Lemerre (p. 96-100).


XIX

l’ermitage


Il doit gîter au moins deux lièvres du côté de l’ermitage ; pour un seul, à coup sûr, l’abbé Sèbe ne nous mènerait pas si loin.

Car il est très haut perché cet ermitage, et le chemin n’en finit pas de grimper entre des rochers d’une surprenante sécheresse.

Mais l’abbé m’a promis des ruines.

Les ruines y sont, les lièvres aussi. L’abbé tue un lièvre d’abord, réservant, j’imagine, le meurtre du second pour égayer notre retour : et puis, nous visitons les ruines.

Elles consistent en une petite chapelle romane couverte d’un toit dallé sur lequel ont librement poussé les herbes et les ronces ; plus un amas de plâtras au bout d’un carré clos de murs, où furent le logis et le cimetière des ermites ; et, par devant, à l’alignement du chemin, une fontaine armoriée que quelques ornements, visibles encore sous la mousse, datent des commencements de la Renaissance.

Tout cela, sans doute, a du caractère, mais sans intérêt bien spécial pour moi.

Cependant, sur le mur de la chapelle qui regarde à l’Est, dans un angle, l’abbé me fait remarquer un cadran solaire en crépi, notablement désagrégé par la pluie et le vent de mer. Un cartouche le surmonte, avec quelques lettres en noir, restes d’une inscription. L’abbé, quoiqu’il se souvienne avoir vu l’inscription presque entière, ne peut pas m’en dire le sens. C’était, paraît-il, un distique, obscur dans son latin barbare comme une centurie de Nostradamus, et qui parlait d’ombre et de trésor.

— « Ce cadran et cette inscription, continue l’abbé, heureux de l’attention que je prête à ses paroles, furent tracés vers le milieu du xviiie siècle par un membre de la famille Gazan, médecin, disciple du fameux Mesmer, et qui a laissé le souvenir d’un original quelque peu fou, moitié philosophe, moitié cabaliste. L’inscription eut toujours le don d’exciter la curiosité des gens.

« On s’imaginait, et l’on s’imagine encore, qu’elle indique l’endroit où, dans les temps anciens, d’immenses richesses furent enfouies.

« Et, détail qui n’a pas peu contribué à fortifier cette opinion, la fontaine que vous voyez là s’appelle Fontaine de la Chèvre d’Or. »

Je fis un soubresaut.

— « Eh ! quoi, l’abbé, vous connaissiez cette fontaine de la Chèvre d’Or, et ne m’en avez jamais rien dit ?… Le nom ne lui est pourtant pas venu tout seul, il doit se rapporter à quelque légende significative.

— En effet, il y a dans le pays, vous ne l’ignorez pas sans doute ? une légende de Chèvre fée donnant puissance et bonheur à qui sait l’atteindre, s’emparer d’elle, et ne laissant au cœur de ceux qui l’ont seulement entrevue, qu’amertume et insatiables désirs.

« Telle est, du moins, la version des humbles d’esprit et des poètes, celle que l’on raconte à la veillée quand les femmes trient les amandes, ou au moulin d’huile quand les hommes pressent le grignon.

« Mais des gens pratiques en ont trouvé une autre. Peu sensibles au mystérieux, ils pensent que ce nom de Chèvre d’Or est ni plus ni moins qu’une manière de parler symbolisant un trésor fort réel, caché pas bien loin précisément de la chapelle où nous sommes, et que l’on pourrait retrouver en fouillant à la bonne place.

« Aussi bien, il ne se passe guère d’années sans que quelque amateur essaie de faire tourner la verge de coudrier, dans le vieux cimetière, autour de la fontaine. Ils ont, ces enragés, avec leurs pioches et leurs pics, aux trois quart démoli, comme vous voyez, la chapelle, et sacrilègement retourné les os des ermites qui dorment là. Sans compter que je dus encore, l’autre jour, reconduire jusqu’à ma porte, en le menaçant de coups de trique, un paroissien qui voulait m’amener ici, quand minuit sonnerait, pour me faire dire la messe noire.

— Ainsi, l’abbé, vous ne croyez pas ?…

— Je ne crois qu’à Dieu et au Pape. Mais, quoi ! dans l’opinion des gens le trésor dont il s’agit serait un trésor sarrasin ; et, d’après vous, les Sarrasins ont laissé au Puget tant de choses que je ne vois pas pourquoi, en s’en allant, ils n’y auraient pas laissé un trésor. »

L’abbé riait, il ajouta :

— « Je pensais bien que ceci mériterait votre attention ; j’avais même, à tout hasard, mis dans ma poche un vieux cahier sur parchemin, prêté par M. Honnorat, et que je n’ai pas encore pris le temps de lui rendre. Un livre de raison : il date du xve siècle. Vous y trouverez des renseignements concernant la chapelle et la fontaine. Seulement, pas un mot de tout ceci à M. Honnorat ni à Mlle Norette ! Les Gazan, je ne sais pourquoi, n’aiment pas beaucoup qu’on parle devant eux de la Chèvre d’Or. »