La Chanson des gueux/ À Adrien Juvigny

Maurice Dreyfous (p. 250-251).


IV

À ADRIEN JUVIGNY


(il préparait alors sa licence ès lettres)


Ô candidat, trappeur des verbes grecs, fumiste,
Quel problème êtes-vous ? Quel profond alchimiste
En vous décomposant pourra répondre au point
D’interrogation qui dans ma tête poind ?
Quel abîme êtes-vous de noire indifférence ?
Je sais, pour mon malheur, que l’optatif est rance,
Que le discours latin pue et sent le moisi,
Et que vous en mangez. Or, je suis cramoisi
Quand je vois que depuis trois mois jamais vous n’eûtes
Le courage de leur ravir quelques minutes
Pour venir de mon air me prendre la moitié
Et respirer la fleur de ma jeune amitié.
J’ai besoin de vous voir, mon cher, car je vous aime.
Je voudrais vous montrer un peu ce que je sème,
Quel arbre ou quel légume est né dans mon jardin.
Mais vous lisez Pierrot-Deseilligny, Chardin,
Les compilations d’expressions triées

Dans l’ignoble latin moderne expatriées ;
Vous vivez d’une vie absurde, consumant
Vos jours à des discours où quelque consul ment,
À coups de Quicherat battant la poésie.
Ah ! quelle servitude ! Et que la Boëtie
A mal fait de ne point la mettre en son traité !
Voyons, mon cher ami, serez-vous arrêté
Sempiternellement dans cette obscure ornière ?
La semaine qui vient est-elle la dernière ?
Quand aurez-vous fini ? Quand peut-on vous avoir ?
Quand donc laisserez-vous cette crasse au lavoir ?
Quand nous reviendrez-nous, nettoyé de l’antique.
Revêtu d’un manteau de pourpre romantique,
Portant l’étoile au front ainsi qu’Ithuriel,
Chanteur, rêveur et fou, c’est-à-dire réel ?
Oh ! venez, ce jour-là ? Près de la cheminée
La causerie est longue et jamais terminée.
Nous causerons, devant quelque verre avalé,
De ceci, de cela, de tout, de rien. Vale !