La Chanson des gueux/La Petite qui tousse

Maurice Dreyfous (p. 143-145).


XIX

LA PETITE QUI TOUSSE


Les aiguilles des vents froids
Prennent les nez et les doigts
         Pour pelote.
Quel est sur le trottoir blanc
Cet être noir et tremblant
         Qui sanglote ?

La pauvre enfant ! Regardez.
La toux, par coups saccadés,
         La secoue,
Et la bise qui la mord
Met les roses de la mort
         Sur sa joue.

Les violettes sont moins
Violettes que les coins
         De sa lèvre,

Que le dessous de ses yeux
Meurtri par les baisers bleus
         De la fièvre.

Tousse ! tousse ! Encor ! Tantôt
On croit ouïr le marteau
         D’une forge ;
Tantôt le râle plus clair
Comme un clairon sonne un air
         Dans sa gorge.

Tousse ! tousse ! tousse ! Encor !
Oh ! le rauque et dur accord
         Qui ricane !
Ce clairon large et profond
Sonne pour ceux qui s’en vont
         La diane.

Tousse ! C’est le cri perçant
Du noyé lourd qui descend
         Sous l’écume,
Tousse ! C’est lointain, lointain,
Ainsi qu’un glas qui s’éteint
         Dans la brume.

Tousse ! tousse ! un dernier coup !
Elle laisse sur son cou
         Choir sa tête,

Tel sous la bise un flambeau ;
Et pour la paix du tombeau
         Elle est prête.

Elle épousera ce soir,
Sans bouquet, sans encensoir,
         Sans musiques,
Plus tôt qu’on n’aurait pensé,
L’hiver, ce vieux fiancé
         Des phtisiques.