La Cendre de Napoléon (Leconte de Lisle, Premières poésies)

Premières Poésies et Lettres intimes, Texte établi par Préface de B. Guinaudeau, Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 216-217).




LA CENDRE DE NAPOLÉON


Ils vont donc te ravir à ton roc escarpé,
Poussière de celui que la foudre a frappé !
Ô peu qui dors encor de l’immortel esclave,
Tu vas abandonner, pour un étroit cercueil,
L’hymne des flots profonds, chant de gloire et de deuil,
Le ciel étincelant sur ton urne de lave ;

Tu vas abandonner le sublime horizon,
La tempête des nuits qui prend ton large nom
Pour l’emporter au loin sur l’éclair de son aile…
Tu vas abandonner dans son immensité
Ce phare qui disait : Ici l’aigle a quitté
L’ombre des bords humains pour la voûte éternelle !
Ô cendre, ne viens pas ! Demeure au noir granit
Que les rois t’ont creusé comme un suprême nid
Entre les cieux brûlants et l’écume de l’onde !
Gendre de l’aigle, arrête ! Il n’est pas encor temps.
Ne viens pas rappeler qu’il étouffa, vingt ans,
La Vierge-Liberté qui naissait, sur le monde !
Ne viens pas rappeler qu’en un jour triomphal
Il plongea dans son sein le glaive impérial,
Dont jadis pour la France elle arma sa main libre,
Lorsque, du ciel romain fendant l’azur doré,
Sous les triples couleurs de l’étendard sacré,
Il rappelait la gloire aux rives du vieux Tibre.