La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XVI

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 87-99).
XVI. Des maladies des chiens et de leurs condicions

Chapitre seizième.
Des maladies des chiens et de leurs condicions.


Chiens ont moult de maladies et diverses et la plus grant, c’est la rage ; de quoy en ya de ix manières, desquelles j’en diray une partie. La première appelle len rage enragée. Les chiens qui sont enragiez de cieu rage crient et hullent à vois cassé et non pas telle comme ils souloient avoir quant estoient seins. Quant ils se pevent eschaper, ils vont tout partout, mordant hommes et bestes et tout quant qu’ils truevent devant euls. Et est moult périlleuse leur morsure : quar ce à quoy ils mordront ou trairont sang à grant paine sera qu’il ne soit enragié. Les signes de cognoistre le commencement du chien enragié, ce est qu’il ne menge mie si bien comme il souloit et qu’il mort les chiens en les festeyant de la cueue et les flairant premier. Et puis leiche ses lèvres et fet un grant souflet du nés ; et ha fière regardeure : et regarde à ses costés et fait semblant qu’il ha mousches environ soy, et puis crie. Et quant on cognoist cieuls signes on le doit oster des autres jusques à quatre jours que on voye la maladie toute clere, ou que ce ne soit rien ; quar aucune fois on y est bien enginhé. Et puis que chien est enragé de lune des ix rages, null en puet guarir, et leur rage ne peut durer plus de ix jours qu’il ne soit mort[1].

L’autre manière de rage ha cieux signes en son commencement comme la rage dessusdite, fors que ne mort hommes ne bestes, fors que aux chiens : et est aussi périlleuse la morsure comme de l’autre et va touzjours cà et là sanz point arrester. Ceste s’apelle rage courante. Et toutes ces deux rages susdites se prenent aux chiens avec qui ils demuerent supposé qu’ils ne les mordent.

Lautre s’apelle rage mue et ne corrent ne mordent ; mes ils ne vuellent mengier et ont un pou la guele ouverte, comme s’ils avoient un os en la guele et se débavent et einsi muerent dedans le terme susdit sans fère autre mal, et dient aucuns que ce leur vient d’un ver qu’ils ont dessoubz la lengue de quoy vous trouverez pou de chiens qui ne l’ayent. Et aussi len dit que qui leur osteroit le ver, james chien n’enrageroit ; mes je ne l’aferme mie. Toutes voies fois il est bon de les y oster, et on l’oste en ceste manière. On doit prendre le chien quant il a demy an passé et bien tenir les quatre piés et mettre un baston au travers de la bouche afin qu’il ne puisse mordre et puis prendre la lengue et le ver que vous trouverez dessoubz la lengue et fendez un pou la lengue et puis passez une aguille et du fil entre le ver et la lengue et puis tirez le fil a mont à tout le ver. Et combien que on le appelle ver ce nest que une grosse voine que les chiens ont dessoubz la lengue. Ceste rage ne se prent point aux autres chiens ne aux hommes ne à rien.

L’autre rage si appelle la rage chéante, pour ce que quant ils cuident alez, ils chéent don d’une part, don dautre et einsi muerent dedans le dit terme. Ceste rage ne se prent point aux autres chiens ne bestes ne hommes.

L’autre manière de rage s’apelle rage efflanchée quar ils sont cousus parmi les flans, comme s’ils n’avoient onques mengié, et poussant des flans, et batent grief et ne veulent point mengier et tiennent la teste basse et le regard bas. Et quant ils vont, ils lievent leurs piés haut et vont chancellant. Ceste rage ne se prent point ne à chiens, ne autres choses ; et muerent comme dessus est dit.

L’autre rage si s’apelle le rage endormie, pour ce qu’ils sont touzjours couchiés et font semblant de dormir et ainsi meurent sans mengier ; et aussi celle rage ne se prent point.

L’autre manière de rage s’appelle rage de teste, combien que toutes les rages soient de folie de teste et de chaleur de cuer, pour ce que la teste leur devient grosse et enflée, les yeuls gros et enflés ; et ne menjent point ; et ainsi muerent. Et ceste aussi ne se prent point. Et sachiez que nul chien qui soit enragié de l’une de cestes sept manières, de ma vie, je ne vi onques garir. Toute fois moult de gens cuident assés de fois que un chien soit enragié et si n’en est pas. Pour ce est la meilleure preuve que on puisse fere, trère le hors des autres chiens et l’essaier iij jours naturels ensuyvant sil vuelt mengier ne char ne autre chose. Et sil ne vuelt mengier dedans les trois jours tenez le pour enragié. Les remèdes qui sont à hommes ou à bestes qui sont mors[2] de chiens enragies convient qu’ils soient bien brief fetz ; quar s’ilz passent un jour naturel, je ne les oseroye emprendre à garir des deux rages que j’ay dit ; quar les autres ne portent nul mal et sont divers les remèdes. Les uns vont à la mer et ce est bien petit remède et font passer ix fois par dessus celuy qui en sera mors les ondes de la mer. Les autres ont un coq et le plument entour le cul et le pendent par les jambes et par les elles et mettent le treu du cul sur le pertuis de la morsure et aplanient au coc le col et les espaules afin que le cul du coq sucse le venin de la morsure et ainsi font longuement sur chescune des playes, et si elles sont trop petites, les font ouvrir à une lancette. Et dit len, mes je ne l’afferme mie, que se le chien estoit enragié que le coq enflera et mourra ; et celuy qui estoit mors garira. Et se le coq ne muert, c’est signe que le chien n’estoit point enragié. Il y a autre remède que on peut fere : sausse de sel et de vin aigre et fortz aux pillez et criblez et chaufé ensemble avecques orthies et tout chaud metre sur la morsure ; et cestuy est bon et véritable ; quar je l’ay esprouvé. Et se doit mettre chescun jour deux fois sur la morsure, si chaud comme on le pourra soufrir, jusques tant que la playe soit sanée, ou au moins par ix jours. Et encores y ha un autre remède meilleur que tous les autres : prenez des porriaux et des aux et des ciboles et de la rue et des orthies, et fete le tout piquier d’un coustel bien menuement et puis les mettez avec uylle d’olives et vin aigre et burre en une cuillier de fer sur le fueu, et menez d’une espatule tout ensemble sur le feu. Et puis prenez toutes les dites herbes si chaudes comme len les pourra soufrir et les metre sus la playe deux fois chascun jour jusques tant que la playe soit sanée, ou au moins par ix jours ; mes premièrement soyent getées ventouses, que on appelle coupes, sur la playe pour treire le venin dehors, qu’il n’aille au cueur. Et se chien est mors d’autre chien enragié, est bonne chose le pertuser, environ la morsure, d’un fer chaud.

Les chiens aussi ont une autre maladie qui s’appelle roinhe ; et c’est pour ce qu’ilz sont malenconiex qui leur avient voulentiers roinhe. Il y a quatre manières de roinhe : l’une s’appelle vive roinhe ; et si poile le chien ; et si fet fendasses au cuir ; et se fet le cuir gros et espès ; et cestuy ci est bien mal de garir ; quar s’il garist, il revient voulentiers. Et à ceste roinhe est le meilleur oinhement que on puisse fere, combien que j’en y metroye de x manières : prenez vi livres de miel, un quart de verdet ; et le miel soit premièrement fondu et mené au feu à une espatule, et puis leissié refroydier, et arrière bouillir avec tant d’uille de noiz comme de yaue ou une herbe soit boulie, qui s’appelle en latin eleborum et en nostre langage valaire, qui fait esternuer les gens, et tout ensemble meslés sus le feu et menez bien à l’espatule, et puis le leissiés refroydier ; et quand il sera froit, oinhez le chien près le feu ou au souleill et gardez qu’il ne se leiche, quar il li feroit mal ; et s’il ne garist la premiere fois, si le fetes tant de fois de viii en viii jours jusques tant qu’il soit gari quar certainement il garira. Et si vous voulés fere plus d’oinhement, si prenés plus des choses suzdites à l’avenant ou du moins moins.

L’autre maniere de roinhe si s’apelle roinhe volante ; quar elle n’est pas par tout le corps, mes vient plus volentiers ès oreilles et teste des chiens et jambes que en autre lieu, et est vermeille et saute d’un lieu en autre, einsi comme farsin. Ceste est encore plus greveuse de garir ; et à ceste roinhe est le meilleur oinhement que on puisse fere, combien que je en feroye de plusieurs manières : prenez vif argent tant comme voudrés fere de l’oinhement, et metez en une escuelle et avecques la cracheure et salive de trois ou de quatre hommes, menez tout ensemble contre rescuelle aux dois jusques tant que l’argent vif soit amortiz comme yaue ; puis prenés autant de verdet, polverisé comme de l’argent vif, et meslés ensemble avec ladite salive touzjours menant aux les dois, ainsi comme devant, jusques tant qu’il soit bien encorporé ; puis prenés vieill sain de porc sans sel une grosse pièce ; ostés la pel dessus, et metés en l’escuele suzdite avec les choses suzdites, et meslés et pilés tout ensemble une grant piece, puis le gardés, et en oinhés là où il aura la roinhe, mes non pas en autre lieu, et certainement il garira. Cest oinhement est merveilleusement bon et véritable, non seulement pour ceste chose, mes contre tics et chancres et fistules et farcins et autres mauls vifz qui sont forts à saner.

Autre roinhe est comune, de grater aux piez et aux dens, et est partout le corps. Et toutes ces manières de roinhes vienent aux chiens pour fère grans travaills et longues chasses ; et quant ils sont chaus et boivent des yaues qui ne sont pas netes qui leur corrompent le corps ; et aussi quant ils chassent par mauls pays d’ajonc ou d’espines ou de ronses, et puis ils passent rivières ou pleut par aventure sur euls ; lors leur vient la roinhe. Aussi leur vient roinhe de gresse, quant ils demuerent ou chenill sans chassier et le chenill est mal nestié ; et le fuerre[3] et la paille tard remué et l’yaue mal fresche, et brief les chiens mal tenus et gardés. À ceste roinhe commune prenez la rassine d’une herbe qui est sus les parois des hostels, qui s’appelle en latin yreos et en nostre langaige lirgue[4] et la tailliez menu, et fetes boillir dedans yaue, et puis metez dedens autant de uille de nois comme de yaue, quant elle sera boillie getés dehors l’herbe ; et ayés de la poiz genne et raisine, tant de l’un comme de l’autre, bien pillé et polvererisé et getez dedans l’yaue et uille dessusdite, et menez bien ensemble sus le feu à une espatule, et puis leissiez refroidir et oinhiez le chien comme dessus.

À chiens avient aussi une maladie aux yeuls. Quar il leur vient taile dessuz, et une char qui leur vient par l’un des boutz de l’ueil, qui leur cuevre l’ueill e s’apelle ongle ; et einsi deviennent bornhes, qui ne si prent garde. Aucuns leur metent colier d’orme, de la fueille et de l’escorce. Et dient quant cela sera sec, l’ongle leur cherra ; mès cela est bien petit remède. Mès les vrais remèdes qui y sont, si est prendre du jus d’une herbe qui s’apelle clère[5] et autrement célidoine et meslé avec poudre de gingembre et de poyvre ensemble et mettre iii foiz le jour dedens l’euil et ne leissiez pas froter ne grater d’une grant piesse et cela li continuez par ix jours et se vous connoissez que l’ueill esclarisse, si le continuez jusques tant quil soit gary. Et aussi est bon d’y metre par la meisme manière de la poudre de la tutie[6] que on trueve assés aux apoticaires. Et se l’ongle estoit si fort et si endurcie que pour cela ne peust garir, ayez une aguille et la pliez au milieu que elle soit courbe et prenez bien subtilment celle chair qui est sus l’ueil et la tiriez hault et puis la coupez d’un rasoer ; mes prenez bien garde que l’aguille ne touche à l’ueill. Et ceste chose scevent bien fere les mareschauls. Quar einsi comme un ongle se tret à un cheval aussi se tret à chien.

Et aussi avient à chiens autre maladie ès oreilles, qui leur part de reume de la teste. Quar ils se gratent tant du pié derrière, qu’ils y font venir ordure, et leur giètent ordure les oreilles ; aucune fois en devienent sours. Prenez du vin tiède et à un bau drap, à tout vostre doy, li lavez l’oreille trois ou quatre fois le jour. Et puis quant vous li arez lavé, si li getez dedens trois goutes d’uille rosat avec autres trois goutes d’uille de camamille tièdes, meslez tout ensemble et ne li leissiez mie grater ne froter l’oreille d’une grant piesse et ceci li continuez jusques tant quil soit gary.

Aussi ont les chiens autre maladie qui leur part de rieume, c’est qu’ils ont le morvel ès narrines comme un cheval et ne pevent rien sentir, et au derrenier aucuns en muerent. Fetes bouillir du mastic et d’ensens bien polvérisé en yaue et de une chose qui s’appelle estoracis calamita[7] et de lapda et de camamille et de melilot, de anthos[8], de calament[9], de nigella[10] et de rute[11], de mente et de sauge, et fetes tenir les narines du chien sur le pot où cela bullira affin quil en ressoive la fumée par les narines, et li fetes einsi tenir une grant piesse, trois ou quatre fois chascun jour jusques tant qu’il soit gari. Et cecy est bon à cheval quant est morveuls et aussi à homme qui est fort enreumé.

Aussi ont chiens autre maladie qui leur vient en la gorge, et aussi fet aux hommes qui ne leisse transgloutir ce qu’ils menjent ainsi avient qu’ils le jetent arrière ; et aucunefois ont le mal si fort, qu’ilz ne pevent rien avaler dedenz le corps et muerent. La meilleure médicine qui soit, si est les leissier aler partout là ou il leur plaira et leissier mangier tout quant qu’ils voudront ; quar aucunefois les choses contraires aproufitent bien. Et quant on leur voudra donner à mengier, si leur donne de la char bien menuement taillée et picquée mise en brouet, ou en let de chièvres ou de vaches petit à petit, afin qu’ilz puissent passer sans travail, et ne li en donnent mie trop à une fois, affin qu’ils puissent mieulx digérir. Aussi le buerre et les œufz leur font grant bien.

Aussi aucuneffois les hurtent du pis ou des jambes ou des piés ; et quant c’est desjointés des espaules ou des jambes ou des piés qu’ilz ayent mises hors de lieuz, le meilleur remède qui soit, si est fère les y retourner à un homme qui bien le saiche faire à leur droit, et puis metre dessus estoupes maillées ou blanc de l’euf et le leissier reposer jusques tant qu’il soit gary. Et s’il y ha os rompu, on le doit retourner au plus droit qu’il porra, l’un os en droit de lautre. Et lier les o les estoupes suzdites et quatre astelles bien liées l’une dessus, l’autre dessous et les deux aux costez, affin que les os ne se desjunhent ; et remuer la liasse de trois en trois jours naturels. Et donner li à boyre du jus des herbes qui s’appellent consolidas de maiour[12] et de minour, et de mesler en brouet, ou en ce quil mengera ; quar cela li fera consolider les os.

Chiens aussi se perdent voulentiers par les piés ; et si aucunesfois ils les ont eschaufés, prenez du vin aigre et de la suye qui est ès cheminées et les en lavez les piez chascun jour, jusques tant qu’ilz soient garis ; et s’ils ont les soles batues et se deulent pource qu’ilz aront chassié en dur pays ou de pierres ou autrement. Prenez de l’yaue et du sel menu dedans et les en lavez les piés le jour qu’ils aront chassié. Et s’ils ont chassé par malx pays ou d’ajonx ou d’espines qui les ayent donnés par les jambes ou par les piés, si leur lavez les jambes de fien[13] de mouton boilli en vin et refroydie, en frotant de bas en haut le poill à mont. Le plus que on puet fere à chiens, pour garder les piés, qu’ils ne perdent les ongles, cest que on ne les leisse trop séjourner ; quar au séjour perdent ils voulentiers les ongles et les piés. Et pour ce, les doit on fère chassier trois fois la semaine ou au moins deux. Et s’ils ont trop sejourné, faictes les acoursier le bec des ongles d’une tenailles, avant quilz chassent ; pource que les ongles ne se rompent au courre, quant ilz sont trop longues. Aussi quant ils sont à séjour, menez les deux foys le jour esbattre demie lieue loinh sur gravelle de riviere affin quils ayent plus durs piéz. Chiens aussi se refroydient comme un cheval, quant ilz ont trop courru et viennent chauz en aucune yaue ou demuerent en aucun lieu froit ; et vont tous priz et ne pevent guères aler ne ne vuelent mangier. Adonc les doit on faire sainher des iiij jambes. De celles devant d’une vaine qui traverse la jambe de la joincture devant par dedans la jambe ; et des jambes de derrière les doit on faire sainher de la part dehors d’une vaine qui traverse par dessus le jarret, quar en celle derriere voit len clerement les vaines que je di, et aussi en celles de devant les vaines que je di, et einsi sera gari ; et donnez li un jour ou soupes ou aucune chose de confort jusques à lendemain au tiers jour qu’il sera gari.

Chiens aussi ont maladies au vit qui s’appellent fic ; et de cela se perdent. On doit prendre le chien et le fère bien tenir et metre le ventre en amont et faire bien lier les piez et le musel. Et puis on doit prendre le vit par darrière près des coulions et bien bouter en amont, et un autre homme doit bien tirier la pel en manière que tout le vit isse dehors ; et puis quant il sera de hors on li pourra oster le fic aux dois ou ès ongles, quar si on li touchoit de coutel on le pourroit afoller en manière que jamais n’alinheroit lisse ; et puis laver de bon vin tiède, et metre du miel et du sel, afin qu’il ne li revienhe, et retourner le vit dedans la pel comme devant ; et regarder chescune sepmaine que rien ne li en revienhe et touzjours ; oster, jusques tant qu’il soit bien sané. Aussi vient ès lisses fic en la nature et aucunefois les ont dehors et aucunefois les ont dedans ; et quant il est dehors, tiriez ès mains comme j’ai dit et li ostés, et s’il est dedens, li fetes bien ouvrir la nature aux dois à un autre et li tiriez dehors et li metez des choses suzdites. Ces deux curacions de quoy moult de chiens se perdent ne sèvent mie touz les veneurs.

Aussi ont les chiens aucunefois maladie qu’ils ne pevent pissier et s’en perdent. Et aussi qu’ils ne pevent chier et aussi s’en perdent. Et à celui que ne puet chier, prenez la rassine d’un choul et la bainhez en uille d’olives et li metés par la nature, mes que vous en laissiez dehors par où le puissiez tiriez arrière quant besoinh sera. Et se pour cela il ne garist, fetes li un cristère einsi que feriés à un homme, de mauves, de bletes, de mercuriel un poinh de chescune et de rute et d’enssens, et soit tout cuyt en eaue et metez du son dedenz et soit la dite yaue toute coulée et en ladicte couleure soit dissoult ij dragmes d’agret et de miel et sel et de uille d’olives et tout ensemble fetes li bouter par dedens le cul et chiera ; ou prenez v grains de catepusse[14] autrement appelée espurge et les pilés et destrempés à let de chièvre ou à brouet et en donnez au chien par la gorge et à la quantité d’un voirre.

Et se il ne peut pissier, prenez des fueilles de porreaux et de marrubre blanc, d’artemise[15] et de paritarie[16], de morsus galiné[17], d’orthie, et de fuielle de persil, et tant de l’une comme de l’autre ; et soyent pilées avec sain de porc, et soit enplastré sus le vit et sus tout le ventre un pou chault. Les choses qui sont obscures à entendre, trouverez bien, et les apoticaires les entendront bien.

Aussi avient aux chiens bosses qui leur viennent ès gorges ou en autre partie du corps. Lors prenez de malves et des vismalves et dou lis blanc et les fetes piquer d’un coutel bien menu et metez en une cuillier de fer ; meslé avec sain de porc les herbes suzdites et li metez sur les bosses et cela les fera meurer[18] ; et quant elles seront molles, si les crevez d’une lancette et quant seront crevées, metez dessus entret tirant ; et sera gari.

À chiens avient aussi qu’ils se combatent et sont playez[19] et lors on doit prendre de la laine des brebis qui n’ait esté lavée et de uille d’olive un pou chaut ; et bainhez la laine dedens l’uille ; et soit mis sur la playe du chien et puis lié en cela ; et li soit fet par trois jours entiers. Et puis après, deux foiz le jour, oinhez li de l’uille sans metre rien dessus, et il si léchera de sa lengue et se garira ; quar la lengue du chien porte medicine espicialement en leurs meismes playes. Et si par aventure en la playe li venoient vers, si comme aucunefois font, si les y ostés chascun matin d’une broche de fust, et puis, y metez du jus de la fueille du pescher meslé ensemble avec chauz vive jusque tant qu’il soit gari.

Aussi avient aux chiens qu’ils hurtent du genoill devant de la jambe d’arrière et leur sèchent la cuisse et s’en perdent. Cieulz chiens appelle l’en estrufez ou effaussiez, et lors, si vous veez qu’il leur dure plus de trois jours qu’ils ne touchent du pié à terre, si leur fendez au lonc et au travers dedans la cuisse en crois sur le tour du genoill derrière ; et puis metez dessus de laine bainhée en l’uille comme dessus est dit, par trois jours naturelz, puis li oinhez sa plaie de l’uille sans lier comme dessus est dit. Quar il se garira de la langue comme dit est. Aucunefois, quant un chien est malement estruffé ou effaussé, il demourra bien demi an ou plus avant qu’il soit du tout refermé[20]. Donc faut-il que vous le leissié longuement séjourner jusques tant qu’il soit du tout gari, et qu’il ne se deule point, et ait la cuisse aussi grosse comme l’autre ; et se pourtant cela il ne garist, fetes li fere aussi comme on fait à un cheval, quant il est affolé devant de l’espaule, une ortie[21] et un sedel[22] de corde ; si garira.

Aussi avient il aucunefois aux chiens mal en la bourse de coullons et aucunefois par fere trop longues chasses et par desrompement ; ou aucunefois qu’ilz sont marfondus comme un cheval ; ou aucunefois quant il y a lisses chaudes et ils ne les pevent tenir, celle voulenté et humour leur tombe aux coullons ; ou aucunesfois par coup qu’ils prennent sur les coullons en chassant ou autrement. À ceste maladie et en toutes les manières dont elle puet venir, c’est le meilleur remède qui soit, faire une bourse de drap de trois ou de iiijre doubles et avoir de la semence de lin et mis dedens un pot meslé avec du vin et le leissier boullir bien ensemble, et meslez touzjours d’une espatule et quant il sera bien cuyt le metre dedens la bourse dessusdite ; et si chaud comme le chien le pourra souffrir metre les coullons dedans et lier d’une bande par entre les cuisses et par dessus l’eschine bien serré les coullons en amont et leissier un pertuis au drap derrière par ou la cueue saille et le cul ; et un autre pertuis devant par où le vit saille aussi, affin qu’il puisse pisser. Et renouvellez chescun jour une fois ou deux jusques tant qu’il soit gary. Aussi à homme et à cheval qui a ces maladies est-ce moult bonne chose.

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  1. Du Fouilloux a fait beaucoup d’emprunts à Gaston Phœbus ; il a presque copié littéralement ce passage. Mais, par une erreur grossière, qu’il faut attribuer à ses éditeurs et non à ce célèbre veneur, on a imprimé dans son ouvrage qu’un chien ne peut vivre avec la rage plus de x mois.
  2. Mors, mordus.
  3. Fuerre, paille, fumier. Le proverbe faire la gerbe de fuerre à Dieu, vient, selon Nicot, de ce que certaines gens ne craignaient pas de payer la dîme avec des gerbes de fuerre ; c’est à dire de paille, dans lesquelles il n’y avait point de grain. Il peut s’appliquer à toute personne de mauvaise conscience, soit envers Dieu, soit envers les hommes.

    Le mot fer est encore usité dans le patois picard : Un capiau de fer est un chapeau de paille. Ce mot est aussi conservé dans le langage du droit. On appelle cheptel de fer celui où le propriétaire fournit les bestiaux et profite uniquement des pailles consommées qui doivent être employées à fumer sa terre.

  4. Lirgue, ireos aut iridis, iris ordinaire ou flambe. Cette plante croît dans les lieux secs et sur les vieux murs, son suc est acre et caustique.
  5. Éclaire ou chélidoine.
  6. Tutie, oxyde de zinc.
  7. Estoracis calamita, storax et styrax calamita, résine extraite de l’aliboufier.
  8. Anthos, romarin ou encensier.
  9. Calament, espèce de mélisse, thymus calamita.
  10. Nigella, nielle.
  11. Rute, rue.
  12. Consolidas de mayour et de minour, grande consoude, simphyium majus, oreille d’âne ou consire, piaule de la famille des boraginées ; petite consoude, brunelle.
  13. Fien, suif.
  14. CaLepusse, euphorbia lathyris aut lithymalus, catapuce ou épurge.
  15. Artemise, armoise.
  16. Paritarie, pariétaire.
  17. Morsus gallinæ, alsine media et vulgaris, morgeline, ou mouron des petits oiseaux.
  18. Meurer, mûrir.
  19. Sont playez, reçoivent des plaies.
  20. Refermé, raffermi.
  21. Ortie, mèche qu’on insinue entre la chair et le cuir d’un cheval.
  22. Sedel, du mot espagnol sedal, seton. Dans le manuscrit de la Bibliothèque royale 7099, on lit : cyon, et dans l’édition de Vérard : seon. Cette différence vient de ce que le manuscrit 7098 a été écrit en Béarn à la fin du xiiie siècle, et que le manuscrit 7099 n’a été copié qu’à une époque postérieure et en pays de langue d’oyl où l’on écrivait cion, seon, cyon ou chion. Ainsi, dans une traduction manuscrite de Pietro de’ Crescenzj, conservée à la Bibliothèque mazarine sous le n° P/1280 et portant ce titre : Livre des ruraulx proufits translaté en français à la requeste du roy Charles V, on lit : « Et puis on mectra laps ou chions au pis ou ès cuysses qui admirablement actrairont les humeurs par la force et convenable vertu des laps ou chions. »

    Les laps ou chions du traducteur de Pietre de’ Crescenzj sont l’ortie et le sedel employés par Gaston Phœbus.