaient nécessairement de ces milliers de milliards, dont l’apport subit pouvait être la cause de la plus terrible révolution financière. Ce raisonnement si naturel et si simple, Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson ne l’avaient cependant pas fait, et l’annonce de la réunion d’une Conférence Internationale les atteignit comme un coup de foudre.

Ils coururent aux informations. La nouvelle était exacte. Même on désignait déjà les membres de la future Conférence qui se réunirait à Washington, à une date que la longueur du voyage de certains délégués rendait malheureusement plus éloignée qu’il n’eût été désirable. Toutefois, pressés par les circonstances, les gouvernements avaient décidé que, sans attendre les délégués, il serait tenu à Washington des réunions préparatoires entre les divers diplomates accrédités auprès du gouvernement américain. Les délégués extraordinaires arriveraient pendant que se poursuivraient ces réunions préparatoires, au cours desquelles on déblaierait le terrain, si bien que la conférence définitivement constituée aurait, dès sa première séance, un programme bien défini.

On ne s’attend pas à trouver ici la liste des États susceptibles de faire partie de la Conférence. Ainsi qu’il a été dit, cette liste comprendrait la totalité de l’univers civilisé. Aucun empire, aucun royaume, aucune république, aucune principauté ne s’étaient désintéressés de la question en litige, et tous avaient désigné un délégué, depuis la Russie et la Chine, représentées respectivement par M. Ivan Saratoff, de Riga, et par Son Excellence Li-Mao-Tchi, de Canton, jusqu’aux Républiques de San-Marin et d’Andorre dont MM. Beveragi et Ramontcho défendraient fermement les intérêts.

Toutes les ambitions étaient permises, tous les espoirs étaient légitimes, puisque nul ne savait encore où le météore tomberait, en admettant qu’il dût effectivement tomber.

La première réunion préparatoire eut lieu le 25 mai, à Washington. Elle débuta par régler ne varietur la question Forsyth-Hudelson, ce qui ne demanda pas plus de cinq minutes. Ces messieurs, qui avaient fait le voyage tout exprès, insistèrent vainement pour être entendus. Ils furent éconduits comme de misérables intrus. On juge de leur fureur quand ils revinrent à Whaston. Mais la vérité force à dire que leurs récriminations restèrent sans écho. Dans la Presse, qui, si longtemps, les avait couverts de fleurs, il ne se trouva pas un seul journal pour prendre leur défense. Ah ! on leur avait donné à satiété de « l’honorable citoyen de Whaston », de « l’ingénieux astronome », du « mathématicien aussi éminent que modeste » ! Le ton était changé maintenant.

« Que venaient faire à Washington ces deux fantoches ?… Ils avaient été les premiers à signaler le météore ?… Et puis après ?… Est-ce que cette circonstance fortuite leur donnait des droits quelconques ?… Étaient-ils pour quelque chose dans sa chute ?… En vérité, il n’y avait même pas lieu de discuter d’aussi ridicules prétentions ! » Voilà comment s’exprimait la Presse à présent. Sic transit gloria mundi !

Cette question réglée, les travaux sérieux commencèrent.

Tout d’abord plusieurs séances furent consacrées à dresser la liste des États souverains auxquels serait reconnu le droit de
L’établissement de cette liste n’alla pas tout seul… (Page 143.)
participer à la Conférence. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas de représentant attitré à Washington. Il s’agissait de réserver le principe de leur collaboration pour le jour où la Conférence entamerait la discussion sur le fond. L’établissement de cette liste n’alla pas tout seul et les discussions atteignirent un degré de vivacité qui promettait pour l’avenir. La Hongrie et la Finlande, par exemple, émirent la prétention d’être directement représentées, prétention contre laquelle s’élevèrent vivement les cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg. D’autre part, la France et la Turquie entamèrent, à propos de la Tunisie, une violente discussion que l’intervention personnelle du Bey vint encore compliquer. Le Japon, de son côté, éprouva de grands ennuis au sujet de la Corée. Bref, la plupart des nations se heurtant à des difficultés analogues, on n’avait encore abouti à aucune solution après sept séances consécutives, quand, le 1er juin, un incident inattendu vint jeter le trouble dans les esprits.

Ainsi qu’il l’avait promis, J. B. K. Lowenthal donnait régulièrement chaque jour des nouvelles du bolide, sous forme de courtes notes communiquées à la Presse. Ces notes n’avaient, jusqu’alors, rien offert de particulièrement spécial. Elles se contentaient d’informer l’Univers que la marche du météore continuait à subir des changements très petits, dont l’ensemble rendait la chute de plus en plus probable, sans qu’il fût toutefois possible de la considérer encore comme certaine.

Mais la note publiée le 1er juin fut notablement différente de celles qui l’avaient précédée. C’était à croire, vraiment, que le trouble du bolide avait quelque chose de contagieux, tant J. B. K. Lowenthal se montrait troublé à son tour.

« Ce n’est pas sans une réelle émotion, disait-il ce jour-là, que nous portons à la connaissance du public les phénomènes étranges dont nous avons été témoin, faits qui ne tendent à rien moins qu’à saper les bases sur lesquelles repose la Science astronomique, c’est-à-dire la Science elle-même, puisque les connaissances humaines forment un tout dont les parties sont solidaires. Toutefois, pour inexpliqués et inexplicables que soient ces phénomènes, nous n’en pouvons méconnaître le caractère d’irréfragable certitude.

« Nos communications antérieures ont informé le public que la marche du bolide de Whaston a éprouvé des perturbations successives et ininterrompues dont il a été impossible jusqu’ici de déterminer la cause ni la loi. Ce fait ne laissait pas d’être très anormal. L’astronome, en effet, lit dans le ciel comme dans un livre, et rien ne s’y passe, d’ordinaire, qu’il ne l’ait prévu ou qu’il ne puisse, à tout le moins, en prédire les résultats. C’est ainsi que des éclipses, annoncées des centaines d’années à l’avance, se produisent à la seconde fixée, comme obéissant à l’ordre de l’être périssable dont la prescience les a vues dans les brumes de l’avenir, et qui, à l’instant où sa prédiction se réalise, est endormi depuis des siècles dans le sommeil éternel.

« Cependant, si les perturbations observées étaient anormales, elles n’étaient pas contraires aux données de la Science, et si leur cause demeurait inconnue, nous pouvions en accuser l’imperfection de nos méthodes d’analyse.

« Aujourd’hui il n’en est plus de même. Depuis avant-hier, 30 mai, la marche du bolide a subi de nouveaux troubles, et ceux-ci sont en contradiction absolue avec nos connaissances théoriques les mieux assises. C’est dire que nous devons perdre l’espoir d’en trouver jamais une explication satisfaisante, les principes qui avaient force d’axiomes et sur lesquels reposent nos calculs n’étant pas applicables dans l’espèce.

« Le moins habile des observateurs a pu aisément remarquer que, lors de son second passage, dans l’après-midi du 30 mai, le bolide, au lieu de continuer à se rapprocher de la terre, comme il le faisait sans interruption depuis le 10 mai, s’en était éloigné sensiblement au contraire. D’autre part, l’inclinaison de son orbite, qui depuis vingt jours tendait à devenir de plus en plus Nord-Est-Sud-Ouest, avait tout à coup cessé de s’accentuer.

« Ce brusque phénomène avait déjà quelque chose d’incompréhensible, lorsque, hier, 31 mai, au quatrième passage du météore après le lever du soleil, on fut obligé de constater que son orbite était redevenue presque exactement Nord-Sud, tandis que sa distance de la terre était, depuis la veille, demeurée sans changement.

« Telle est la situation actuelle. La Science est impuissante à expliquer des faits qui auraient tous les caractères de l’incohérence, si rien pouvait être incohérent dans la nature.

« Nous avions dit, lors de notre première note, que la chute, encore incertaine, devait du moins être considérée comme probable. Nous n’osons même plus maintenant être aussi affirmatif et nous préférons nous borner à confesser modestement notre ignorance. »

Un anarchiste eût jeté une bombe au milieu de la huitième réunion préparatoire qu’il n’eût pas obtenu un effet comparable à celui de cette note signée J. B. K. Lowenthal. On se disputait les journaux qui la reproduisaient en l’encadrant de commentaires bourrés de points d’exclamation. L’après-midi tout entière se passa en conversations et en échanges de vues assez nerveux, au grand dommage des laborieux travaux de la Conférence.

Les jours suivants, ce fut pis encore. Les notes de J. B. K. Lowenthal se succédaient, en effet, plus surprenantes les unes que les autres. Au milieu du ballet si merveilleusement réglé des astres, le bolide semblait danser un véritable cancan, un fantaisiste cavalier seul sans règle ni mesure. Tantôt son orbite s’inclinait de trois degrés dans l’Est et tantôt elle se redressait de quatre dans l’Ouest. Si, à un de ses passages, il paraissait s’être quelque peu rapproché de la terre, il s’en était éloigné de plusieurs kilomètres au passage suivant. C’était à devenir fou.

Cette folie gagnait peu à peu la Conférence Internationale. Incertains de l’utilité pratique de leur discussion, les diplomates travaillaient avec mollesse et sans ferme volonté d’aboutir.

Le temps s’écoulait pourtant. Des divers points du monde, les délégués de toutes les nations accouraient à toute vapeur vers l’Amérique et vers Washington. Beaucoup d’entre eux étaient déjà arrivés, et bientôt leur nombre serait suffisant pour qu’ils pussent se constituer régulièrement sans attendre leurs collègues plus éloignés. Allaient-ils donc trouver un problème intact, dont même le premier point n’aurait pas été élucidé ?

Les membres de la réunion préparatoire se piquèrent d’honneur, et, au prix d’un travail acharné, ils parvinrent, en huit séances supplémentaires, à cataloguer les États dont les délégués seraient admis aux séances. Le nombre en fut fixé à cinquante-deux, soit vingt-cinq pour l’Europe, six pour l’Asie, quatre pour l’Afrique, et dix-sept pour l’Amérique. Ils comprenaient douze empires, douze royaumes héréditaires, vingt-deux républiques, et six principautés. Ces cinquante-deux empires, monarchies, républiques et principautés, soit par eux-mêmes, soit par leurs vassaux et colonies, étaient donc reconnus comme seuls propriétaires du globe.

Il était temps que les réunions préparatoires aboutissent à cette conclusion. Les délégués des cinquante-deux États admis à participer aux délibérations, étaient en grande majorité à Washington et il en arrivait tous les jours.

La Conférence Internationale se réunit pour la première fois le 10 juin, à deux heures de l’après-midi, sous la présidence du doyen d’âge, qui se trouva être M. Soliès, professeur d’océanographie et délégué de la Principauté de Monaco. On procéda immédiatement à la constitution du bureau définitif.

Au premier tour de scrutin, la présidence fut attribuée, par déférence pour le pays où l’on était reçu, à M. Harvey, jurisconsulte éminent qui représentait les États-Unis.

La vice-présidence fut plus disputée. Elle échut finalement à la Russie, en la personne de M. Saratoff.

Les délégués français, anglais et japonais furent ensuite désignés comme secrétaires.

Ces formalités accomplies, le Président prononça une allocution très courtoise et fort applaudie, puis il annonça que l’on allait procéder à la nomination de trois sous-commissions, qui auraient comme mandat de rechercher la meilleure méthode de travail au triple point de vue démographique, financier et juridique.

Le vote venait de commencer, quand un huissier monta au fauteuil présidentiel et remit un télégramme à M. Harvey.

M. Harvey lut ce télégramme et, à mesure qu’il le lisait, son visage exprimait un étonnement grandissant. Après un instant de réflexion, toutefois, il haussa dédaigneusement les épaules, ce qui ne l’empêcha pas, après un autre moment de réflexion, de faire résonner la cloche, afin d’attirer l’attention de ses collègues.

Quand le silence se fut rétabli :

« Messieurs, dit M. Harvey, je crois devoir porter à votre connaissance que je viens de recevoir ce télégramme. Je ne mets pas en doute qu’il ne soit l’œuvre d’un mauvais plaisant ou d’un fou. Il me paraît, cependant, plus régulier de vous en donner lecture. Le télégramme, d’ailleurs non signé, est ainsi conçu :

« Monsieur le Président,

« J’ai l’honneur d’informer la Conférence Internationale que le bolide, qui doit faire l’objet de ses discussions, n’est pas res nullius, attendu qu’il est ma propriété personnelle.

« La Conférence Internationale n’a donc aucune raison d’être, et, si elle persistait à siéger, ses travaux sont d’avance frappés de stérilité.

« C’est par ma volonté que le bolide se rapproche de la terre, c’est chez moi qu’il tombera : c’est donc à moi qu’il appartient. »

— Et ce télégramme n’est pas signé ? demanda le délégué anglais.

— Il ne l’est pas.

— Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’en tenir compte, déclara le représentant de l’empire d’Allemagne.

— C’est mon opinion, approuva le Président, et je crois répondre au sentiment unanime de mes collègues en classant purement et simplement ce document dans les archives de la Conférence… C’est bien votre avis, messieurs ?… Il n’y a pas d’opposition ?… Messieurs, la séance continue. »