La Chanson des quatre fils Aymon/Appendice

Anonyme
Texte établi par Ferdinand CastetsCoulet (p. 906-973).

APPENDICE
A
Les manuscrits d’Oxford : X, XI, XII

Dans la description des manuscrits, l’on n’a pour ceux de l’Université d’Oxford que l’indication des numéros d’ordre et une mention sommaire au sujet du ms. XII. J’ai pu depuis réunir des renseignements et me procurer un certain nombre de photographies. Ainsi peut être améliorée la description générale. Les fragments de Metz, marqués IX, ont seuls échappé à mes recherches[1].

X

Douce, 121 — Sur parchemin, comprenant 157 feuillets. La pagination, inexacte, n’en compte que 155, et le texte ne commence qu’au f. 2. Une colonne de 42 lignes à la page, soit environ 13100 vers. Les lacunes sont donc très étendues. Au f. 3 est attachée la lettre suivante de Matthes en anglais : « Groningue, 11 juillet 1875. Cher Monsieur, tous mes remerciements pour la seconde copie qui me renseigne très bien. Comme je le conjecturais, le ms. ne réclame pas d’autre examen. Il contient la plus ancienne version de Renaus, la version traditionnelle. Cependant je suis heureux de pouvoir le constater. Bien sincèrement à vous. J. C. Matthes ».

L’on trouvera plus bas des conclusions différentes.

Le catalogue donne pour date au ms. Douce la première moitié du xiiie siècle et mentionne avec raison qu’il est incomplet au commencement. Voici le texte de la première page. Pour les premiers vers de la laisse et pour les quatre premières lignes, (peu lisibles), je complète à l’aide, du ms. de l’Arsenal, f. 4, verso B[2].

[La meslée encommence et la noise est levée.
Lohier crie : « Roiaus ! » celle anssainne loée,
Et dus Bues : « Aigremont ! » à mont grant alenée.
Diex ! tant mantel i ot et chappe dessirée,
5Tant hiamel ambarrés, tante maille froissée,
Tant vaillant chevalier i ot vie finée,
Et tant piez et tant poinz, tante teste copée.
Là aval en la ville est la cloche sonnée.
Li barons sont armés, sens nulle demorée.
10Bien furent quatre .m., à l’anssaigne fermée,
Et vinrent en la sale qui d’or est painturée.
Mais] n’i entrent pas tuit, petite fu l’entrée,
Que roiaux sont devant, cele gent enourée.
Tant fil de gentil home ot la teste coupée.[3]
15Et cil de laienz ont maintenant la meslée,[4]
Mais roiaux furent pou contre la gent armée
Que la gent de commune i est desmesurée,
En la sale ce fierent, grant en est la huée.[5]
.i. chevalier del Maigne de grande renommée[6]
20A si feru le maire, la teste en a ostée,[7]
Entresi que as denz est l’espée colée,
Mort l’a jus abatu, l’ame s’en est alée.
«Outre, dist il, ouvert, par male destinée.[8]
Vostre coife de fer ne vos a pas sauvée[9]

25L’ame de vostre cors, fil à putain provée ».
Hé ! Dex, que n’est ci .Kls. de France la loée !
Encui eüsson tor et maisson recouvrée.
Or oiez que fist .B. belement, à celée.[10]
En .i. chambre entra, s’a sa broine endossée,
30Et le heaume lacié et la targe [conrée][11]
Et a ceinte l’espée [à la langue] dorée.[12]
En la meslée entra sanz nule demorée.
Tant ocist de barons, saignors, con li agrée,[13]
Donc la terre fu puis essillie et gastée,
35Tote Bretaigne et France en fu achaitivée.[14]
Et l’eve de Maience en fu ensanglantée,[15]
Klon. fu enchaucié, l’orriflambe levée,[16]
Assez pres de Paris à demie louée.
Ce fu el mois de mai, assez pres de l’entrée,
40Que tel damage avint en la cité loée.
[Mont i ot] fort bataille et grant asamblement.[17]
Li roial furent pou et cil furent .viic.
Quer la commune vint mult aïréement,
La gent Klon. ocient à duel et à torment.
45Li dus .B. d’Aygremont le va mult damageant.[18]
Lohier le filz Klon. ne se targe neant,
Fier[t] .i. parent le dus sor l’aume qui resplent,[19]
Desi que [es] espaulles le va tot porfendant,[20]
Mort l’avoit abatu, à la terre l’estent.
50« Outre, dist il, cuvert, le cors Deu te gravent. »[21]

La perte du commencement est de 526 vers, à en juger par le texte du manuscrit de l’Arsenal, soit environ de 6 ou 7 feuillets. Le passage précède de très peu la mort de Lohier. Cf. L v. 639-688 (Michelant, p. 18,3—19,14).

La citation suivante, f. 107, recto, est d’après le texte de L, mais fort abrégé avec variantes, V. v. 11012—11084 (Michelant, p. 290, 12 ; — 292,8).

Il est passé avant, par les flans l’a covrez ;
En son col le charja, ja l’en eüst portez,
Quant Oliviers i vint et Rollans l’adurez
Et Torpin et dus Naymes et li autre barnez ;
5Desi qu’à .Kllm. ne se sunt arestez.
D’autre part vint Guichars sor .i. destrier armez,
Maugis et Aalars et Richars li senez
A .iiii.c. Gascon[s] d’armes bien adoubez,
Et d’une part et d’autre i est grant cri levez.

10Là peüsiez [veoir] maint home mort jetez.[22]
Rollans point Vielantif par mult ruiste fiertez
Et va ferir Renaut, parmi l’eaume gemmez,
De Durendal s’espée, que tot l’a estonez.
« Renaus, ce dist Rollans, trop [par] estez desvez[23]
15Qui enportez .Kllon. qui est vostre avouez.
Grant fais i enchargates, trop est pesanz d’asez.
Je cuit que c’est .i. fais que vous achaterez. »
Mult est dolant Renaus del roi qu’est eschapez
Et de ce que il fu de Durendal frapez.
20Il a trete Froberge qui li pendi au lez,
Et a dit à Rollant : « Or ça, si recovrez. »
Come Rollans l’entent, vers lui est retornez.
Estes les vos au chaple, ensemble sunt meslez.
Atant es Aalart sor son cheval armez
25Et Richart et Guichart, à Rollant sunt meslez.
Tot .iii. le vont ferir sor l’escu d’or listez.
Rollans par estovoir lor a le dos tornez
Et est venuz à l’ost donc il estoit [sevrez].[24]
Renaus, le fiz Aymon, est en Bayart montez
30Et a dit à ses homes : « Bien somes enganez
De .Kalls. l’enperere qui nos est eschapez. »
« Sire, dient si home, pensez de recovrer,
Quer la nuit vient oscure, pres est de l’avesprer. »
Et Renaus fait ses grailles menuement soner
35Et l’enpereor .Kllon. est mis el retorner.
Desi qu’à Monbendel ne voldrent arester.
« Par mon chief, dist li rois, bien puis ore desver,
Quant por .iiii. glotons m’estuet de champ torner. »
Rollans li vint devant, sel prist à conforter.
40Or diron de Renaut qui ses cors fet soner
Et fait toz les barons et rengier et serrer.
Si les [a] fet trestoz à Bala[n]çon passer.
Guichart en apela et Aalart l’ainsnez.

La fin du ms. est d’après la version C qui se termine autrement que B ; mais à partir du v. 31, C continue par une transition d’une quarantaine de vers pour se raccorder avec la Mort de Maugis (V. Maugis d’Aigremont, p. 281-314). Je donne le commencement de la laisse d’après C : l’on est

encore à Cologne.

[Moult fu grant la miracle à la messe chantant.
Enterrer le voloit le bon clergié sachant.
Quant vint à l’enterrer le cors Renaut le franc,
Le cors Renaut s’esmut par le Jhesu commant.
Du mostier s’en issi, que le virent la gent].
Douce, 155,
recto.
Quant le vit li evesque, bien [en] fu merveillant :
« Barons, or tost apres, sanz nul arestement. »
A donc sunt aroté li petit et li grant ;
Et li saintismes cors s’en ala de devant,
5Droitement vers Tremoine s’en ala cheminant.
Quant fu pres d’une liue, ce trovon nos lisant,
N’out en laiens de cloche qui lors n’alast sonant.
Les eschieles sonerent par la volonté Dé.[25]
Li clergié s’en merveillent par tote la cité.
10L’evesque ist de la vile, n’i a plus demoré,
Si encontra le cors enz el chemin ferré.
Li frere Renaut sunt avecques li alé.
L’evesque vint au cors, s’a le paile levé,
Et quant conut Renaut, s’a grant sospir jeté.
15A toz comunaument l’avoit dit et conté :
« Barons, franc chevalier, ja ne vos iert celé,
Ic’est le duc Renaut, le nobile chasé ».
Quant li frere l’oïrent, de duel se sunt pasmé.
Et puis l’ont doucement et plaint et regreté :
20« Halas ! Renaus, font il, chevalier de bonté,
Comme or somez por vos dolant et esgaré !
Ha ! que porron nos fere, chaitif, maleüré ? »
As oncles de lor mains ont lor vis gratiné.
[Toz ceus qui les regardent, si en ont grant pité][26]
25Et li gentil evesque les a reconforté :
« Barons, soies en pes, por l’amistié de Dé,
Quer apres iron tuit, ja n’en iert trestorné. »
Lors portent au mostier le cors beneüré.
Si le mistrent en fiertre par grant nobilité.
30Diex fist por li miracles, le roi de majesté.
Saint Renaut a à non en icele regné.
Saingnors, ci faut l’estoire donc je vos ai conté.
Or proion Dameldeu qui maint en Trinité,
Qu’il receive nos armes por la soe bonté.

Ci faut le Romanz de Renaut
Qui boens est et maint bon dernier vaut.

XI

Laud Misc. 637. In-fol. membr. les Fils Aymon comprennent du feuillet 2 au feuillet 67. L’écriture est bonne et régulière. Deux colonnes de 60 lignes à la page, environ 15500 vers. Le scribe dit à la fin qu’il a achevé la copie en mil-trois-cent-trente-trois à Paris pour Raimond de Cabirot.

Le poème commence, à la différence de toutes les autres versions, par une très courte introduction. Charles se plaint de Beuves d’Aigremont et Doon lui répond. Après s’être adressé à Naymes et à Odon de Langres, l’empereur charge Thierri de Verdon[27] de porter son message à Beuves. Dans ce message, mention est faite de Maugis. Il y aura donc deux messagers, Lohier n’étant envoyé qu’en second lieu comme dans L B C V. Mais l’on retrouve la version A P plus loin (au bas du f. 9 verso et au haut du f. 10 recto), à l’endroit où l’espion apprend à Charles que les Fils Aymon se sont réfugiés dans l’Ardenne.

F° 2 recto.Segnors, oez chanchon de grant nobilité.
Traite est de voire estoire sanz mot de fausseté :
Ains n’oïstez meillor, sachiez de verité,
Ains jugleour n’en dist ne n’en fu escouté,
5Ele est de Charlemaigne, le fort roy couronné,
Qui sa court tint .i. jour à Paris la chité.
Onques ne tint si grant en trestout son aé.
Bien i out .xv. roys qui tuit sont couronné,
Si i out .xxx. contes et .xv. dux chasé,
10Evesques, archevesques et a autant abé.

Mont fut grant li barnage qui i fu asemblé.
Doz de Nantuil i fu o le guernon meslé,
Gira[r]z de Rousillo[n] qui fu pre[u]s et sené
Et Aimes de Dordone, li vassax aduré,
15O lui sez .iiii. [filz] qui tant ourent bonté.[28]
L’emperere se lieve qui tant fu enouré.
Sez barons en apele par mont ruiste fierté
« Seignors, ce dist li roy, or oies mon pensé.
Mainte terre ai conquise et maint regne aquité
20Et maint riche vassal et pris et enconbré,
Donc vous tenes les terres ; j’en sui sirez clamé.
Tex i a qui me servent, par bone volenté.
Nus ne me grieve mes vaillant .i. ouf pelé,
Fors dux Bos d’Aigremont o le guernon meslé,
25Qui est de grant orguil et plains de grant fierté.
Si doit de moy tenir trestoute s’erité.
Par .ii. foiz ai le duc ja à ma cort mandé ;
Il n’i daigne venir ne n’a contremandé.
Mez par la foy que doy Jhesu de majesté,
30Se servir ne me vient en cest premier esté,
Aigremont asserai o trestout mon barné,
En haut le ferai pendre comme lerre prouvé. »
Et quant Doz l’entendi, si en fu mont enflé.[29]
« Sire frans emperieres, dist li dux, en [n]on Dé,
35Vous aves mont grant tort, ja ne vous iert celé ;
Vous li avez tolu tout son riche herité,
Et Baclois et Navare tout tolu li avez.[30]
Or menachiez li dux qui tant a de bonté ;
Cuidies vous, empereres, qu’il vous en sache gré ?
40Non est, si m’aït Dieu le roy de majesté.
[Li] dux a maint castel et mainte fermeté ;[31]
[Se li faites] vos guerre, n’est pas trop esgaré.
[I]l a de mont proudommez, roys, en son parenté ;

Trois contes sommes ci tous d’un roy engendré ;
45Chascun a .vc. hommes qui tout sunt ferarmé.
Forment li aideron, se de vous est grevé. »[32]
Il jure Damledeu, qui en crois fu pené,
Qu’à lui envoiera, ja n’en iert trestourné.
Duc Naymon apela le viel chanu barbé
50[Et] duc Odon de Langres a o lui apelé.
Qu’il aille à Esgremont tout le chemin ferré.[33]
.........................
Dant Tierri de Verdon a le roy apelé.
« Tierri, ce dist li roy, or soies apresté
A chevaus et à armes et à gent grant plenté.
55Le matin en movres, quant il iert ajorné. »
« Sire, ce dist Tierris, à vostre volenté. »
Dant Tierri de Verdon ne s’ala pas tarjant.
Lendemain au matin, ains le soulel levant,
A il vestu l’auberc, lacé l’eaume luisant,
60Et a ceinte l’espée à son senestre flanc ;
Et vint devant Charlon, l’empereour puissant.
« Sire, dist il au roy, dites vostre commant.
Irai je en mesage que alies disant,
Que manderas Bovon d’Aigremont le puissant ? »
65« Tierris, dist Charlemaignes o le guernon ferrant,
Mont poise à moy du duc qui si me va menant.
De moy ne veut tenir terre ne chasement,
Ne ne me veut servir, s’en ai le cuer dolent.
Si me direz, amis, au duc que je li mant
70Qu’il me viengne servir à Paris o sa gent,
A Bains ou à Loon, là où [la] court iert grant,
O .iiiic. barons armés mont richement,
Chascun [o] son destrier arrabi et courant ;
Et se il ne ce fait que je vous vois contant,
75Je manderoi mes homnez et trestoute ma gent,
Trois chen mile en merrai qui seront combatant,
Qui destruiront sa terre, ne l’en lairont plain gant.
A Paris l’en merrai comme gagnon batant,
A Montmartre pendu et encroué o vent,
80[Ovec] .x. de sez drus de tous les plus vallant.
Li me[ï]me son cors ferai je honte grant.
Le ferray pour Doon qui me va menachant.
Ja n’en sera garis par nul home vivant. »
« Sire, ce dist Girars, or li soit Dex aidant. »
85« Tierri, dist l’emperieres, alez sans atargier,

Ditez moi bien Bovon, mal me mainne dangier ;
Sa terre li metrai trestoute en charbonnier.
Li meïsme ferai si forment damagier,
Et tout son parenté ferai je eschillier
90Et destruire et contraindre, nul n’en puet resploitier,
Se servir ne me vient en cest esté premier,
O lui .iiiic. hommes qui se puissent aidier,
Les blans haubers vestus, laciez heaumez d’achier,
Que [je] lui destruirai sa cortoise mollier[34]
95Et son enfant Maugis que il a forment chier.
D’Aigremont abatrai la tor et le clochier,
N’i lairai desus terre la monte d’un denier. »
« Sire, ce dist li mes, bien li sarei nonchier.
Par la foy que vous doi, à celer ne vous quier,
100Ja n’en aurai repreuche, quant iert à reperier,
Que je bien ne li die oiant maint chevalier. »
Atant s’em part li mes, si se rest trait arrier ;
Son cheval a saisi, si monta par l’estrier,
Que lui [ot] amené .i. vallant escuier ;
105Et .iiii. chevaliers qui mont font à proisier,
Chascun en mena .i. por son cors aesier.
De Paris s’en tornerent, n’i voudront deloier.
L’emperere de France lors pris[t] mont à prisier
Que il reviennent tost, se il n’ont destourbier ;
110Mez il l’aront mont grant, anchiez le reperier,
Si com l’estoire conte, mentir ne vous en quier.

Comme exemple, pour la partie centrale qui est commune aux versions où le caractère épique est respecté, je donne les principales relations d’une page du ms. Laud (feuillet 37, recto) et de mon édition, différences et ressemblances : 8512 lesdi. 8513 de rice. Ajoute : Que Rollans en ameine et dolent et enbronc. 8515 Montaubein en vindrent le. 8516 manque. 8517 Devant eus vint Clarisse à la clere fachon. 8518 Oveque sez .ii. filz Yonet et Aymon, 8519 qui tant s’erent. 8520 pert eux. 8521-22 qui par la traïson Estoit il et si frere alez en Vaucolor. Et quant il l’ont veü descendu au perron, Courant li vont baisier le pié et le menton. 8523 du pié. 8524 Por quoy (mal). 8526 fuez. 8527 le traïtor felon. 8528 n’aurez à moy. 8529-30 Ne remaint mie en lui à pié et sans garchon (oubli de deux hémistiches). 8537 Jurerai. 8538 n’en uï par nule avision. 8539 ei grant doutance et por l’avision. 8541 creüssiez. 8542 si l’en mescru jeu mont. 8545, 8546 Guichars. 8565 Nous vous prion. 8566 icen sepucre. 8567 resuscita au tierz. 8568 L’acordance soit faite. 8570 Quer ele n’i a coupez, de verté le savon ; Se l’eüsson creüe, ja alez n’i fuisson. 8572 mautalent. 8573 Laud a ici cinq vers : Quant ci l’ont entendu, mont en furent joious. Tuit vienent à la dame sans nule aresteron : Ne vos esmaiez, dame, vostre pais faite avon. Devant Renaut l’amainent le nobile baron. Renaus le va baisier par mervellouse amor. 8575 le nobile baron. 8576 Eu palez sunt assis au mengier sans tenchon. 8577 poisson. 8579 roy Is i out tramis. 8581 Vers François orguellous qu’en mainent en prison. 8583 Où qu’il voient. 8584 por la resurrection. 8585 resucita. 8589 et sa rice fachon. 8593 sa mort à Longis l’Eclavon. 8594 feri eu cur. 8598 deservie hons qui vout traïson. 8599 qui dorret .iii. 8600 et morir à dolor. 8601 eu col et eu. 8602 S’i ne le. 8603 si bessa le menton. 8604 Et fu .i. grant pieche qu’il ne dist. 8610 .i. petit m’escoutez. 8618 donc il me poisse assez. 8623 Je connui bien mont tost lor cuer et lor pensé. 8624 Si vi mez anemis devant moi amassé.

J’ai cité la dernière page de ce manuscrit au bas du texte comme suite à une partie empruntée de A. V. note au v. 18363. — Après l’explicit, l’on a les lignes suivantes qui datent le manuscrit Laud.

L’an mil .ccc. trois plus de trente
Fut cest romans fet à m’entente
En la rice maisnie qui [est] enz Paris.
Dieu doint à touz paradis.
Il est à un bon compaignon,
Remon de Cabirot a non,
Qui cest romans est et fist faire ;
Il est home de bon afere etc.

XII

Hatton 59. Parchemin, 173 feuillets ; une colonne de 28 lignes à la page. Il est formé de trois parties : 1-9 (le feuillet 10 est en blanc), 11-70[35], 71-173 : soit 504 vers, 3360, 5732 : environ 9600 en tout. Trois écritures absolument différentes. Matthes s’est occupé de ce ms. dans son introduction au Renout (XIII-XIV), puis dans le Iahrbuch fur rom. u. englische Sprache und Literatur, 1876. Cf. Stengel, Bœhmers Rom. Studien, 1873, p. 381 et Zwick, op. 1. p. 6-7. M. Leo Jordan a résumé (l. 1. p, 170-172) d’après Matthes (article du Iahrbuch de 1876) le ms. du feuillet 1 au feuillet 70. Yon s’enfuit quand sa trahison a échoué. Il est pris par Roland, délivré par Renaud qui fait Roland prisonnier. Il n’est pas question de couvent. Clarisse réconcilie son frère et son mari. Charlemagne charge Ogier de lui procurer un entretien avec Renaud. Ainsi la paix est conclue. Mais un roi païen, Pharamus de Cladine, accompagné de son neveu, le géant Braiman. (cf. Mainet), envahit la France. Charles réclame l’aide d’Yon et des Fils Aymon, puis se déclare malade, et l’on part sans lui pour Sarragosse. Renaud tue Braiman en combat singulier ; les païens s’enfuient. On revient trouver Charles à Blaye. Yon est blessé à la chasse, dans la forêt d’Argonne, par des chevaliers qu’il avait bannis à tort ; trois jours après il meurt à Toulouse de ses blessures. Yonnet est couronné roi à sa place. Il n’y a là qu’une invention semblable à celle de l’invasion de Mambrino, qui dans le Rinaldo italien (Rajna, op. 1. p. 32) remplace la guerre avec Beges de Toulouse. Les citations que je donne, n’ont d’ailleurs aucun rapport avec ce résumé et rattachent le ms. aux versions que j’ai étudiées jusqu’ici.

La première citation (feuillet 1, recto) reproduit une partie de la délibération des barons du roi Yon, telle qu’on l’a dans B C V A P M et dans l’édition en prose. Après qu’a parlé Godefroi, neveu d’Yon et favorable à Renaud et à ses frères, le comte d’Avignon prend la parole pour le réfuter. Cf. Fils Aymon, v. 5882 sq. (Michelant, p. 156, 1.)

La seconde citation donne le commencement du second fragment. L’on est en plein dans le combat de Vaucouleurs et Ogier ne voulant point prendre part à l’attaque dirigée contre ses cousins, charge sa troupe de surveiller la route de Montauban : Fils Aymon, v. 7511-7535. (Michelant, p. 198, v. 38, sqq.)

La troisième citation donne le commencement du discours où Renaud raconte à ses chevaliers les origines de sa querelle avec Charlemagne, Fils Aymon, v. 8610-8639 (Michelant, p. 227, v. 5 sqq.).

La quatrième citation donne la fin du manuscrit et répond à Fils Aymon, v. 15333. (Michelant, p. 402, v. 37, p. 403, v. 6.)

I

F° 1, r°« Vus ne devez pas creire conseil de jœsne hœm[36].
Ne di pas por ceo qu’il ne seient pruzhœm ;

Meis plus veue esgarde qu’il n’en ont, en avom.[37]
Ferez vus en ceo que puis vus loerrom ? »
5« Oïl, ceo dist li rois, sanz nule contençon. »
« Bien l’avez oï dire e de veir le savon,
Ke Bœs occist Lohier od le chanu grenon,[38]
E Charle le mandat à Paris sa meison,
Trenchier li fist la teste par desoz le menton.
10Tant ala la parole qu’il vint e la reson,[39]
D’un tablier li tua Bertelai le baron.
Se il l’[e]üst feru de verge u de baston,
Se li ber se vengast, ceo ne fui si bien non ;
Meis il l’aï aukes le veil chanu baron.
15Ne sai [or] quel celasse, par le cors seint Symon.
Deslivrez li Renald, cue ferez que prodhom. »
Li que[n]s de Monbendel ad apres [lui] parlé.[40]
« Sire [roys], ma resun [or] un poi entendez.
Cil [dus] vus honir velt que ceo velt louer.
20Ren. est vostre hom lige et vostre ami charnel.
Quant il vint ci ad vus parut mie esgaré.
Entre lui et ses freres qui font mult à loer,
Ne sembloient pas gent qu’eüssent povreté.
Quinze destriers menoient corant et abrievé
25E trente chevaliers (bien) garniz et conreé.
Li plus povre esquier aveit gris afublé.
Ainz que li quens eüst ses esperons osté,
Certes vus dist il bien qu’à Charle se iert mellé.

II

Si sunt les barons en la roche enserré,
E Franceis les asaillent environ de tut lés ;
Traient arcblastes et quarreals empennez,
E archiers plus de trente dunt en i ad asez.
5Ja fussent pris les cuntes et malement menez,
Mais quant les veit Ogier, à poi n’est forsenez.

Tel pité ont des cuntes qu’il comence à plorer.
Or oiez cun il velt lur assals desturber.
Dan Girard l’Espanois ad Ogier apelé.
10A trente chevalers sunt en un pui munté,
Gardent vers Muntalban le grant chemin ferré,
K’i n’i isseit nul home que de mere seit né.
« Kar par le seint apostre qu’hom quiert en Neirun pré,
Si Malgis le lere en ad oï parler,
15Une sule novele à nul home cunter,
Ke Renalt et ses freres seient ici enserrez,
Il est fiz de lur aunte et de lur parentez.[41]
Le quer ne pout mentir qui de preudume est nez.
Il nus aportereit le freit mes al digner
20Ke trestut les plus cointes sengnerunt les costez. »
« Sire, ceo dist Girard, si come vus comandez. »
Come il unkes ainz pout, il en vint à sun ostel.
A trente chevaliers est à un pui munté.
Deleez une bulsere, là se sunt aresté.
25Li alquant descendirent des destriers sujurnez,
E li plusor s’apuerent as espiez neelez,
Gardent vers Montalban le grant chemin ferrez.
Ne virent eissir nul home ke de mere seit nez.

III

Ci comence le romanz de quatre fiz Eadmund[42]

« Signurs, ceo dist Renaut, oez [et] escutez :
Si porrez ja oïr cum fu desheritez,
E hors de duce France enchaciez et jetez.
Ceo fu à Pentecuste, une feste en esté,
5Que Charles tint sa curt à Loün la cité
E out ovecke lui quatre rois coronez,
Estre l’autre barnage dunc il i out asez.
Il m’i ocist mun uncle dunt jo ai mun quer irez,
Le duc Boes d’Egremunt dunt jo ai mun quer irez,
10Cil fu, pere Maugis le bon larun senez.

10Je l’en demande droit voiant tut le ba[r]nez,
E le rois m’en clamma malveis garz enfiez.
Jo regardi me freres que mut avoie amez.
Jo ne soi point lor quers ne ne soi lur pensez.
Jo vi mes enemis entur moi asemblez.
15Où les allasse querre quant jo les oi trovés ?
Jo pris un es[che]quier, grant cop li a[i] doné.
Bertelai en donai un cop desmesuré,
Le neveu Karl., mut l’avoit en chierté ;
D’un pe(n)sant eschekier qui estoit peinturé,
20Que ambedous li furent li oil del chef volez.
Adunc me prist le rois de France si en haiez
Que il m’en volt ocirre les menbres colper.
Là me fist à Emund mon pere forsjurer
Ke jamais entur lui ne prendraie un dener.
25Puis n’oi si bon parent qui m’osast receter.
Adunc eissi deu reaume dolent e esgarez... »

IV

Quant ço veit .Ka., de mautalent esbloe ;[43]
Et si home sunt lié, Jesus (con) chascun en loe,
Tuit en funt à K. par deriere la moe.
Eschapés est .Ba. de si grant aventure.
5Encor(e), dit l’en eu reaume, si conte l’escripture,
Qu’il vit en la forest, si i prent sa pasture.
Quant veit home ne femme, d’aler à li n’a cure ;
Ainz s’en refu[i]st en bois mult tres grant aleüre.
Ci feni la chançon qui en avant ne dure.

Le manuscrit Douce, incomplet et abrégeant sans raison, commence à un endroit de la version A P et se termine par un emprunt à la version C.

Le manuscrit Laud, le plus important des trois, débute d’une façon qui lui est particulière, se rattache ensuite à la version A P et se termine exactement comme cette version. Il serait à examiner de près si l’on voulait imprimer la version A P que ces deux manuscrits ont, pour des raisons différentes, assez mal conservée. Par sa date, le ms. Laud permet de reconnaître que la version A P et à plus forte raison le Maugis dont elle tient compte, ont été rédigés avant 1333.

Le manuscrit, ou plus exactement, le recueil Hatton, débute par la reproduction d’une partie commune à B C V A P M, mais se rattache à M, sauf les inventions mentionnées dans le résumé donné plus haut et les altérations diverses qui gâtent ce texte.

B
Observations sur le ms. La Vallière[44]

Les dix premiers feuillets (v. 1 — 3594 ; Mich. p. 1, 2, — p. 95, 23) forment un ensemble parfaitement homogène, d’une écriture fine et claire, de la fin du xiie siècle.

Les 29 premiers vers du feuillet 11, recto, A, occupent exactement la même hauteur que les 29 premiers vers du feuillet 10, verso C ; puis cette colonne se continue par trente-une lignes remplies par des vers dont le premier est : La ducoise lor a ses trésors defremés (v. 3624 ; Mich. p. 96, 15), avec cette particularité que les vers

Voir aseür par France quant jo i sui montés
Voire, ce dist la dame, ricement soit gardés
Quatre somiers amaine d’or et d’argent torsés
Parmi la maistre porte en la vile est entrés


(3640, 3641, 3646, 3650. — Mich. 96, 31 ; 96, 32 ; 96, 37 ; 97, 3) sont coupés à l’hémistiche et prennent chacun deux lignes. Le scribe a conservé la même réglure, mais a gagné du terrain en ne mettant qu’un hémistiche à quelques lignes.

À la colonne B, le nombre des vers ainsi coupés est fort augmenté :

Quatre fois le baisa par molt grant amistés
En la cité d’Orliens ai un tresor emblés
Quatre somier (en) amaine d’or et d’argent torsés
Vont s’en li fil Aymon, ne s’asseüre[nt] mie
A Orliens passent Loire, la tiere est desertie
Del roi .Yu. de Gascoigne ont la novele oïe
Li rois est molt prodom et de grant manantie
Cele nuit i remestrent jussqu’à l’aube esclarcie
Si entrent en lor voie, Dame Deux les conduie


(3653, 3657, 3659, 3678, 3683, 3686, 3690, 3700, 3701 ; — Mich. P. 97, 6, 10, 12, 31, 36 ; P. 98, 1, 5, 14, 9).

À la colonne C, le nombre des lignes reste de 60, mais douze vers sont coupés. J’indique seulement le premier hémistiche :

Au pié du pont 3704
Regnaus li fix Aymon 3706
Cousin, dit Amangis, 3708
Il est par droite force 3714
De mantex vairs et gris 3728
Sor un destrier d’Espaigne 3729
Richiers et Allars 3735
Li rois Yus de Gascerigne 3737
Et dist li senescaus 3744
En cele cambre à vote 3745
Ensamble o lui ses homes 3746
Et brisiés ses castiaus 3749


Dans Mich. P. 98, 18, 21, 23, 29 ; P. 99, 5, 6, 12, 14, 21, 22, 23, 26.

Au verso du feuillet 11, la page est réglée, non plus à 60 lignes, mais 48. Néanmoins le scribe a coupé plusieurs vers :

Col. A Dameldex vos saut, Sire 3758
Nos somes né d’Ardenne 3763
Li baron en ont joie 3788
Col. B Cil cevaucent ensamble 3805
Ens el mestre donjon 3809
Il vestent les haubiers 3819
La grant enseigne porte 3831
Col. C Sonent cor et buisines 3849
Li fil Aymon s’eslaissent 3850
Son ceval li ocist 3855
Quant Renaus li cortois 3868


Dans Mich. P. 99, 35 ; P. 100, 1, 27 ; P. 101, 6, 10, 20, 32 ; P. 102, 11, 13, 28, 31.

Le feuillet 12, recto, est réglé à 58 lignes ; la dernière ligne de la colonne C est restée en blanc. Quelques vers sont coupés aux col. A et B.

Col. A Detort ses blances mains 3907
Ha las, dist Aalars 3910
Se tu muers en fuiant 3930
Col. B Grans cos se vont doner 3964
Et tint en son poi[n]g destre 3982


Mich. P. 103, 32, 35 ; P. 104, 17 ; P. 104, 17 ; P. 105, 13, 31. — Le v. 3910 n’a que le premier hémistiche. Le second a été omis.

Le feuillet 12, verso, est réglé à soixante lignes. On n’y trouve qu’un vers coupé : Col. B : Quant li rois vint là sus, n’i ot que mervellier (4140 ; Mich. p. 109, 36).

Le feuillet 13, recto, avait été réglé à soixante lignes. La colonne A n’offre point matière à remarques. À la colonne B, il y a deux vers coupés formant donc quatre lignes :

De jons et de mentastres, de rose enluminée 4812
A Deu le commanda qui fist et ciel et rose, 4324


Mich. P. 114. 17, 29.

À la colonne C, les interlignes et l’écriture ne changent point jusqu’à là ligne 11 inclusivement (4361 ; Mich. P. 115, 28) :

Entre lui et ses freres qui preus sunt et senés.


Puis à la ligne : En la cit de Dordon fu li cuens Renaus nés (4362), commence une écriture jaunie, d’allure lourde, et l’on a seulement 39 lignes ce qui pour la colonne n’en fait que 51 au lieu de 60.

Feuillet 13, verso. — Ici les trois colonnes sont à 50 lignes ; l’écriture est grosse, d’allure négligée ; l’encre est jaunie. Malgré la diminution du chiffre des lignes, l’on compte treize vers coupés de manière à remplir 26 lignes :

Col. A Tant qu’il les puist conduire dedens les sauvetés 4405
Et se K. vos prent, à mort estes liviés 4412
Mais il n’en prendroit mie, tant est de fort talent 4433
Col. B Vol ne voldrois pas estre compaignons as François 4459
Reignaus, li fix Aymon, ne celerai noiant 4462
Je m’en vois à Bordians ou me[s] sire m’atent 4470
Quant li rois l’entendi, tos tainst de mautalent
Noste emperere Carles avoit le cuer molt sage 4482
Col. C Charles nostre emperere a apelé Naimlon 4500
Quant l’entent l’emperere, si taint comme carbon 4508
Si ot hueses d’Aufrique, d’or sunt li esporon 4514
Dont es tu ? de que tere et comment as tu non ? 4524
Par mon cief, dist Rollans, s’en ne preng vongison 4535


Mich. P. 116, 33 ; P. 117, 2, 23 ; P. 118, 11, 19, 24, 30 ; P. 119, 9, 17, 23 ; P. 120, 6

Feuillet 14, recto. — Il est réglé à 59 lignes. Le v. 1 de la col. A

Mais vo dru de Colloing sunt molt mal enginié


(4544 ; Mich. p. 120, 15) est d’une écriture très soignée, noire et plus petite que celle du reste de la colonne. Il semblerait qu’il avait été laissé en blanc. Cependant l’écriture est exactement la même que celle de la page, et en somme de la majeure partie du manuscrit.

Feuillet 15. — Ici recommencent les vers coupés :

recto Col.A Esgardé m’i aves et tenu por enfaint 4962
Col. B Qui vos barons a mors et fait de l’anui tant 4965
Par mon cief, ce n’iert ja en trestot mon vivant 4969
Qant l’entent l’emperere, s’ot le cuer molt dolant 4972
Autrefois l’et (sic) passé por un grant destorbier 4984
Col. C Apries fumes molt tost de son ostel issu 5074
Ens el mi sa maison le laissai estendu 5075
En la presse en entrames qui iriec fu 5076


Mich. P. 131, 9, 12, 16, 19, 31 ; P. 134, 6, 7, 8.

Au verso de ce feuillet 15, la colonne A qui précède la lettre ornée, contient encore 6 vers coupés :

[Q]ant li baron l’entendent, [g]rant joie en ont eü 5086
Mais or li croist tel cose dont molt sera iriés 5094
Li lechieres me dist, l’ors en seroit brisiés 5104
Biaus niés, dist l’emperere, forment me rehaities 5110
Bien savons que Raignaus nos a tos escarnis 5115
[Q]ui tel consel vos done, [b]ien [cel] doit estre en pris. 5129


Mich. P. 134, 18, 26, 35 ; P. 135, 3, 8, 23.

L’écriture, plus soignée à partir de la lettre ornée, f. 15, verso B : Segnors, or faites pais, que Dex vos soit amis (5130 ; Mich. P. 136, 1), ne reprend son allure première, élégante et fine, qu’au feuillet 17, recto B, au vers : Cil s’en tornent atant, de color sunt mué (5669 ; Mich. P. 150, 16). Les précédents sont lourdement écrits, et il y a un vers coupé : Ains vos renderon la vile que aion tel sodé (5666 ; Mich. P. 150, 13).

Le feuillet 22 offre cette particularité qu’au recto et au verso, il est réglé à soixante-dix lignes à la colonne, soit dix de plus que pour les autres, et que pour faire entrer plus de matière, l’écriture est petite. Le couteau du relieur a fait disparaître le premier vers des colonnes B, C recto, A verso, et la moitié des initiales de la colonne A verso. Ce folio comprend du vers :

J’ai eü grant fiance, quant vos vi en l’estor,


7419, Mich. P. 196, 32, au vers :

Jamais li bons Danois n’eüst à hom mestier,


7960, Mich. P. 209, 33.

L’écriture des feuillets 23, 24, laisse à désirer. L’on y trouve encore, f. 24, recto C, un vers coupé :

Ogier de Danemarce, pas ne vos somounons.


8409 ; Mich. P. 221, 34.

L’écriture fine et régulière reprend au feuillet 25, recto, dont le premier vers est :

Puis pardona la mort et Longis fist pardon.


8593 ; Mich. P. 226, 26.

Cette écriture s’arrête avec le feuillet 38, à partir duquel l’on a un manuscrit matériellement différent. Il convient de remarquer que du f. 25 au f. 38 le scribe s’amuse à prolonger le jambage de certaines lettres à la marge supérieure et même inférieure de la page. Or cela se rencontre aussi dans les premiers feuillets du manuscrit ; 2 recto A, 6 verso B, 7 recto et verso, qui ont été établis à loisir et minutés assez fin : l’on a le type de cette écriture au fac-similé donné dans la Revue des Langues romanes, 1901, p. 32-38.

La partie du manuscrit où les particularités notées sont le plus nombreuses et se continuent sans interruption, comprend dans le poème du vers 3640 au vers 5129 : le départ des Fils Aymon de Dordonne, leur rencontre avec Maugis, leur arrivée à la cour d’Ys, roi de Gascogne, la défaite de Beges le sarrasin, la construction de Montauban, le mariage de Renaud et de la sœur du roi Ys, le passage de Charles qui apprend l’établissement des Fils Aymon en Gascogne, l’ambassade d’Ogier réclamant du roi Ys qu’il remette à leur suzerain les vassaux rebelles, l’arrivée de Roland à la cour de Charlemagne et sa guerre contre les Saxons, l’annonce d’une course à Paris afin de trouver à Roland un cheval digne de le porter, la décision que prend Renaud d’aller à cette course avec Bayard et Maugis, l’épisode lui-même de la course.

Pour quelle raison le scribe laissait-il des blancs plus qu’il n’était nécessaire, de sorte que l’on ne pouvait remplir les pages qu’en diminuant le nombre des lignes et en coupant les vers ? S’il avait disposé d’un texte continu et accepté en tous ses points, il l’eût suivi. S’il ne l’a pas fait, c’est que ce texte, ou bien était semé de lacunes, chose peu probable, ou bien ne satisfaisait qu’en partie. Deux suppositions se présentent à l’esprit : ou bien il a complété en puisant dans la tradition orale ou écrite, ou bien on lui a fourni des compléments nouveaux. Dans tous les cas, l’on n’a point de garantie que les parties ainsi retrouvées, ou choisies, ou refaites, soient vraiment primitives : on sent seulement que l’on est près de toucher au moment d’une rédaction ou d’une révision générale du poème, de la plus ancienne qui nous soit parvenue.

Dans la version BC et dans celles qui s’en inspirent, les différences avec L pour cette partie du récit, sont purement de forme : le cadre est conforme à ce que l’on a dans L. C’est à partir de l’occupation de Montbendel jusqu’à l’épisode de Vaucouleurs que le fond diffère : prise de Montbendel par la force, épisode de la chasse, délibération du conseil du roi Ys, préparatifs de la trahison. Il semble bien qu’ici encore il y ait eu des tâtonnements pour établir le texte de L ; le feuillet, réglé à 70 lignes et comprenant à lui seul 418 vers, en paraît une trace. Mais il n’en reste pas moins très probable qu’à partir du feuillet 25 (v. 8593), toute indécision avait cessé.

Le passage du texte de L où l’emprunt à une autre version est le plus manifeste, se rencontre précisément dans la partie du manuscrit où l’on a encore des marques de l’hésitation du copiste, du feuillet 17, verso A, au feuillet 19 recto A, à la délibération des conseillers du roi Ys. L’on a là (5913-5922, Mich. P. 156, 27-36) une forme de la querelle de Renaud et de Charlemagne et de la mort de Bertolais qui dérive non du récit précédent de L. (1911-1946 ; Mich. P. 51, 19. P. 52, 15), mais de celui qui est commun à A P. Cette variante est reproduite plus loin dans L par Renaud lui-même (8610-8694 ; Mich. P. 227, 5-29. — 8. les notes aux vers 6020, 8609, 8625). Ainsi l’on a dans la version L une contradiction résultant du mélange de versions différentes, et l’état du manuscrit La Vallière en donnerait, à lui seul, une explication plausible.

La seconde section du ms. L ne comporte pas ici un long examen. Elle commence au feuillet 39 recto A (13666, Mich. P. 359, 20). La page est rayée à 65 lignes, l’écriture plus grosse, d’un caractère tout autre que dans le première section, de date beaucoup plus récente, ce qui d’ailleurs ne prouve pas contre l’antiquité de la version reproduite. Les négligences de toute sorte y abondent. Elle donne la plus ancienne des versions de la fin du poème, mais l’on peut supposer que ce poème finissait autrement, que la partie ainsi remplacée s’arrêtait plus tôt. On est d’abord surpris que le changement de manuscrit ait lieu précisément au point où il va être question de Tremoigne et du départ les Fils Aymon pour cette ville, mais l’on se rappelle que l’on a déjà au moins une fois le nom de Tremoigne dans L (6073, Mich., P.167, 33). Il est vrai que ce passage est suspect.

Tout pourrait se concilier si l’on admettait qu’un trouvère ait connu le nom de saint Reginald (ou Ranvald) et le culte dont il était honoré à Dortmund, qu’il l’ait confondu avec Renaud, qu’ainsi il l’ait mentionné au v. 6073 et que de cette simple mention aient dérivé dans la suite et le départ pour Tremoigne et la légende pieuse. Cette partie a été traitée par les remanieurs avec autant de liberté que le Beuves d’Aigremont. Elle mériterait une étude spéciale qui ne devrait pas se limiter au seul texte de La Vallière.

C
Épisode des Ardennes

Désespoir des Fils Aymon dans les Ardennes. Texte de B, revu sur C qui est ici moins prolixe. C’est le développement du vers 3269 : Forment lor anuia li yvers qui lons fu (Michelant, p. 87, 21).

Renaus se dementa, ains si dolans ne fu.
Chil sires li ayut c’on apele Jhesus.
En Ardane est Renaus à la chiere membrée,
Ses frerez regarda, mainte larme a plourée,
5Voit la robe à chascun desroute et deschirée.
Et voit cascun qui ot la teste hurepée,
La chiere noire et palle, pellue, descoulourée.
Toute chelle semaine avoient jeünée
Que onques n’i mengierent cascun jor ajornée,
10Se rachinez ne furent ou fa[ri]ne mondée.
Et quant Renaus voit chou, grant famine l’abée,
De la pité qu’il ot, a la coulor muée.
L’iaue du cuer li est amont as yex montée,
Si que parmi sa fache li est aval coulée.
15Teurement a plouré ichele matinée
Et voit son petit frere, Richart, brache quarrée,
Qui de fain ot la bouche tout environ enflée.
Les bras li court au col à molt grant alenée ;
Lors a geté .i. brait et itele criée
20Que tout en retentist li puis et le valée.
« Ahi, frere, fait il, com male destinée
Nous est par nos pechiez otroïe et donnée !
Ains mais si haute gent ne fu si esgarée,
Ne si riche de terre ne si emparentée.
25Las ! ja sui je Renaus à la barbe quarrée,
Qui soloit demener en Franche tel ponée,
Qu’as frans hommez donnoit tante riche soudée.
Qui [donoit et .c. mars et tante .c.] livrée ?
Malement a fortune cheste roe tournée.[45]

30Bien est de haut en bas ma proueche visée
Mere Diu Jhesus Cris, vierge boine eürée,
Secourez vos barons, Dame, s’il vous agrée.
Las ! Ja sui jou Renaus à la fiere pensée
Qui si tres grant biauté avoit et [esmerée],
35Qui avoit douche dame de s’amour embrasée,
Et soloit si ferir de la tranchant espée ;
Qui si grant terre avoit et riche et asasée,
Qui tant fu redoutez en Franche la loée !
De ma rikesse estoit si grans la renommée,
40Poi parloit on d’autrui en ichele contrée.
Et or m’est povretés si tres grant sormontée
Que jou ne puis avoir de pain une denrée.
Faus est qui pour rikesche alieve le posnée,
Car moult par lui est tost hors de la main coulée.
45Las ! je vich ja del jour, ch’est vérités prouvée,
Ne daignoie mengier fouache buletée,
S’es pessiaus ne fust broïe et demenée.
Char de porc me tuoit le fresche et le sallée,
La char de buef ne fust de mes yex regardée,
50Et or m’est bien avis, ch’est verités prouvée.
Que se un peu avoie beü de la fumée,
Que ber nasqui de mere en icheste jornée.
Seignor frere, dist il, quelle i aves pensée ?
Se nous morons de fain, chou est lastez prouvée.
55Ochions nos chevaus sans nule demourée.
Je mengerai Baiart à la crupe triulée
[Qu’es Espaus] me douna [Oriande] la fée.
Moult vaut miex que Paris, chelle chité loée,
Mar fu si riche chars quant n’i aura povrée.
60De basme et d’or molu deüst estre pevrée. »
Lors a mise sa main à la trenchant espée,
Venus est à Baiart à la se[l]ve ramée.
Baiars voit son seignor, s’a la teste enclinée,
A genoullous se met comme beste senée ;
65Aussi com pour cauper li a il delivrée,
Car la parole avoit oïe et escoutée :
De Renaut connoissoit le cuer et le pensée,
Le vis qu’il ot troublé et la coulour muée
Et voit comme la corde li est au col fremée,
70Ne quoi fuïr ne pot ne faire destournée.
Parmi les iex li est la clere yaue allée
Si que l’erbe et la fueille en est toute arousée.

Quant Renaus voit Baiart à genou[llon]s tiere,
.i. petit s’arresta, s’a de cuer souspiré,
75S’espée mist arriere, [es-le] vous arrestez.
Quant le vit à genous ploié et acliné,
Moult en a il le cuer et tristre et abosmé :
«Hé Dix ! chou dist Renaus, boins roys de maïsté.
Comment ferai [je], las ! si grant desloiauté ?
80Chis chevaus m’a servi tous jours et honneré
Et de tant grant peril a il men cors geté,
Pendu m’eüst li roys plus a d’un an passé
Se chis chevaus ne fust, sachiez, par verité.
Chertes se jou l’ochis, ensi sommes alé.
85Li roys nous pendera par vive poesté.
Et mi frere ront si lor chevaus en chierté
Que tout .iii. ont sur sains et plevi et juré
Que nul n’en ochirront pour nule povreté.
Hé Baiars, boins destriers, com mal aves ouvré.
90Qui a tel traïtor avez tous jours esté
Et tant l’aves servi et tant l’aves porté,
Et traïtes sui voir quant ne t’ai deffié,
Et si t’ai atachié com traïstes prouvés.
Foudres, que ne m’ochis, quant itant ai dervé !
95Ne viveroie sans Baiart .i. seul jour ajourné.
Par ichel saint Seignor qui maint en Trinité,
Je m’ochirroie anchois à mon branc acheré.
Baiart, se je t’ochis, ja n’aie jou santé ;
Et se ja vostre cors que je tieng en chierté
100Est ja mengiés [par] moi, jou t’ai asseüré.
Mais par ichel Seignor qui le monde a formé,
Jou mengeroie anchois mon frere le mai[n]sné
Que jou aim plus asses c’omme de mere né
Que ne feroie toi, trop en ai grant pité. »
105Grant doulor a Renaus pour son cheval menée
Et pour ses compaignons que famine est prouvée.
Vers le chiel contremont a sa chiere levée ;
De la tres grant dolour et de la grant pensée
Chaï entr’aus pasmés, en la plache aombrée.
110Si frere l’ont veü que la geule ot baée,
Quident que l’ame en soit partie et dessevrée.
Ains mais si grant dolour ne fu [par] aulz menée
Ne pour homme vivant en chest siecle esgardée.
Guichars se debatoit comme beste dervée,
115Richars chaï pasmez tres enmi de la prée.

« Helas ! che dist Alars, cheüe est ma ponée,
Quant [je voi ci mourir la rien qu’ai] tant amée.
Gardez moi mes biax frerez, sainte Vierge honnerée.
Se jou chi remains seus, ch’est male destinée.
120Or avera li [roys] sa guerre definée.
Mais par ichel Seignor qui fist chiel et rousée,
Je ne remanrai vis ». Lors courut à s’espée,
Del fuerre le sacha, moult bien fu amourée.
Ja [se la fust el cuer] parmi le cors boutée,
125Quant ses freres Guichars li a des puings ostée.
« Frere, che dist Guichars, folie avez pensée.
Bien y recouverrons ains que past l’avesprée.
Chertez se il sont mort, n’i a mestier chelée.
Après m’ochirrai jou sans nule demourée.
130Ja dame Dix me doint que m’ame soit sauvée,
Se jou n’en ai Kallon la teste tronchonnée ;
Tout .iii. li courrons sus en Franche la loée.
Encor en ert des cors mainte ame dessevrée ».
Tant ont li .iii. baron lor grant duel demené
135Que Renaus esperi, s’a .i. souspir geté.
« Seignor frere, dist il, trop par avez plouré.
Laissiez ester le cri, ne vaut .i. ail pelé.
Mais proiez dame Diu, le roy de maïsté,
Que à mengier nous doint, se il li vient à gré,
Et vengance nous doint de Kallon l’aduré
140Que tout che nous a fait par sa grant cruauté. »
Renaus est revenus, grant joie en ont mené
Chis sires les avoit qui le monde a formé.
Or est estés venus, et li yvers passés.

D
Le passage à Orléans

Après avoir volé les trésors du roi à Orléans, Maugis ose y repasser avec ses cousins : singulier artifice auquel il recourt pour réparer cette imprudence : B. f. 26, recto B ; répondant à Fils Aymon, 3678-3691.

Vont s’en li fil Aimon, ne s’aseürent mie.
viii.c. [chevaliers ot en la lor] compaignie,
Et Maugis li courtois qui les caiele et guie.
Il trespasserent Gonche, si ont Franche guerpie ;

5Parmi lo Gasteinois ont lor voie akeullie.
Vers Orlliens ont guenchi la fort chité garnie,
Mais se Dix nes sekeure, moult est courte lor vie,
C’à l’entrée d’Orliens, à une voie antie,
Trouvent un damoisel de moult grant seignerie ;
10Maugis a reconnut, à la chiere hardie,
Qui embla le tresor en la grant manandie.
En la ville est venus par moult grant aatie,
Le cri a fait lever et la cloque bondie ;
As armes keurent tout, la ville est estormie,
15Encontre nos barons ont lor voie akeublie.
Quant Renaus les coisi, n’ot talent que en rie.
A Maugis dist Renaus : « Chou est par ta folie,
Tu nous a malbaillis, se Dix ne nous aïe. »
« Seignor, chou dist Maugis, ne vous esmaies mie.
20Bien vous en passerai, se Dix me donne vie. »
A sa malle est venus, une boiste a saisie,
.I. ongement i ot qui fu fais en Cubie,
A la porte d’infer, par moult grant dyablie,
Et puoit plus assez que carongne pourrie,
25Ne riens que onques fust veüe ne coisie ;
Et Maugis le trait hors, que ne se targe mie,
Chil qui sont entour lui ont la puor sentie,
Et dist li un à l’autre : « Par Diu, le fil Marie,
Qui nous a or donné ichi tel punaisie ? »
30Pour .i. poi que li ame n’est de Renaut partie.
Mais Maugis le raclot, en son sain l’amuchie,
Puis a traite une herbe de moult grant seignorie,
A cascun en donna, puis lor dist bien et prie :
« Seignor, qui n’en auera, [il] perdera la vie.
35Si tiengne chestui herbe par devant sa narine. »
Là verres ceste gent porer petit esbahie,
Ains mais pour tel engien ne fu gent si honnie.
Lors hurtent les chevaus et Maugis lor enguie,
Chelle pueurs s’espant parmi la praerie,
40Orlenirs ont sentu choie grant punaisie.
« Fi ! Fi ! » font li bourgois ; n’i a cheli ne die :
« Qui plus ira avant, ja ne verra Complie. »
Ains c’on eüst alé le trait à une archie,
S’en fuï chele gent, ainsi fu departie.
45La voie et le chemin lor ont toute guerpie.
Et chil passerent outre que ne se targent mie.
Grant grace rendent Diu, le fil sainte Marie,

Que il lor a donné garison de lor vie.
Entresi à Poitiers ne s’aseürent mie.
50Del roy Yon de Gascoigne ont la novele oïe ;
Il est preus et vaillans et de grant seignorie.
Par devers chele marche a grant mestier d’aïe,
Que grant guerre li fait chele gent païennie.
« Renaut, che dist Maugis, ne lairai ne vous die,
55Chis roys si est moult preus et de grant seignerie :
Serves le jusqu’as Pasques, ichele feste antie.... »

E
Épisode de la course

Dans la note au v. 4815, il est dit que les différences entre A B P sont ici insignifiantes. C’est vrai seulement, si on les compare à C. Cet épisode est un curieux exemple du développement qu’a pu prendre une partie du récit quand elle présentait des éléments nombreux d’intérêt. L’on y avait l’audace de l’entreprise de Renaud, les ruses de Maugis, Charlemagne tourné en dérision dans sa capitale, les conséquences possibles du voyage de Renaud et de Maugis et de leur présence à Paris, les incidents de la course. Des formes que cet épisode a prises, la plus ancienne et la plus courte est conservée dans L M Metz. Elle va du v. 4760 : « Vont s’en li fil Aymon, ne se vuelent targier », au vers 5068 : « Il li ont demandé com li est avenu ». Dans A B, Ogier, Naimes, Fouques de Morillon, chargés de veiller à ce que Renaud ne passe point les portes, s’entretiennent avec Maugis et ne reconnaissent ni les chevaliers ni Bayard. Il est à la rigueur possible que les quatre-vingts vers donnés en citation remontent plus haut que la rédaction de A et de B.

P s’inspire de A B, mais en y ajoutant. Il explique d’abord pourquoi Charlemagne fera veiller à ce que Renaud n’entre pas dans Paris. Quand celui-ci et Maugis ont passé à Orléans, un « gloton » a reconnu Renaud et Bayard. Il avait un cheval rapide. Il va à Paris, annonce au roi ce qu’il a vu. Charlemagne a grand’peine à le croire. Enfin il ordonne à Naimes et Ogier d’aller garder l’accès de Paris. Ils partent avec quatre cents Sarrasins (sic) et s’embusquent au bois de la Gaudine. Cependant Renaud et ses chevaliers entrent dans un « ramier sous Montlhéry et l’on dîne ; comme dans L A B, Maugis a « pourchacé » des provisions. — C tirera partie de cette dernière indication. — Ogier et Naimes guettent jusqu’au matin. Il n’est point dit qu’ils aient à souffrir du froid et ils ne se plaignent point de l’empereur.

Maugis déguise Renaud et Bayard. Ils partent pour Paris, mais Renaud s’aperçoit qu’il y a un « aguet » dans le bois ; il a peur et propose de changer de chemin. Maugis lui fait comprendre que ce serait attirer sur soi ceux qui les guettent, et que l’occasion de la course serait perdue. Renaud et Bayard ne peuvent pas être reconnus. Le conseil est suivi. Les chevaliers du roi paraissent, comptent déjà tenir Renaud. Fauque de Morillon accourt lance baissée, puis ne les reconnaissant point, s’arrête. Naimes et Ogier surviennent et demandent à Forcon (sic) pourquoi il n’a pas « boté » son épieu au corps de Renaud. Il explique que le cavalier est un tout jeune homme et que son beau cheval n’est point Bayard. Ogier a un entretien avec Maugis qui déclare s’appeler Joseres et venir de Normandie pour essayer leur cheval à la course. Ogier demande pourquoi son fils ne dit rien ; il semble avoir mauvaise pensée envers eux. Enfin Renaud répond en breton, comme dans A B. Le meilleur en effet était de ne rien changer au petit dialogue. Cependant l’on n’y a pas la mention que l’on reconnaisse Renaud ; mais on la retrouvera presque aussitôt. Ogier et les autres sont revenus au palais où ils « gabent » l’empereur qui en a « tot le sanc mué. » Il fait crier que l’on ne doit héberger personne que l’on ne connaisse et qu’il faut prendre Renaud s’il vient. On met de bonnes gardes à toutes les portes. Quand Renaud et Maugis arrivent, ils trouvent des chevaliers armés qui « l’entrée [lor] ont chalengié et vaé » et leur demandent si Renaud doit venir à Paris. Maugis dit qu’il n’est pas à un arpent de là, qu’ils ont voyagé ensemble, et ajoute impudemment (ce que n’ont pas A B) que Bayard n’est guères plus blanc que son cheval. Survient un ribaut « trestot estrumelé » qui s’écrie :

« C’est Renaus et Baiars, foi que doi Damedé,
Mez li gloz Amaugis l’a si taint et mué
Que il n’i porra estre coneuz n’avisez. »
Baiarz l’entendi bien, car il estoit faez.
Del pié destre le fiert, si l’a bien assené ;
Une lance tenant l’a derier lui rué :
A .i. perron le jete, tot l’a escervelé.
Quant Maugis l’a veü, s’en a .i. ris jeté
Et [Renaus] en son cuer en a Deu aoré.
Li baron les ont moult durement regardé,
Et dit li .i. à l’autre : « Cis garçons est desvez ;
Bien conissons Renaut, n’a pas si jœne aé.
Alez, font il, segnor, trestot a sauveté. »

Ils entrent, se logent chez le cordonnier, et quand celui-ci demande pourquoi Maugis lie le pied de Bayard, il lui répond que c’est parce que le cheval est « forment effraé. » Après la mort de l’hôte, Maugis ne fait pas de reproche Renaud qui de lui-même reconnaît qu’il peut leur arriver malheur avant qu’ils soient revenus de la course. Ils montent à cheval, mais la « mesniée au borjois » a crié si fort que le peuple se rassemble et que le prévôt lui-même survient et interroge la dame. Elle déclare que le meurtrier s’appelle Renaud, qu’il avait peur d’être dénoncé à Charles. L’empereur averti fait garder les portes : qui prendra Renaud recevra cent marcs d’or. Renaud et Maugis couchent à Saint-Martin-des-Champs. Après la messe, Charles envoie Naimes et Ogier porter sous Montmartre sa couronne avec cent marcs d’or et les « pailes roez. » Renaud et Maugis se rendent à la course. Charles commande à Roland de garder le champ avec cent chevaliers. Malgré quelques différences, le reste est conforme à L. — À la partie de L comprenant 4765-4974 (209 vers) répondent dans P 413 vers : Vont s’en li fil Aimon, ne se valent targier — Dolenz fu Klm., n’i ot que correcier.

La version C, établie sur le même plan que la version B, se distingue de celle-ci en ce qu’elle allonge ou abrège de façon tout arbitraire. Elle offre néanmoins de bonnes leçons aux parties communes avec L. L’on a vu, à propos des mss. d’Oxford, que pour la légende religieuse de la fin, elle forme une famille particulière avec la version Douce. Ici le remanieur a tellement amplifié l’épisode de la Course qu’il est devenu un petit poème où l’élément comique ou bouffon tient une grande place. Le texte a été copié avec négligence en beaucoup d’endroits.

Ce récit procède librement de celui de P. Il est beaucoup plus long, car en prenant du vers : « Sire, icis Rollans dont vos oï avez », qui répond à peu près à 4712 de L et en s’arrêtant à « Il li ont demandé : com vos est avenu ? » soit au vers 5068, l’on y compte 1080 vers contre 356 de L.

Dès le commencement le messager annonce que Charles compte bien que Renaud viendra à la course, qu’ainsi il sera atrapé et mis à mort et que son cheval sera donné à Roland. Maugis offre l’aide de tous ses talents :

Ja rien n’esploiterez, se vos ne m’i menez,
Que je sai de barat plus que bon qui soit nez,
D’engien, d’encantemenz et d’autre aversitez.
Et si sai les trespas, les chemins et les guez.
Je vos sejornerai, ja mar en douterez,
De pain, de vin, de char, d’avaine et de blez.
Por demorer un an mar vous desconfortez,
Que tex est el pales riches et asasez
Qui vos en prestera tant que vos revenrez :
Et je raplegerai quanque vos aquerrez ;
On me querra asez tant c’on soira les blez.

Renaud rit de ce discours dont l’allure fait penser à Panurge.

À Orléans, quand Maugis répond aux questionneurs qu’ils vont à la course, le « lécheor, le cuvert pautonnier » qui est déjà mentionné dans P, et qui a reconnu Renaud, ses frères et Bayard pour les avoir vus en Gascogne, part pour Paris sur son « roncin grant et gros et trotier », entre au palais, reproche au roi d’oublier la mort de son fils et de Bertelet. Ses ennemis se risquent sur ses terres. Charles répond que Renaud ne l’oserait pas.

Le messager réplique qu’il a vu Renaud et Maugis à Orléans. Ils viennent à Paris essayer Bayard, car ils veulent gagner la couronne. Le roi ordonne de lier l’espion. S’il a menti, il sera pendu ; s’il a dit vrai, il recevra cent livres et un destrier. Il envoie Aymes (écrit ici Naymes, mais c’est d’Aymes qu’il s’agit) et Ogier faire le guet dans le bois sous Lonjemel, et promet de les bien payer. Aymes et Ogier partent avec quatre cents chevaliers. Ici manque l’indication de l’endroit où Renaud et les siens se sont arrêtés. Plus loin on voit qu’ils sont dans un « ramier », non loin de celui où se cachent les hommes de Charles.

Renaud et sa troupe n’ont rien à manger, n’ont point d’argent. Il s’adresse à Maugis. Celui-ci se déguise en écuyer, déchire ses habits, met sa coiffe « cen de devant derier », fait des grimaces. Enfin avec son écuyer, qui a pris un costume de chevalier et doit l’attendre à la porte d’un château voisin, il part. C’était la fête du « Lendi». Maugis contrefait le fou, crache au nez des gens, leur jette de la boue. On lui fait des largesses. D’un coup de poing, il se débarrasse de l’un d’eux qui voulait le retenir. Puis il court à l’endroit où étaient les changeurs :

As deniers est venus, si commence à tencier.
Boistes, borses et sas, maintes copes d’or mier,
Et tire le tapis, toz les fait trebucier.
Li deniers vont volant aval par le caucier.
5Li noise commença forment à efforcier ;
Tout ceurent cele part vilain et macetier,
Parmentier, puisonier, marceant et bocier ;
Qui ains i pot venir n’i se vot delaier.
Et ceurent à l’avoir forment por gaignier,
10Li gaainz fu moult granz, et plus les orent chier.
Li .i. boute de ça, l’autre prent à tirer.
Qui enlevait l’avoir, nel pooit ostoier,
Que des puins li ostoit cil qui plus l’avoit cier.
Là peüssiez veïr fort estor commencier,
15Tant dent voler de bouce, tant ceviel eracier,
Et tant riche borgois estendre et baeillier.
Qui caï en l’estor ainz ne s’i pot aidier ;
Enqui li convenoit l’ame du cors voidier.
Et quant Maugis le voit, n’i ot que laiecier.
20Devant lui a trové .i. vilain carbonier
Qui portoit .i. noir sac com meure de meurier.
Le sac li a tolu, si se met el cangier.

Qui li veïst hurter et ferir et maillier
Et quellir cel avoir et en ce sac boutier,
25Bien desist qu’il avoit talent de gaegnier.
Quant li sas fu toz plains, si commence à hucier.
De la presse issi fors, ne s’i vot atargier.
Ensi ala criant : « Or çà ! al carbonier !
Qui bon carbon vora, si me viegne paier.
30Onques si bon n’en i a, bien le puis aficier. »

Il retrouve son écuyer, change de costume avec lui, prend de l’argent, envoie le reste à Renaud, et se rend au château.

x. bues a acatez qu’il fera escorchier,
.iii. tonniaus de vin fait maintenant cargier
Et le pain des estaus ains n’i vot pas laisier,
Et grues et paons et cisnes et ploviers,
Et anes et mallars, venison et [sanglier],
Tot ce a acaté, comment que il fust chier.

Il charge charrettes et sommiers et va trouver Renaud qui le remercie. On dîne et l’on dort sur les lits que Maugis avait fait préparer.

Aymes et Ogier sont toujours à l’agait où ils ont faim et soif. Ils se plaignent de Charlemagne qui les a mis là pour quatre jours. D’ailleurs ils ne savent rien de Renaud qui est dans un verger sous Montlhéry. Le soleil est levé. Renaud rappelle à son cousin que la course aura lieu demain, qu’ils doivent coucher à Paris ce soir. Maugis teint Bayard en blanc, et ramène Renaud à l’âge de quinze ans. Ils partent après avoir embrassé les trois frères. Ils sont vus et les choses se passent comme dans P, à la seule différence que Maugis dit qu’il est de Normandie, et que lorsqu’Aimes demande à Renaud qui est son père, et que celui-ci répond en « bretol » : Boine hiere, dist il, catera ma caté », le texte dit bien que c’est son père qui l’envoie au diable.

Les barons de Charles rentrent à Paris et vont « ledengier et blasmer le roi ». Puis l’on a quelques vers qui semblent viser la mise à mort de l’espion. Cependant on proclame à Paris le ban du roi : on ne doit héberger personne que l’on ne connaisse, et l’on doit prendre Renaud si on le trouve. Des chevaliers sont mis à toutes les portes. Ils ont « le pont calengié et veé » quand Renaud et Maugis se sont présentés. Ils demandent à Maugis si Renaud doit venir à la course. Il répond qu’il l’a laissé à un arpent de là, qu’ils ont longtemps chevauché et erré avec lui, qu’il est sur son cheval Bayard, qui n’est pas plus blanc que celui qu’il monte ; que Maugis est sur un fort cheval noir tout semblable au sien.

Survient le grant ribaud «estrumelé. » Il reconnaît Bayard que les gloutons

ont teint et défiguré.

Baiars l’entendi bien que fées l’ont fe.
Des piez derier le fiert, si l’a bien asené
C’une lance tenant l’a detrier lui rué ;
A .i. perron le fiert, tot est escervelé.
L’ame en ont [en] portée li deable maufé.

Les Français se félicitent de sa mort, et on laisse passer les deux chevaliers :

[Li] ostel furent pris, si furent ensieré,
El vies marcié se sont povrement ostelé
Chies .i. cordoanier qui moult ot mal pensé.

Aux questions de l’hôte, Maugis répond que le cheval est trop desréé, et que le jeune homme est son fils : il n’y a pas encore un an qu’il l’a adoubé. Quand l’hôte veut dénoncer Renaud, le chevalier lui fait sauter la tête d’un coup d’épée. Maugis est mécontent, traite son cousin d’enragé. Ils montent en selle. Mais les enfants du mort crient que Renaud leur a tué leur père. Les Français s’arment partout, et le roi lui-même qui a entendu le bruit, monte à cheval et sort avec ses hommes. — Dans P c’est le prévôt. — Renaud se mêle avec les autres princes, mais voudrait éviter le roi. Bayard allait tout clochant. Renaud s’adresse à son cousin :

« Issons nos en de ça, nes aion encontré !
Se li rois nos encontre, à mort somes livré. »
« Cousin, dist Amaugis, as tu le sens dervé ?
Se tu vas destornant, par ma crestienté,
5Tu seras tantost pris, ja n’en ert destorner.
Mais sui moi vistement contreval la cités ;
Je te menrai, je cuit, moult bien à saveté. »
Et Amaugis aloit criant, le front levé :
« Or sus ! or sus ! dist il, trop avons demoré.
10Honi soit hui li rois se ne sont afolé,
Et se ne sont pendu et vilment traïné. »
Renaus aloit criant contreval la cité.
Il ne se tenist mie por les menbres [coper].
Une foïe a ris, à l’autre a tremblé.
15Atant es .i. borgois, [fu] cras et borsoflé.
Bien reconut Maugis à ce qu’il a parlé.
Hautement escria à moult grant crualté ;
« A foi, fil à putain, mal vos estencontré.
En mon ostel vos ai longuement sejorné ;
20Si vos ai moult servi et sovent......,
Mon or et mon avoir en plusior [jor] presté ;
Por vos on m’a sovent fol et cuvert clamé.

Vos me devez .cm. de fin argent pesé.
Ja me seront rendu, par ma crestienté,
25Ou je vos batrai tant le dos et les costez
Que ja mes n’en arez ne joie ne santé. »

Maugis dit à son créancier qu’il a caché dans un fossé un grand trésor qu’il avait « en Engleterre enblé. » Tout en parlant, en le remerciant d’avoir longtemps patienté, il le mène à un monceau d’ordures où il le précipite. Ils repartent, et Maugis rencontre le roi.

« Sire, ce dist Maugis, par sainte Charités,
Renaus en va fuiant contreval par ces prez.
Entre moi et cestui nos i somes mellé.
Par desouz Saint Germain si fusmes acouplé
Que mon frere germain m’a il à mort jeté. »

Charles promet de faire pendre Renaud dès qu’il le tiendra. Il part avec ses chevaliers vers Saint-Germain suivant la direction que Maugis a indiquée. Renaud et Maugis s’arrêtent à la porte du mostier. Charles revient quand il eut assez musé. Le jour venu, tous les chevaliers s’arment. Le roi et les barons viennent au mostier, Renaud et Maugis se joignent à eux. Après le service, le roi charge Sanson et Otroés (cf. L) de porter sa couronne et cent « pailes roés ». Ils portent la couronne dans le pré et la mettent sur l’estache où ils ont trouvé un éperon, puis placent les pailes. Cependant les concurrents arrivent de toute la ville. Charlemagne charge Sanson, Otroé, Uidelon et Ogier de garder le champ et de ne pas laisser échapper Renaud s’il vient. On rit en voyant Bayard clocher et l’on plaisante Renaud.

Et quant Renaus l’entent, tot a le sens mué ;
Ja se fust combatus, quant Maugis l’a osté.
Puis li a dit en bas c’on ne l’a escouté :
« Renaus, miex vaut engin, par ma crestienté,
Que ne face grant force, jel sai de verité. »

Bref, il faut être prudent. On regarde Renaud.

« Segnor, ce dist li rois, trop avez demoré.
Laisiez ce damoisel, trop avez ranponé.
Par le mien ensiant en lui a grant bonté,
Et se le cheval fust del tot resvigorez,
Ne cuit qu’en tot le cors eüst meillor trové.
Gardez que par les iols ne soit ja mes gabez.
Dex connoist de chascun le cuer et le pensé. »

Ceux qui sont à la course se retirent tous ensemble. Renaud est avec eux.

En .i. renc se sont mis moult orgueilleusement.
Qui ne fu bien estrois, si se çangle forment.

Bien se sont acesmé chascuns à son talent.
Quant furent tot monté, li estris fu moult grant.
Es estriez reluisanz s’afichent durement.
Cil qui est lonc [estriers], n’ose aler avant.
Cil qui gardent le cors ne se vont atarjant :
« Baron, et car alez ! que alez demorant ? »
.i. chevalier en va moult orgueilleusement,
En une voiz escrie : « Or tost alez avant ! »

On part, il y a des chevaux de toutes les couleurs. Chacun fait de son mieux :

Enki nefist amor le pere son enfant.
Mes qui ot bon cheval si se mist par devant.
.i. bauçant en i ot qui tot aloit pasant.
D’Espaigne estoit venus, s’estoit à l’amirant.
Envoié li avoit, ce set on voirement,
Por la corone avoir dont desir avoit tant ;
Si li ot amené Garins, .i. drugerans,
Qui renoiez se fu, si creoit Tervagant.
Se vaintre puet le cors, fait a grant hardement :
La corone p[r]endra sanz nul arestement,
Puis s’en ira à tout, si l’aront li Persant ;
Ja mes jor ne l’ara Charles au poil ferrant.

Il dépasse tous les autres d’une « hucie grant ». Tous s’émerveillent. Charles dit que ce cheval vaut plus que Bayard. Renaud était en arrière de plus d’un arpent. Il dit à Maugis de délier son cheval, mais de le suivre, car il lui fera voir une merveille. Quand il aura rejoint celui qui monte le grand cheval rapide, dont il n’y a point le pareil, il l’abattra : que Maugis soit là et prenne le cheval. On ne l’atteindra pas. Pour lui, il prendra la couronne. Maugis lui dit de se presser. Mais Renaud d’abord tient un discours à son destrier :

« Baiars, ce dist Renaus, com avez eu talent,
Mestier m’avez eü et grant besoing sovent.
Se vos or me failliez, dont me va malement,
Et s’il en vient sor vos, blasme i [arez] grant.
Ne proiserai ja mes vostre valor nient. »
Quant Baiars l’entendi, si henist clerement ;
Ensi l’a entendu com mere son enfant.
Ses oreilles a jointes, la teste va crollant,
Por abriver son cors, s’en va tot arçoiant,
A froncié des narines, des piez harpe devant,

La queue et le col va durement abesant.
« E Dex ! ce dist Renaus, par ton commandement,
Tu me dogne acomplir ice jor mon talent. »
Lors a laisié le regne, Baiars en va bruiant.
Al col estendu [va] la terre porpendant.
A chascun saut en prent une lance tenant.
La terre fait bondir et li vens va bruiant.
La porriere fu grant que il va porprenant.

Les Français admirent la course de Bayard et la beauté et la vigueur du bachelier blond qui le monte. — Ce trouvère s’est seul rappelé que Maugis a déguisé Renaud en un tout jeune homme.

Renaud se jette dans la presse, abat quatre cavaliers qui gênent sa course. Il les dépasse tous de trois arpents, mais ne rejoint pas encore le bon cheval.

Que tramis i avoient li [Tur] et li Persent
Por la corone avoir dont furent desirant.

C’était un merveilleux coursier, et Renaud n’avait jamais vu le pareil. Il prie Dieu et surtout la Vierge, et il cite un miracle :

« Mere Dieu Jhesucrist, je vos vueil apeler
Si voirement, ma dame, que vos outre la mer
Portastes le saint fruit où il n’ot qu’esmunder,
Virge fustes devant et virge au delivrer.
5Li .iii. vos queroient, que Dex puist mal doner.
Quant [Josef .i.] saint hom, que tant vos puet amer,
Sur .i. asne vos fist tot maintenant monter,
Jhesu Crist en vo braz enbracié et combré.
.i. bouvier en veïstes tot le quemin aler
10Et .i. sien compaignon après moult fort semer,
Et vos toz li priastes por Deu, sanz demorer,
Que se il voit [juïf] par le chemin aler
Et il li demanda s’il a veü paser
Une itele fame et .i. enfant plorer,
15Que il lor respondi sanz autre demorer
Que quant il commença ce forment à semer,
Que .i. en i pasoit que moult pressoit d’aler.
Mere Dieu Jhesucrist, vos feïstes lever
Le blé tot erraument et florir et germer,
20Et li sires manda soieurs por le coper.
Lors i vinrent li Juis sanz autre demorer
Et por le cors de Deu ocire et afoler ;

Et cis en dit le voir que ne volt rien celer.
Quant li Juïs oïrent le preudome parler,
25Si se tinrent por fol, pristrent à retorner ;
Vos garentist le cors por les vies sauver.
Dame, si com c’est voir que m’oez deviser,
Vos me donez cestui abatre et paser
Et la corone avoir que tant ai desiré,
30Et ausi voirement com l’emperere bers
Me deserite à tort et me fet cheminer,
Et m’a fait à Aymon mon pere forjurer,
Que se il me pooit ne pendre ne trover,
Maintenant me fera le chief del bu sevrer.
35« A ! Baiars, douz amis, que poi vos puis prisier ?
A maint autre besoing m’avez eü mestier.
Se vos or me failliez, n’i a que vergoignier.
Tant honte i averez et moult grant reprovier,
C’ains mes vostre valeur ne doit on rien proisier.
40Se cis ensi s’en va, que n’i ait destorbier,
Ja mes par moi n’arez n’à boire n’à mengier,
Ainz vos liverra on à vilain caretier
Qui la piere atrait por faire le mostier ».
Quant Baiars l’entendi, n’i ot que corecier.
45La teste commença .i. petit à baisier,
Le col estendre aval desoz le chevalier.
Qui le veïst salir et coure et eslaicier
Parmi le grant chemin et les pieres brisier
Et le feu contremont sailir et esclairier,
50Fierement li peüst de cheval merveillier.

Allant d’un train pareil, Bayard rejoint promptement l’autre cheval. Renaud abat Gaifier d’un coup de poing qui lui brise le cou, puis donne le cheval à Maugis qui abandonne Morel. L’empereur admire les deux chevaux, surtout Bayard. Renaud prend la couronne et laisse le reste. Charles l’appelle pour lui acheter le cheval :

« Par foi, ce dist Renaus, cis plais ne vaut noient.
Charles, li rois de France, tot te voi asotant.
Quidiez me vos mener à loi de marcheant ?
Ainz mon pere ne je nel fumes jor vivant. »

Il ne vendra jamais son cheval, mais le donnera quand il lui plaira. Charles ne sait qui il est : il est Renaud qui a tué ses hommes et « sa terre arse alumée luisant. » Il lui fera pis. Il emporte la couronne ; il en donnera les pierres et l’or à ses gens, et placera l’escarboucle au haut de sa tour : « S’en verra on par nuit une liue tenant. » Aucun cheval ne vaincra Bayard.

Et veez là Maugis que vous amiez tant,
Sor ce corant destrier qui me va ataignant.
Vostre tresor enbla à Orliens voirement,
Et si s’est bien vantez, si l’ont oï auquant,
Que ja ne vos gara murs ne tors ne ciment
Que vostre cors n’enbloit à tote vostre gent ;
Si vos emportera à Montauban la gent,
Là ferai je de vos mon bon et mon talent.
Que ja ne vos vauront ne ami ne parent
Ne terre ne avoirs ne fil ne casement
Que ne vos venge tot le deseritement
Que vos avez tenu si tres vilainement.
Cil Dieu à qui je doing cuer et cors et talent,
Le vos puise merir au jor del jugement… »

Il part pour Montauban : l’empereur n’a-t-il rien à y mander ? Il l’y trouvera, s’il en a envie. Il broche Bayard de l’éperon, tire l’épée, va au roi qui a peur, car il était désarmé. Mais Renaud l’épargne et se borne à trancher la tête du cheval. Charles tombe, remonte sur un autre cheval et suit ses hommes qui poursuivent Renaud. Celui-ci fuit, tue trois chevaliers qu’il rencontre. Les autres lui laissent libre passage. Il passe la Seine, descend de selle, essuie la sueur de Bayard, remonte sur lui, prie Dieu, voit que le fleuve se remplit de chevaliers « qui nooient à force de cheval », alors, par-dessus la Seine, Charles demande à Renaud de lui rendre la couronne. Il en donnera cent fois la valeur, et Renaud en pourra payer un an ses soudoiers. Il lui accordera une année de trêve pendant laquelle on pourra négocier la paix. S’il refuse, Charles le poursuivra partout, lui enlèvera ses terres et ses châteaux, le fera écorcher vif avec ses frères. Renaud ne cède pas : s’il vient le provoquer à Montauban « Tiex n’en set ore nient qui le comperra chier. » — L’on a la suite du dialogue à la fin de la note au vers 5003.

Maugis avait apporté deux lances et deux écus qu’il s’est procurés en ville. Renaud lui dit de partir, que pour lui il va « tourner vers les premiers passés. » Maugis veut en faire autant. Ils abattent chacun son homme. Trois cents des hommes de Charles s’étaient noyés dans la Seine. Renaud et Maugis partent enfin, mais ils abattent ceux qui les suivent de trop près. L’empereur se désespère, mais se promet bien de les prendre. Naimes lui dit de revenir en arrière et il suit le conseil. Renaud et Maugis vont embrasser Alard et Guichard et l’on se met en route pour Montauban.

L’on a ainsi quatre formes d’un épisode d’abord assez court : L M Metz, puis A B, en troisième lieu P, enfin le long remaniement de C, médiocrement conservé. Dans A B, Renaud et Maugis sont rencontrés par les barons que Charles a chargés de surveiller les abords de Paris. Le sang-froid de Maugis les sauve du péril ; mais un ribaud les reconnaît. Bayard le tue. — Dans P, ils sont reconnus une première fois à Orléans et Charles est averti de leur prochaine venue. Le reste comme dans A B, sauf de petites variantes. C part de P, conserve avec modifications légères les changements faits déjà au premier texte, et ajoute des développements nouveaux : 1o larcins et achats de Maugis ; 2o sa rencontre avec son créancier ; 3o la rencontre avec Charlemagne ; 4o la conquête du cheval de Perse.

Les imitations allemandes s’inspirent de la version P (Reinolt, v. 6404 sq.). À Orléans un espion entend une conversation de Renaud et de Maugis et court dénoncer leurs projets à Charlemagne qui n’y croit qu’avec peine. Il charge Faukes de Morlyon de faire le guet : s’il lui rapporte la tête de Renaud, il la paiera au poids de l’or. C’est une mauvaise interprétation de P : « Mes se vos li puez la teste roeignier, Ja mes ne sera jor ne vos aie plus chier ». Mais il est possible que P, assez coutumier du fait, ait passé les vers complémentaires de C : « Tant vos vorai doner et argent et or mier Que plus avez asez que letre sor Gaifier. »

Quand Renaud aperçoit l’ennemi, il s’effraie comme dans P C. Maugis annonce que le jeune homme parle breton, mais le discours de Renaud n’en est pas moins long et l’auteur n’essaie point de conserver quelque chose de l’étrangeté de son parler. Fauke ne répond pas moins : « sprich franzoys oder pickardie. » Survient alors Dunamels oublié plus haut (Dunay dans le roman populaire). Au retour on conseille à Charles de placer trente gardes à chaque porte.

Quand Renaud et Maugis veulent entrer, ils sont reconnus par le « ribaud » In des stund da ein rybalt Der was geheïssen Tybalt ; Er kante Reinolt wel. Le nom de Tybalt est là pour la rime. — Après la mort de l’hôte, c’est la femme qui appelle au secours : Maugis la fait taire en la menaçant.

Il n’y a rien des parties sûrement propres à C.

Notre édition populaire suit A, comme presque partout. — Dans le Rinaldo je ne vois qu’une trace dans le résumé donné par M. Rajna : Entrano nella città, passando attraverso alle guardie appostate per ispiarli (op. l. p. 48).

S’il semble certain que Boiardo ait emprunté aux Fils Aymon l’idée d’un tournoi où Gradasse vient dans la pensée d’y conquérir Bayard et Durandal, il est tout au moins à noter que le célèbre Rabican, du frère d’Angélique, ne paraît point sans rapport avec le coursier si rapide que d’après C, l’amirant avait envoyé disputer la couronne de Charlemagne que les Persans voulaient posséder. Le rapprochement s’impose. D’ailleurs Boiardo a pu connaître un texte des Fils Aymon où l’épisode était reproduit tel qu’il est dans C.

L’évolution s’est faite si régulièrement qu’elle ne pouvait être négligée, et je crains qu’une première impression ne m’eût fait d’abord juger C, en cet endroit, trop sévèrement.

Dans l’introduction, à propos du personnage de Richard, j’ai rapidement examiné en note les chants XI et XII de Pulci. Il eût fallu mentionner que le dédoublement de l’épisode correspondant de l’Orlando a été étudié par M. Rajna : il juge avec raison que ce remaniement prouve que le Morgante est plus récent que l’Orlando (La Materia del Morgante, p. 12-15.). J’ajouterai que l’épisode de l’Orlando fondait ensemble des éléments pris de la Course à Paris et de la branche où Richard court un si grand péril. Pulci fait d’Astolphe le héros du premier récit où une éloquente apostrophe de l’auteur à Charlemagne remplace la prière de Richard. Mais au lieu de Ripsens l’on a le bourreau avec lequel Astolphe lutte à chaque échelon. Il n’y a rien de la fin touchante et résignée de la prière.

Je rencontre encore dans Pulci une trace de notre texte, au ch. XI, oct. 30, où Renaud et Richard ne s’arrêtent ni chez leur hôte habituel Gualtieri ni chez leur ami Don Simone. L’un est le Gautier du v. 5069, l’autre me paraît être Simon de Pouille qui fait si bon accueil à Renaud et à Maugis, quand ils passent à Palerme (16271 sqq.). — Autre souvenir de la Course. Dans la Leandra, au tournoi du ch. IV, Renaud, avant d’entrer dans l’arène, a le soin de teindre Bayard pour qu’il ne soit pas reconnu : Malagigi l’insegnò quell’ argomento.

F
Épisode de la chasse

On l’a dans la version B C V, dans la version A P, dans le Rinaldo italien en prose, dans notre édition populaire. Il remplace dans le texte de L du v. 5427 au v. 5901. — Texte de B. revu sur A.

Au pui soz Monbendel sont les os ajoustée.
Nostre Franchois s’arrestent quant ont l’iaue passée,
Et voient le castel et la porte frumée.
Li uns esgarde l’autre, s’a la teste crollée.
5« [Signors, ce dit Rollans, dites vostre pensée.]
.x. jours avons été comme nonnain voillée,
Ne preismes d’autrui vaillant une denrée.
Assalons tost la ville, [s’iert] la guerre effondrée. »
« Non ferons, che dist Karlles, par l’apostre saint Pere,
10Ains esgarderons l’estre de cheste grant, contrée.
S’il ne rendent la ville, la guerre ert ja levée.

S’il rendent le castel, n’i quit faire mellée,
Ains que lor gent i soit morte ne afolée. »
Il y a envoié Garnier de Pierrelée.
15Garnier y est alé seur le mule afeutrée.
Chil de laiens le voient, la porte ont desfremée ;
Et il y est entré, une cape afublée,
Vermeille d’escarlate [et de gris fu fourrée ;
Trueve le senescal] qui garde la contrée,
20O lui [.xx.] chevaliers qui durement l’amerent.
Et li dus les salue com fil de boine mere :
« Et Dix vous saut, baron, li glorieus Sauveres. »
Respont li senescaus : « Dix vous saut, biax dous frere.
Dites si vo raison, qu’elle soit bien contée.
25Ne sommez pas seür en icheste contrée
Qui sont [cil chevalier] qui ceste iaue ont passée. »
Et li dus li respont : « Ne quit faire chelée.
Chou est Karllez de Franche et sa gent honnerée.
Entrez est en Gascongne sor Yon l’emperere,
30Pour chou que il rechete Renaut et ses .iii. freres.
Or vous mande [mes sire] à la chiere membrée,
Se ne rendez la ville, la guerre est ja levée ;
[Se rendez le castel, n’en quiert faire mellée]. »
Li senescaus respont raison desmesurée :
35« Je ne pris .i. denier Karlle ne sa ponée,
Mais revoit en arriere en la soie contrée :
Et s’il atent Yon ne Renaut ne ses freres,
Il s’en ira arriere à maisnie privée. »
Et li dus respondi, s’a la teste crollée :
40« Piecha l’ai oï dire, par l’apostre saint Pere,
Que pour son droit seignor rechoit on grant collée.
Or pens[t] cascuns de vous, sa teste soit armée,
Car en moult petit d’eure en verres la mellée. »
Li dus ist du castel sans nule demourée
45Et vint devant le roy, s’a sa raison contée :
« Li senescaus vous mande qui garde la contrée,
Que ne prise .i. denier ne vos ne vo ponée ;
Mais rales ent arriere en la vostre contrée,
Que s’atendes Yon ne Renaut ne ses freres,
50Vous en ires en Franche à maisnie privée. »
Quant l’entent l’emperere, s’a la coulor muée,
Il apelle ses homes, sa gent a escriée :
« Armes vous tost, barons, li fil de franche mere,
Assales le castel, n’aront gaire durée. »

55Et [il] si firent tost que ne si arresterent.
Il vestent les haubers et les elmez lachierent
Et montent es chevaus et chaignent lor espées
Et pendent à lor [cols] les grans targez roées,
Les espius en lor puins, les enseignez fruméez,
60Et firent lor attrait dont les fossez raserrent ;
Chevalier et sergant [les eschieles drecierent].
Souvent traient et lanchent, grans en fu l’assanlée,
Franchois furent proudomme et de grant renommée.
As pis et à martiaus lor murs lor effondrerent.
65Dedens s’en est entrez Charles nostre emperere,
Et la chevalerie c’ot o lui amenée
Le castel abatirent et [le borc embraserent],
A chiaus qui sont dedens ont les testes copées.
Or pent Dix de Renaut et Marie sa mere
70Et d’Alart s’ainé frere et de Guichart son frere,
De Richart le menour et de Maugis le lerre,
Que forment le[s] maneche nostre emperere Karllez.
Entre le pui et l’iaue ont la voie atournée,
Virent de Montauban la tour qui fu quarrée.
75Montauban a assis Karllez de Monloon,
Entre le pui et l’iaue tendi son paveillon.
La vitaille lor vient du païs environ.
Pour .i. tout seul denier plus en y douroit on
Que pour .vi. à Paris ou à Rains ou à Laon.
80N’i vaut pas demourer Rollans li niez Kallon,
Anchois s’en est tournés à .ii.m. compaignons
Des damoisiaus de Franche, des orgueilleus [garchons]
Et trespasserent l’ost une luée environ
Dessi à Montauban où sont li fil Aimon.
85Onques n’i tresfinerent dessi à Balenchon.
L’iaue y est moult petite mais boin est [li] poisson.
Son tref y a fait tendre Rollans li niez Karlon ;
Et tant fu orgueillous que sus mist le dragon.
Franchois se herbegierent entour et environ
90Et voient le rivage et de lé et de lonc
Et les camps moult pleniere et lez gens qui y sont,
Et les larges fores où sont li venisons,
L’iaue qui vient bruiant et li guez qu’est parfont ;
Moult estoit bien assise et frumé sor Dordon.
95Encor le voient chil qui à saint Jaque vont.
D’autre part court Geronde qui porte lez dromons
Qui porte[nt] les avoirs qui riche et vaillant sont,

De Puille et de Calabre et d’Acre et [d’Ascalon].
« Seignor, or m’entendez, dist Raimbaus li Frison,
100Je ne m’esmerveill mie des .iiii. fiex Aimon
Que il guerroient Karlle que si boin rechet on[t]
Que plus y pert d’avoir qu’en Orliens et Soissons.
Se Dame Dix n’en pense, ja cestui nen prendrons. »
« Merveilles aves dit, li dus Rollans respont.
105Nous preïsmez par forche [le Sainne] Justamont,
S’abatismes par forche le tour et le dongon,
Si conquis l’oriflambe à forche et à bandon.
Tout sont mort et vaincu, se no talent ne font. »
Mais ains ne verra vespre ne le soleil escons
110Que tel paor fera Renaus, le fil Aimon,
Que tous li plus hardis vaurroit estre à Mascon.
Devant son tref estut dans Rollans li niés Karlle,
Turpins et Oliviers et li riches barnages ;
[Et voient la riviere et les oiseaus salvages,
115Les grues et les gantes, les cignes, les otardes].
Son oisel demanda Rollans, qui tant fu sage,
Chil les ont aporté qui lez orent en garde.
Dusques à .xxx. en montent, sur les mulez d’Arabe
Et chaignent les espées que n’i orent plus d’arme.
120Esbanoier s’en vont contreval le rivage.
Pris[r]ent par le riviere les oiseillons sauvages.
Anchois que demi liue en ont cargié grant masse.
Turpins, li archevesques, remest au tref de paille
Et Ogiers li Danois et li riches barnagez.
125Devant lor conte .i. clerc qui moult par estoit sage,
Si com Troie fu prise et apres Romme faite.
Iluec et une espie qui ne se targa gairez.
Nés fu de Montauban et il et son lignage,
Mais il lor escapa par une croute gaste,
130Au plus tost que il pot afula une cape.
Isnelement s’en torne contreval le rivage,
Outre s’en est passés, si se fiert ou boscage,
Trouva une cariere, cavée fu et large,
Dessi à Montauban de courre ne se targe.
135Tous les degrez en monte sus ou palais de mabre,
Iluec trouva Renant et ses frerez les sage ;
Chis lor contera ja les nouvelez moult asprez,
De quoi nostre Franchois recheürent damage.
Li messages en est sus ou palais montez.
140Où que il vit Renaut, si li a escrié :

« Gentis fix de baron, trop es asseüré.
Kallemaines de Franche est en ta terre entrés
A tous .lx.m. de chevaliers nombrés,
Et a pris Montbendel dont il ne vous set gré.
145Les fossés fist emplir et le bourc embraser.
Rollant et Olivier poes plus pres trouver
As gués de Balenchon, [là ont tendu lor tref].
Là poes Olivier tous les membrez coper,
Prendre le neveu Karlle se assalir l’oses,
150Car il sont oiseler et en riviere alé
Là dedens ta garenne lau nus hons n’ose entrer. »
Quant l’entendi Renaus, s’a Richart regardé,
Guichart et Aalart et Maugis le sené.
« Baron, che dist Renaus, quel conseil me donres
155[De si fetes novelles com si oï aves ?] »
« Seignor, che dist Maugis, aparmain le sarez.
On l’en puet moult bien croire, par saint Denis le ber ;
[Li mes le vous a dit], plus a d’un mois passé,
Qu’envoiamez en Franche, c’est fine verité,
160Que Charlemaigne avoit guerpi les vix barbé,
Pour les enfans a fait l’arriere ban mander.
Largement lor promet Gascongne le rené.
Rollant et Olivier sont si desmesuré
Qu’il ne quident nul homme en la crestienté
165Qui les osast par mal une fois regarder.
Mais si ferons ancui, se croire me voles.
Faites mander vos hommez de par tous vos osteus,
Qu’il soient de lor armes garni et apresté,
Et si il [feront] lors quant [sera] commandé.
170La grant voie du bos lez en [ferez] mener.
Dessi à Balenchon droitement les menes,
Puis regardes sor destre, si coisissies les trés
Je remandrai ou bos à tout .m. adoubés,
Et vous ires avant à vo riche barné.
175S’Oliviers et Rollans est en riviere alé,
En la grande forest la ù nus n’ose entrer,
Sempres moult asprement calenge li metes.
Je vous secourrai bien, se mestier en avez.
Les oisiaus qu’il ot pris, veul avoir au disner. »
180« Cousin, chou dist Renaus, bon conseil me donnez.
Issi le senti jou comme vous le loes. »
Il fist mander sez hommez de partout ses osteus
Que fussent de lor armez garni et conraé.

Renaus li fix Aimon ne s’est asseürés.
185Ses garnemens a fait en la plache aporter,
Soz le pin au perron s’est Renaus adoubez.
Il a vestu l’auberc, s’a le hiaume frumé,
Et a chainte Floberge au senestre costé.
Il demande Baiart, on li a amené.
190Li chevaus orgueillous demaine grant fierté
Que il grate des piés et si fronche du nés,
D’une lanche pleniere n’i ose hons habiter.
Quant il voit son seignor, si commenche a tranler.
Et pendi à son col .i. fort escu bendé
195Et si prist en son puing .i. espié noelé,
Devant à .v. claus d’or le gonfanon levé.
Renaus broche Baiart des esperons dorés
Et il li saut de terre .xxx. piez mesurez.
« E Dix ! chou dist li dus, qui en crois fus penés,
200Garissies hui mez cors de mort et d’afoler. »
Son cor a pris Bondin, si commenche à corner.
Li cors estoit ites que vous dire m’orres,
De .ii. lieues plenieres le puet on escouter.
Qui donc veïst bourgois et chevaliers arme[z]
205Entour le duc Renaut venir et assanler.
Quant il sont à cheval à .iii.m. sont d’armé.
Par la porte Foucon issent de la chité.
Li forestiers les guie parmi le bois ramé,
Dessi à Balenchon ne se sont arresté,
210Et garderent sor destre, si coisirent les trés,
Et quant Renaus les voit, ses hommes l’a monstré.
« Seignor, chou dist li dus, aves vous esgardé ?
Fu il mais tel richesche, s’assalir les osez ? »
Turpins li archevesques a contremont gardé
215Pour chou qu’il vit en l’air les grans oisiaus voler,
Et les pies haut braire, les cornellez crier.
Li bois fu si fueillis, menuement ramé,
Qu’il ne porent coisir les destriers sejornez,
Les haubers ne les hiaumez ne les escuz gemez ;
220Mais tant a l’archevesques en contremont gardé,
Qu’il voit entre .ii. arbrez enseigne venteler.
Il est saillis en piez, si est tous effraés.
Que bien set que che sont lor anemi mortel.
L’archevesques Turpins en est en piez saillis,
225Forment fu effraés quant les enseignes vit,
Il sot bien que che furent lor mortel anemi.

Le Danois en apele, si l’a à raison mis :
« Coures vous adouber, car nous sommes souspris.
Gascoing sont en chel bois, car je le vous plevis
230Où est ore Oliviers et Rollans li hardis ?
Bien les a hui porté en riviere Antecris.
A tart venront hui mais as garnemens saisir. »
Quant l’entent li Danois, le sens quide marir,
El paveillon en entre, si a l’auberc vesti.
235Il lacha en son chief un vert elme burni
Et saisi .i. espié dont li fers fu forbi ;
A son col a pendu .i. fort escu voltis,
A .v. claus de fin or le confanon assis.
Armez dessous [Broiefort] del paveillon issi.
240Il a chainte Courtain dont li brans fu forbis.
Sous Broiefort s’en va es archons bien assis.
Li auquant des Franchois refirent autressi.
Renaus, li fiex Aimon, les entent au fremir ;
Ses hommez en apelle, merveilles lor a dit :
245« Apercheü se sont, si les alons ferir. »
Et chil li respondirent : « Nous le ferons issi. »
Il sonnerent .iii. grailez, e les vous estormi.
Ens ou bois est remes li boins lerrez Maugis
A tout [.m. chevaliers] bachelers [de grant pris].
250Renaus s’en est tournez à .ii.m. fervestis
Et passent Balenchon dont parfont sont li fis.
Devant s’en va Renaus li preus et li hardis
Et deffia Franchois, si tost com il les vit.
En l’escu de son col ala ferir Henri,
255Chil fu quens de Nichole et de tout le païs,
Que l’auberc desmailla et l’escu li rompi.
Tant comme hante li dure, l’abati mort souvin.
S. Nichole a juré. « Nous vous tenons à brin,
Qui dedens nos garennes avez nos connins pris.
260Où est ore Oliviers qui de Diu soit mal mis ?
Qui maneche mon pere à pendre et à honnir
Testout pour l’ocoison à dant Rainbaut le Fris,
Pour oiseillon sauvage qui sor l’iaue [fu] pris ?
Je suis pres de combattre que traïson me fist. »
265Dist Turpin l’archevesque : « Vous i avez menti.
[De ceste felonie le vueil je escremir]. »
Adonc laisserent [courre] les boins chevaus de pris,
Et brandissent les lanches à boins espiez forbis.
Grans cops se vont donner sous les escus [voutis].

270Dessous les bouklez d’or les ont frains et croissis,
Les ameurez passerent des espiez acerins.
Tant sont fort li haubers que maile n’en rompi.
Des lances qui sont roides font les esclas croissir.
Li baron s’en vont outre que nus d’aus ne caï.
275Renaus li fiex Aimon a tous premiers guenchi,
Et a traite l’espée dont li brans fu forbis.
Amont desous son elne ala ferir Turpin,
Que les flors et les pierrez contreval abati.
Li brans si est glachiez desous l’escu vautis
280Que li caupa la boucle et les pendans aussi ;
Et li dist par contraire : « Archevesque Turpin,
Miex vous venist ore estre au moustier S. Fremin
Canter messe et matines et sonner miedi
Que venir en cest regne pour Gascoins assalir. »
285Et quant Turpins l’entent, le sens cuide marir
Il a traite l’espée et vaut Renaut ferir,
Quant Franchois et Gascoing se sont entre .ii. mis.
Moult fu fers la bataille et li estors pesans.
Là ot tante ante frainte et tant escu pesant,
290Et tant boin chevalier abatu et sanglent
Et tant pié et tant puing à la terre gisant
Et tant longe boielle sur les archous pendant.
Atant es vous Ogier as esperons brochant
Et tint lanche sous fautre au confanon pendant,
295Et va ferir Richart, chelui de Montauban,
Qui frerez fu Guichart et filz Aimon le blanc.
Grant cop li a donné sor son escu devant,
Desous la boucle d’or li dechire et desment.
Tant fu fors li haubers, que maille ne desment.
300Ogier l’a si feru, par tel aïrement
Que lui et son destrier tresbuche enmi le camp.
Ens ou sablon feri son vert elme luisant.
Richars ressaut en piez com chevaliers vaillant.
Il a traite l’espée et mist l’escu avant.
305Vers Ogier s’en tourne, ja le ferist atant,
Li Danois s’en passe outre, saint Denis va criant,
Si encontre Renaut le fil Aimon le blanc.
Dix ! comme il fu armés sor Baiart [le] courant,
D’auberc et de vert elme, de roit espié trenchant ;
310[Dolanz fu de son frere] qu’abatu vit ou camp.
Où qu’il voit le Danois, vers lui court maintenant,
[Ja feront une joste, qui qu’en plort ne qui cant.]

Renaus li fix Aimon fu moult grains et iré
Quant vit Richart son frere abatu e[n]s ou pré.
315Il a brochiet Baiart où moult se pot fier ;
Et a brandie l’ante o le fer acheré.
Où que il voit Ogier, grant cop li a donné
Que l’escu de son col li a fraint et troé.
Tant fu fors li haubers, maille n’en a faussé.
320Pour tant li a Renaus si ruiste cop donné,
Poitrail, lorain ne chengle ne li a riens duré ;
Du destrier l’eslonga .i. grant pié mesuré.
Renaus prist Broiefort parmi le frain doré,
Et a dit à Ogier : « [Villains estez prouvés,]
325Quant mon frere abatistes voiant tout le barné,
Et sommez d’un lignage et tout d’un parenté.
Selonc ta mauvaisté, te ferai ja bonté.
Tenes or le destrier qui moult fait à loer,
Par itel convenent que vous dire m’orres.
330Se je vienz en besoing où je soie grevez,
Par le vostre, merchi faites moi autretel. »
« Sire, chou dist Ogiers, or avez bien parlé.
Qui de chou vous faurra, si soit desordenez. »
Renaus li tint l’estrier et Ogiers est montés.
335A la roche Mabon li fu puis reprouvé
Où Renaus et si frere furent puis enseré.
Maugis sailli du bos à tout .m. adoubez,
Vinrent à Balenchon, si ont l’iaue passé,
Et deffient Franchois, si ont à auls jousté.
340Là peüssiez veoir un estour criminel,
Tant cop ferir de lanche et de branc acheré
Amont parmi les elmez qui sont à or gemé,
Que le fu et le flambe en font amont voler.
Tant gentil chevalier y veïssies verser
345Dont fuient par les landes chil destrier esgaré,
Los resnes traïnant, lor frains abandonné.
Franchois sont desconfit qui ne pueent durer.
Il tornerent en fuies, si ont les dos tornez,
Et Gascoing les encauchent de ferir abrievé.
350Es tentes se ferirent, avoir ont pris asses,
Chevaus et palefrois et destriers sejornés
Et argent et or fin et boins paillez roés.
Paveillons et aucubes ont sor chevaus montez.
Maugis prist le dragon k’iert sor le Rollant tref
355Et la tente de paille [où li boins dragons ert].

Franchois s’en sont torné vers le coste d’un mont
Moult s’en vont dementant de la perte Kallon.
Gascoing s’en retornerent, li nobile baron.
O l’eschec que il ont, ont passé Balenchon ;
360Dessi à Montauban n’i ot arrestison ;
En la ville s’en entrent li chevalier baron.
Garcoing se desarmerent qui grant [mestier en] ont.
Et Maugis est montés sus le plus maistre tour.
A une des bretesques a levé le dragon.
365.i. vent venta seris qui mena le pignon
Si que tres bien le voient chil de l’ost environ,
Meïmez l’emperere dedens son paveillon.
Adont quida roys Kallez che fust Rollans li prous.
De riviere repaire Rollans li niés Kallon,
370Oliviers de Viane à .xxx. compaignons.
A l’encontre lor va dans Rambaus li Frisons,
Par contraire lor dit : « Plenté d’oisiaus avons.
Or penses du bien faires, par le cors saint Simon !
Boins marcheans serez, se nous y gaiegnons,
375Car li pires nous couste .iiii.m. mangons
Del plus fin or du monde c’onques eüst nus hons.
Desbareté nous ont li .iiii. fil Aimon.
Il ne nous ont laissié nesune rien du mont,
Palefroi ne destrier, aucube ne dragon. »
380Quant l’entendi Rollans, à poi d’ire ne font.
Il descendi à terre, si s’asist sor .i. mont,
Par mautalent souspire, sa main à son menton.
Franchois y sont venu à coiste d’esperon.
Isnelement s’assirent entor et environ.
385N’i a nul qui ne tiegne sa main à son menton.
Rollans li niés Kallon fu moult grains et iriez,
De la honte qu’il ot dolans et courechiez.
Turpin en apela le preu et le sené ;
Richart de Normendie n’i a pas omblié.
300« Baron, chou dist Rollans, quel conseil me donrez ?
Nous estions .ii.m. de chevaliers membrés
De damoisiaus de Franche de nouvel adoubez,
De tous les plus proisiez que poions trouver.
Au gués de Balenchon oi fait tendre mon tref.
395Onques nen oi tel duel en jour de mon aé
De chou que chil glouton m’ont si desbareté.
Jamais devant le roy n’oserai retourner.
Asses est qui dira cose autre que verté.

Où est alés Turpins ? gentis clers honnerez,
400Ber, donne moi la crois, pour sainte carité.
Tous nus piez et en langez m’en irai outre mer.
Je servirai au Temple plus de .x. ans pour Dé
[Et irai, en bataille quant il iert commandé,
Si] ochirrai en camp Sarrasins et Esclers »
405« Sire, chou dist Turpins, mar vous esmaierez ;
Issi va il de guerre qui [la vuet] demener.
[Une eure est li hons povre], l’autre riche clamez.
Ja ne verres, [si cuit], cest premier moys passer
Que nous auerons du leur, ja n’ert si pres gardés. »
410« Sire, chou dist Rollans, boin conseil me donnez,
Issi le ferai jou comme vous le loes.
Le conseil de proudomme doit on bien escouter. »
A ichele parole sont es chevaus montés.
Il estoient .iii.c. tout jone bacheler
415Des damoisiaus de France que jone que barbé,
Qui n’avoient cheval sur coi puissent monter.
A pié comme garchon lez en couvient raler.
Dessi à Montbendel ne se sont arresté,
[Ne du roi ne couvint novelle demander]
420Ne la tente de paile ne [le dragon] fremé.
El paveillon duc Nayme en est Rollans entrés.
De la honte qu’il a estoit tous adolés
Que d’un jour trestout plain n’osa à court aler.
Franchois sont retourné courechié et dolant.
425Atant es .i. message à esperon brochant
Au paveillon le roy est venus droitement.
Il descendi à pié du destrier auferrant
Et salue le roy bel et courtoisement :
« Chis dame Diex de glore qui forma toute gent,
430Saut et gart Klem. et son barnage grant.
Ne vous courechiez mie, se vous di mon talent.
Desbareté nous ont li fil Aimon le blanc.
Il ne nous ont laissié cheval ne garnement,
Paveillon ne aucube nis le dragon Rollant. »
436Quant l’entent l’emperere, à poi d’ire ne fent ;
Saint Denise de Franche jura par maltalant :
« Trové avez le gal que aliez querant ».
.i. sorgant en envoie par toute l’ost criant
Que tout viegnent au roy tost et isnelement.
440De toutes pars y vienent li chevalier vaillant
Et li duc et li prinche et li conte poissant.

Lors y ot moult grant pueple, asses y ot de gent,
Sachies, n’i avenist nus povrez marcheans.
En piez s’en est levés nostre emperere frans ;
445Où que il voit ses hommez, si lor dist esranment :
« Baron, dist l’emperere, entendez mon samblant,
Bien a passé .ii. mois, par le mien ensciant,
Que issimez de Franche, de Paris le vaillant :
Venismez en Gascogne, chelle terre manant,
450[Pour] assaillir Renaut, le duc de Montauban.
[Desbareté nous a mon chier neveu Rollant
Certes je nel vossisse por nule rien vivant.
Quel conseil me donrez d’assaillir Montauban ? »
Trestuit coy se taürent, fors dus Naimes li frans.]
455« Baron, dist l’emperere, vers moi en entendez.
D’asseoir Montauban quel conseil me donres ? »
Trestout se tienent coi et li prinche et li per ;
Mal seroit de chelui qui ait .i. mot sonné,
Fors seulement dus Naymes de Baiviere le ber.
460Ch’est li plus sages hons que on peüst trouver
En toute paiennie ne en crestienté ;
Et li conte et li prinche, li demaine et li per
Li ont par desseur tous donnée dinité.
Trestout vienent à lui pour conseil demander.

G
Délibération des conseillers du roi Ys

Charlemagne a pris et rasé Montbendel. Mais le détachement confié à Roland a été surpris et battu par les fils Aymon et Maugis. Le roi consulte les pairs. Naymes est d’avis que l’on demande au roi Ys de livrer Renaud et ses frères. En conséquence, le messager Malquarré part pour Toulouse, répète au roi Ys la proposition et les menaces de Charlemagne. Ys l’invite à attendre cinq jours sa réponse, parce qu’il lui faut consulter ses barons. Sept comtes sont convoqués et le roi leur demande d’exprimer librement leur opinion. Cette forme du récit est donnée par B C V A P M, le ms. Hatton d’Oxford ; elle est reproduite dans l’édition populaire. La version M est exacte pour le fond, mais les discours des conseillers sont trop abrégés ; on la trouvera Revue des L. Rom. 1886, p. 122. Je lui emprunte, en complétant sur A, le discours du roi Ys dont le texte est intéressant. Pour le reste, je suis B revu sur A M.

«[Segnors, dist roi Yon, .i. conseil vous demant.
Ne me le donnes mie du tout à mon talent,
Mes si que bien en die li petit et li grant.
Kallemaines de France, l’emperere puissant,
5Est entré en ma terre par moult grant mautalent.
[Si a en sa compaingne Olivier et Rolant.
Et tous les .xii. pers qui sont preus et vaillant,
Et bien .lx. mil de chevaliers puissans ;
N’i a cel qui n’ait armez et bon cheval corrant ».
10Li rois tire sa barbe et son grenon ferrant] :
« Durement me menache, moi et toute m’a gent ;
Se je les fix Aymon tous .iiii. ne li rent,
Ne me leira castel, bourc ne vile en estant.
Mes onques le mien pere ne tint du sien .i. gant,
15Non fera ja le fix en trestout son vivant.
Se il a avec lui Olivier et Roullant,
Et j’ai Renaut o moi et Guichardin l’enfant ;
Et se il a dus Naimes, Berenguier et Bruiant,
J’ai Guichart, Aalart, Amaugis le vaillant ;
20Et se il a aussi Ogier le combatant,
J’ai Guichardin d’Espagne, Godefroi le puissant.
Se il a .xii. pers, je en ai autretant,
Se il a .c. mille homes, de .c. mile me vant.
S’il est rois, et je rois ; s’il a branc, et je branc.
25Je demant vo conseil, ne le m’alez chelant ;
Conseillies moi à droit ; que Dex vous soit aidant.] »
Premerains a parlé [Godefrois li] gentis,
Niés fu le roy Yon et chevaliers hardis.
Il a parlé en haut, que ne se vaut taisir,
Où que il voit le roys, si l’a à raison mis :
30« Moult me merveil de vous, par le cors saint Denis,
Que vous queres conseil des fiex Aimon traïr.
Renaus est vos hons liges et vos carneus amis.
Vo seror li donastes o le cors seignori.
Aquitié a vos marches environ cest païs ;
35N’est encore pas li [ans] passés ne acomplis
Qu’il desconfit le roy Marcille de put lin
Et cacha .iiii. liues et tant que il l’ot pris :
Il vous en presenta le chief quant l’ot ochis.
Se vous avez talent que le veulliez fallir,
40Congees les barons hors de vostre païs.
S’en iront en tel terre que bien porront garir.
Et je vous pri pour Diu qui onques ne menti,

Qui fu mis en la crois au jour de Venredi,
Que ne fachiez tel cose dont vous soiez honnis,
45Ne reprouvé vous soit à trestout vo païs ».
Apres lui a parlé li viex quens d’Avignon :
« Riches roys de Gascongne, or oies ma raison.
Conseil vous demandes que nous le vous donnons.
Feres ent vous tout chou que nous vous loerons ? »
50« [Oïl, ce dist li rois], sans nule contenchon ». —
« Bien aves oï dire, et de voir le set on,
Que [Bues] ochist Lohier à la clere fachon ;
Et puis le manda Kalles à Paris sa maison,
[Tranchier li fist la teste par mout grant mesprison.
55Puis en prist accordance Viviens d’Aigremont]
Et trestous li barnagez [sens Renaut le baron].
Renaus fu fix dame Aie, la seror dant Buevon.
Encor estoit Renaus bacheler et guiton,
De lui ne de ses frerez n’estoit il nul renon.
60Asses l’en offri droit l’empereor Kallon,
Mais ne le daigna prendre, tant ot le cuer felon.
Tant monta la parole qu’il vint a la tenchon.
Puis li fist grant damage Renaus li fix Aimon.
[Bertholai en ocist à Paris le donjon],
65Dedens le droit offert l’empereor Kallon.
Se il l’eüst [feru] de fust ne de baston,
[Et Renaus s’envaïst, ce ne fust se bien non] ;
Mais [il] le haoit auques de viele gorgenchon,
Por l’amor de son oncle, dant Bueve d’Aigremont.
70Ne sai por coi chelaisse ne pour coi mentissons :
Nus ne se prent de guerre envers le roy Kallon,
Quant vient à chief de tout, qui en ait se mal non.
Delivrez li Renaut qui bien sanle felon. »
Li quens de Montbandel a apres lui parlé.
75« Riches roys de Gascongne, sachies en verité,
Renaus est vos hons ligez et maint en vo resné.
Chis dus vous veut honnir qui che vous a loé.
Ta suer li as donnée à moullier et à per.
Et quant il vint à vous, de seignor esgaré,
80Il ne sanloit pas homme qui eüst povreté.
.vii.c. chevaus menoit courant et abrievé,
[Ses mendres] escuiers ert de gris afublé.
Ains que Renaus eüst ses esperons ostés,
[Par mon chief], vous dist il [qu’à Charlon iert] mellés ;
85[Et vous le recetastes volantiers et de gré.

Vo seror li donnastez et une ducheé].
Puis vous a fait batailles et estours afremés,
Aquitié[e]s les marches [et de lonc et de] lés.
Par ichel saint Apostre c’on quiert en Noion pré,
90Ne doi[s] porter couronne ne tenir royauté,
Se pour paor de mort les barons li rendes.
Encor n’aves perdu ne castel ne chité,
Chertez [on] vous tenroit pour traïste prouvé. »
Apres parla Antiaumez à la barbe flourie :
95« Gentix roys de Gascongne, cestui ne crees mie,
Enfin vous veut honnir qui tel conseil vous crie.
De Renaut, par mon chief, vous rai asses à dire.
Fiex fu d’un vavassor qui n’avoit ame ville,
Ains ne daigna servir le roy de Saint Denise.
100Tant devint orguellos par sa chevalerie,
Berthelot en ochist Renaus par estoutie.
El roiaume de Franche ne pot demourer mie.
Il s’en vint en Gascongne, qui en plor ne qui rie,
Et vous le retenistez voiant la baronnie.
105Vo seror li donnastez et une manandie.
Or est si orgueillous, ne sai que vous en die,
Que ne prise nul homme ne vostre cors meïsme.
Par mon chief, se il puet, il vous fera folie,
Si ne serez pas roys à la Paske flourie.
110Ne sai que che chelaisse ne je en menteïsse,
Delivres les à Kall. à la barbe flourie.
Si ferez moult que sages, par Diu le fil Marie ».
Apres parla Guimars, .i. dus qui tint Baionne :
« Gentis roys de Gascongne, par Diu qui fist le monde,
115Enfin vous veut honnir qui tel conseil vous donne.
Renaus fu fix Aimon, le boin nobile conte.
Je connuch bien le pere, [sachiez qu’il est] proudomme.
A tort li fist ochirre Klm. son oncle,
Si en prist la venganche à Berthelot le conte,
120Ja nus frans chevaliers ne doit tenir à honte.
Par ichel .s. apostre que on requiert à Romme,
Ites roys ne doit pas nul jour porter couronne
Qui pour paour de mort son baron abandonne.
[Renaus est si prodome, tos ses pers en sormonte]. »
125Apres parla Hunnaus qui le poil a chenu :
« Par Diu, sire Guimart, tu as ton sens perdu.
Quant tu verras cest resne gasté et confondu,
Et bersier maint castel et maint mur abatu,

Toi ne caurra plus gairez qui en soit confondu,
130Mais que froissié en aiez ta lanche et ton escu,
Et seulement en aies .i. poi de sens eü ».
Apres parla Bertrans à la chenue barbe,
Li simez des barons qui Dame Dex mal fache :
« Gentis roys de Gascongne, pour Diu l’esperitable,
135Tes demande conseil, dont nus ne le set gairez.
Aussi chier a la guerre comme la pais fust faite,
Et se il n’i gaiegne, si n’i perderoit gairez.
Vous devez bien savoir dedens vostre corage
L’amor as fix Aimon que vous mar acointastez,
140Vous y aves perdu plus de plaine une balle
D’or fin et de besans et de bliaut de paille.
Si est Renaus molt boins chevaliers à [ses] armez.
Mais par son [grant] orgueil se mella il à Kalle
Son neveu li ochist dont il fist grant outrage.
145Il en vint en Gascongne, mais vous le rechitastes
Et par mauvais conseil vo seror li donnastes ;
Et frema chel castel el chief de ceste marche.
Ja le vient essillier nostre empereres Kalles.
Par le los de vos hommez à lui vous acordastes,
150Et si fu de Gascongne et senescal et garde.
Mais dus Aimez ses peres, à la chenue barbe,
Se prist à Olivier par merveillous contraire
Pour l’estrif d’un grant chine que il vit ou rivage.
Le clama losengier, voiant tout le barnage.
155Et li bers le navra de son branc en l’espaulle.
Droit en offri à faire o son riche barnage.
Vint s’ent à Montauban et Aalars li sage.
Puis ne fu il nul jour que ne guerroiast Kalle.
Dusques l’iaue de Loire i ot toute Franche arse.
160Kalles est en Gascongne o son riche barnage.
S’a assanlé o lui lez damoisiaus sans barbe.
Moult par vous doi peser, par Diu l’esperitable,
Quant par .i. tout seul homme estes en tel barate.
Tolles li vo seror, s[i] li donnes .i. autre
165Qui soit plus gentis hons et soit plus mesurable.
Par aucune maniere le delivres à Kalle.
Se vostre cors n’i est, ja n’i averez blame. »
Et dist li rois Yon : « Je sui pres que le fache. »

H
Fin du siège de Montauban et commencement du siège de Tremogne (version B C V) : analyse et extraits ; texte B.

Charlemagne une fois sorti de Montauban, veut prendre la ville de vive force. Il s’est réconcilié avec ses barons et il encourage Roland, B f. 84, recto A.

« A Rollant mon neveu orendroit li dirai
Qu’il maintiegne mon ost et boin gré l’en sarai.
Et par itel convent que li creanterai :
Audain au cler visage espouser li ferai.
Tel serviche en ara de bon cuer et de vrai.
Onques si bele femme à mes iex n’esgardai. »

Roland promet de donner chaque jour un assaut à la cité et de ne plus aider Renaud. Survient Aimes avec dix mille hommes. Quand Charles lui dit qu’il compte sur lui pour combattre ses fils, Aimes répond qu’il obéira mais à contre-cœur. On donne l’assaut. Les Français sont repoussés. Roland reconforte son oncle. On dresse vingt-six mangonnaux, auxquels le roi ajoute sept « perrieres turqugises » les Fils Aymon s’effraient du péril et songent que les provisions vont toucher à leur fin. Les grosses pierres volaient « comme la pluie qui dessous le vent va ». Grandes pertes des assiégés. Renaud et ses frères montent dans la grosse tour.

Renaus li fiex Aimon fu en la tour carrée
Et Aalars ses frerez à la chiere membrée,
La ducoise Clarisse qui sa face ot rousée.
Seigneur, or faitez pais, s’oez canchon loée,
5Par le mien enscient meillor ne fu cantée,
Ains puis que Dix fu nez de la Vierge honnerée,
Si com meurent de fain en la grant tour quarrée.
De pain ne de vitaille n’i avoient denrée,
Et Renaus et si frere qui bien fierent d’espée,
10Muerent de grant famine. Diex ! com grant destinée
Tant lez maine li roys de Franche la loée
Qu’il le fist assalir à se gent bien armée.
A .lx.m. hommez fu l’ost le roy esmée,
Chascun jor assaloient, moult y ot grant huée.
15Le menue gent crient qui là fu assanlée,
Qu’il ne poent escaper par terre ne par prée ;

.viii.c. en y a mors sans lanche et sans espée
De Lombart et d’Englois qui vinrent à saudées.
Et quant Renaus les voit forment li desagrée.
20Dame Diu reclama qui mainte ame a sauvée :
« Sire, car nous aidiez, vrais Dix, s’il vous agrée. »
Seignor, franc chevalier, et que vous cheleroie
Des .iiii. fix Aimon qui sont en la tour coie ?
La ducoise se pasme qui de fain se marvoie,
25Et si dui enfanchon, cascuns de fain tournoie.
Renaus, li fix Aimon de pité en larmoie :
« Ahi ! peres de gloire, or est morte ma joie.
Che me fait l’empereres qui es tentes s’ombroie.
Chertez, se je cuidaisse qu’il alast ceste voie,
30Ja n’eüsse laissié pour tous les Sains qu’on proie,
Ne l’eüsse estranlé à .i. las de coroie. »
La ducoise en apele, moult doucement li proie :
« Dame, ne plourez pas, mais demenez grant joie,
Car Diex nous aidera qui pecheours ravoie ».
35Renaus, li fiex Aimon, la ducoise conforte.
Il va en la despense, pain musi en aporte,
Si en donne à la dame, à poi que n’estoit morte,
Et à sez deus enfants, et cascuns s’en conforte.
Grant duel mainent lassus, n’i a ouverte porte.
40A Montauban se pasment et en mi et en coste.
Par dedens Montauban avoient grant famine.
Il avoient poi char et poi pain et farine.
Li cheval qui y sont, ne valent une pie
Et Kallez n’en donroit une pomme pourrie.
45Durement fait ruer à la grant tour perrine.
Et Renaus fu dedens qui à Jhesa s’acline.
« Baron, che dist Renaus, che est veritez fine,
Nous morrons à dolor, tele en est la destine.
Car tuens Afillé qui baloie la crigne.
50Ains que muirons de fain, si en faisons cuisine. »
« Aalart, dist Renaus, car tuons le cheval.
Les braons metons cuire, si le metons au sal.
Se je n’ai à mangier, il m’ira ja moult mal.
Je me larrai caoir contreval chest mural.
55Encor[e] m’est il plus, par Diu l’esperital,
De mez enfans que voi demener [duel] coral.
Mi saudoier sont mort et amont et aval.
Or ne sai que je fache, par le cors S. Martial. »
Renaus se dementoit à loi de boin vassal,

60Son viaire esgratine, sa coulor met à mal
Et regrette Amaugis, son boin ami loial :
« Ahi ! se fussiez chi, le boin Maugis vassal,
Ne nous fausist vitaille en nesun temporal. »

Là dessus il se pâme. On mange le cheval. Cela dura quinze jours. Guichard propose de sacrifier Bayard

« Je cuit qu’il n’a si cras dessi à Montpellier. »

Mais Renaud n’y consent pas, et conseille de tuer le cheval de Richard. Richard accepte.

Ils ne savent que devenir. Et Renaud constate que l’on jeûne depuis huit jours. À ces mots

La ducoise se pasme, souvent mue coulour.
Aymonnet et Yvon .c. fois caient le jour.
« Ahi ! pere, font il, car nous faites secours.


86 recto A. Renaud s’arme et va trouver son père.

Aimes le fait manger. Son sénéchal charge sept bons chevaux de vitaille.

Quand Renaud revient, avec son convoi de provisions, les fils Aimon sont dans la joie. Renaud porte à manger au roi Yon que l’on gardait en prison « en fors buies pris ». Clarisse blâme Renaud. Les provisions durent un an. On se désespère de nouveau.

On tue le cheval de Guichard. Nouvelle crise de faim.

Mais Jhesus lor aida qui de l’iaue fit vin
Le jour as nœchez de saint Archedeclin.

Charles fait redoubler l’attaque, mais Aimes consulte ses barons. Il leur demande de lancer dans la tour « bacons et fouachez deugiez ».
87 recto A On secourt ainsi les Fils Aimon.

Charles ne comprend pas qu’ils puissent résister encore. Il sent qu’il est trahi.

« Sire, dist Berengiers qui li cors Diu cravent ;
Fiex estoit Guenelon, le cuivert souduiaut,
Boins roys, or m’entendez, dirai vous, mon samblant :
Savez qui che a fait, emperere puissant,
Que Renaus et sez freres va lassus maintenant ?
Ch’est par Aimon, lor pere, qui les aime forment ;
Quant [il] doit ruer pierres, bacons lor va ruant,
Pain, gastiaus, blé et claré et puiment,
Tant que asses en ont lassus el mandement. »
« Est che voir ? » dist li roys « Oïl, par S. Amant.
Je l’ai fait espier, sel sai chertainement. »

Charles convoque Aimes et son barnage, reproche à Aimes sa conduite et demande aux barons de juger le coupable.
87 verso A Naymes réclame en faveur d’Aimes qui déclare qu’il se défendrait « son acherins branc » contre quiconque l’accuserait de trahison.

Naimes conseille à l’empereur de permettre à Aimes de s’en retourner chez lui.

Aimes ne s’y refuse pas, mais avertit l’empereur qu’à son retour en France, celui-ci paierait cher la mort de ses fils, s’il les faisait périr.

Charles pleure d’abord, puis prend son épée pour couper la tête à Aimes. Naimes intervient encore et rappelle, « Nel porroit sez lignages souffrir ne endurer. »

Charles ordonne qu’Aimes parte au plus tôt, car si le lendemain il le trouve dans son armée, il le fera pendre. Aimes part, mais recommande ses enfants à Estous :

« Il n’ont pas de vitaille cargié un palefroi ».
« Volontiers, dist Estous, ne soiez en effroi.
Anuit les aiderai, par le foi que vous doi.
Mais alez vous en tost sur vostre palefroi ».

Charles est très heureux du départ d’Aimes, mais Naimes lui dit qu’il ne pourra faire aucun mal aux fils : « Chertez, il ne vous prisent la keue d’un keval. »

Or s’en est alez Aimes à la barbe grifaigne.
Et Kallez est remez qui mautalent engraigne,
Aveuc li .m. puchelez de Franche et d’Alemaigne.

Ce personnel-ci est sans doute introduit en souvenir du chapitre XXI du Pseudo-Turpin (De proditione Ganaloni et de bello Runcievallis et de passione pugnatorum Karoli) où l’on voit qu’aux belles Sarrasines, présent de Marsile et de Baligant, s’ajoutaient des femmes venues de France.

Charles voudrait savoir comment les fils d’Aimes peuvent encore tenir. Estous répond que Renaud a des vivres pour quarante jours et que si l’empereur osait le faire pendre, lui Estous lui arracherait le cœur.

« Va, glous, dist l’emperere, li cors Diu te mehaigne.
Ne toi ne ton lignage ne prise une castaigne ».

On attaque vigoureusement la place avec les perrieres et les mangonnaux.

Renaud encourage les siens, mais sous la pluie de projectiles, on est forcé de descendre de la tour et l’on ne sait plus où s’abriter. On éprouve encore les angoisses de la faim. Richard propose de tuer Bayard et Alard déclare qu’il se sent devenir enragé.
88 recto B Quant Renaus l’entendi, de pité en ploura.

Tost et isnelement de ses frerez tourna
Et a pris un coutel, maintenant l’aguisa.
Venus est à Baiart en l’estable où esta.
5Quant Baiars l’a veü, de joie sautela,
Pour l’amour son seignor grant joie demena.
Renaus, li fiex Aimon, voir plus n’i adessast.
Grant pité a eü Renaus, li fiex Aimon,
De Baiart son cheval qui valoit un donjon.
10« E Diex ! che dist Renaus, qui estoras le mont,
Comment ochirrai jou mon destrier arragon ? »
Et Richars s’escria clerement à haut ton
« Par Diu, Renaus, dist il, mort sont ti enfanchon,
Se il n’ont à mengier, de verté le savons.
15Car ochiez Baiart, et nous en mengerons. »
« Moult volontiers, biaus frere », li dus Renaus respont
Venus est à l’estaule à Baiart l’arragon,
Ferir le vaut el cuer du coutel à bandon ;
Quant devant lui se mist Baiars à genoullons.
20Quant Renaus l’a [veü], au cuer en ot frichon,
Il ne l[e] touchast puis pour tout l’avoir du mont.
Mais un bachin a pris Renaus li fiex Aimon,
Du sanc de Baiart prist, de verté le savon,
El bachin l’emporta, n’i fist arrestison.
25Arriere est repairiez sus el maistre dongon,
Le sanc a fait boulir dedens un cauderon,
Puis mengierent li conte et li dui enfanchon.
E Diex ! or sont li conte en grant destrussion.
Seignor, pour l’amour Diu, et que vous mentiroie ?
30Tant out sainié Baiart, duremem afebloie ;
Trop souvent l’ont sainié par le fain qu’il avoie.
Du sanc mengua la dame qui de fain se marvoie.
« Baron, che dist Renaus à basse vois et coie,
Dame Dix nous consaut qui tout le mont ravoie.
35Se jou de chest castel au plain m’en avaloie,
Par le vertu du chiel ne sai où vertiroie.
Kallez nous fera pendre qui as tentes s’ombroie.
Laiens ot [.i.] viel homme qui de vielleche ploie.
Li preudons ot Renaut, de pité en larmoie :
40« Baron, dist li viellars, ne vous esmaiez mie.
Se vous me volez croire, par Diu le fil Marie,
Je vous metrai là hors à sauve garantie,
Tout maugré Kallemaine à la barbe flourie.
Là jus a une bove de grant anchisserie

45Qui dure .iiii. lieues, je l’ai bien ensaie.
Par là nous en istrons de cheste tour antie.
Ne cremons Kallemaine une pomme pourrie.
El bos de la Serpente où la melle s’escrie,
Prenderons nous anuit, baron, herbegerie. »
50Quant Renaus l’a oï, douchement s’umilie,
De boin cuer et de vrai le proudomme en merchie.
« Renaut, dist li viex hons, ne vous esmaiez mie,
Mais issons de chaiens ains l’eure de Complie. »
« Volentiers, dist Renaus, par Diu le fil Marie. »
55Li conte s’apareillent que nuz ne les detrie.
Rendus va à l’estable, à la chiere hardie
Baiart en traïst hors à qui l’esquine plie.
Le roy Yon de Gascongne n’i omblia il mie.
Droit s’en vont à la bove et li preudons lez guie.

Une fois dans le bois de la Serpente on ne sait que faire et Renaud, de peur de Charles, rentrerait volontiers dans le souterrain, mais Richard réclame.

« Ahi, Renaut, biaus frere, or ne vous dementez.
Encor vit li hermitez qui tant nos a amé.
Nous venrons bien à lui ains que soit avespré. »
Lors reprendent lor oirre et d’iluec sont tourné.
5Et la dame est montée sor Baiart l’aduré
Et si doi enfanchon sont aveuc lui monté.
Or les conduie Diex li roys de maïsté.
Tant ont parmi le bos et venu et alé,
En l’ermitage vinrent, s’ont l’ermite trouvé.
10Il reconut Renaut, à l’encontre est alés,
Douchement le salue, en ses bras l’a combré,
Doucement l’a rechut et par boine amisté,
Hautement lor escrie, à loi d’omme sené :
« Baron, bien vegniez vous, bien soiez vous trouvé.
15A mengier et à boire arez à grant planté. »
« Sire, che dist Renaus, .v.c. merchis de Dé.
Kallez li emperere forment nous a grevé.
Entour Montauban siet, le castel renommé,
Bien .iiii. ans et demi dedans avons esté,
20Souffrance avons eü et de pain et de blé,
N’aviemez que mengier, tout estiemez enflé.
Miex ameroie un pain que un marc d’or pesé,
Et se il estoit d’orge ou d’avoine triulé
Et [il] fust en laissive prestris et destrempez,
25Ne le refuseroie, ains le penroie à gré. »

Quant l’ermite l’entent, petit l’en a grevé.
Pour l’amour des barons qui si sont agrevé.
« Baron, dist li hermitez qui fu viex et kenus,
Moult par deves amer le gloricus Ihesus ;
30Or ne vous esmaiez, bien serez secourus.
Assez aves vitaille, ne vous dementez plus
De chele, comme Dix me consaut de lassus.
Si avez vin assez, ne soiez esperdus,
Et blanc pain buleté, maiz or faites le fu.
35Si vous coffez [à] aise, bien sarez vous venu. »
Renaus li fiex Aimon n’i est arresteüs,
Tost et isnelement a alumé le fu,
Et si frere ensement ne sont mie trop mu.
F° 89, r° APuis ont mise le table et le blanc pain [enson].
40Et blanc vin et chervoise et poisson à foison.
La viande fu preste sans nule arrestison.
Maintenant sont assis li chevalier baron,
Aveuc aus ont assis le traïtour Yon.
Il avoient viande plenté et à foison.
45Seigneur, or sont [à] aise li .iiii. fil Aimon.
L’ermite donne avoine à Baiart l’arragon.
Or mengüent ensanle li chevalier baron.
Quant il orent mengié, Jhesu gracient mont.
Li baron se leverent quant il orent mengié,
50Renaus, li fiex Aimon, l’ermite a merchié
Du pain, de la vitaille, dont les a soulagiez.
Durement sont [à] aise li chevalier proisié.
Quant nuit fu venue, li baron sont couchié.
A son pooir les a li hermitez aiesiés.
55Li troi frere dormirent, et Renaus a veillié.
De sez freres se doute, si en a grant pité.
Et quant virent le jour l’endemain esclairié,
Li hermitez lor a le diner pourcachié.
Assez lor en donna, car il en ot pitié.
60Et quant il ont diné, ne s’i sont atargié.
D’iluec s’en sont parti haut et joiant et lié.
La ducoise ont levée sor Baiart le coursier,
Et les deus enfanchons qui firent à proisier,
L’ermitez lor donna .i. palefroi coursier.
65Renaus, li fiex Aimon, l’ermite a gracié ;
A Diu le commanda, le pere droiturier.
L’ermite les commande à la vertu du chiel.
De la pité qu’il a, commenche à larmoier.

Quant ot li [boins] ermitez que les barons s’en vont,
70De la pité qu’il ot, de pité (sic) se confont.
Renaus l’en merchia de Diu qui fist le mont.
Li baron s’en tournirent, demourée n’i font.
Enfressi que au vespre, toute jour erré ont.
El bos se herbegierent où autier sont li mont.
75Au matin se leverent, apareillié se sont.
En leur chemin entrerent que nule paor n’ont,
Et vont droit à Tresmoine où à mengier aront ;
Asses aront chevaus et quanques il vaurront.
Ihesus Cris les conduie qui forma tout le mont,
80Endroit l’avesprement, ainsi que vous disons,
Entrerent en la ville où il sejourneront,
Jamaiz pour Kallemaine nul jour n’en partiront.
Che fu en un mardi encontre l’anuitier
Que li .iiii. baron qui tant font à prisier
85Entrerent à Tresmoine qu’il ont à justichier.
Grant joie ot li evesques quant il l’oï nonchier.
A l’encontre lor va, ne s’i vaut atargier.
Quant il vit les barons, qui tant sont à prisier,
Et la franche ducoise sur Baiart le legier,
90Bien set li frans evesques que il [ont] encombrier.
Renaut le fil Aimon est alez embrachier.
Plus de .vii. fois le baise par moult grant amistiés.
« E Diex ! dist li evesques, toi doi je merchier ;
Quant à moi est venus mon seignor droiturier.
95Baron, dist li evesques, estez sain et haitié ? »
« Oïl, chou dist li dus, s’eüssons à mengier. »
Quant [l’evesques] l’oï, si prist à larmoier.
La viande commanda as queus apareillier.
Et li keu l’apareillent de gré et volontiers.
100Li vesquez les conduit ens ou palais plenier.
Grant feste font au duc que il ont forment chier.
Par Tresmoine sonnerent les clokes au moustier.
La nouvelle s’espart et avant et arrier
Que Renaus est venus, li fiex Aimon le fier.
105Dame Diu en merchient bourgois et chevalier
Quant dez mains Kallemaine les laissa repairier.

Renaud et ses frères satisfont largement leur appétit, puis on va dormir dans des lits.

El palais s’endormirent qui estoit poins à flour,
Jusques à l’endemain que il virent le jour,

Que l’aloette chante douchement par douchour.
Au matin par son l’aube, que l’aloette chante,
5Que li lourseignos cante et le mauvis descante,
Que Renaus se leva qui en Diu a s’entente,
La messe ala oïr que uns capelains cante.
Apres messe repairant le boine gent vaillande
Et atendirent l’eure qui lor vint moult pesande
10Que lez assali Kalles qui mainte jour cravente.
Et quant le vit Renaus, à poi qu’il ne forsenne.
Dame Diu en jura et sa sainte puissance,
Qu’il ochirra Kallon l’empereour de France.
Renaud s’en repaira ariere en son palais
15Qui fu viez et antieus et tous jonchiz de glai.
Renaus li fiex Aimon qui n’est mie mauvais,
A fait mander ses hommes par le cors S. Gervais,
Si l’on a donné armez et chevaus fors et bais
Dont il chevaucheront roy Kallemaine d’Ais.
20« Seignor, chou dist li vesques, mar vous esmaierez
Pour le roy Kallemaine qui tant vous a grevé.
Je manderai mez homes environ et en lez. »
« Sire, che dist Renaus, .v.c. merchis et grez. »
Or vous lairai de chiaus qui sont asseüré,
25Si dirons de Kallon le fort roy couronné,
Qui sist à Montauban, le palais principel.

L’empereur, étonné du silence qui règne sur Montauban, a donné l’assaut et n’a trouvé personne. Il craint que les parents de Renaud ne lui aient donné libre passage. Il menace de les pendre.
F 90 recto A :

Après ceste parole commencha à plourer.
Li quens Rollans ses niés le prist à conforter.
« Oncles, che dist Rollans, ne soies effraés,
Ves ichi son lignage qui tous est aprestez
5De jurer sur [les] sains, se vous le commandez.
Que par ans ne s’en est dus Renaus escapez. »
« Rollant, dist l’empereres, Maugis y a esté.
Par son encantement me sont il escapé ;
Parmi l’ost s’en alerent, n’i furent avisé.
10Dame Dix les confonde, li roys de maïsté,
Que maintez fois m’a il decheü et gabé. »
L’emperere de Franche se prist à dementer.
« Baron, dist l’emperere, bien me doi aïrer
Quant chil s’en sont alé que je ne poi amer.
15Je quit que sez lignages l’en ait laissié aler,

Mais par ichel seignor que on doit aourer,
Se je le puis savoir, jel ferai encroer.
Estous, li fiex Œdon en est en piez levés,
Richars de Normendie qui moult fuit à loer.
20« Sire, viex rassotez, dist Estous li senez,
Quant vous à traïson devant nous m’apeles.
Mais par ichel apostre c’on quiert en Noiron pré,
Il n’a si hardi homme en la crestienté,
Se il à traïtor nous voloit aprouver,
25Que ne me deffendisse à mon branc acheré. »
« Et jou », che dist Richars de Rouen la chité.
Trop par est Kallemaines fel et desmesurez,
Quant ensi nous demaine, che soit de par maufé. »
Rollans, li niés Kallon, en est en piés levez.
30« Richart, che dist Rollans, tout che laissiez ester,
Que se par tans n’oons du duc Renaut parler,
Capler nous convenra as espées du lez ».

Roland propose d’envoyer des messagers par tout pays « où l’on sert Dieu le père ». Ils rapporteront des nouvelles.
90 recto B Charles accepte et

Ses messages tramet par toute Normandie,
En Franche et en Gascoigne, en Espaigne la rice,
En Puille et en Calabre, en Toscane et en l’Ille.
Dusk’ au Perron saint Jacque envoient lor espiez.

Un de ces messagers qui est allé à « Tremoine », y a constaté la présence de Renaud et des siens. Charles décidé de marcher sur Tremoigne. Les Fils Aimon n’ont plus Maugis pour les protéger. L’armée se met en route.
90 verso B Charles a confié la garde de Montauban à Huon du Maine. Les Français chevauchent à force.

Li fourrier vont devant, qui mautalent engraigne.
Le païs vont gastant, cascuns quiert sa gaaigne.
N’i laissent à rober vaillant une castaigne.

On arrive devant la place. Renaud est d’abord tout «esbahi ». Sur le conseil de ses frères, on fait une sortie avec dix mille hommes. Rencontre des deux armées : Galeran de Buillon porte l’enseigne « au baron saint Denis ». Charlemagne s’irrite quand il voit les Fils Aymon : « Qu’est-ce, fait il, diable ! reviennent li glouton ! » Dans le combat, Renaud, comme dans L. rencontre le roi, et lui demande de l’écouter. L’on a ainsi une réplique de la discussion entre le roi et son vassal du beau passage 10905-10989. « Or tost, dist l’empereres, et nous t’escouterons », Renaud implore sa pitié.

F 91, recto A Il promet encore d’aller au sépulcre « nuz piez et en langez » ; mais Charles exige avant tout qu’on lui livre Maugis « le traïte felon ». Renaud remonte en selle et tue Sanson. Ses frères combattent vaillamment. Roland, sur Viellantin, entre dans la mêlée.

B Le cheval d’Olivier est renversé par la poussée de Bayard. Combat où prennent part tous les chevaliers : « Gascoing et Alemant se sont moult damagié ». Renaud tue un « Grifonnet ». Roland et Renaud sont aux prises. Renaud est blessé au côté par Durendal. Joie de Roland : « Sainier voi vo costé ». Renaud répond qu’il le lui rendra plus tard. Ses frères sont venus à lui ; il ordonne la retraite. Ils rentrent en ville, on ferme la porte et on lève le pont. Charlemagne fait dresser quatre cents pavillons dans le pré. Il jure de n’en partir que lorsqu’il aura pris et « encroé au vent » ses ennemis. Renaud et ses frères regrettent de ne savoir ce qu’est devenu Maugis. Il retournerait, s’il savait comme ils sont « malmenés »

(92, recto A). Or, précisément, Maugis, est inquiet à leur sujet et il quittait son ermitage. Un paumier lui apprend le danger que courent ses cousins. Il se rend à Tremoigne, mais en passant par l’armée de Charlemagne où il se fait prendre pour une sorte de fou et s’attire la confiance de tous.

Pour la suite, v. dans Maugis d’Aigremont, les extraits du ms. C, p. 402-412. Dans B Maugis déguisé prend le nom de Raqueuz, dans C celui de Niquart. Les deux récits concordent.

I
La version française en prose

Toutes les transformations que l’histoire des Fils Aymon a subies dans notre pays, datent du Moyen Âge, et nous ont été conservées sous la forme de poèmes ou de romans en vers.

L’Italie connut ces compositions, en a modifié et enrichi les données, de sorte qu’à partir du xve siècle la célébrité des noms de Renaud et de ses frères a son origine et sa raison dans les œuvres de Pulci, de Boiardo, d’Arioste, de Tasse, de leurs imitateurs.

En France, la Chanson des Fils Aymon, en une forme dont aucune copie en vers ne nous est parvenue, mais dont les parties se retrouvent exactement dans des versions en vers, a été mise en prose de bonne heure ; ce dernier texte qui est abrégé et où les noms propres sont pour la plupart estropiés, a été imprimé au xve siècle, a passé dans la Bibliothèque Bleue, et c’est lui que reproduisaient hier encore les imprimeurs d’Épinal.

Son édition la plus ancienne est l’incunable de 1480 (Bibliothèque Nationale, réserve, Y 364). Elle a été réimprimée sans changement notable à Lyon en 1495 et 1497 par Jehan de Vingle avec des gravures sur bois très intéressantes. Puis sont venues d’autres, éditions en 1506 (Thomas Duguernier), 1521 (veuve Michel Lenoir), etc.

La librairie Maurice Bauche vient de donner en 1908 une reproduction de l’incunable de 1480, modifiée pour la langue et le style, mais avec les noms propres toujours altérés. L’introduction, pleine d’erreurs, contient plusieurs fac-similés des incunables de 1480 et de 1497 et de deux manuscrits de la Bibliothèque nationale.

Il est probable que le manuscrit mentionné par Paulin Paris (Histoire littéraire, XXII, 707) contient la plus ancienne version en prose des Fils Aymon. Il se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal et a pour cote B L 3151 (ancien 243). C’est un gros volume écrit sur papier, comprenant 394 feuillets. Le dernier n’a que huit lignes dont la moitié est déchirée de haut en bas. L’écriture est allongée et pâle, d’une lecture qui m’a semblé difficile. Pour les quelques lignes que je vais citer, je prie de se reporter au commencement du manuscrit de Metz (à la fin du court appendice, après la description des manuscrits).

« Ouez, seigneurs, la plus belle histoire qui oncques advint depuis que Dieu fut né, et pour icelle vous faire entendre, est vray que ou temps jadis.... le roy Charlemaigne de France guerroia Beuf d’Aigremont et ses trois filz (corr. freres), dont le premier fut appellé Girard de Roussillon, le second Doon de Nantueil et le tiers Aymon de Dordon, duquel Aymon yssit depuis Regnault de Montauban et ses freres dont vous orrez cy apres....

« Ung jour de Pentecouste Kr. estant.... à Paris manda tous ses omes, barons et geldons.... y estoit le duc Naymes (corr. Aymes) o ses quatre filz qui estoient de grant renon »....

Charles demande d’aviser et d’élire un messager à Beuves, il charge du message « Lohier, son ainsné filz et lui dist : Biau filz, je vous comment aller vers Beniz (sic) d’Aigremont. » Il veut qu’il le vienne servir à la Nativité, accompagné de tous ses barons.

C’est un abrégé gauche et lourd et c’est aussi un calque, au point que le v. 45 est reproduit sans changement. L’on rencontre des erreurs étranges, fils pour frères, Naymes pour Aymes. Le défaut principal est l’allure empesée de la phrase, défaut qui s’aggravera. On en jugera par les premières lignes de l’incunable de 1480 : « Véritablement nous trouvons es faitz du bon roy Charlemaigne que une fois à une feste de Penthecoste ledit Charlemagne.... » L’on est à cent lieues de l’épopée.

La traduction allemande du xvie siècle que M. Bachmann a éditée en 1896 dans la collection du Literarisches Verein (no 206), paraît suivre un texte intermédiaire entre les incunables et l’édition de 1521 (veuve Michel Lenoir) que M. Pfaff a signalée comme très mauvaise (op. l. XXI). Les noms propres y subissent une nouvelle épreuve et l’on constate ce retranchement impitoyable de tout ce qui a trait au culte et aux croyances catholiques, que M. Bachmann avait déjà rencontré dans la traduction allemande du Morgant français (même collection, 189).

Il est à noter que dans les manuscrits français où l’on nous indique cette version en prose, elle n’a ni le Beuves d’Aigremont ni la mort de Bertolais et qu’elle commence par l’introduction de l’épisode des Ardennes, d’après la version A P, telle qu’on l’a dans le fac-similé que nous en avons donné : je parle des deux manuscrits en prose de la Bibliothèque Nationale, des manuscrits Royal 16 G II et Royal 15 E VI du British Museum et du ms. 743 de la Bibliothèque municipale de Troyes.

La version en vers qui a servi de base à la prose commençait comme les quatre manuscrits A P M Metz, se séparait de A P pour suivre M Metz à l’endroit où cette version se sépare de A P (après l’adoubement de Renaud et de ses frères), mais suivait la version A P à partir de l’épisode des Ardennes (v. le fac-similé) jusqu’à la fin, à l’exception de la captivité de Charlemagne à Montauban, où elle reproduisait l’ancienne » version La Vallière (L.). Ainsi elle avait de commun avec M Metz le remaniement de la seconde partie du Beuves d’Aigremont qui relie mieux que dans A P ou B C V cette branche au reste du poème ; et elle avait comme A P de commun avec B C V les parties les plus intéressantes de cette version, épisode de la chasse et délibération des conseillers du roi Ys. La reprise de L pour la captivité de Charlemagne était d’un esprit judicieux. Avec A P elle avait le tort d’altérer la légende pieuse en arrêtant le corps du Renaud à Creoigne au lieu d’aller jusqu’à Tremogne (Dortmund). Comme A P, elle respectait les parties essentielles de L. La confusion de Bayard et d’un cheval liard s’y trouvait sans doute déjà à la fin de la captivité de Charlemagne à Montauban.

Dans toutes les éditions imprimées de la prose, depuis l’incunable de 1480 jusqu’à celles de MM. Bachmann et Maurice Bauche, j’ai constaté certaines lacunes. Au commencement, il manque une ou plusieurs lignes. J’ai proposé de compléter ainsi : « A laquelle journée et desconfiture morut [Baudoin. A la court, ce jour, estoient venus] grant noblesse de roys, etc. » (Revue des L. Rom. 1908, p. 498). J’avais noté également qu’à l’entrée de Charlemagne en Gascogne la prise de Montbendel est supprimée dans les éditions en prose, bien que plus loin Yon dise à Renaud : « Sachez que j’ai été à Monbendel et que j’ai parlé à Charlemagne » (éd. Maurice Bauche. p. 90, Bachmann, p. 107). Mais une lacune beaucoup plus considérable m’avait échappé.

Lorsque Maugis a réconforté sa mère en lui promettant de venger son père, avec l’aide de ses oncles et de ses cousins, le narrateur continue : « Maintenant nous laisserons les gens d’Aigremont à leurs larmes et à leurs lamentations, et retournerons au traître Griffon et à son fils Ganelon, qui avec leurs gens s’en retournèrent à Paris. » La matière de ce qui devrait suivre, est résumée au sommaire du chapitre suivant, mais elle est omise, et peut-être précisément parce qu’elle est résumée longuement (v. p. 20, ch. ii) ; mais dans l’édition allemande il n’en reste rien, ni mention ni résumé (p. 25-26). Or ce passage est un des plus importants, car il caractérise la version M-Metz qui à cet endroit sert de base à la rédaction en prose.

En raison des lacunes que j’ai relevées et qui gâtent le récit, j’entrerai dans quelques détails pour mieux déterminer le rapport de cette rédaction avec les textes en vers.

Le Beuves d’Aigremont est conforme à A P et à Metz, tant que ces deux versions concordent. Avec M Metz, il se sépare de A P à un songe de Charlemagne qui dans A P a la forme suivante. — Charlemagne vient d’adouber les Fils Aymon et Renaud a remporté le prix au jeu de la quintaine. — Texte de A

Li bons rois Charlemaignes à Paris retorna,
Jusques ans ou palais oncques ne s’aresta ;
Mont conjoï Regnaut, Aalart et Guichart ;
De l’or et de l’argent a planté lor donna ;
5D’eus avoit mont grant joie ou palais principal.
Quant il orent mengié, l’empereres leva.
.i. petitet s’ambrunche, mont forment soupira ;
Dus Naimes de Baviere et Ogier apela.
« Barons, dit Charlemaignes, non vous celerai ja,
10Je suis forment pansis, par Dieu qui me forma,
De Lohier mon enfant qui en messaige ala.
Je cuide vraiement que li dus ocis l’a.
Annuit me fu avis, anssin comme ajorna,
Seans antra .i. hons, une biere porta
15Trestoute ensanglantée, aux iex le me monstra ;
Par si grant mal talent devent moy la geta,
Le pavement fundi et la sale crola.
Elle chaï à terre et trestout trebucha
Et par .i. petitet qu’elle ne me tua.
20Apres ce vint .ii. hommes et chascuns se clama
De duc Buef d’Aigrement qu’ainssin les atorna.
Chascuns estoit sanglans, non vous celerai ja.
Par la main me prenoient, malement estoit ja,
Quant vous me secourustez, par Dieu qui me forma. »
25Et quand li dus l’antant, durement soupira.
« Sire, dit il au roy, ne vous esmaiez ja.
Par le mien esciant, Lohier ancui venra
Et s’amenra le duc qui vos bons devenra.
« Ne sçai, dit Charlemaignes, que dolor ce sera. »

L’on a ici dans A une lacune que comble P, où (f. 63, recto B) le messager Henri de Néelle apporte la nouvelle de la mort de Lohier : désespoir du roi. A reprend ainsi :

Grant duel va demenant l’empereür Charlon
Por l’amor de Lohier qui tant par fu prodon.

Là demainent grant duel li chevaliers baron.
Tel noise demenerentet telle plorison,
5C’a paine li uns l’autre entendre i peüt on.
Or oies qu’avoit fait Regnaus li fiz Aymon.
Il a mendé son pere, si l’a mis à raison.
« Peres, ce dit Regnaus, comment esploiteron ?
Remenrons nous ici ou nous nous en fuirons ?
10Je dout que Charlemaignes ne praigne à oquison
Par ce qu’il est nos oncles, de verté le scet on.
Par la foi que vous doi, ja n’an eschaperons ;
Nous en arons grant guerre et grant destrucion. »
« Bien puet estre, biax fiz, li dus Aimes respont.
15Allons en an Dordonne, le chastel garnisson.
Bien sçai que l’emperere nous en menra tenson. »
« Par foi, ce dit Regnaus, de neant le doutons.
Donc vestirent haubers, lascent [au]mes reonz
Et sainent les espées à senestre giron
20Et montent à cheval et lor escuz prins ont.
De Paris s’en issirent à tout .c. compaingnons.
Or les conduie Diex, vers Ardanne s’en vont.
S’adonc les tenist Charles, les meïst en prison,
Ne veïssent lour piez devent l’Assencion.
25Or chevauchent li prince et par nuit et par jor,
Oncques ne s’aresterent desiques à Dordon.
Là descendi li dus et li filz à bandon
Qui mont firent de duel au riche roi Charlon.
Le chastel font garnir, sodoier mender font
30Por l’empereür Charle, le roi de Mont-Loon.
Or vous lairai de ceux, de Charle vous diron :
Por l’amor de son fil mainne mont grant dolor.
« Vraiz Diex, dit l’emperere, com nous consillerons ?
Malement [m’a] bailliz li dus Bues d’Aigremont
35Qui mon fil m’a ocit. Sire Diex, vengez nous. »
« Sil fera il, biau sire, li dus Naimes respont ;
Ja ne verres passer la première saison
Que nous irons sur lui à .cm. compaingnons ;
Ja de ses forteresses nulles ne li lairons
40Et si ne puet estordre que nous ne le prenons. »
« Certes, mon biau doux sire, se a dit Guenelon,
Ci n’i avoit que moi, Berangiers et Oton,
N’an porra eschaper li traïtor felon,
Puis que vous le voudrois, que nous ne l’ocions. »
45« Il est voir, aient [cil], ja n’aura garison. »

  1. D’après Michelant (p. 512), ces deux fragments sont deux feuilles de parchemin in-4o, donnant 3 colonnes de 42 lignes à la page, en tout 516 vers. Écriture du xiiie siècle. Ils contiennent en partie le pèlerinage en Palestine et le duel des fils de Renaud. L’on y aurait le texte le plus ancien et le plus pur. Ils servaient de couverture à un livre de comptes de la ville de Metz du xive siècle. On peut conclure des termes de Michelant qu’ils sont de même famille que la partie correspondante de L qu’il n’a pas imprimée.
  2. Le Beuves d’Aigremont de A P est suivi d’abord par M Metz. Ils s’en séparent un peu après la mort de Lohier. M abrège beaucoup. Ci-dessous principales variantes de A ; quelques-unes de M.
  3. 14 tant fiz de gentil dame.
  4. 15 Et cil de la cité maintiennent.
  5. 18 gens en [grant] hutinée.
  6. 19 de France i mene grant ponée.
  7. 20 Le majeur va ferir dou tranchant de l’espée.
  8. 23 vostre vie est finée.
  9. 24, 25 manquent.
  10. 28 Oies que Bueves fist à la chiere membrée. (M : Le duc Buef s’en torna coiement, à celée).
  11. 30 ms. dorée, A conrée.
  12. 31 quelques mots en partie effacés, lisible conrée. A langue d’or ouvrée.
  13. 33 Tant ocit de roiaus de France la loée (M : Tant en avoit ochis com au cuer li agrée).
  14. 35 Et puis en refu France et Bourgoigne.
  15. 36 quel’iaue. A ajoute : Et la bataille grant par mi lieu de la prée.
  16. 37 K. en fu chaciet.
  17. 41 mots illisibles ; pris de A.
  18. 45 i feroit et menu et souvent.
  19. 47 parmi l’elme luisant.
  20. 48 Deci jusques.
  21. 50 Damedé te crevant (M Damedieu te gravent).
  22. 10 Ms. voier.
  23. 14 Ms. trop estez desvez
  24. 28 Ms. répète tornez.
  25. 8 Eschieles, avec ce sens, subsiste dans le nom du Puits des Esquilles à Montpellier, derrière la Mairie. D’ailleurs sonner continue à se dire esquilla.
  26. 24 pris de C ; pli au ms.
  27. M. Leo Jordan (op. l., p. 147) cite, à propos de Thierri d’Ascane, M. P. Meyer dans son édition de Girart de Roussillon ; p. 49 : « Ce Thierri est peut-être un souvenir du duc de la Haute-Lorraine du même nom, qui lutta contre Lothaire, lors du siège de Verdun (984) ». — Il faut donc noter que l’on rencontre dans notre texte un Thierri de Verdon ou Verdun. Pour la mort de Thierri d’Ascane, v. Stimming, Ueber den provenzalischen Girart von Roussillon, ch. X, p. 177-204. Rien qu’à cet égard des rapprochements sont tout indiqués entre le Beuves d’Aigremont et le Girart de Roussillon que les auteurs de nos versions du Beuves ont connu et mis à profit, quoique le Beuves dérive, pour le fond, d’une source distincte. Mais la réciproque a pu devenir possible. M. Stimming voit une réminiscence du Renaut de Montauban dans le fait que Folco monte un cheval appelé Bayard (p. 336).
  28. 15 Ms. frerez. Il s’agit non des frères d’Aymes dont deux viennent d’être nommés, mais de ses fils. Et c’est précisément un reste de l’introduction commune à A P M Metz et édition populaire, L B C V ne mentionnent pas les fils d’Aymes à cet endroit.
  29. 33 Doon intervient en souvenir de L.
  30. 37. C’est pure invention de ce trouvère, sans rien de traditionnel.
  31. 41-43 mots que je n’ai pu lire.
  32. 46-47 Il manque un vers ou deux pour marquer que Charles reprend la parole.
  33. 51 Après ce vers, il manque le refus de Naymes et d’Odon.
  34. 94-95 Cette mention de la duchesse et de Maugis à cet endroit est caractéristique de A P et des versions qui en empruntent l’introduction.
  35. Cette partie du ms. finit avec le feuillet 70 d’après Matthes par : ja volum finir kar dit avum assez. Puis vient un amen. J’estime que cette interruption doit être attribuée au jongleur ou au scribe.
  36. Commencement de ce discours d’après A : Apres lui a parlé li viscuens d’Avignon : Riches rois de Gascogne, entendez ma raison. Conseil nous demandes que nous le vous donnons. Vorriens faire ce que nous vous loerons ? Il y manque ce qu’a ce ms. Hatto, l’allusion à la jeunesse du neveu d’Yon, Godefroi, qui a parlé le premier.
  37. 3 peu lisible.
  38. 7 Chanu, dit de Lohier, est absurde.
  39. 10 passage très abrégé.
  40. 18 peu lisible.
  41. 17 Il faut corriger oncle
  42. Ce titre inexact fait comprendre comment se formaient ces recueils à l’aide des parties dont l’on disposait.
  43. La leçon esbloe et le vers 3 sont dans M, le reste est commun à L M. Le dernier vers signifie que le Jongleur n’en sait pas plus long. Il n’a pas d’autre intérêt.
  44. Complément à la description des manuscrits. — Dans la Revue des Langues romanes, 1901, p. 33-37, l’on a (avec la photographie des feuillets 38-39 où se constate le changement de manuscrit) diverses remarques que j’ai en partie reproduites dans la description générale des mss., mais que je dois compléter ici, vu l’importance de la version La Vallière.
  45. 29 Dans un manuscrit de l’Estrif de Fortune, l’on a la miniature suivante : Fortune, debout derrière sa roue, la main pesant sur un des rayons, et quatre petits personnages : l’un au haut de la roue, un autre en bas, étendu sur le sol ; des deux autres appliqués sur le cercle, l’un monte, l’autre descend. De leur bouche sortent les légendes : regno, regnavi, regnabo.