La Cathédrale de Lyon/IV/4

Henri Laurens (p. 92-96).

La cathédrale en 1500. — C’est au commencement de la Renaissance qu’il faut se transporter par l’imagination pour se représenter la cathédrale longuement et patiemment élaborée pendant trois siècles et qui apparaît enfin dans toute sa radieuse jeunesse, telle que l’avaient obscurément pressentie les générations successives qui y travaillèrent. Cette période d’épanouissement correspond à la première moitié du xvie siècle. Essayons de revoir le noble édifice tel qu’il était avant la grande dévastation de 1562, dans une atmosphère lyonnaise toute pénétrée d’italianisme. C’était alors le temps des « pétrarquisants » lyonnais, subtils et mystiques ; de Maurice Scève et de Louise Labbé, de l’Académie de l’Angélique ; il y eut comme un épanouissement lyonnais éphémère qui marqua la période de splendeur de Saint-Jean.

Dans cette abside surbaissée, somptueusement décorée d’incrustations et dans cet admirable vaisseau, rayonnant de l’éclat de leurs verrières toutes achevées, se déroulait le cérémonial de l’antique liturgie, observée de temps immémorial par un chapitre dont les membres, qui portaient le titre de « Comtes de Lyon » et qui avaient compté parmi eux quatre rois de France, jouissaient des plus hautes prérogatives. Ils avaient eu notamment, pendant de longues années, le droit d’élire l’archevêque et, aussi, de porter la mitre pendant les offices qui étaient chantés avec une austère gravité, de mémoire et sans aucun accompagnement, par un clergé qui, sous Louis XIV, comptait deux cents membres. Le maître-autel, plus enfoncé dans l’abside qu’aujourd’hui, n’était qu’une table rase, ornée de parements d’étoffes plus ou moins riches selon l’importance des fêtes ; tout autour une balustrade de cuivre. De part et d’autre de l’autel, deux croix processionnelles avaient été fixées là, au xiiie siècle, en souvenir du concile général de 1274 où avait été prononcée la réunion des Églises latine et grecque. L’autel n’avait pas de chandeliers : il était éclairé par trente-trois flambeaux posés sur des candélabres de place en place dans le chœur.

Devant l’autel, particularité spéciale à l’église de Lyon, était le « râtelier » rastellarium, sorte de traverse en métal posée sur deux colonnes et supportant sept cierges qui rappelaient les sept chandeliers de la vision de saint Jean l’Évangéliste : seul l’archevêque, officiant dans les grandes solennités, pouvait passer sous ce candélabre.

Dans le chœur, à gauche, près de l’autel, se trouvait le célèbre tombeau du cardinal de Saluces, mort en 1419. Ce mausolée, œuvre de Jacques Morel et dont la description nous est révélée par le prix fait daté du 20 septembre 1420, était une des merveilles de la sculpture française du xve siècle. Tout en marbre, il était orné sur ses faces de dix-huit statues d’albâtre : six apôtres de chaque côté, au chevet un Dieu de Majesté ayant à ses côtés la Vierge présentant à son Fils le cardinal agenouillé : au pied, sainte Catherine entre saint Jean-Baptiste et saint Étienne. À la tête du mausolée le cardinal était représenté à genoux sur un coussin, les mains jointes et appuyées sur un cartouche avec la devise : in sola Dei misericordia spero salvari.

Le chœur, qui renfermait encore d’autres sculptures, était clos par un jubé d’une rare magnificence entre la sixième et la septième travée. Ce jubé passait pour l’un des plus riches de France et était décoré sur le pourtour, à l’intérieur comme à l’extérieur, de précieuses sculptures représentant des sujets de l’Ancien Testament. Pour sa construction, des marbres précieux, des colonnes de jaspe et de porphyre avait été employés à profusion et un grand crucifix recouvert de lames d’argent surmontait la grande porte de sa façade, en travers de la nef. Les chapelles et les autels secondaires, adossés au jubé et à la plupart des piliers, avaient chacun leur vie propre, leurs desservants, leurs dotations et leurs cérémonies particulières. Les chapelles latérales ouvertes successivement dans les collatéraux, entre les contreforts, étaient enrichies de retables, de clôtures et de mausolées, vrais bijoux de pierre et de marbre, ciselés avec des délicatesses d’orfèvre.

Ajoutons l’effet produit à l’intérieur de la cathédrale par les verrières, alors au grand complet dans les fenêtres hautes et dans les chapelles, d’où la lumière descendait, polychromée et adoucie, sur la paix des tombeaux et l’on comprendra quelle pouvait être, aux jours des grandes fêtes, l’impression religieuse d’un pareil vaisseau, encore solennisé par le souvenir des scènes historiques qui s’y étaient déroulées. À l’extérieur, les trente-deux grandes statues en pied des ébrasements des trois portails et du bas de la façade, les innombrables figures d’anges, de prophètes et de saints, alors intactes, qui peuplaient les voussures, toute la faune des innombrables gargouilles animant cette façade couronnée par le Dieu de majesté étincelant de dorures au sommet du pignon.