La Chanson du biniou/11
XI
Elle est dans sa chambre, le soir, et elle songe…
Comme le vieux clocher se découpe nettement, sombre sur un fond plus sombre encore ! Comme la plainte de la mer frémit harmonieusement dans la brise !… Une poussière d’argent embrume le ciel et la claire lune sourit sur les landes au travail des nocturnes lavandières, aux rondes de Korrigans dans les foins, à la marche silencieuse du passant qui va, sur la route blanche, sa grande ombre noire profilée sur le sol, derrière lui.
Elle songe, la jeune fille… Quelle folie et quelle imprudence d’avoir accompagné Robert sur la grève aujourd’hui… Il l’avait tant demandé ! mais leur bonne amitié fait jaser les voisines, déjà…
Oh ! que la plage était belle !…
Ils arrivaient par l’étroit chemin qui côtoie les salines où le grand soleil rouge noyait son reflet et les magnificences du ciel d’or. Plouharnel était noir sur l’occident en flamme et, à l’orient, vers le tumulus du mont Saint-Michel, flottaient d’indécises vapeurs mauves.
Parvenus sur le petit pont qui domine le chenal des salines, ils s’étaient accoudés au parapet de pierre, sans parler. À leur gauche, la jaune arène s’arrondissait en demi-cercle jusqu’à l’écroulement rougeâtre des falaises et, sur leur droite, par delà d’autres falaises blanches, dressées à pic sur des amoncellements de granits, la longue pointe de Quiberon filait dans la brume. Des tas de goémons couvraient la grève, tels que de brunes toisons ; et plus loin que les roches noires égrenées comme par une secousse volcanique des traînées d’écume neigeuse glissaient sur le glauque frémissement des flots…
Il y avait, aux creux du sable, des miroitements de flaques limpides où sautaient des bécassines, tendant leurs pattes grêles avec de légers cris doux, cris si faibles, plainte si vite emportée, perdue dans l’indifférente immensité de l’horizon. Une tristesse sortait des choses, venait à l’âme et la nature semblait démesurée, écrasant de sa masse et de son inertie tout ce qui vit, pense et souffre.
Quelques mots de Robert avaient chassé ce malaise. Il parlait de tout ce qu’ils avaient fait ces jours-ci, de tout ce qu’ils feraient encore ; il disait nous, ne la séparant pas des moindres détails de son heureuse existence d’artiste en villégiature, courant les bruyères, les rochers, les sables, en quête de tableaux et d’émotions… Il parlait de la grandiose rudesse du pays, des frissons de lumière sur l’eau, des nuages roses, des chardons bleuâtres aux fleurs dures sur leurs bras rigides, et il paraissait occupé d’une autre pensée… À quoi songeait-il donc ?…
Ils revinrent.
Comme ils longeaient les frissonnantes salines, si claires, reflétant le ciel du soir, le vent se leva ; le soleil allait disparaître et déjà, sur le tumulus, l’horizon se fonçait, d’une douceur crépusculaire.
— Les étoiles se lèvent, dit Robert.
Et il murmura :
— Je ne vois pas la plus belle… Encore un instant, Maria Josèphe, et nous l’aurions admirée la douce étoile du berger.
… Mais il eut beau dire, l’astre d’amour ne brilla pas ce soir-là, caché dans les brouillards de la côte.
… Et Maria-Josèphe se penchait sur l’appui de la fenêtre, regardant sur le mur d’en face le reflet qu’envoyait la fenêtre voisine où passait parfois une ombre qu’elle connaissait bien.
Tout à coup, une musique lointaine, très faible, s’éleva sur la route d’Auray. La mélodie — un vieil air breton d’une grâce déchirante — semblait pleurer tout un poème de simples et poignantes douleurs. Maria-Josèphe avait reconnu le biniou de Yann qui se lamentait ainsi dans l’ombre et, soudain un remord traversa son cœur y laissant une sorte d’angoisse faite des souvenirs du passé et des incertitudes de l’avenir.