La Chanson d’Ève/Texte entier
La
Chanson d’Ève
PRÉLUDE
Je voudrais te la dire,
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De mon mystérieux voyage
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PREMIÈRES PAROLES
C’est le premier matin du monde. Et le monde à ses pieds s’étend comme un beau rêve. La voix s’est tue, mais tout l’écoute encore, |
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Ô ma parole,
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Par cette porte de lumière Et voici pâle, et peu à peu |
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Ne suis-je vous, n’êtes-vous moi,
Ô choses que de mes doigts
Je touche, et de la lumière
De mes yeux éblouis ?
Fleurs où je respire, soleil où je luis,
Âme qui penses,
Qui peut me dire où je finis,
Où je commence ?
Ah ! que mon cœur infiniment
Partout se retrouve ! Que votre sève
C’est mon sang !
Comme un beau fleuve,
En toutes choses la même vie coule,
Et nous rêvons le même rêve.
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Roses ardentes
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Comme elle chante
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Le Seigneur a dit à son enfant : Ou celle des colombes ardentes |
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Comme une branche d’aubépine
Dans la fontaine des scintillements,
Elle est tombée dans mes pensées,
Cette parole qu’en tressaillant
Sa bouche divine
A prononcée,
Et qu’à mon tour je te redis.
Comme une branche en fleur détachée
De la cime du paradis.
Et la voici, vierge encore, enchantée,
Sans qu’une fleur en ait péri,
Vivante, rajeunie, toute diamantée.
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Ô beau rosier du Paradis,
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Comme Dieu rayonne aujourd’hui,
Comme il exulte, comme il fleurit,
Parmi ces roses et ces fruits !
Comme il murmure en cette fontaine !
Ah ! comme il chante en ces oiseaux…
Qu’elle est suave son haleine
Dans l’odorant printemps nouveau !
Comme il se baigne dans la lumière
Avec amour, mon jeune dieu !
Toutes les choses de la terre
Sont ses vêtements radieux.
*
Ce rire de lumière
À fleur du silence,
Peut-être est-ce la danse
Ailée des belles heures,
Qui passent en semant
Des roses sur la terre.
Ce frôlement de l’aube
Peut-être est-ce la robe
Blanche d’un séraphin,
La robe d’or et de lin
D’un ange dont les pas
Approchent de la terre,
Mais que l’on n’aperçoit pas
Perdu dans la lumière.
*
Ils font à tous mes rêves
Un diadème, ils sont
Le splendide horizon
Où ma pensée s’achève.
Ils s’inclinent au bord
De mon âme, ils s’y penchent ;
Je brille rose et d’or
Parmi leurs ailes blanches.
Et je palpite au milieu d’eux,
Comme le cœur mystérieux
D’une fleur ardente et profonde,
Épanouie au monde.
*
Pourquoi, mes anges, m’éveillez-vous ?
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L’aube blanche dit à mon rêve :
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Dans ma prière du matin
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Au cœur solitaire du bonheur,
Devenu mon cœur même,
Quelle paix divine en ce jour,
Et quelle plénitude suprême !
Ô le rire adorable d’amour
De tout ce qui m’environne !
Autour de mon bonheur en fleur
Une abeille éternelle bourdonne…
Elle se clôt doucement et s’apaise,
Mon âme heureuse ;
Elle se tait,
La rose qui chantait.
*
Entre les biches et les daims,
Les bengalis et les mésanges,
Entre tout ce qui boit ou mange
Dans le creux rose de ma main ;
C’est moi qui ai parlé enfin.
Entre les fleurs, entre les fruits,
Tout ce qui germe et qui fleurit,
En l’immense métamorphose
C’est moi qui fus l’humaine rose ;
Moi, qui la première ai souri.
Entre le ciel, entre la terre,
L’aube sainte et le soir sacré,
Entre les rires de la lumière,
C’est moi, au monde, la première,
Qui de joie divine ai pleuré.
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Qu’il vient doucement sur la terre,
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Ah ! combien d’heures blondes
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Que tu es simple et claire,
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Mes sœurs des fontaines,
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Ma sœur la Pluie, Rit, et me touche, |
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Sur mon fleuve il danse,
Un beau rayon ;
Sur mon fleuve qui passe,
Sur mon fleuve qui fuit comme le temps,
Un éternel rayon dansant.
Une pensée en mon âme danse,
Une pensée jamais lassée,
Sur ce beau fleuve qui se déplace.
Des ondes meurent, des ondes naissent.
Elle demeure ; il fuit sans cesse.
Et que de jours et que de choses,
Que de rires et de chansons,
Que de rêves et que de roses
Ont passé et passeront
Dans la danse de ce rayon.
*
Cachée en ce beau lit de branches et de feuilles,
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*
La Poussière m’a dit : Tu es poussière,
Et tu es impure ;
Dieu t’a pétrie de chair et de sang,
De limon et de fange.
Mais ils m’ont dit, mes Anges :
N’écoute pas la voix du Démon,
Tu es l’innocence et la fleur de la terre,
Et sa virginale chanson.
*
« Suis-moi, suis-moi,
Et ni les bosquets du sommeil, Tout l’espace azuré s’enivre Par mes solitudes profondes, |
*
Dans un parfum de roses blanches
Elle est assise et songe ;
Et l’ombre est belle comme s’il s’y mirait un ange.
Le soir descend, le bosquet dort ;
Entre ses feuilles et ses branches,
Sur le paradis bleu s’ouvre un paradis d’or.
Sur le rivage expire un dernier flot lointain.
Une voix qui chantait, tout à l’heure, murmure.
Un murmure s’exhale en haleine, et s’éteint.
Dans le silence il tombe des pétales…
*
L’ange de l’étoile du matin
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LA TENTATION
Shapes that coiled in the woods and waters,
Glittering sons and radiant daughters.
Un silence se fit dans le déclin du jour.
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Dans son jardin caché de roses et de silence,
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Est-ce son souffle dont je frissonne Est-ce lui, ce soleil du soir où je respire ? |
*
Elle songe près des fontaines,
Au cœur profond du paradis.
Toute son âme n’est qu’une clarté sereine ;
Et dans un murmure elle dit :
Heureuse, sans rien voir, rien savoir, rien entendre,
Sans cause humaine, je souris !…
Là sont des fleurs, des fruits ; mes bras n’ont qu’à s’étendre,
Mes mains n’ont qu’à s’ouvrir.
Mais en mon âme il n’est plus de désir ;
Mon âme enfin repose, et mon cœur est paisible.
En mes yeux éblouis entre seul, Invisible !
À mon oreille chante seul, Inouï !
*
Et je vis à l’entrée
De mes bosquets, ce soir,
Étrange et merveilleux,
Sa main blanche appuyée
À cet arbre aux fruits d’or,
Dont l’approche est fatale et l’atteinte
Mortelle, un jeune dieu.
Des roses couronnaient ses cheveux d’hyacinthe,
Et son visage ressemblait à l’amour.
Ni mes pas assoupis dans les fleurs de la terre,
Ni le son de mon cœur ne pouvaient le distraire
De ses songes. Il regardait dans le ciel bleu
Une étoile pâle,
Comme lui-même, et solitaire,
D’un long regard d’adieu.
*
C’est en toi, bien-aimé, que j’écoute,
Et que mon âme voit.
Accueille mon silence et montre-moi la route,
Mes yeux fermés au monde se sont ouverts en toi.
C’est en toi que je ris, c’est en toi que je rêve,
Que je pleure tout bas.
En toi que mon sein se soulève,
En toi que mon cœur bat.
Ô toi, dont s’ensoleille
D’un tremblement d’ailes d’or
Mon souffle animé,
C’est en toi que je m’éveille,
Et c’est en toi que je m’endors,
Ô bien-aimé !
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Pardonne-moi, ô mon Amour,
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Tandis que tu reposes sur mon cœur, Si, de sa main divine, il touchait |
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Veilles-tu, ma senteur de soleil,
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Toutes blanches et toutes d’or,
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Mets sur mon front
Ton pur diadème, ô rayon
De la lune pâle,
Et ton blanc voile
Sur mes épaules.
Mets ta parole
Virginale
Sur mes lèvres.
Et sois,
Entre mes frêles doigts
Que je lève,
Ô rayon !
Le sceptre de mon royaume !
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Vous m’enseignerez la douceur,
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Regarde au fond de nous : nous sommes l’Émeraude
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Je l’ai prise dans mes bras, Je ne sais pas ce qu’elle pense. Heureuse et consolée, à ses sœurs les sirènes, |
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Ô Lumière,
Qui fis mes yeux d’azur
Et d’humide splendeur,
Comme de pures et claires
Fleurs des airs !
Ô Désir, qui créas ces lèvres,
Qu’entr’ouvre un sourire
Et qu’un baiser soulève !
Ô Amour,
Qui façonnas de tes mains
Douces et blanches,
Cette coupe de mon sein,
Où, à l’entour d’une fleur close,
Court une branche
De bleu jasmin !
*
Quand vient le soir,
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« Ferme-toi, cercle enchanté, N’ai-je pour vous, près des fontaines, Veux-tu, en échange,
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Or, Vénus, une nuit, vint m’apporter des roses.
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Si tu veux les voir, m’a dit une Fée,
Glisse un soir, comme moi,
Sous les saules,
Et regarde, entre tes doigts,
Par-dessus ton épaule.
Elles appuient sur les eaux bleues
Leurs frêles corolles,
Et leurs larges feuilles,
Et elles jouent, entre les joncs,
À des jeux d’ombre et de rayons.
Retiens ton souffle, approche en silence,
Regarde : mais sache,
Sous chaque fleur blanche,
Voir une fille qui se cache.
*
« Du fond des eaux, qui nous appelle ? Est-ce toi, Lune, De l’Éden, viens à vous, Sur la mer. Nous crions. Mais aucun d’eux n’entend. Dans l’ombre, mais dans un tel désir de lumière, La nuit sombre y mirait leurs lointaines images, Nous, immobiles, en silence, écoutions Et qu’elle est belle,
Qui s’abaisse et s’élève, que le ciel attire,
Qui nous appelle et dont toute la mer palpite. |
*
Qu’elle repose douce et sereine,
Sous la lune, la mer,
En cet espace de solitude claire !
Oui, sous un autre jour que celui de la terre,
Un autre monde existe où d’autres Èves vivent…
Ô mes sœurs, ô Sirènes,
À genoux, en vos vagues vivantes,
Je vous écoute, et je vous vois.
Mon âme chante ;
Mon âme a foi.
Et vers vous j’élève
Les mains, et je porte à mes lèvres
Un peu de cette onde,
Où vous êtes présentes…
*
Ô mer splendide de clarté qui chantes
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*
Ô blanche fleur des airs,
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*
Je me suis cachée
Sous les saules, ce soir,
Au bord des fontaines.
Une biche y vient boire,
Qu’on dit une fée.
Ah ! qu’elle approche ! Soudain,
De l’ombre je bondirai sur elle
Comme un ange félin.
Et je dirai les douces paroles
Qui délivrent ;
Et peut-être serons-nous deux
Filles enlacées,
Qui se regardent dans les yeux,
Émerveillées,
Dans le silence merveilleux.
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Il est des heures où je leur dis — J’oublie mes paroles, et chante aussi ; |
*
Le sais-tu encore,
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Oh, de grâce, fleur que je cueille, |
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Parfois, ils viennent près de moi, |
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C’est de leurs voix que j’ai redit
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En quel silence frémissant, Ni qui tu es, ni comment on te nomme, |
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L’onde tremble comme une moire
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J’ai traversé l’ardent buisson dont le feuillage, Qui rayonne à jamais d’une lumière égale. Là-haut, dans le ciel sombre et merveilleux, la sente
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Ô Dieu ! qui donc est là, Qui que tu sois, |
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« Nous voici. Dans le ciel naît l’aurore nouvelle,
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LA FAUTE
Qu’un effleurement |
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Je l’ai cueilli ! je l’ai goûté,
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Je l’ai tué, je l’ai tué !
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Mon âme sois joyeuse ! |
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Tu n’es donc plus, Esprit, qui viens de mourir ! Tremblant, sa craintive espérance ; |
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Et je revis auprès de l’Arbre merveilleux Ne crois qu’aux dieux jeunes et beaux, |
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Ô dieu, sois donc béni ! |
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Mon âme atteint ce qu’elle chante, |
*
Sois absous par ma bouche
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Voici qu’ils éclatent
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D’entre les roses de l’aurore
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Ô mes anges, les Flammes, Enseignez à mes bras vos étreintes mortelles, |
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Ô mes anges, les Ondes, Et je viens vers vous et vous dis : |
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Ô Fleurs, âmes légères,
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*
Et je vous suis, de mon cri, dans l’orage,
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*
Et je vous salue, ô mes Sons,
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*
Mais comment vous comprendre et comment vous nommer, |
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Elle s’avance, comme je viens, La lune se lève. Ma danse s’élance de la terre, Et je m’allonge et je te tends, Du tourbillon qui me dévore, |
CRÉPUSCULE
C’est dans ce silence enchanté
De lune, d’ombre et de merveille,
Dans cette grotte que sommeille,
Disent-elles, la Vérité.
Mais on en approche, on y lance,
L’une une rose, l’autre un cri ;
Rien ne répond, et l’on s’enfuit
Terrifiées de ce silence.
Car nous tremblons que, devant nous,
Terrible, éblouissante, et nue,
La Vérité, en son courroux,
Soudain apparaisse et nous tue.
*
Ce soir, à travers le bonheur,
Qui donc soupire, qu’est-ce qui pleure ?
Qu’est-ce qui vient palpiter sur mon cœur,
Comme un oiseau blessé ?
Est-ce une plainte de la terre,
Est-ce une voix future,
Une voix du passé ?
J’écoute, jusqu’à la souffrance,
Ce son dans le silence.
Île d’oubli, ô Paradis !
Quel cri déchire, cette nuit,
Ta voix qui me berce ?
Quel cri traverse
Ta ceinture de fleurs,
Et ton beau voile d’allégresse ?
*
Au long des eaux pâles, dans ces vallées
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*
De ces terrasses où, le soir, il flotte encor
Que les soupirs d’amour et les pleurs du bonheur. |
*
Apprends-moi, dis-je, qui tu es, Azraël.
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*
Oui, le jour luit encore, et j’entends
Le murmure des eaux et des feuilles, le chant
Des gais oiseaux dans la lumière.
Le nuage s’est effacé : tout étincelle.
Comme à l’aube première,
Tout éclate en rayons,
Tout abonde en chansons,
Tout se replonge en l’ivresse éternelle.
Non, il n’est rien sur la terre,
Ni une fleur, ni un oiseau,
Ni un grain de poussière,
Ni une goutte d’eau,
Qui ne croie à la vie ;
C’est le secret de leur bonheur,
Et de leur innocence ravie.
Et tout ignore encor qu’il faut mourir.
*
Vers le soleil s’en vont ensemble
Mes pensées, divines sœurs.
Elles chantent ; l’air pâle en tremble,
Comme s’il y tombait des fleurs.
Une s’attarde la dernière,
Tristement, au bord du chemin
D’où monte l’âme du matin
Et la rosée à la lumière.
Celle-là qui s’évanouit,
Au fond de ses larmes mortelles,
Ne chante pas, mais c’est par elles
Que le soleil l’attire à lui.
*
Ève pleurait. Ses mains cachaient sa tête pâle.
C’était le premier soir mortel.
Des êtres lumineux descendirent du ciel,
Et l’air s’emplit du chant de leur voix amicale.
Regarde, disaient-ils, si, dans ce soir d’été,
Tout devant nous pâlit et tremble,
C’est que le chœur entier des anges te ressemble,
C’est que Dieu ne nous fit que selon ta beauté.
Mais elle, tristement, levant vers leurs visages,
Ses yeux pâles et doux :
« Peut-être ai-je été belle, un jour, ainsi que vous,
Ce soir, je ne suis plus semblable à mon image. »
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Pourquoi mes anges ont-ils fui ?
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Ô mort, poussière d’étoiles,
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En robe de pâle clarté, Des songes encore, |
*
Une aube pâle emplit le ciel triste, le Rêve,
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