La Chanson des gueux/ Pâle et blonde

Maurice Dreyfous (p. 224-225).

III

PÂLE ET BLONDE


Pâle et blonde, très pâle et très blonde, ô mon cœur,
          C’est ainsi que tu l’aimes,
Lorsque sur toi l’ennui comme un condor vainqueur
          Étend ses ailes blêmes,

Lorsque tu sens en toi monter le goût amer
          Des voluptés passées,
Lorsque tu voudrais bien boire toute la mer
          Pour noyer tes pensées,

Lorsqu’un désir te prend, frénétique et moqueur,
          De t’en aller du monde,
Pâle et blonde, très pâle et très blonde, ô mon cœur,
          Tu l’aimes pâle et blonde,

Pâle et blonde comme est la fille d’un vieillard
          Née au mois de décembre,
Aussi pâle qu’un clair de lune en un brouillard,
          Aussi blonde que l’ambre,


Pâle et blonde, et laissant autour d’elle neiger
          Plus blancs que de la laine,
Ses cheveux d’argent fin, clair, mousseux et léger,
          Que dissipe une haleine.

Pale et blonde, très pâle et très blonde, elle est là,
          Qui sanglote à ta porte.
Laisse-la donc entrer chez toi, va, laisse-la,
          Laisse, qu’elle t’emporte !

C’est elle, la bonne ale. Allons, tends-lui ton cou,
          Ouvre ta bouche entière,
Et mets la bière en toi ! Tu mets du même coup
          Ton ennui dans la bière.