La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LXXI

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 255-258).
LXXI. Ci devise comment on peut trère aux bestes à l’arcbaleste et à l'arc de main

Chapitre soixante-onzième.
Ci devise comment on puet trère aux bestes à l’arcbaleste et à l’arc de main.


Aussi puet on prendre les bestes à trère aux arez : à l’arcbaleste et à l’arc de main que on apèle anglois ou turquois. Et se le veneur vuelt aler trère ès bestes et il vuelt avoir arc de main, l’arc doit estre de if ou de boïx[1], et doit avoir de long, de l’une ousche, où la corde se met, jusques à l’autre vingt poigniés : et doit avoir entre la corde et l’arc quant il est tendu tous les cinq dois et la paume large. La corde doit estre de soye ; quar on la puet fère plus gresle que d’autre chose et aussi elle est plus forte et dure plus que de chanvre ne de fil et donne plus siglant et grant coup. L’arc ne doit pas estre tant fort que celuy de qui est ne le puisse bien tirer à son ayse sans soy trop dresreer[2] en guise que une beste le puisse veoir ; et aussi le tendra il tiré plus longuement et la main plus seure que s’il estoit fort. Quart aucunefois une beste vient bèlement et escoutant ; lors convient qu’il ait jà tiré l’arc, et atende einsi jusques tant que la beste soit près près pour tirer, et s’il estoit trop fort il ne pourroit einsi longuement, mes le conviendroit, quant il tireroit l’arc, à remouvoir tant que la beste le verroit. La flesche doit estre de la longueur de huit poignées de long de la bosse de l’ousche darrière jusque au barbel de la flesche ; et le fer doit avoir de large au bout des barbiaus, quatre dois, et doit tailler de chescune part et bien afilée et aguë et doit avoir cinq dois de long. Et quant celuy voudra tirer et metra la flesche ou sayete à la corde pour trère, il doit regarder que les penons aillent de plat contre son arc ; que quant il descochera et leissera aler sa sayete, se les pennons estoient devers l’arc, ilz pourroient hurter à l’arc et desvoyer, qu’il ne tireroit jà droit. Et s’il vuelt chassier aux chiens, il doit avoir tous ceulz qui scevent trère aux arcz et au desouz du vent il les doit metre tout de renc au giet d’une grosse pierre poinhal l’un loinh de l’autre, s’ilz sont en cler païs ; mès s’ilz sont en fort païs ilz doivent estre plus près, davant un arbre chescun et non pas darrière, les eschines devers l’arbre. Et les archiers doivent estre tous vestus de vert. Puis metre ses deffenses tout autour, fors que par là où ses archiers sont, le plus près qu’il pourra l’un de l’autre, selon les gens qu’il hara. Et doivent parler l’un à l’autre et fère noise comme j’ay dit sà devant. Puis puet aler leisser courre dedens les deffenses le quart de ses chiens ; et quant la beste vendra aux archiers, les archiers doivent dès qu’ilz aront oy leissier courre, metre leurs flesches en l’arc, et leurs deux mains là où elles doivent estre apareillées de trère : quar si la beste veoit que on meist la sayette dedans l’arc et l’homme se boujât, elle sen iroit d’autre part. Pour ce est bon que on soit tousjours apareillé de tirier sans se remouvoir fors que tirer du braz. Et se la beste vient tost et tout droit de visaige à l’archier, il la doit lessier venir bien près et puis trère, visaige à visaige, parmy le pis ; quar s’il atendoit que elle passast par le costé, la beste pourroit passer au destre ; si n’est mie bien aisié de trère de l’arc au destre ; quar il convient que on tourne tout le corps. Et se elle vient par la part senestre, je loe qu’il la leisse venir et si traye au costé ; mes il fault qu’il tire au devant de lui et non pas au costé ; quar s’il tiroit entre les quatre membres, avant que la sayette fust là, la beste seroit passée une toyse ou plus oultre ; si faudroit. Et ou plus loinh le passera la beste, plus doit tirer au devant de li. Et aussi est il grant perill qui tire droit à droit à son costé ; quar on faut moult de fois à férir la beste, ou se elle est férue, la sayette passe tout outre et ainsi pourroit tuer ou blesser un de ses compaignons qui seroit au ranc ; quar pour tel cas vi-je afoler messire Godefroy de Harrecourt de l’un des bras. Pour ce loe-je que on tire un pou plus avant ; non pas tant droit là où est son compaignon, et puis traye au long des costes. Et s’il ha bien féru sa beste entre les quatre membres et il voit que ce soit grant cerf ou grand dain, il doit huer un long mot, ou sifler qui vaut mieux pour avoir le chien ou les chiens pour le sang, qui doivent estre les uns à l’un bout des archiers et les autres à l’autre, des quieulz chescun archier doit avoir un ou plus. Et s’il ha limier pour le sang, il doit suyvre jusques tant que la beste soit morte ; et s’il n’a limier, et ha autre chien pour le sang, il le doit abatre sus le sang, et aler après ou à cheval ou à pié. Et se l’archier n’a pas aperçu par où il a féru sa beste, et il a treuvé sa flesche sanglante, il verra bien combien il en sera entré dedens et verra le sang gros et espès, et il tastera des dois sur le fer et trouvera le sang limonneus et gras sur la froidour du fer. Lors pourra il bien savoir qu’il l’a férue entre les quatre membres et mortellement. Et s’il voit le sang cler et vermeill et à contraire de ce que j’ay dit, c’est signe qu’il est féru en lieu qu’il ne doive mie morir si tost. Et s’il est féru par la panse son fer sera plain de ce qu’il hara viandé et sera féru mortellement ; mès il ne morra mie si tost comme s’il estoit féru parmi les costés. Les lieux par où une beste puet mourir plus tost si est par les longes et par les costés, espicialement bas près du coute de l’espaule. Et se elle est férue par le pis, en venant, par dedans le corps, par le corps, par le col aussi, quant il li tranche la meistre voine ou la gorge ou l’erbier : autrement non. Et oultre les deux espaules, s’il passe tout oultre aussi ; mès s’il est féru par l’espaule et ne passe point dedans le corps, non. Et se elle est férue par les cuisses, elle ne morra point ; ne aussi ne morra point se elle est férue par devant les cuisses, parmy le flanc du ventre, et se elle n’a rompu les boyaus en la panse ; quant elle est férue par la croupe, près du cul, elle morra aussi.

C’est biau déduit et très belle chasse, quant on ha bon limier et bons chiens pour le sang ; quar aucunefois, de une venue, on ferra trois ou quatre bestes ou plus, et chescun qui hara féru sa beste, leissera son fust et son arbre et le suyvra ou chassera de son limier ou de ses chiens ; mès les autres qui n’en aront féru, ne s’en bougeront point ; mès atendront que plus bestes vienhent ; si sera moult de fois que l’un croysera sur l’autre. Et aucunefois tous les chiens iront après une beste, si hara débat entre eulz, car l’un dira : C’est celuy que j’ay féru ; et l’autre dira : Mès c’est le mien. Et aussi est belle chose le trère et le suyvir du limier et le chassier. Et au vespre, après souper y sera le débat grant, et en la fin de vin en fera la pais.

Des arcz ne say-je pas trop. Mès qui en voudra savoir, si aille en Angleterre ; quar c’est leur droit mesurer. Toutes voyes me faut-il à parler de toutes choses qui touchent à vénerie ce petit que j’en say. Et pour ce diray comment à trère des arcz on prent les bestes sans chassier aux chiens. C’est mettre les défenses comme j’ay dit, et mettre gens et huée parmi le buysson et ils les feront vuider et venir aux archiers.

Séparateur

  1. Boïx. Buis.
  2. Dresreer. Détourner.