La Chanson française du XVe au XXe siècle/Le Chant du départ

La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 185-186).


LE CHANT DU DÉPART

1794


La victoire en chantant nous ouvre la barrière,
            La liberté guide nos pas,
Et du nord au midi la trompette guerrière
            A sonné l’heure des combats !
            Tremblez, ennemis de la France,
            Rois ivres de sang et d’orgueil ;
            Le peuple souverain s’avance,
            Tyrans, descendez au cercueil !

            La République nous appelle,
            Sachons vaincre ou sachons mourir !
            Un Français doit vivre pour elle,
            Pour elle un Français doit mourir !


une mère de famille


De nos yeux maternels ne craignez point les larmes,
            Loin de nous de lâches douleurs :
Nous devons triompher quand vous prenez les armes,
            C’est aux rois à verser des pleurs.
            Nous vous avons donné la vie,
            Guerriers, elle n’est plus à vous :
            Tous nos jours sont à la patrie,
            Elle est votre mère avant nous.


deux vieillards


Que le fer paternel arme la main des braves ;
            Songez à nous au champ de Mars ;
Consacrez dans le sang des rois et des esclaves
            Le fer béni par vos vieillards,
            Et, rapportant sous la chaumière,
            Des blessures et des vertus,
            Venez fermer notre paupière
            Quand les tyrans ne seront plus.


un enfant

 
De Bara, de Viala, le sort nous fait envie :
               Ils sont morts, mais ils ont vaincu ;
Le lâche, accablé d’ans, n’a point connu la vie :
               Qui meurt pour le peuple a vécu.
               Vous êtes vaillants, nous le sommes,
               Guidez-nous contre les tyrans ;
               Les Républicains sont des hommes,
               Les esclaves sont des enfants.


une épouse


Partez, vaillants époux, les combats sont vos fêtes,
               Partez, modèles des guerriers ;
Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos têtes,
               Nos mains tresseront vos lauriers,
               Et si le temple de Mémoire
               S’ouvrait à vos mânes vainqueurs,
               Nos voix chanteront votre gloire,
               Nos flancs porteront vos vengeurs.


une jeune fille


Et nous, sœurs des héros, nous qui de l’hyménée
               Ignorons les aimables nœuds,
Si pour s’unir un jour à notre destinée,
               Les citoyens forment des vœux,
               Qu’ils reviennent dans nos murailles,
               Beaux de gloire et de liberté,
               Et que leur sang, dans les batailles,
               Ait coulé pour l’égalité.


trois guerriers


Sur le fer, devant Dieu nous jurons à nos pères,
               A nos épouses, à nos sœurs,
A nos représentants, à nos fils, à nos mères,
               D’anéantir les oppresseurs !
               En tous lieux, dans la nuit profonde,
               Plongeant l’infâme royauté,
               Les Français donneront au monde
               Et la paix et la liberté !

Marie-Joseph Chénier.
(Musique de Méhul.)