La Chanson des gueux/Les Vieux Papillons

Maurice Dreyfous (p. 50-51).


VI

LES VIEUX PAPILLONS


Un mois s’ensauve, un autre arrive.
Le temps court comme un lévrier.
Déjà le roux genévrier
A grisé la première grive.
Bon soleil, laissez-vous prier,
——Faites l’aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
——Faites l’aumône
À deux pauvres vieux papillons.

La poudre d’or qui nous décore
N’a pas perdu toutes couleurs,
Et malgré l’averse et ses pleurs
Nous aimerions à faire encore
Un petit tour parmi les fleurs.
——Faites l’aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
——Faites l’aumône
À deux pauvres vieux papillons.


Qu’un bout de soleil aiguillonne
Et chauffe notre corps tremblant,
On verra le papillon blanc
Baiser sa blanche papillonne,
Papillonner papillolant.
——Faites l’aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
——Faites l’aumône
À deux pauvres vieux papillons.

Mais, hélas ! les vents ironiques
Emportent notre aile en lambeaux.
Ah ! du moins, loin des escarbots,
Ô violettes véroniques,
Servez à nos cœurs de tombeaux.
——Faites l’aumône !
Gardez-nous des vers, des grillons.
——Faites l’aumône
À deux pauvres vieux papillons.