Maurice Dreyfous (p. 156-157).


IV

VOYOU


J’ai dix ans. Quoi ! ça vous épate ?
Ben ! c’est comm’ ça, na ! j’ suis voyou,
Et dans mon Paris j’ carapate,
Comme un asticot dan’ un mou.

Sous l’bord noir et gras d’ ma casquette,
Avec mes doigts aux ongu’en deuil,
J’sais rien m’coller eun’ roufflaquette
Tout l’ long d’ la temp’, là, jusqu’à l’œil.

J’ peux m’ parler tout ba’ à l’oreille
Sans qu’ personne entend’ rien du tout.
Quand j’ rigol’, ma gueule est pareille
À cell’ d’un four ou d’un égout.

Mais jamb’s sont fait’s comm’ des trombones.
Oui, mais j’ sais tirer — gar’ là-dessous ! ——
La savate, avec mes guibonnes
Comm’ cell’s d’un canard eud’ quinz’ sous.


J’ai l’ piton camard en trompette.
Aussi, soyez pa’ étonnés
Si j’ai rien qu’ du vent dans la tête :
C’est pa’ç’que j’ai pas d’ poils dans l’ nez.

Près des théâtres, dans les gares,
Entre les arpions des sergots
C’est moi que j’ cueill’ les bouts d’ cigares,
Les culots d’ pipe et les mégots.

Ben, moi, c’t’ existenc’-là m’assomme !
J’ voudrais posséder un chapeau.
L’est vraiment temps d’ dev’nir un homme.
J’en ai plein l’dos d’être un crapaud.

Les pant’s doiv’nt me prend’ pour un pître,
Quand, avec les zigs, sur eul’ zinc,
J’ai pas d’ brais’ pour me fend’ d’un litre,
Pas mêm’ d’un meulé-cass’ à cinq.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Vrai, vous savez, c’est pas ma faute.
J’fais quoi que j’peux. J’vous dirais ben
Pourquoi c’est que j’suis pas d’la haute.
J’l’avais mêm’ dit à m’sieu Rich’pin.

Mais faut croir’ que ça doit pas s’dire,
Puisque, pour s’êt’ fait mon écho,
On l’a fourré dans la tir’lire
Avec les pègres d’ Pélago.