La Chanson française du XVe au XXe siècle/Romance de Clémence Isaure

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 175-176).


ROMANCE DE CLÉMENCE ISAURE


À Toulouse il fut une belle,
Clémence Isaure était son nom ;
Le beau Lautrec brûlait pour elle,
Et de sa foi reçut le don ;
Mais leurs parents trop inflexibles
S’opposaient à leurs tendres feux :
Ainsi toujours les cœurs sensibles
Sont nés pour être malheureux !

Alphonse, le père d’Isaure,
Veut lui donner un autre époux ;
Fidèle à l’amant qui l’adore,
Sa fille tombe à ses genoux :
— Ah ! que plutôt votre colère
Termine des jours de douleur !
Ma vie appartient à mon père,
À Lautrec appartient mon cœur.

Le vieillard, pour qui la vengeance
A plus de charme que l’amour,
Fait charger de chaînes Clémence,
Et l’enferme dans une tour ;
Lautrec, que menaçait sa rage,
Vient gémir au pied du donjon,
Comme l’oiseau près de la cage
Où sa compagne est en prison.

Une nuit la tendre Clémence
Entend la voix de son amant ;
À ses barreaux elle s’élance
Et lui dit ces mots en pleurant :
— Mon ami, cédons à l’orage,
Va trouver le roi des Français,
Emporte mon bouquet pour gage
Des serments que mon cœur t’a faits.

« L’églantine est la fleur que j’aime,
La violette est ma couleur,

Dans le souci tu vois l’emblème
Des chagrins de mon triste cœur.
Ces trois fleurs, que ma bouche presse,
Seront humides de mes pleurs ;
Qu’elles te rappellent sans cesse
Et nos amours et nos douleurs. »

Elle dit, et par la fenêtre
Jette les fleurs à son amant.
Alphonse, qui vient à paraître,
Le force de fuir tout tremblant.
Lautrec part, la guerre commence
Et s’allume de toutes parts.
Vers Toulouse l’Anglais s’avance,
Et brûle déjà ses remparts.

Sur ses pas Lautrec revient vite :
À peine est-il sur le glacis,
Qu’il voit des Toulousains l’élite
Fuyant devant les ennemis ;
Un seul vieillard résiste encore,
Lautrec court lui servir d’appui ;
C’était le vieux père d’Isaure,
Lautrec est blessé près de lui.

Hélas ! sa blessure est mortelle !
Il sauve Alphonse, et va périr.
Le vieillard fuit, Lautrec l’appelle
Et lui dit avant de mourir :
— Cruel père de mon amie,
Tu ne m’as pas voulu pour fils !
Je me venge en sauvant ta vie.
Le trépas m’est doux à ce prix.

« Exauce du moins ma prière,
Rends les jours de Clémence heureux,
Dis-lui qu’à mon heure dernière
Je t’ai chargé de mes adieux ;
Reporte-lui ces fleurs sanglantes,
De mon cœur le plus cher trésor,
Et laisse mes lèvres mourantes
Les baiser une fois encor. »

Florian.