La Carte des Pauvres à Paris

La Carte des Pauvres à Paris
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 381-420).
LA CARTE DES PAUVRES
À PARIS

L’enquête que nous entreprenons a pour objet de découvrir le pauvre au milieu de la population générale qui l’entoure. Nous voudrions prendre note en même temps des faits physiques, économiques et moraux qui peuvent servir à expliquer les traits de la misère, suivant les lieux. On s’est demandé s’il ne convenait pas de traiter les pauvres partout de même manière, et de donner aux secours publics l’uniforme unité qui est la règle en matière de voirie, de police ou d’enseignement. Il s’agit de savoir si ce désir d’égalité répond exactement aux besoins des malheureux. Il est permis de penser que le pauvre contribue pour sa part à la vie locale de la région qu’il habite, qu’il a une certaine action sur ses voisins, et que lui-même tire de son contact avec eux des avantages de subsistance ou de patronage qu’il conviendrait de préciser. À ce point de vue la géographie de Paris est encore à faire. Le but prochain qu’on se propose ici est de visiter la ville, par arrondissement et par quartier. C’est une exploration que tout le monde, comme nous, pourrait faire. Les conclusions se dégageront d’elles-mêmes de notre étude.


I

Paris est divisé en vingt arrondissemens, suivant une ligne en forme de spirale, qui part du centre, se replie deux fois sur elle-même, et va rejoindre la périphérie.

Dans les deux premiers arrondissemens, on peut dire que le marché de la confection appelle le passant de tout l’éclat de ses vitrines et enseignes. C’est le domaine du vêtement. Si l’on s’éloigne, l’offre du commerce se modifie. Elle se rapporte aux matières qui servent à la confection.

En même temps, ce qui frappe les yeux, c’est le grand nombre des hôtels et restaurans. Il y en a de premier ordre, et aussi de fort modestes. Dans la ville, il existe à peu près un « garni » par dix maisons ; ici, la proportion s’élève à un sur cinq, et, pour le quartier Bonne-Nouvelle, à un sur trois. C’est que le voisinage des jardins et des musées attire le touriste ; que les voyageurs de commerce peuvent de là gagner tous les points de la ville ; et que les autres, tous ceux qui viennent tenter la chance, espèrent trouver facilement un emploi. Et, en effet, les bureaux de placement sont là pour répondre au désir de tous ces hommes qui, demain, seront employés comme garçons dans les magasins, les restaurans, chez les marchands de vins, ou bien dans les hôtels. Hôtels et bureaux sont si nombreux qu’en certains points, ils emplissent la rue.

On se rendra compte du mouvement de cette région qui absorbe une partie de la population de Paris : — par les Halles, où les marchandises s’entassent, pour se répartir ensuite aux devantures des détaillans de la ville ; — par les grands magasins et les manufactures, qui s’emplissent de leurs employés et ouvriers ; — par les musées, les ministères, la Banque, les jardins publics, les comptoirs du commerce, dont les portes sont franchies par une foule qui augmente avec les heures du jour ; — par les hôtels et restaurans, dont les cliens se renouvellent sans cesse ; — par les bourses aux valeurs et aux marchandises ; par la poste, les bureaux de chemins de fer, aux proportions inusitées ; — par les journaux, dont les porteurs se répandent en tous sens. Au soir, le calme vient ; et c’est le recul de tout le flot humain, jusqu’à la vague prochaine.

Les deux arrondissemens réunis sont grands comme un seul, et une bonne part de leur territoire est couverte par des jardins, des musées et des installations qui ne sont pas faites pour l’habitation. La population y est cependant pressée comme nulle part. Il y a des places où l’on compte mille habitans à l’hectare, contre trois cents en moyenne, pour Paris tout entier. On peut constater qu’il y a peu d’enfans ; un à peine par onze habitans, alors que la proportion ordinaire est de un sur huit. C’est qu’on ne réside pas en cette région. Tous ceux qui le peuvent, cherchent le repos hors du tumulte. Ceux qui restent, semblent bien y être obligés par leurs fonctions ; au contraire des étrangers, ils ne sont pas là de plein gré.

Si l’on traçait une ligne, partant du Louvre vers les boulevards, on isolerait à gauche une région où il n’y a pas de pauvres ; à droite, il en existe quelques-uns. Ce sont, vers Saint-Germain-l’Auxerrois, quelques vieillards, et aussi, quelques ouvriers qui sont parvenus à découvrir une chambre, non loin de la maison qui achète leur travail ; et, au nord des Halles, une population très peu stable, qui vit des miettes du marché et de la vente des journaux. Ainsi, la bonne administration des secours publics nous apparaît comme devant tenir compte de ces faits : très peu de pauvres, peu d’enfans, pas de patronage, c’est-à-dire pas de riches résidant auprès des malheureux, quelques vieillards et artisans dont le logement doit être la charge principale et de nombreux adultes, en quête d’une place, et qui, n’en trouvant pas, devraient être aidés, sinon forcés, à rejoindre le lieu d’où ils viennent.

On a eu la bonne idée, en 1900, de montrer sous verre, dans les galeries du Champ-de-Mars, une fourmilière au travail. Si l’on pouvait voir en raccourci le troisième arrondissement, on aurait une impression semblable. Les rues y sont nombreuses, étroites, peu régulières, mal soignées, bordées de hautes maisons, où les inscriptions s’entre-choquent dans un désordre pittoresque ; les produits d’un travail attentif s’entassent dans ces locaux qui sont autant de réduits où des artisans de mérite exercent toutes les qualités qu’ils tiennent de leur race et de la tradition. C’est le lieu de production de l’article de Paris. Il est fait d’or, d’argent, de cuivre, d’étain, de plomb, ou bien d’écaille, d’ivoire, même de celluloïde : on a trouvé le moyen d’imiter, à s’y tromper, les pierres précieuses, avec cette matière qui n’a pas de valeur. On fait des bijoux qui sont des œuvres d’art et des objets pour les baraques foraines. On travaille la plume, la caoutchouc, les bois précieux ; on invente la forme nouvelle du jouet, de l’article de pêche, du manche de canne ou de parapluie, de la gaine pour couteau. On parvient à recueillir jusqu’aux rognures de toutes ces matières ; c’est à cela que s’emploient, avec profit, les brûleurs de cendres du quartier des Archives.

Contrairement à nos constatations antérieures, la population tout entière réside. Le patron occupe quelques personnes ; il demeure dans les locaux de son commerce ; il loge une partie de son personnel dans sa propre demeure ; et le reste dans les maisons voisines. La vente se fait, non pas au passant, mais entre gens d’affaires qui agissent au nom des grands magasins ou pour le compte d’intermédiaires dont les boutiques sont riveraines des grandes voies. Tout le monde se connaît ; et cela se conçoit, puisque le travail à faire réclame le concours de l’homme et de la femme, du praticien formé par l’expérience, et du jeune homme impatient de travail.

On a tenté d’acclimater ici la curatelle des pauvres. L’esprit de ce système est de confier quelques unités parmi les malheureux au plus grand nombre possible de citoyens établis auprès d’eux. Peut-être peut-on dire qu’il y a plus de vieillards vers la rue de Saintonge et plus de chômeurs vers les Arts et Métiers ; d’une façon générale, la misère apparaît également répartie sur l’arrondissement tout entier. Il suffirait, pour s’en rendre maître, d’un léger effort. La population a toutes les qualités pour le tenter ; elle recherche les occasions de groupement ; des sociétés, des comités, des conférences se fondent pour toutes sortes d’objets. Il faut laisser grandir la curatelle et, pour cela, lui donner les moyens d’agir.


Les quartiers du quatrième arrondissement ont tous un aspect différent. Saint-Merri, aux limites du premier et du troisième, participe à la vie de ses voisins. On y remarque de nombreuses marchandes des quatre saisons qui trouvent à loger leurs voitures aux environs de l’Hôtel de Ville ; beaucoup de camelots et de porteurs aux Halles ; enfin, quelques maisons qui fabriquent de la mercerie, des chaussures et des chapeaux. Tout cela est dans le rayon d’attraction des marchés de l’alimentation et du vêtement. Plus loin, les marchands de papier, de confiserie, de produits chimiques, ont des traits de parenté avec les artisans dont nous avons noté l’activité patiente dans le troisième. Enfin, vers le quartier Saint-Gervais, commence à se révéler la présence de ce type si spécial du juif polonais que l’on retrouve en d’autres points de Paris. Son occupation essentielle est de faire des casquettes, sans doute, avec les débris achetés aux ouvriers tailleurs. Mais il tente aussi la fortune d’autre manière ; tous les métiers lui sont bons, pourvu qu’il y ait à vendre et à acheter. La proximité du Mont-de-Piété explique, sans doute, un peu la préférence marquée que cette population a donnée à la région.

A Saint-Gervais se trouve une Bourse spéciale de travail. « A la grève » et « au coin, » les ouvriers terrassiers et les peintres offrent leurs bras ; les peintres surtout, qui viennent souvent de très loin sur ce marché où le patron est assuré de trouver tous les hommes dont il peut avoir besoin, par exemple pour la mise à neuf, en vingt-quatre heures, des locaux d’un grand magasin. Le quartier abrite beaucoup de maçons. Ils sont 50 000 dans Paris, dont un tiers sont ici et dans le cinquième. Ceux qui sont mariés, occupent des locaux trop étroits pour leurs familles ; les autres, les célibataires, logent à l’hôtel chez un compagnon, avec qui ils se louent. Parfois, ils regagnent leur pays pour l’hiver, au moment du chômage ; malheureusement, cette habitude tend à se perdre.

L’Arsenal est peuplé de bourgeois généralement aisés. La bibliothèque, les casernes et la place des Vosges contribuent à donner à cette région un aspect tranquille. C’est un ancien quartier riche. Cependant, il y a un assez grand nombre de vieillards inscrits au bureau de bienfaisance, et aussi quelques familles de ces juifs polonais dont nous avons parlé.

Dans le quartier Notre-Dame, formé des îles de la Cité et Saint-Louis, toutes les maisons qui bordent la Seine, sont occupées par de riches locataires dont quelques-uns ont leurs bureaux à l’entrepôt Saint-Bernard. Les rues parallèles et transversales sont habitées par une population peu aisée de petits rentiers, d’ouvriers en chambre, et surtout de sergens de ville, notamment dans la Cité. Les loyers sont chers ; on trouve difficilement une chambre pour 200 francs.

En somme, dans cet arrondissement, le mouvement commercial perd peu à peu de son intensité ; il s’éteint dans les quartiers de l’Arsenal et de Notre-Dame. La population à secourir se compose de maçons en chômage, dans le quartier Saint-Gervais ; de journaliers sans travail, à Saint-Merri ; de quelques vieillards et infirmes, dans les îles et à l’Arsenal ; enfin, de ce groupement spécial de juifs polonais, dont la misère se répand dans les quatrième, troisième et onzième arrondissemens.


Sur la rive gauche, le boulevard Saint-Michel forme la ligne de partage des cinquième et sixième arrondissemens. Cette voie superbe est une artère centrale et non pas une limite. À gauche, se trouve la Sorbonne, à droite, l’Institut. À gauche, l’Église de Droit, l’Église Normale, le Muséum, l’Institut Agronomique ; à droite, l’Église de Médecine, l’École des Mines, l’Église des Beaux-Arts, l’École de Pharmacie. À gauche, le lycée Louis-le-Grand, le Collège Sainte-Barbe, l’Église de la rue des Postes ; à droite, Saint-Louis, Montaigne, Stanislas. À gauche, les grand et petit séminaires des prêtres Irlandais et de Notre-Dame du Chardonnet ; à droite, les grand et petit séminaires de Saint-Sulpice et de Notre-Dame-des-Champs[1]. Partout des livres, des maisons d’éducation ou des couvens. C’est la patrie de l’Idée, sous toutes les formes où elle peut se produire. Il y a des éditeurs pour tous les livres ; des éditeurs aussi pour l’image, la statue, l’ornement d’église, la médaille. La vie qu’on sent ici est moins extérieure que sur la rive droite ; son action n’a pas d’égale, si l’on songe à l’influence qu’exercent nos auteurs et nos artistes, sur la France et sur le monde entier. Le territoire qu’il s’agit d’étudier est grand comme l’ensemble des quatre arrondissemens que nous venons de quitter.

Dans le cinquième, le quartier de la Sorbonne se distingue par ses hôtels qui sont aussi nombreux qu’aux environs des Halles. Ils servent au logement des étudians, et d’un grand nombre de journaliers : peintres, terrassiers, couvreurs, maçons, porteurs aux Halles, garçons de café ou de restaurant, qui consacrent à leur coucher une somme variant de fr. 50 à 1 fr. 50 par jour. La place Maubert est assez exactement le point central de cette région qui s’étend sur une partie du quartier Saint-Victor. La misère, se trouve ici dissimulée à l’ombre des maisons neuves qui bordent les boulevards et les larges rues du quartier.

Au delà du Panthéon, jusqu’aux boulevards Saint-Michel et Port-Royal, se trouve le quartier des couvens dont les dépendances considérables rejettent, vers la vallée de la Bièvre, toute la population ouvrière. C’est là, dans le quartier du Jardin des Plantes, que se trouve un des groupemens les plus curieux de Paris. Il est composé de maçons et de cordonniers en chambre ; d’une colonie de chiffonniers, vers la rue Saint-Médard ; et de quelques juifs, autour de la Halle aux Cuirs. L’odeur, dont la Bièvre emplit l’air, a écarté depuis longtemps les délicats ; en même temps, elle semble avoir servi de guide à tous les ouvriers qui dans Paris travaillent le cuir. Il est possible qu’une migration s’opère sous peu ; la rivière, qui est un cloaque, va être couverte entièrement, et quelques-unes des anciennes tanneries ont déjà transporté leurs installations à Gentilly.

L’arrondissement contient beaucoup de malheureux. On s’en rendra compte en remarquant qu’il y a 30 000 logemens de deux pièces au plus, situés le plus souvent dans des constructions fort anciennes, pressées les unes contre les autres, et qui sont autant de défis portés aux plus élémentaires principes de l’hygiène publique. Il faudrait provoquer l’union de toutes les bonnes volontés pour livrer bataille à la misère, surtout dans le quartier du Jardin des Plantes où les familles ont tant d’enfans, et dans les rues qui avoisinent la Seine où les ouvriers sans travail sont si nombreux.

Le sixième arrondissement semble être le séjour favori de ceux qui vivent de la plume, de la parole ou du pinceau. Il n’y a pas de maison où l’on ne trouve des avocats, des fonctionnaires, des hommes de lettres ou des artistes.

Ici, l’élément ouvrier a presque totalement disparu ; et l’on se rendra compte de l’activité intellectuelle de tout ce monde, en constatant combien sont nombreuses les Sociétés qui ont leur siège dans l’arrondissement. Elles sont au moins cinquante qui demandent asile à la Mairie pour y tenir leurs réunions annuelles, mensuelles, hebdomadaires et même quelquefois plus fréquentes ; en outre, l’hôtel des Sociétés Savantes, la Société de Géographie et quelques salles moins connues, font, sur ce terrain, une concurrence active à la mairie du Luxembourg.

Le quartier de la Monnaie fait exception à l’état de choses qui vient d’être observé. Il est habité surtout par des employés de commerce dont les occupations sont dans les grands magasins de la rive droite ; par un très grand nombre de petits boutiquiers et d’employés, tels que : cochers d’omnibus, contrôleurs du métropolitain, gardiens de la paix, employés des postes et de l’octroi ; par des garçons de courses, des ouvriers tailleurs ; et aussi par de nombreux bouquinistes, dont la marchandise emplit les étroits logemens, avant d’être répandue sur les parapets des quais. Depuis des siècles, le bric-à-brac du livre a élu domicile en cet endroit. Il ne cesse de s’étendre. La misère n’a pas l’aspect sordide que l’on constate dans le cinquième. Cependant, tous ces travailleurs qui ont métier ou emploi sont généralement peu aisés.

Le quartier Saint-Germain-des-Prés ressemble un peu à la Monnaie, dans la partie qui y confine. Seulement, le bouquin fait souvent place à l’image ou au dessin. Et les hôtels, au lieu d’être fréquentés pas des ouvriers ou de petits commis de magasin, le sont par des étudians ou des employés, dont quelques-uns font des séjours de plusieurs années dans la même maison.

Au delà du boulevard Saint-Germain, tout le territoire des quartiers Saint-Germain-des-Prés, de l’Odéon et de Notre-Dame-des-Champs est habité bourgeoisement. C’est le rendez-vous de toutes les familles de fortune moyenne, dont le chef est occupé à son cabinet, ou dans l’une des grandes administrations qui sont voisines ; les enfans trouvent, dans les lycées ou institutions de la région, l’instruction qui leur est nécessaire. Il convient de noter, cependant, que les peintres semblent avoir choisi de préférence les environs du Luxembourg et du boulevard Montparnasse. Il faut aussi noter, dans le sixième, la présence d’un très grand nombre de domestiques, surtout des femmes. Il serait difficile de trouver ailleurs, autant de logeuses de bonnes, notamment dans la Monnaie, dans les rues du Dragon et de Sèvres.

Pour l’arrondissement, la population à secourir est assez exactement groupée dans quelques lieux précis : dans la Monnaie ; autour du marché Saint-Germain ; dans la rue et la cour du Dragon ; et à l’extrémité de la rue de Sèvres, vers le boulevard Montparnasse. Elle se compose spécialement de vieillards vers la rue de Sèvres, et de chômeurs dans la Monnaie. Certains immeubles, comme la cour du Dragon et le numéro 105 de la rue de Sèvres, sont d’importantes cités qui comprennent respectivement 105 et 112 ménages et sont remplies de malheureux.


Le septième arrondissement couvre un territoire considérable, dont il faut distraire le Champ-de-Mars et les Invalides. Deux parts sont à faire : l’une, qui comprend le faubourg Saint-Germain, c’est-à-dire les quartiers Saint-Thomas-d’Aquin, des Invalides et de l’École-Militaire ; l’autre, le quartier du Gros-Caillou, entre l’Esplanade et le Champ-de-Mars.

Le faubourg Saint-Germain est au chef-lieu de presque tous les ministères : Guerre, Agriculture, Commerce, Postes et Télégraphes, Travaux Publics, Instruction Publique, Cultes. De grandes institutions nationales, comme la Chambre, la Légion d’Honneur, la Caisse des Dépôts, l’Archevêché ; plusieurs ambassades et presque tous les établissemens militaires ont là leurs bureaux. Pour le reste, l’espace est occupé par quelques hôtels de vieilles familles et par des maisons d’habitation dont les locataires ressemblent à ceux du sixième arrondissement. Entre les Invalides et l’École-Militaire, des officiers en assez grand nombre donnent à cette petite région une allure spéciale. Peut-être la nouvelle gare d’Orléans et la percée du boulevard Raspail vont-elles faire naître une certaine animation commerciale qui, pour le moment, fait presque totalement défaut, sauf dans la rue du Bac, particulièrement aux environs du Bon-Marché.

Au faubourg Saint-Germain, il y a deux foyers indigens : l’un, en haut de la rue de Sèvres, confondu avec celui que nous avons indiqué dans le sixième ; l’autre, dans les rues de Beaune et de Verneuil, où se trouvent quelques malheureux qui font profession de mendier. Ils parviennent assez facilement à trouver des ressources, grâce à la proximité de riches familles, où quelques-uns ont servi autrefois comme domestiques.

Le Gros-Caillou contient beaucoup de petits logemens. Une notable fraction de la population est peu aisée. La manufacture des Tabacs, les manutentions du Louvre et du Bon-Marché, les équipemens militaires, enfin quelques fabriques d’appareils photographiques et de câbles télégraphiques assurent le travail à nombre d’ouvrières. D’autres femmes s’emploient au ménage. Enfin, quelques-unes travaillent à l’aiguille pour des entrepreneuses, ou bien partent chaque jour à leur travail, dans les ateliers de la rive droite. Les hommes sont garçons de magasin, gardiens de la paix au septième ou au huitième, employés d’administration, surtout aux Postes ; très peu sont ouvriers ou employés de commerce, les loyers étant encore trop élevés pour leurs faibles ressources. Dans le Gros-Caillou, il existe quelques familles nombreuses ; beaucoup réclament l’aide des secours publics. Cependant, nous avons indiqué de nombreuses sources de travail ; bien des ménages, où tout le monde est occupé, ont le nécessaire et même une modeste aisance.


Le huitième passe pour être l’arrondissement le plus riche de Paris. Les hauts fonctionnaires de l’État, dans l’armée et l’administration ; l’aristocratie de la banque et du commerce ; enfin ceux qui jouissent d’une très grosse fortune ont établi là leur résidence. Une partie du quartier de la Madeleine, du côté des boulevards et de la rue Royale, contient un certain nombre de commerçans qui vendent des objets de luxe et des curiosités de prix. Partout ailleurs, ce ne sont que maisons d’habitation qui rivalisent de confort et de richesse. On peut constater, dans le voisinage de l’Arc de Triomphe, une importante colonie d’étrangers, surtout d’Américains, qui viennent passer là les quelques mois qu’ils consacrent à Paris. Le quartier de l’Europe, qui mérite si bien son nom, se distingue de ses voisins par le nombre des jolies et aimables personnes qui l’habitent et qui sont la fine fleur du monde de la galanterie.

Il y a fort peu de pauvres, à peine un millier pour l’arrondissement tout entier. Les loyers sont d’un prix si élevé qu’une modeste chambre se paye couramment cinq cents francs. Comment donc se fait-il qu’il y ait place même pour un millier de pauvres ? On peut évaluer à quatre cents le nombre de ceux qui demandent des secours par suite d’un accident de la vie : maladie ou perte de travail ; ce sont généralement des cochers, gens de maison, garçons coiffeurs ou hommes de peine. Le reste se compose de vieilles femmes, presque toutes anciennes domestiques, qui ont trouvé, dans de magnifiques maisons, une chambre sous les toits, dans un coin reculé. La rue du Rocher, dans sa partie basse, l’impasse Davy et la galerie de Cherbourg sont un lieu d’asile pour le petit commerce ; de là, proviennent quelques demandes de secours ; là, demeurent quelques dizaines d’inscrits au bureau de bienfaisance. Enfin, deux maisons neuves ont été construites récemment pour recevoir des indigens ; ce sont les immeubles, 3, avenue Beaucour qui ne comprend pas moins de 105 logemens, et 26, rue du Général-Foy, qui en contient presque autant. Il semble qu’on ait eu la crainte de voir disparaître entièrement, dans cette région, la population nécessiteuse.


Le neuvième est par excellence le lieu des plaisirs. La table, le spectacle, et le reste, offrent aux étrangers qui s’amusent les derniers raffinemens de la vie parisienne. Le quartier Saint-Georges est bien, à ce point de vue, une suite du quartier de l’Europe ; mais, les petites dames qu’on y rencontre ont peut-être une vie plus en dehors, avec des allures plus provocantes. Elles ne sont d’ailleurs pas seules à occuper la place ; il existe une très nombreuse population de gens à gros revenus dont les établissemens commerciaux ou les bureaux sont dans les deux premiers arrondissemens. Ils se trouvent ainsi logés à proximité de leurs affaires. Le quartier de la Chaussée-d’Antin, sauf dans la partie qui comprend les administrations des chemins de fer, est surtout occupé par la finance, les banques, les grands hôtels et la colonie commerçante d’Angleterre. Le faubourg Montmartre est une suite du deuxième arrondissement. Il comprend, comme lui, une active population commerciale. Le bibelot y a son temple et ses ministres, à l’hôtel des Ventes, et c’est là que se sont donné rendez-vous presque toutes les rédactions de journaux qui n’ont pas pu trouver à se loger dans la rue Montmartre. Le quartier Rochechouart donne asile à quelques commissionnaires dont le nombre va grossir dans le dixième. Enfin le quartier Saint-Georges offre aux artistes, et notamment aux peintres, un grand nombre d’ateliers. Ils y viennent en foule, escaladant les premières pentes de la butte Montmartre ; et les modèles qui n’ont pas trouvé d’engagement aux environs du Luxembourg, se présentent ici chaque matin, au choix des artistes.

La population à secourir n’est pas considérable ; elle comprend à peine 2 500 personnes sur 125 000 habitans. Plus des trois quarts habitent le quartier Rochechouart et le haut du quartier Saint-Georges. C’est ainsi que 900 indigens, parmi les 1 150 qui forment le total des inscrits du bureau de bienfaisance, habitent cette région. La rue et le passage Rodier, la cité Fénelon, l’impasse Briare, les rues Rochechouart et Bellefonds, et dans le quartier Saint-Georges, les rues Bréda, Clauzel et Frochot renferment quelques grandes maisons où trouvent asile d’anciennes femmes de ménage, et, pour les hommes, des garçons d’hôtel ou de café, sans emploi. Il semble que la très grande majorité de ceux qui demandent des secours appartiennent au monde des domestiques.


Le onzième arrondissement a des points de ressemblance avec le troisième. C’est le même assemblage de rues étroites, la même densité de population, la même activité. Seulement, le territoire est deux fois plus grand ; au lieu de joujoux, on produit de puissantes machines ; les maisons n’occupent plus quelques dizaines d’ouvriers, mais plusieurs centaines ; le maître d’entreprise est un ingénieur, qui manie le fer, l’acier, le cuivre ou le bois. Le caractère industriel de l’arrondissement peut être précisé par cette remarque qu’à Paris il existe 25 usines qui produisent la force motrice pour la vendre ; 18 d’entre elles donnent la vie à tous ces ateliers dont quelques-uns ont une réputation universelle.

L’aspect général n’est pas séduisant. Si l’on regarde une carte, on est surpris du dédale de rues, de passages, d’impasses,. de cités, de cours qui encombrent l’arrondissement tout entier. Il n’y a pas lieu, à ce point de vue, de distinguer entre les quartiers. Tous fourmillent d’ouvriers. L’industrie du bois est surtout en honneur dans le quartier Sainte-Marguerite ; la métallurgie occupe le reste du territoire, un peu dissimulée par les maisons d’habitation qui bordent les avenues Philippe-Auguste, de la République et les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir.

La population y est plus considérable que dans les autres arrondissemens de Paris, sauf le dix-huitième ; mais ce n’est pas là qu’elle est la plus pauvre. C’est que les ressources sont nombreuses ; les salaires sont généralement élevés, dans ces industries qui réclament des connaissances professionnelles très sérieuses. Il n’est pas rare, parmi les constructeurs de machines ou les faiseurs de meubles, de rencontrer des ouvriers qui gagnent 10 francs par jour, et parfois davantage. Les femmes, comme les hommes, trouvent facilement à s’employer dans des professions qui rapportent ; les décolteuses, brunisseuses, riveuses ont un salaire moyen de 3 francs, et les monteuses de couronnes 6 francs quelquefois. Il peut donc arriver, et il arrive en effet, que certains ménages ouvriers vivent dans l’aisance. Malheureusement, c’est l’exception. Il faut compter avec les charges de famille, avec le chômage, et aussi avec l’imprévoyance habituelle de la classe ouvrière. De plus, à côté de métiers qui payent bien, il en est d’autres qui assurent à peine la subsistance.

Dans le quartier de la Roquette, aux environs de la Bastille, nous retrouvons les juifs polonais faiseurs de casquettes. Ils vivent confondus avec les chiffonniers du fer. Il s’agit là d’un groupement si important qu’il s’est créé pour lui un marché spécial où l’on trouve tous les produits alimentaires d’Auvergne, surtout des pâtes, des fromages et de la charcuterie. Le ferrailleur est vendeur et acheteur de tout objet de fer ayant servi ; on trouve chez lui des clous ou des machines, et ses affaires peuvent à ce point se développer qu’on en voit parfois acheter au poids des wagons entiers qu’ils revendent ensuite au détail. A l’autre extrémité du quartier, dans les terrains qui longent l’avenue Philippe-Auguste, se trouve un refuge de forains. Il y là toujours au moins soixante roulottes qui abritent des familles remarquables par le nombre des enfans. Le ménage peut parfois en compter une dizaine qui vivent littéralement les uns sur les autres. A côté des forains qui sont une exception, se trouvent en grand nombre des porteurs aux Halles et des marchands des quatre saisons. Les Halles sont assez loin pour être hors de portée de la population qui réside ; il y a place, pour les loueurs de petites voitures, à un certain profit. Les loyers, sans être encore d’un prix très abordable, sont cependant beaucoup moins chers que dans le troisième. On trouve une chambre pour 100 à 200 francs et l’hôtel coûte généralement de 2 fr. 50 à 3 francs par semaine. Ces prix conviennent non seulement à l’ouvrier qui fabrique en chambre les objets de bois que l’on vend le samedi, « à la Trôle, » mais encore à un très grand nombre de journaliers qui constituent une bonne part de ceux qui demandent.

Les foyers indigens sont nombreux. Les plus remarquables s’appellent, dans la Roquette, la cité Lesage avec 200 à 300 vieilles femmes, dont la plupart sont marchandes des quatre saisons, l’impasse Delaunay et la cité Industrielle, qui à elles deux comptent bien 150 indigens, les rues Popincourt, de Montreuil et du faubourg du Temple qui sont très malheureuses. Dans le quartier Saint-Ambroise, l’impasse Trouillot compte autant d’inscrits que la cité Industrielle. Pour le reste, la population nécessiteuse est assez uniformément répartie.

En somme, cet arrondissement mérite de fixer l’attention, à cause de sa très grosse population ouvrière, des qualités professionnelles qu’il y a lieu de lui reconnaître, et aussi de ces salaires élevés qui rendraient l’épargne possible, si les cabarets étaient plus rares et la vie moins onéreuse.


Il nous a semblé que, pour avoir une impression précise du dixième arrondissement, il était sage de connaître d’abord ses voisins dont il n’est guère que le prolongement. D’un côté du canal, dans Le quartier de l’hôpital Saint-Louis, on se croirait encore dans le onzième ; ce sont les mêmes industries, les mêmes cités ouvrières, aussi les mêmes hôtels. Sur l’autre rive, le quartier Saint-Vincent-de-Paul ressemble au quartier Rochechouart ; on y voit un nombre considérable de commissionnaires, d’emballeurs, et de voyageurs de commerce qui ont pris pension dans les hôtels des environs des gares. Quant aux quartiers de la Porte-Saint-Denis et de la Porte-Saint-Martin, ils gardent l’aspect général du faubourg Montmartre, avec plus de commerce dans la Porte-Saint-Denis, particulièrement dans les rues de Paradis et des Petites-Ecuries, qui sont comme l’entrepôt des objets de verre, de porcelaine et de plume ; et, plus d’ouvriers dans la Porte-Saint-Martin, aux abords de la Bourse du Travail.

Les seules particularités de l’arrondissement lui viennent de la ligne du canal, et des deux gares terminus de l’Est et du Nord. Toutefois, ce n’est pas là que résident la masse des coltineurs et des employés de chemins de fer. Quelques-uns se sont fixés à l’hôpital Saint-Louis et dans l’espace compris entre les gares, le canal et l’hôpital Saint-Martin ; mais on peut dire que la très grande majorité a cherché logis dans les dix-huitième et vingtième arrondissemens, comme la plupart des ouvriers occupés aux dépôts des omnibus, des petites voitures, aux équipemens militaires et à la raffinerie Lebaudy.

La population est extrêmement variée. Beaucoup d’hommes et de femmes ont leur travail ailleurs : tels, les apprentis des deux sexes, les garçons de courses, couturières, lingères, fleuristes, plumassières, modistes, mécaniciennes, dont l’ensemble peut bien représenter 20 000 personnes. L’arrondissement est déjà comparable à ceux de la périphérie, puisqu’il comprend une part importante de travailleurs modestes dont le salaire assure la subsistance, sans cependant apporter l’abondance.

On peut évaluer à 2 200 le nombre des inscrits du bureau de bienfaisance, et à 5 000 celui des nécessiteux d’occasion. Plus de la moitié de ces nombres est fournie par le quartier de l’hôpital Saint-Louis qui est très malheureux. Les cours des Bretons, de la Grâce-de-Dieu, Saint-Maur, sont des immeubles considérables, comprenant une dizaine d’escaliers qui desservent une quantité de logemens ouvriers. Avec la rue Bichat et le passage Corbeau, ce sont les lieux où il y a le plus de malheureux. Le reste de l’arrondissement est assez aisé.


II

Le Paris des arrondissemens excentriques, c’est la plus grande » ville. Deux parts sont à faire dans ces arrondissemens : la vie propre de l’endroit, trouvant son principe dans l’industrie locale ; et la vie de Paris prolongée, dont la source est au centre, mais dont les agens résident ici. Par-dessus tout, ce sont des lieux d’habitation. La population se compose, en partie, d’élémens nouveaux : toutes les grandes Compagnies de chemins de fer qui ont établi leurs gares de marchandises à l’extrémité de la ville. puis, toutes les grandes entreprises de travaux publics et de roulage qui ont trouvé, dans cette région, le terrain nécessaire pour loger leur matériel ; puis, les grosses manufactures et usines ; puis, les métiers de rebut, tels que l’industrie du chiffon, qui n’auraient pas au centre les tolérances nécessaires ; puis, les anciens groupemens de communes suburbaines qui parfois ont des traits de particularisme original. Enfin, une bonne part des habitans ont leurs occupations journalières dans Paris. Jusqu’ici, pour définir le caractère général d’un arrondissement, d’un quartier, ou même d’une rue, il suffisait d’ouvrir les yeux Maintenant, les murs sont muets ; il faut voir à l’intérieur pour apprendre ce qui s’y passe.

Au douzième, les quartiers ne se ressemblent pas du tout., Il en est deux qui sont en étendue le tiers ou la moitié des autres : Bel-Air avec 13 000 habitans, et les Quinze-Vingts avec près de 50 000. Les deux autres, qui occupent les trois quarts de l’arrondissement comptent 50 000 âmes pour Picpus et 10 000 seulement pour Bercy. De même, les caractères de la population varient beaucoup. A Bel-Air, ce sont des employés ou petits rentiers ; aux Quinze-Vingts et dans une partie de Picpus, des ouvriers et employés de chemins de fer ; le reste de Picpus est habité comme Bel-Air ; quant à Bercy, la place presque entière est prise pai l’entrepôt des vins et par les dépendances de la gare de Lyon. Depuis la place Daumesnil jusqu’à la place de la Nation, il n’y a presque que des couvens ; les orphelinats de filles sont si nombreux, qu’à population égale, il y a 3 000 enfans de plus à Picpus qu’aux Quinze-Vingts, dont 2 000 filles environ. On fait des tonneaux à Bercy, des meubles aux Quinze-Vingts. On transporte sur le quai de la Rapée de la pierre, des briques et du sable. A l’une des extrémités de la rue de Charenton, est située une importante manufacture des tabacs ; à l’autre bout, à l’angle de l’avenue Ledru-Rollin, se tient le marché de « la Trôle » où les ébénistes en chambre vont offrir leur travail. Entre les deux lignes de Vincennes et de Lyon, et jusqu’à la rue Crozatier, les petites rues et les passages sont habités par les employés des Compagnies de chemins de fer. Plus on s’éloigne du centre, plus la population semble aisée. L’explication de ce fait, qui semble anormal, est facile à donner. C’est que l’arrondissement est traversé, d’un bout à l’autre, par la belle avenue Daumesnil où circulent de rapides voitures électriques. L’employé peut facilement se rendre au lieu de ses occupations ; il lui en coûtera quelques minutes de plus à chaque voyage ; et en retour, il aura un loyer moins cher, et, pour ses heures de loisir, le voisinage du bois de Vincennes.

Tous, nous connaissons la place de la Nation, pour être allés, au moins une fois en notre vie, à la foire aux Pains d’épices. En cet endroit, on peut passer la revue de tous les marchands ambulans, forains, acrobates, qui sont maintenant fixés à Paris, puisque les foires sont perpétuelles. Ils sont 5 000 environ ; mais ce n’est pas là qu’ils hivernent. Nous en avons signalé dans le onzième ; il y en a dans le vingtième, dans le treizième, dans le dix-huitième ; le reste trouve refuge, hors de l’enceinte, sur les terrains soumis à la servitude militaire.

En somme, l’arrondissement, dans son ensemble, est un des moins peuplés de Paris. Dans les quartiers de Picpus et de Bel-Air, on rencontre surtout de petits bourgeois et des employés ; aux Quinze-Vingts, ce sont des ouvriers et agens des chemins de fer ; le reste du territoire est pris par les maraîchers, les entrepôts et les gares. Les pauvres sont relativement très nombreux dans les Quinze-Vingts et dans la partie de Reuilly qui est voisine. L’îlot de maisons où se trouvent le passage Raguinot, le passage Moulin, l’impasse Jean-Bouton, abrite un grand nombre d’agens subalternes de la Compagnie des chemins de fer de Lyon, dont le salaire est d’environ 4 francs par jour et la famille souvent nombreuse. De même, à l’angle du boulevard Diderot et de la rue de Reuilly, il existe un important foyer indigent. Aux numéros 55 et 67 de cette rue, se manifeste la présence de journaliers, manœuvres, terrassiers, hommes de peine, qui très souvent ont besoin d’être aidés. Enfin, passage Montgallet et passage Stinville, il y a beaucoup d’inscrits du bureau de bienfaisance. Quant au quartier des Quinze-Vingts, il est inutile de préciser ; partout, on trouve des malheureux.


Le treizième est un arrondissement perdu, au bout de la ville. Il est enfermé entre le fleuve, la montagne Sainte-Geneviève et la vallée de la Bièvre. Il n’y a pas de voie directe pour en sortir, parce que l’ensemble du cinquième arrondissement se dresse comme un obstacle qu’il faut tourner. On comprend que cet endroit se trouve désigné pour recevoir la décharge publique. Les malheureux peuvent y découvrir des moyens d’existence, en logement et nourriture. Les terrains en contre-bas qui sont inondés chaque hiver et les carrières effondrées permettent à peine des constructions légères où s’abrite une nombreuse population composée en partie des élémens malsains des professions déjà vues. C’est de beaucoup l’arrondissement le plus misérable de Paris ; mais il n’a pas l’aspect maussade. Ses belles avenues, ses hauteurs et ses plaines, offrent parfois des perspectives d’un pittoresque saisissant. Il peut plaire au promeneur.

Victor Hugo a dit quelque part :


On vit de rien, on rit de tout, on est content,


Il n’est pas sûr qu’on soit toujours content dans le treizième arrondissement ; mais, s’il est un endroit où l’on vive à la fois de rien et de tout, c’est certainement ici. D’après les statistiques, la moyenne du loyer annuel par habitant est de 55 francs, alors que pour Paris il est de 176 francs ; les denrées alimentaires sont à des prix moins élevés qu’aux Halles. Enfin, beaucoup, parmi les chiffonniers, mangent ce qu’ils trouvent, dans les restes abandonnés à la porte des belles demeures.

Si l’on demande à quelqu’un, ayant vécu dans le quartier de la Salpêtrière, quelles y sont les professions dominantes, tout de suite, il parle des ouvriers raffineurs, des chiffonniers, des porteurs aux Halles, des maquignons, des terrassiers ; en même temps, l’affirmation revient que tous ces gens sont malheureux et qu’ils ont un très grand nombre d’enfans. C’est là que se trouvent la célèbre cité Doré, entièrement habitée par des chiffonniers ; les abattoirs de Villejuif, centre de la boucherie hippophagique ; le marché aux chevaux ; et la lugubre rue de Villejuif, où tous les journaliers en guenilles vont faire la noce. Le territoire habité n’est pas considérable. Il touche au cinquième arrondissement et a reçu une partie des malheureux qui ont dû quitter le Jardin des Plantes, à la suite des travaux de voirie qu’on y a faits. C’est ainsi que les environs de la place d’Italie ont hérité d’un grand nombre de brocanteurs et chiffonniers, de toute la colonie italienne des modèles, et de presque tous les journaliers de professions équivoques qui fréquentent le marché aux chevaux. On y trouve aussi un certain nombre des agens de la Salpêtrière et du Magasin central des Hôpitaux, quelques employés du chemin de fer d’Orléans, et quelques ouvriers de la raffinerie Say.

Le quartier de la Gare est deux fois plus étendu que son voisin et deux fois plus peuplé. Un espace considérable est pris par les dépendances de la gare d’Orléans. Il existe, en bordure du boulevard de la Gare et de la rue de Tolbiac, quelques industriels qui fabriquent des tonneaux pour l’entrepôt de Bercy ; à côté d’eux se sont établies quelques entreprises de roulage. Il est probable que si la gare de chemin de fer n’existait pas, la gare fluviale qui a donné son nom au quartier, aurait une importance beaucoup plus apparente. Les débardeurs qui sont occupés sur les deux rives du fleuve logent ici, ainsi qu’une bonne part des employés du chemin de fer ; et aussi, malheureusement pour le quartier, un très grand nombre de journaliers qui se donnent comme porteurs aux Halles. Ce sont ces gens qui forment le fond de la population de la cité Jeanne-d’Arc, fameuse pour tous ceux qui s’occupent des pauvres à Paris. En ce lieu, les visiteurs sont mal reçus, même quand ils viennent pour donner ; il n’est pas rare de trouver les marches d’un escalier encombrées par des filles et leurs souteneurs ; et dans la cour, c’est un grouillement permanent d’enfans malpropres, mal portans et grossiers. La cité Jeanne-d’Arc est la forme actuelle de la Cour des Miracles. Un peu plus loin, la rue Nationale apparaît comme la grand’rue des chiffonniers. C’est là que se trouvent ces grandes maisons d’épicerie dont les denrées sont offertes aux plus bas prix qui soient connus. A l’extrémité de cette rue, vers la Porte d’Ivry, sont installés les vanniers qui campent sur les terrains non construits ; ils vont, quand l’herbe pousse, parcourir les grandes routes, avec un mauvais cheval dont la nourriture doit ne rien leur coûter ; ils emmènent leurs grands chiens, laissant les vieux à la garde de la masure et du terrain. Enfin, vers la Porte d’Ivry se tient le marché aux ferrailles, qui est la source d’une grande animation. Marchands et amateurs s’y rendent de bien des points de la ville et de la banlieue, notamment des onzième et douzième arrondissemens, aussi du cinquième, en sorte qu’on trouve réunis en ce lieu, les Auvergnats, les juifs polonais, les cordonniers, les ouvriers terrassiers et raffineurs, les chiffonniers et journaliers dont nous avons eu occasion de noter les groupemens. Naturellement, tout ce monde est pauvre. Ceux qui ne sont pas dans le besoin, sont des employés attirés par le bas prix des loyers et qui n’ont pas craint de s’établir très loin de leur travail. Tous les autres demandent des secours. Mais il convient de remarquer qu’on peut, avec de faibles sommes, assurer la nourriture et le logement, ce qui serait impossible en d’autres lieux de Paris.

Croulebarbe est de beaucoup le plus petit des quartiers du treizième ; il est aussi le moins peuplé et le moins pauvre. La vallée de la Bièvre le coupe en deux, et sur les rives de la rivière, qui sera couverte un jour, on voit se succéder de nombreuses mégisseries, en amont et en aval de la célèbre manufacture des Gobelins. On a dit tout le bien possible de l’eau de la Bièvre ; aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’elle sent mauvais ; les industriels s’en vont, et l’ingénieur sait déjà ce qu’il va faire pour transformer en un égout le riant ruisseau d’autrefois. Pour le moment, il y a là une industrie qui fait vivre des ouvriers de bons métiers. En même temps, la propreté régulière des grandes constructions telles que couvens, casernes, hôpitaux, maisons d’instruction, contribue à donner cette impression que l’aisance peut ici parfois se rencontrer. Enfin, les belles avenues Arago, de Port-Royal, des Gobelins et le boulevard d’Italie assurent à cette région bon air et beau soleil. Il semble donc que la misère s’écarte. Elle n’est pas éloignée, pourtant ; car il existe des foyers indigens rue Croulebarbe, rue de la Glacière, et, dès nos premiers pas dans le quartier de la Maison-Blanche, nous la retrouvons avec ses vilains traits.

Deux foyers considérables se distinguent tout de suite : à la Butte-aux-Cailles et rue de la Santé, en bordure du quatorzième arrondissement, aux environs du passage et de l’impasse Prévost. Toute cette région est habitée par des chiffonniers. Ici, les femmes sont ravaudeuses, et c’est dans le vingtième qu’elles vont vendre leur travail. La Bièvre se montre encore un peu ; par suite, on trouve encore quelques ouvriers du cuir, mais, dès la rue de Tolbiac, la Bièvre disparaît ; il faudrait aller hors Paris, pour la retrouver. Tout le terrain compris entre cette rue et l’enceinte est en contre-bas ; il sert à la décharge publique, et les propriétaires attirent à prix d’argent les entrepreneurs et les charretiers, espérant qu’un jour viendra où l’on pourra bâtir.


Nous nous trouvons, au quatorzième arrondissement, sur un territoire où l’on sent venir l’aisance. Au treizième, toutes les grandes avenues semblaient avoir pour centre la place d’Italie : elles y faisaient étoile ; ici, l’arrondissement est comme sectionné par des voies parallèles qui le coupent diagonalement du Sud au Nord, et à leur extrémité, deux grandes artères, le boulevard Saint-Michel et la rue de Rennes, aspirent la masse de la population vers le centre de Paris.

Les quartiers sont ainsi placés : Montparnasse, en bordure du sixième arrondissement, puis, sur cette base, deux perpendiculaires formées par les rues de la Tombe-Issoire et des Plantes séparent la Santé, le Petit-Montrouge et Plaisance, qui tous les trois s’étendent jusqu’aux fortifications.

Ainsi Montparnasse n’est pas excentrique ; il n’est pas pauvre, passe même pour aisé, et est habité comme le sixième arrondissement par une population bourgeoise de fonctionnaires et d’employés. Malgré le cimetière, tout ce quartier a vu les maisons surgir de terre sans arrêt ; il ne reste plus que peu de terrains à construire. Cependant, on y compte seulement 28 000 habitans contre 57 000 à Plaisance qui n’a pas beaucoup plus d’étendue. C’est que les hôpitaux, hospices, maisons de retraite, couvens, la prison, l’Observatoire et le cimetière couvrent un espace considérable. Les pauvres se trouvent aux deux extrémités, rue du faubourg Saint-Jacques et rue de la Gaîté ; puis, dans la partie comprise entre le cimetière et la rue Daguerre. Ils ne sont pas très nombreux.

Ils ne le sont pas davantage dans le Petit-Montrouge qui passe, comme Montparnasse, pour un quartier de bonne aisance. Tout près de là, autour de la rue du Commandeur, est situé un lot de maisons basses, orientées au hasard, composant une quinzaine de rues dont les habitans sont pauvres. L’autre foyer nécessiteux se trouve non loin de la mairie, rue Daguerre et dans les petites rues qui avoisinent ; on trouve là, notamment rue Gassendi, beaucoup de baraques en planches où de tout petits commerçans ont établi leurs étalages.

Le quartier de la Santé touche au treizième arrondissement dans une de ses parties les plus misérables. On y trouve de très nombreux chiffonniers, rue de l’Amiral-Mouchez et rue de la Santé. Au numéro 66 de cette rue, ils sont une colonie, dernier reste de la « fosse aux lions » aujourd’hui démolie, dont le nom évoque le souvenir d’une extrême détresse. Deux autres taches se trouvent entre le parc Montsouris et l’arrondissement voisin, et dans l’espace compris entre les réservoirs et la rue d’Alésia, près de la rue du Commandeur. Il ne faudrait pas cependant insister trop sur l’aspect nécessiteux du quartier. Beaucoup d’ouvriers du cuir, mégisseurs, polisseurs, chapeliers, et aussi quelques charretiers, habitent là et travaillent dans le treizième. Le parc Montsouris offre aux familles bon air et séjour agréable ; de belles constructions s’élèvent ; et l’on peut penser qu’il va en être de ce quartier comme du Luxembourg, où les maisons d’habitation n’ont pas cessé, depuis de longues années, de gagner en confort.

Plaisance est de beaucoup le quartier le plus peuplé ; c’est aussi le plus grand et le plus actif ; c’est en même temps le plus pauvre. Les brocheuses, couturières, laveuses, femmes de journée, et pour les hommes, les garçons de peine et journaliers, font de fréquens appels aux secours publics. Pourtant, il y a de bons métiers. Tous ceux qui concourent à la confection du livre, les cochers des Petites Voitures, les agens des Pompes Funèbres, les ouvriers du bâtiment, gagnent bien leur vie. On trouve aussi, non loin des fortifications, beaucoup d’agens des ateliers du Timbre et du ministère des Postes, et, près la gare Montparnasse, quelques employés du chemin de fer. Tout ce monde, sans être précisément au large, peut cependant faire face aux nécessités de la vie. Les sociétés d’épargne font des recrues dans ce milieu ; la société des Prévoyans de l’Avenir y compte de nombreux adhérens ; des magasins importans de nouveautés et de produits alimentaires semblent y faire de bonnes affaires ; mais le chômage, l’imprévoyance, la maladie et les charges de famille sont les causes occasionnelles ou permanentes qui font ici trop de nécessiteux ; en outre, il est des lieux de vraie misère, notamment le long du chemin de fer, passage Léonidas et rue Julie. Enfin, pourquoi tant de garnis où le logement est si cher ? Si l’on pouvait aider l’ouvrier à s’établir chez lui, il n’aurait plus besoin d’aller au dehors chercher un peu de bien-être.

En somme, l’impression qu’on emporte de cet arrondissement n’est pas décourageante. Il y a des ressources, qui proviennent de l’industrie locale. Les moyens de transport bien réglés et les voies directes aident à ce mouvement de pénétration. Parmi les pauvres, dont le nombre tend à décroître, on constate que les nécessiteux d’occasion résident plutôt à Plaisance et que les vieillards et infirmes logent surtout aux abords des fortifications et dans les quartiers de la Santé et du Petit-Montrouge. Il semble que l’on obtiendrait le concours de nombreux auxiliaires bénévoles pour l’administration des secours, si l’on le voulait.


Beaucoup de Parisiens ne connaissent pas le quinzième arrondissement, qui se trouve pour ainsi dire séparé de Paris, par les vastes terrains du Champ-de-Mars et par les prolongemens des casernes. Il envoie chaque jour, vers le centre, une part très importante de ses habitans. L’exode est facilité, comme au quatorzième, par des voies parallèles qui le coupent en diagonale et aboutissent à la rue de Rennes.

Necker touche au sixième arrondissement par le boulevard du Montparnasse et son contact avec le centre vient de s’étendre, puisqu’on élève des maisons à toute hauteur, sur les terrains laissés libres par la disparition de l’abattoir. Ses habitans sont de petits bourgeois, employés de commerce ou d’administration qui n’ont pu trouver logement dans. Notre-Dame-des-Champs, à cause de la cherté des loyers. Plus on s’éloigne par les rues Lecourbe, Blomet et de Vaugirard, plus les loyers baissent de prix. Il n’y a dans cette région ni industrie locale, ni commerce spécial. Ceux qui demeurent sont là en famille et vivent des ressources qu’ils se sont faites ailleurs. Ce fait est encore confirmé par la présence du lycée Buffon, dont les classes sont de plus en plus fréquentées. Le seul point où l’on note la présence d’industries est au boulevard de Vaugirard et rue des Fourneaux : on y construit des pompes, des appareils à gaz ; on y fond des caractères d’imprimerie ; et de grands éditeurs y ont établi leurs ateliers ; mais les ouvriers et ouvrières logent ailleurs. Il y a peu de pauvres, mais il en existe encore, dans les maisons basses, élevées d’un rez-de-chaussée ou d’un étage. qui sont situées à l’écart des grandes voies, et dans les hôtels qui, sans être aussi nombreux qu’à Grenelle, servent pour tant d’abri à plus de 3 000 personnes. Parmi elles, on peut reconnaître quelques journaliers du bâtiment qui vont se louer « au coin, » sur le boulevard, près l’impasse de l’Astrolabe, quand l’envie leur prend de chercher du travail, et quelques professionnels de la mendicité dont le terrain d’opérations est aux abords des églises du sixième arrondissement. Enfin, il n’est pas possible d’abandonner ce quartier sans avoir constaté la présence de tous ces établissemens aux longs murs, hôpitaux, hospices, institutions, maisons de santé et couvens qui contribuent au calme sourd des rues. L’animation s’éveille aux heures de départ pour le travail et à celles du retour ; à ces momens, la foule se presse, comme sur nos promenades, aux jours de fête.

Cette foule se disperse dans Necker, ou va plus loin dans Saint-Lambert. Là encore, l’habitation est le caractère dominant ; mais l’aisance est moins large. Le prix des denrées s’élève au lieu de baisser. Cela doit tenir aux crédits que doivent faire les marchands à leur clientèle besogneuse, car les mêmes choses se trouvent à bon compte sur les marchés en plein vent de la rue de la Convention, où l’on paie comptant. La population ouvrière est assez importante. Elle provient de l’usine à gaz, du dépôt des omnibus, des remises des loueurs de voitures, des ateliers de charpente, des chantiers de travaux publics où les charretiers, tailleurs de pierres et maçons se réunissent pour le travail, du nouvel abattoir de Vaugirard, enfin de la grosse colonie de chiffonniers dont le point central est au boulevard Chauvelot. Une bonne part du territoire de Saint-Lambert, qui est sensiblement plus vaste que celui de ses voisins, était occupée autrefois par des maraîchers. Il en existe encore ; mais, peu à peu, leurs terrains se couvrent de maisons. Les officiers des casernes ont eu vite fait de découvrir les ressources qui s’offrent en logement ; tous ceux qui n’ont pu faire leurs cantonnemens au Gros-Caillou, sont ici. A côté d’eux, quelques artistes, des sculpteurs surtout, se sont fait construire d’élégantes villas.

A Grenelle et à Javel, les rues ne sont pas orientées comme à Necker ou à Saint-Lambert. Les unes partent des fortifications et se dirigent vers le Champ-de-Mars, c’est-à-dire vers le désert ; les autres coupent les premières à angles droits. Pour aller là, il faut ou bien franchir une solitude, ou bien faire un grand tour, par le boulevard Garibaldi. Il s’agit donc d’une région très isolée du reste de Paris. Les grands industriels ont pensé qu’ils y seraient tranquilles ; ils s’y sont établis. D’ailleurs, certains noms de rues sont ici comme des enseignes ; par exemple la rue des Entrepreneurs ou la rue des Usines. Les établissemens Cail sont partis et les terrains abandonnés s’offrent à la construction. Mais il existe encore d’importantes maisons, où trouve emploi une très nombreuse population ouvrière : aux Aciéries de France, aux forges et laminoirs, aux usines où l’on fabrique de la glace, des parquets de fer, le matériel des chemins de fer et les énormes dynamos pour machines électriques. Comme on le voit, l’industrie de Grenelle rappelle un peu celle du onzième ; les maisons sont moins nombreuses, mais elles occupent beaucoup plus d’ouvriers. Sur les quais, les débardeurs et terrassiers ont largement de quoi occuper leurs bras. Ils concourent au déchargement et au transport du charbon pour les usines, sur le quai de Grenelle, et des matériaux de construction, sables et pierres meulières, sur le quai de Javel. Ces débardeurs gagnent bien leur vie ; ils se font parfois 10 et 15 francs par jour ; mais ils dépensent tout leur salaire dans les bars et couchent dans d’affreux hôtels, où la police fait de fréquentes descentes quand elle recherche des malfaiteurs. S’il survient une crue de la Seine, ces gens, qui n’ont point eu de prévoyance, demandent de l’aide.

Javel, à la suite de Grenelle, contient encore de grands établissemens. On y fabrique des produits chimiques et des objets de caoutchouc ; on y façonne, chez les modeleurs-mécaniciens, les modèles en bois qui doivent servir aux métallurgistes pour leurs pièces d’acier ou de fonte ; il y a des moulins à farine et des magasins généraux. Comme à Saint-Lambert, on rencontre des entrepreneurs de travaux publics, des chantiers de tailleurs de pierres et du petit camionnage. Les charretiers des tombereaux sont payés au collier, c’est-à-dire suivant le nombre des chevaux qu’ils conduisent. Toute une partie de Javel est profondément misérable : l’« île aux singes » et les rue, passage et impasse Vignon. L’ « île aux singes » est le nom populaire donné à la région entre la rue de Javel et la rue Cauchy ; elle a sa base à la Seine et est inondée chaque hiver. Les constructions légères qui s’y trouvent sont habitées par des chiffonniers qui ont là des terrains d’étalage pour leurs papiers, leurs chiffons et leurs ossemens. À côté d’eux, logent quelques ouvriers et beaucoup de journaliers qui d’habitude ne travaillent pas, mais s’entendent à profiter des libéralités auxquelles s’exercent les belles dames des quartiers riches du seizième arrondissement. D’ailleurs, les chiffonniers d’ici sont assez accueillans ; il n’en est pas de même passage Vignon. Là, se trouve réunie la plus affreuse population qui se puisse voir ; l’ordure s’y accumule en tas énormes, depuis des dizaines d’années, et la menace d’épidémies serait certaine, si les vastes terrains des alentours n’apportaient, comme remède, un souffle d’air bienfaisant.

De cette course au travers du quinzième nous rapportons la conviction qu’il s’agit d’un arrondissement de travail. Travail, surtout d’employés à Necker et à Saint-Lambert ; travail, surtout d’ouvriers dans Grenelle et dans Javel. Les pauvres se trouvent tout le long des rues de Croix-Nivert et de Vaugirard, dans les vieilles maisons ; et plus spécialement à Necker, autour du théâtre et rue Blomet ; à Saint-Lambert, sur le plateau de Villafranca, à Grenelle, près du boulevard du même nom ; et à Javel, dans l’ « île aux singes. » Quant à l’avenir, il est plein de promesses Un jour viendra où le Champ-de-Mars sera transformé en beaux jardins ; en même temps, de belles constructions s’élèveront, pour jouir des arbres et des fleurs prochaines.


Tout le monde connaît le seizième arrondissement. C’est un séjour de riches ; de très riches, à Chaillot, à la Porte Dauphine et à la Muette ; de riches, à Passy et à Auteuil ; de petites bourses, au Point-du-Jour. Les quartiers sont disposés au contraire du cours de l’eau : Auteuil, puis la Muette, Chaillot ; et en retrait, dans l’angle formé par l’avenue Henri-Marlin et l’avenue Malakoff, la Porte Dauphine.

Auteuil est au bout de ce long territoire. Le chemin de fer lui sert réellement de ceinture, de la rue de l’Assomption à la rue Molitor ; là, brusquement, il coupe en deux la région qu’on appelle Point-du-Jour. À cet endroit, se trouvent les petites bourses. Il suffit de deux sous pour traverser Paris en bateau. Les terrains n’ont point encore pris trop de valeur : il y a des loyers de bas prix qui ont trouvé des amateurs. Ce sont les pilotes, conducteurs et mécaniciens des bateaux et omnibus, des employés dont les bureaux sont près de la Seine, des sergens de ville, des préposés de l’octroi, de petits employés de commerce ou de banque, et quelques journaliers de la voie publique. Dans ce milieu, l’œuvre des habitations ouvrières de Passy-Auteuil a recruté ses locataires et ses propriétaires. Quelques mauvais hôtels s’y laissent encore voir ; il en est ainsi, toutes les fois que l’élément ouvrier fait son apparition. Pour le reste d’Auteuil, la population est tout à fait bourgeoise ; elle a tenté de réunir ensemble ces deux avantages, le séjour de la ville et la villégiature. A la vérité, les maisons à six étages menacent les villas. Cependant, il en existe encore ; mais non plus, comme au temps de Boileau, de Molière et de La Fontaine. Aujourd’hui, il y a là près de 25 000 âmes. Malgré cela, de tous les quartiers déjà vus, c’est encore celui qui compte le moins d’habitans à l’hectare, après Bercy, à l’autre bout du fleuve.

Passy, le vieux Passy, est à cheval sur les deux quartiers d’Auteuil et de la Muette. Il était autrefois de tradition dans la ville, parmi les commerçans, bouchers, charcutiers, boulangers, épiciers, crémiers, tapissiers, coiffeurs, de se retirer là, après fortune faite. C’est bien ainsi que les choses se passent encore de nos jours ; elles sont nombreuses les familles, dont l’avoir peut varier entre 25 000 et 30 000 francs de revenus, gagnés dans les affaires. Ces gens vivent simplement, dans un confort solide ; ils n’aiment pas le plaisir, l’ennemi de toute leur vie ; ils n’ont d’aspirations intellectuelles que pour leurs fils dont les études se poursuivent à Janson-de-Sailly, après avoir commencé à Jean-Baptiste-Say. Mais voici que, vers sept heures, un train s’arrête, en gare de Passy ; en un instant, la place est noire de monde. Ce sont de beaux messieurs qui reviennent au logis, après un jour passé à la Bourse, à leur bureau, à leur atelier, ou à leur théâtre. Ils ont pris le train à Saint-Lazare, ce qui veut dire que leurs occupations sont au neuvième, au premier ou au deuxième arrondissemens. Ils ont plus de désirs de luxe que leurs voisins, les vieux rentiers. Enfin, il existe dans la grande rue de Passy quelques familles qui se sont formées là et s’y sont développées. Ce sont proprement des indigènes, qui ont le monopole du commerce local. D’ailleurs, la même remarque aurait pu être faite à Plaisance, à Vaugirard, et généralement, dans tous les territoires des anciennes communes annexées. Les pauvres ne sont pas nombreux. On rencontre quelques vieillards indigens à Passy et quelques valides nécessiteux au Point-du-Jour. Les abords de l’usine à gaz, près le pont de Grenelle, la rue Beethoven, près le pont de Passy et quelques coins le long de la rue de l’Assomption, sont aussi à noter. Les demandes de secours sont plus fréquentes en été ; car les familles aisées se retirent alors à la campagne, causant ainsi le chômage de beaucoup de ménagères et journaliers. En même temps, un arrêt se produit dans l’exercice de la charité, qui pendant les mois d’hiver se manifeste sous toutes les formes.

Tout le reste de l’arrondissement est occupé par une population riche ou très riche. C’est peut-être, dans cette région, que se trouvent le plus de chevaux de maîtres, qui appartiennent, ou bien aux vieilles familles autrefois fixées dans le faubourg Saint-Germain et qui ont émigré ; ou bien aux opulens propriétaires des comptoirs du luxe et de la banque ; ou bien encore, aux étrangers de marque, notamment aux Anglais et Américains qui sont venus demeurer à Paris. Ils ont à leur service un nombreux personnel de gens de maison, cochers, valets de chambre, cuisiniers, jardiniers, dont les femmes ou parentes s’occupent à la cuisine, à la lingerie ou à la garde des enfans. Le seul point qui fasse tache, c’est, à deux pas de l’avenue Marceau, la rue de Chaillot où se trouvent encore quelques vieilles maisons marquées pour une démolition prochaine.


Le territoire du dix-septième arrondissement comprend successivement, le long du mur d’enceinte, les Ternes, la plaine Monceau, Batignolles et les Epinettes, quatre quartiers qui offrent de profondes différences.

Comme ses voisins, le quartier des Ternes est habité par une population à gros et très gros revenus ; les hôtels particuliers y sont nombreux et, aux environs de la place de l’Etoile, on remarque, comme dans le huitième et dans le seizième, une importante colonie étrangère. Il y a peu de commerce ; mais, ce qui frappe les yeux, c’est le nombre des maisons qui font et qui vendent des bicyclettes, des automobiles et des voitures de luxe. Si l’on y ajoute les établissemens où l’on fabrique les coffres-forts, la serrurerie d’art, quelques fonderies de statues et les constructeurs de machines électriques, cela donne à la région un caractère industriel très apparent. Les objets que l’on produit ici sont tous d’un prix élevé, en sorte que le constructeur peut supporter la charge très lourde d’un établissement dans ce séjour de riches. Ceux qui demandent sont l’exception, les industries dont nous parlons ici étant de celles qui payent bien leurs ouvriers ; la plupart, d’ailleurs, ont leurs demeures hors des murs, à Levallois. Cependant, il existe quelques pauvres, notamment à la villa Saint-Joseph, près de la Porte-Maillot et rue Guillaume-Tell, pas très loin de la place Pereire.

La plaine Monceau est essentiellement un lieu d’habitation. L’ancienne population de petite bourgeoisie a complètement disparu. Elle a laissé la place aux ingénieurs, financiers, gens de lettres et artistes qui habitent tous ces immeubles, d’un luxe de fantaisie, quand il s’agit d’hôtels particuliers ou édifiés sur les plans d’architectes à la mode, quand les maisons sont du domaine d’une société immobilière. On ne voit partout que pierres blanches, glaces transparentes, balcons et fers forgés. Le nom même des rues est ici symptomatique. C’est un souvenir donné à Meissonier, à de Neuville, à Puvis de Chavannes, à Gustave Doré, à Gounod, et à tant d’autres qui ont répandu dans le monde le goût français. Il n’est pas de quartier qui contienne autant de belles places : Pereire, Wagram, Malesherbes, à deux pas du parc Monceau. La misère n’y loge pas.

Il n’en est pas de même aux Batignolles. Il y a bien quelques rues neuves, mais l’ensemble est étroit et sent le vieux. Les gens que nous y voyons maintenant sont de petits bourgeois, tenant boutique ou vivant de leur emploi dans Paris. Beaucoup de femmes sont ouvrières, modistes ou couturières, travaillant chez elles ou dans les grands ateliers du centre. Enfin, une part notable de la population se compose de petits rentiers. Tous ces traits rappellent un peu Passy. Mais l’aisance est moins large. Au lieu de pavillons fleuris, ce sont d’étroits logemens. Les maisons sont hautes, les rues peu larges, le petit commerce étendu, la population dense ou très dense. C’est dans la maison des païens, ou à proximité, que les enfans s’installent. Il y a un passé, des souvenirs ; c’est une ville à part.

Aux Batignolles, plus de 6 000 personnes logent à l’hôtel, soit le neuvième de la population. Il faudrait aller à la Sorbonne pour constater une proportion plus élevée. La clientèle de ces garnis est très variée et mélangée. Mais tout ce monde trouble peu le calme du quartier ; c’est ailleurs qu’il s’agite. Ceux qu’il faut aider sont assez nombreux. Pour la plupart, ce sont des vieux qui reçoivent un secours mensuel du bureau de bienfaisance ; leur situation est connue, définie ; ils ont des voisins qui leur portent intérêt ; ils ne sont pas tout à fait isolés. Les nécessiteux d’occasion sont plus rares. On en rencontre passage Cardinet, rue de la Félicité, rue Dulong, rue de Lévis, rue Salneuve, rue Saussure.

Deux parts sont à faire dans le quartier des Epinettes : l’une se trouve sur le côté antérieur de la butte Montmartre, l’autre est enfermée entre la butte et la gare des marchandises de la Compagnie de l’Ouest. La première est une suite des Batignolles, avec plus de commerce, plus de mouvement, plus de circulation, surtout dans l’avenue de Clichy ; la seconde est une région essentiellement ouvrière. Cette gare des marchandises occupe plus du tiers des Batignolles, et son personnel est énorme. Il y a obligation pour beaucoup de loger tout près ; car la durée du service est de dix heures, le travail de jour alternant, toutes les semaines, avec le travail de nuit. Comme ces familles ont un très grand nombre d’enfans ; et comme les salaires sont modestes, elles ont parfois besoin de secours. A côté d’eux, vivent les cochers des Petites Voitures, les employés de la Compagnie des Omnibus, les ouvriers de l’usine Gouin, où l’on construit du matériel de chemins de fer, ceux de l’industrie métallurgique des Ternes, enfin des maçons, couvreurs, peintres, et généralement ceux qui appartiennent à l’industrie du bâtiment. Ce sont eux qui ont édifié, depuis trente ans, les maisons neuves des Ternes, de la plaine Monceau, des Batignolles, et qui maintenant font la même chose à Montmartre. Toute cette population vit de son travail ; parfois elle est à l’aise ; mais il y a des coins de misère noire. La cité du Nord, par exemple, non loin de la rue Boulay, est formée de constructions en planches où logent en commun, à la nuit, une colonie de nomades, marchands ambulans, journaliers sans profession définie, qui rappellent les figures de la cité Jeanne-d’Arc. D’autres foyers sont aussi à noter : l’impasse des Epinettes, l’impasse Saint-Ange, le passage du Grand-Cerf. Relativement, il y a beaucoup moins de vieillards qu’aux Batignolles.

Ainsi, pour l’arrondissement, se trouvent localisés des types d’habitans qu’on est surpris de rencontrer si peu loin les uns des autres : le gros industriel, le riche propriétaire, le petit rentier, le modeste employé, l’ouvrier, et le journalier loqueteux. Ils n’habitent pas les mêmes régions ; ils ne se pénètrent pas et n’ont entre eux aucun rapport.

Le dix-huitième arrondissement, c’est Montmartre. C’est là que la population est à la fois la plus forte en nombre et la plus serrée, en des rues étroites qui se coupent en tous sens. Sur certains points, les habitans sont 700 à l’hectare, proportion supérieure à celle du centre de Paris, et le territoire est immense. Les quartiers sont disposés en tranches successives : les Grandes-Carrières, le plus vaste ; Clignancourt, le plus peuplé ; la Goutte-d’Or, où il n’existe pas une grande voie ; et La Chapelle, isolé entre les deux gares du Nord et de l’Est.

Les Grandes-Carrières ont des aspects bien différens suivant les régions. De la station Ornano à la Porte Saint-Ouen, entre l’enceinte et le chemin de fer, est réunie une tribu de chiffonniers, de marchands ambulans et colporteurs, qui est misérable au-delà de toute expression. En bordure de l’avenue de Saint-Ouen, dans tous les passages, cours, impasses et villas qui avoisinent la rue Championnet, on retrouve la population d’employés et d’ouvriers qui peuple les Epinettes. Dans le voisinage du cimetière, c’est le même monde qu’aux Batignolles. Boulevard de Clichy, apparaît ce groupement spécial à Montmartre de gens de lettres, artistes, musiciens, amateurs d’art et gens de théâtre, attirés là par tous les bals, concerts, cabarets littéraires. Puis, sur la butte, les dames hospitalières de la rue Lepic, les petites couturières et modistes, les amateurs de plein air. De grandes et belles maisons se dressent maintenant sur les pentes, du côté de Paris ; c’est à peine si l’on peut y noter l’existence d’un jardin. Sur l’autre versant, il reste encore quelques terrains non construits ; mais, dès maintenant, la place est prise par une foule d’employés et gagne-petit qui espèrent trouver là des loyers moins lourds qu’ailleurs. Il y a des pauvres un peu partout. Ceux qui reçoivent des secours mensuels sont très nombreux, et aussi les nécessiteux d’occasion. Cependant, on peut indiquer, comme des centres particulièrement désignés d’indigence, la villa Championnet, l’impasse des Grandes-Carrières, et toutes les petites rues, entre la butte et l’enceinte.

Clignancourt est le quartier de Paris qui compte le plus d’habitans. Le boulevard Barbes, les rues de Clignancourt et Ramey sont les voies directes menant à la ville. Ceux qui connaissent le quartier assurent qu’une distinction est à faire entre le Nord et le Sud de la rue Ordener. Au Nord, entre les vastes ateliers des Petites Voitures, des Omnibus, et de la Compagnie du Nord, réside une population compacte d’employés de chemins de fer, et d’ouvriers qui travaillent le fer et le bois, pour la construction des voitures. À côté d’eux, les chiffonniers sont nombreux ; ils sont là, parce qu’il existe des terrains vagues, dont les plus navrans, aux environs de la rue Letort, sont occupés par les roulottes de bohémiens qui ne parlent pas français. Cet endroit est particulièrement surveillé par la police ; elle y fait parfois de bonnes prises, car certains hôtels sont un refuge pour receleurs et malfaiteurs. Les cliens du bureau de bienfaisance sont en nombre : rue du Poteau, impasse du Mont-Viso, passage du Mont-Cenis, rue du Roi-d’Alger, passage des Poissonniers. C’est la partie la plus triste du quartier. Au Sud de la rue Ordener, la misère est beaucoup moins noire. Il existe encore quelques terrains ; mais ce sont d’anciens jardins, avec de beaux arbres qui n’ont plus beaucoup à vivre, car on va bâtir. Toutes les maisons qui sont autour ont pour locataires des employés qui vivent de leurs emplois. Quelques-uns ont des loyers de 1 500 à 2 000 francs ; le reste, c’est-à-dire la majorité, habite de petits logemens ; mais ce ne sont pas des malheureux. À droite de la mairie, rues Marcadet, Senart et Eugène-Sue, dans les bâtimens de la Société « La Foncière, » sont recueillis plusieurs milliers de Roumains et de juifs de la Russie méridionale, qui sont tous tailleurs et faiseurs de casquettes. Ils ont des marchands et restaurans à eux ; ils ne parlent pas français, ont un très grand nombre d’enfans, et généralement sont malheureux. Ils demandent souvent des secours. On hésite à leur donner, car on sait qu’ils sont aidés par les œuvres spéciales. Un peu plus loin, les magasins Dufayel attirent la clientèle de ceux qui dans Paris achètent à tempérament. Tout autour, s’est développé un commerce actif de meubles, vêtemens, bijouterie, qui fait concurrence à Dufayel dans des boutiques, grandes et petites, aux vitrines engageantes. Sur la butte, l’église du Sacré-Sœur a fait naître une exposition permanente d’images et objets religieux destinés aux milliers de fidèles venant des paroisses de Paris. Toutes les pentes sont habitées comme le quartier voisin ; mais il y a moins de maisons neuves qu’aux Grandes-Carrières, et aussi moins de vie galante.

Le territoire de la Goutte-d’Or est occupé, pour plus de moitié, par les ateliers et la gare aux marchandises de la Compagnie du Nord ; pour le reste, la densité de la population est très forte. Dans cet espace qui est grand comme le quart de Clignancourt, bien des points sollicitent l’attention. Ce sont les hôtels de la rue de la Charbonnière, des rues Caplat et des Islettes, qui sont autant de refuges de déclassés, épaves des gares d’arrivée du Nord et de l’Est, suspects au premier chef et surveillés de près par une police toujours inquiète. Ce sont les brocanteurs de la rue Myrrha, épars au milieu des petits boutiquiers dont les étalages se pressent au hasard. C’est au passage Doudeauville une agglomération de journaliers dont les ressources doivent être bien incertaines, puisqu’il y a clientèle pour une boucherie hippophagique. Et pour l’ensemble du quartier, c’est une population d’employés et d’ouvriers de chemins de fer, d’écrivains à la tâche qui font des bandes chez Dufayel, de garçons de courses et de recouvrement, de livreurs, hommes de peine, tous gens de petits emplois. La Goutte-d’Or est très chargée d’indigens et de nécessiteux ; ils sont partout : passage Doudeauville, rue de la Goutte-d’Or, rue Ernestine, rue Jean-Robert, rue de la Charbonnière, rue de Chartres.

La Chapelle est un ancien village. Les rues du Curé, de l’Evangile, de la Chapelle, des Roses, portent bien les noms que l’on retrouve dans les communes rurales. Le quartier est enfermé entre les immenses dépendances des lignes du Nord et de l’Est. Il n’est pas isolé ; car de très belles voies assurent les communications avec les boulevards. Sur ce terrain sans accident, les entrepreneurs de camionnage ont pu loger leur matériel ; ils ont pour cliens tout le commerce parisien, et notamment les grands magasins de nouveautés. Tous ceux qui font le commerce du charbon semblent s’être donné rendez-vous aux abords de la gare du Nord, ainsi que les loueurs de petites voitures dont quelques-uns déjà s’étaient établis dans la Goutte-d’Or. Tout ce monde demande peu. Le seul foyer d’indigence est à l’impasse Peney où se trouvent réunis quelques centaines de journaliers, marchands ambulans et colporteurs. Partout ailleurs, les malheureux sont assez uniformément répartis ; ils sont un peu plus nombreux rue Philippe-de-Girard où logent quelques ouvriers de la raffinerie Lebaudy, impasse Dupuy, impasse Molin, rues de Torcy et des Roses.


Le dix-neuvième arrondissement est à la fois le hangar aux matériaux et le garde-manger de Paris. Nous ne sommes pas sur un territoire d’habitation ; c’est un lieu d’industrie et de commerce actif, animé, bruyant, qui attire et captive. Cela du moins est vrai pour les deux premiers quartiers, la Villette et le Pont-de-Flandre, qui sont en plaine ; les quartiers d’Amérique et du Combat ont d’autres traits.

A la Villette, la première chose qu’on voit, c’est le canal qui coupe en deux le quartier. Puis les Magasins Généraux, les établissemens de la douane et de l’octroi, la direction des Pompes funèbres, les ateliers de la Compagnie des Petites Voitures, le dépôt des Omnibus, la raffinerie Lebaudy, et dans le Pont-de-Flandre, mais pas très loin de la Villette, la raffinerie Sommier et l’usine à gaz. On a idée déjà du monde qui circule et travaille. Il faut plusieurs milliers de tombereaux ou de camions pour le transport de tout ce charbon, de tous ces bois de construction, de toutes ces farines, de tous ces matériaux, cimens, plâtres, pierres meulières, briques, tuiles, produits chimiques et de ces pierres de taille qui sont venues par le canal. Il a fallu des conducteurs à ces bateaux ; il faut des bras pour la décharge. Les quais offrent une animation qui ne cesse qu’avec le jour. Le quartier compte 50 000 habitans, mais il convient d’y ajouter la population des bateaux, qui s’élève à plusieurs milliers d’âmes. C’est un des points les plus vivans de Paris.

Le Pont-de-Flandre a beaucoup moins d’habitans, 15 000 environ. La plus grande part de son territoire est prise par les abattoirs, l’usine à gaz et le canal. L’animation y est intense. De toutes parts, par rues, par chemins de fer et par canaux arrivent au marché les moutons, les bœufs et les porcs que les bouchers : de gros et de détail attendent un peu plus loin. Dans la rue de Flandre, il n’existe pour ainsi dire pas de maison où l’on ne voie boucher, charcutier ou tripier. Les débits de vins sont très près les uns des autres ; à l’intérieur, derrière des grillages élevés pour cela, se traitent, entre agriculteurs et marchands, des ventes importantes que l’on règle sur place, en argent. Sur les quais, on décharge surtout du charbon pour l’usine à gaz. Dans la rue de Flandre, l’Urbaine a un dépôt de voitures, et de nombreux intermédiaires ont ouvert des bureaux de placement

Toute cette foule n’habite pas le quartier. Ce sont ou bien des commerçans de la ville, ou des propriétaires de la campagne. ou des ouvriers, meneurs de bestiaux, tueurs, maîtres ou garçons d’échaudoirs, qui viennent de Pantin ou Saint-Gervais. Il y a de bons métiers ; ainsi les conducteurs de fardiers, qui dirigent de cinq à huit chevaux, reçoivent de bons salaires et des pourboires sérieux dans les chantiers où ils déchargent leurs pierres. Il y a des ressources en nourriture ; car les bas morceaux, dont ne veulent pas les bouchers au détail, sont laissés à bon compte aux journaliers des abattoirs. Malgré cela, ceux qui manquent du nécessaire sont nombreux. Les institutions du genre de celles qui sont encouragées par les Compagnies de chemins de fer, telles qu’économats, caisses de secours, de prêt et d’épargne, font ici défaut. Les salaires, si gros qu’ils soient, sont absorbés au jour le jour ; en sorte que le chômage et la maladie sont de véritables fléaux. Cependant, dans le Pont-de-Flandre et la Villette, le travail manque rarement. Les paresseux, les individus sans profession, sont la très rare exception. Les lieux les plus nécessiteux sont : à la Villette, passage Choquet où se sont établis des chiffonniers ; rue de Tanger, rue de Flandre, rue Riquet et passage Joinville, où dominent les nombreuses familles de raffineurs ; rue d’Allemagne, rue de Meaux et rue Petit, où l’on rencontre beaucoup d’inscrits du bureau de bienfaisance ; au Pont-de-Flandre, les rues de Nantes, de l’Argonne, Rouvet, le passage Auvry sont une agglomération de malheureux, composée surtout de débardeurs et sucriers. Et partout, dans l’ensemble des deux quartiers, on subit le contre-coup des accidens de la vie de Paris. Un arrêt dans la batellerie, dans la construction, ou dans l’aisance générale, et tout ce monde en souffre.

Les quartiers en hauteur, Amérique et Combat, sont moins actifs. Il y a trois régions, autour du parc des Buttes-Chaumont ; le versant de la Villette qui regarde Paris, les côtes du Pont-de-Flandre et la zone de Belle ville. En bas du versant de Paris, dans toutes les petites voies qui partent de la rue de Bolivar et aboutissent au boulevard de la Villette, réside une population très mêlée. A côté des employés du dépôt des Omnibus, des raffineurs, des débardeurs, ont trouvé place, surtout vers les rues Asselin et Monjol, dans des hôtels qui rappellent les plus mauvais lieux du dix-huitième et du treizième arrondissement, des individus sans profession, sans métier, dangereux et paresseux, qui ont valu aux boulevards extérieurs leur mauvais et légitime renom. Le voisinage du quartier industriel de l’Hôpital-Saint-Louis se fait aussi sentir. Il existe boulevard de la Villette des entreprises qui distribuent à domicile la force motrice, et ceux qui en tirent parti sont des ouvriers habiles en chaussures, en bijouterie, en pièces de fer ou de cuivre. A l’extrémité du quartier du Combat, près de la rue de Crimée, on constate, dans les passages du Nord et du Sud, une réunion assez importante de chiffonniers. La mairie du dix-neuvième arrondissement est dans cette région. Chacun sait que le maire est un sculpteur de grand nom. Les artistes ont, en effet, découvert qu’on pouvait, comme à Montmartre, s’établir dans ce lieu d’altitude. Il reste place aux amateurs, car les terrains non construits occupent encore de grands espaces. On y voit paître quelques chevaux, derrière les murs. Toute la région comprise entre la rue de Crimée, le parc, et le boulevard de la Villette, est très malheureuse. Au numéro 32 de la rue de Meaux, par exemple, il y a plus de 300 ménages dont un quart se compose d’inscrits du bureau de bienfaisance. Le passage des Fours-à-Chaux, la rue des Chaufourniers, la rue Petit, ne sont pas beaucoup moins lamentables.

La région de Belleville, entre le parc et le funiculaire, est un territoire d’habitation. Il existe encore des terrains vagues ; mais l’œuvre de peuplement s’est accomplie. On peut user d’un moyen rapide de transport vers le centre. Aussi, un très grand nombre d’employés, d’ouvrières de l’aiguille, des fleurs et de la plume ont-ils trouvé pratique de fixer leur domicile dans la rue de Belleville, sur la pente et sur le plateau. Il y a beaucoup d’ouvriers peintres, vitriers et peintres de lettres ou d’enseignes, et aussi beaucoup de travailleurs en chambre qui produisent, pour les petits industriels des environs du Temple, les articles dits « de Paris » et la petite bijouterie. Comme on voit, le voisinage relatif du canal et des abattoirs n’influe pas sur la composition des habitans. La configuration du sol est suffisante pour en fournir l’explication. Sitôt qu’il faut monter, l’homme cherche ailleurs, à moins qu’il n’ait une raison pour prendre de la peine. Le funiculaire offre ses services à la foule qui fréquente la place de la République ; c’est là que la population de Belleville prend sa source. Les pauvres sont légion. Leur présence se trouve pour ainsi dire soulignée par l’existence des boucheries hippophagiques. Toutes les fois qu’on en voit quelque part, on peut être sûr que la région est habitée de la pire façon. À ce point de vue, les rue, passage et impasse du Plateau, la cité du Tunnel, l’impasse Saint-Vincent, la rue Hasard et la rue de la Villette sont les premières à citer, pour la partie haute du plateau. En avant, il faudrait dire les noms de toutes les rues qui donnent dans la rue Rébeval.

Les côtes du Pont-de-Flandre comprennent toute la partie du quartier d’Amérique qui se trouve dans le rayon d’attraction du canal et de l’abattoir. Les voies d’accès sont la rue de Crimée, la rue d’Hautpoul et la rue David-d’Angers. Elles sont directes. Aussi n’est-on pas surpris de retrouver ici la population des travailleurs des quais, de la raffinerie Sommier et du marché aux bestiaux. L’agglomération comprend en outre des ouvriers d’industrie qui s’occupent d’électricité et de machines à vapeur, et des chiffonniers, qui sont sur un vrai terrain d’élection. Les uns travaillent pour leur compte, les autres pour de grandes entreprises qui leur donnent un salaire. Les gros marchands de chiffons du quartier d’Amérique ont si bien su tirer parti de leurs rebuts, qu’ils couvrent de vêtemens, ayant l’apparence du neuf, une partie de la clientèle des grands boulevards. Les pauvres sont partout. Les familles sont décimées par l’alcoolisme et la maladie ; même les femmes s’adonnent à la boisson, au cours de leurs occupations si dangereuses, puisqu’elles passent leur vie au milieu de montagnes d’ordures.

Le vingtième arrondissement est logé presque en entier sur le plateau de Romainville et de Bagnolet ; seule une partie du quartier de Charonne est en plaine. Trois des quartiers touchent au onzième arrondissement : Belleville, le Père-Lachaise et Charonne ; Saint-Fargeau est tout à fait extérieur ; il fait suite à Belleville et au Père-Lachaise. L’arrondissement compte 150 000 âmes. Il a le triste privilège d’être le plus pauvre de Paris ; ou, si l’on veut, de venir au même rang que le treizième.

Par comparaison avec ses voisins, Saint-Fargeau peut passer pour aisé. Autrefois, toute cette région était occupée par des maraîchers et des horticulteurs. L’industrie devait être bonne ; car, sur les terrains de culture, il y a maintenant de petites villas. Ce ne sont pas des constructions luxueuses, comme à la Muette ; mais de très modestes maisons. Ceux de la dernière génération assurent que de leur temps tout le haut Belleville était morcelé en petits domaines bourgeois. C’était le rêve des petits boutiquiers d’avoir la maison et jardin ; et comme il suffisait de peu d’argent pour s’établir, ils ont eu vite fait de former des groupemens importans. Le sol ne se prête pas facilement à la construction de hautes maisons. Le sable et la terre glaise, qu’on rencontre partout, obligent au creusement de puits profonds pour les fondations, et à des travaux d’art qui supposent la mise en œuvre de gros capitaux. Cependant, peu à peu, le quartier se modifie, la population compte déjà 15 000 âmes, les moyens de transport, dans les directions de l’Opéra et du Château-d’Eau, s’améliorent tous les jours ; les maraîchers s’en vont, ne laissant derrière eux que quelques horticulteurs qui font des fleurs pour les cimetières ; l’aspect champêtre du lieu est évidemment menacé. Mais la population jouit encore de commodités réelles ; elle est tranquille, vit de ses rentes, ou de son travail ; les mauvais garnis n’ont pas encore paru. C’est un séjour de sages, quelquefois d’heureux. Il y a des ombres dont nous n’avons rien dit ; l’impasse du Progrès, l’impasse Haxo, le passage Boudin sont des refuges où les malheureux s’entassent en des maisons basses, perdues dans des espaces considérables, absolument dépeuplés, dont quelques-uns mesurent 80 000 mètres carrés. Là, c’est la solitude qui encadre la misère.

Pour le reste de l’arrondissement, ce qui frappe, ce sont les différences qu’on constate dans l’extérieur des habitans, suivant qu’on s’approche ou qu’on s’éloigne des boulevards. Il y a comme une série d’étages dans la population.

En parcourant le quartier du Combat, il a fallu formuler un regret à la vue de ces misérables garnis qui avoisinent le boulevard de la Villette. A Belleville, c’est une plaie vive qui s’étale et se prolonge tout le long de Ménilmontant et dans le Père-Lachaise. Toutes les rues, dans le bas des deux quartiers, sont remplies de ces affreux immeubles, malpropres, surpeuplés, où logent, à la semaine, souvent à la nuit, plusieurs milliers de créatures, hommes et femmes, qui vivent d’expédiens et de délits. Les souteneurs, les filles, les repris de justice sont là, comme à l’affût des occasions qui peuvent s’offrir à leur portée. Pourquoi faut-il que, sous les mêmes toits, on trouve des travailleurs ? Ils veulent payer moins cher, ou plus commodément, leur logement. Ils perdent, à ce calcul, ce qu’ils ont de bon au cœur et leur moralité. Cette clientèle se tient si mal que les logeurs, aux époques de distribution des bons de logement, reçoi- vent, comme des hôtes de choix, les malheureux qui leur sont envoyés par les asiles de nuit. On a beaucoup parlé d’habitations à construire pour les ouvriers. C’est ici que l’on peut mesurer l’étendue des besoins et le néant des résultats.

Il n’est pas possible de n’être pas frappé du nombre et de l’importance des coopératives ouvrières de consommation qui rayonnent sur le vingtième, sur le onzième et sur la partie du dix-neuvième qui se confond avec Belleville. Il est de ces sociétés qui comptent 20 000 membres, d’autres 10 000, toutes plusieurs mil tiers. Elles se proposent d’acheter au meilleur compte et de revendre au prix coûtant les objets d’alimentation, de vêtement, de chauffage qui sont indispensables pour vivre. Et par année, ou par semestre, on distribue aux adhérens les bénéfices réalisés sur les prix de vente. Cet appât du boni à toucher a fait des prodiges. Dire quelle est la clientèle de ces institutions, c’est passer en revue tout le meilleur de la population du vingtième. Ce sont des ouvriers du fer, du bois, du bâtiment qui descendent chaque jour à leur travail dans le centre de Paris, surtout dans le onzième ; ou bien se rendent par la ligne de ceinture à Montmartre, aux Ternes, même à Javel pour s’occuper dans les usines. Ce sont de petits employés qui appartiennent à des services publics, octroi, travaux, police, bureaux des préfectures ou des ministères ; ou à des entreprises privées où ils sont métreurs, comptables, commis de magasins. Ce sont des ouvrières dont le métier se rapporte à la passementerie, à la confection, aux modes ; on peut évaluer à près de 20 000 le nombre des femmes qui, dans Belleville et le Père-Lachaise, vivent de ces professions. Tout ce monde est là, parce que les ressources sont modestes et qu’il fallait trouver au meilleur compte le logement et la nourriture.

On peut dire qu’il n’y a pas d’industrie spéciale au vingtième arrondissement. Sans doute, on pourrait citer quelques fonderies, quelques manufactures, quelques fabriques. Mais tout cela ne peut faire vivre qu’une part infime de la population. Aux premières heures du jour et le soir, quand est finie la journée de travail, c’est un mouvement fantastique de tous les adultes, hommes et femmes, qui s’en vont ou reviennent. Dans la journée, les quartiers sont comme frappés de sommeil. Seuls les marchés et la rue des Pyrénées ont encore un peu d’animation. Les ménagères s’occupent des intérieurs, font des provisions et soignent les enfans. Ici, il y en a presque autant qu’au treizième. Il en résulte une évidente obligation d’assistance que les pouvoirs publics ont volontiers reconnue. Quant aux denrées alimentaires, elles sont d’un prix extraordinaire de bon marché. On trouve dans ces régions habitées par les pauvres, des viandes, des légumes et des fruits qu’il serait impossible de découvrir ailleurs.

Peut-être, jusqu’ici, n’avons-nous point insisté suffisamment sur les manifestations de misère que l’on rencontre partout Nous savons que 6 000 indigens reçoivent des allocations périodiques ; le nombre de ceux qui demandent des secours, au cours de l’année, est évalué à 40 000. Il est de vieux immeubles qui sont de véritables casernemens de misérables. De nombreux numéros seraient à citer ; à Belleville : rues de Belleville, de Tourtille, du Pressoir, Piat ; — au Père-La chaise : rues des Amandiers, de Ménilmontant, Orfila, des Partants, Duris ; — à Charonne : rues des Haies, Gourât, Saint-Blaise ; et, entre tous, l’hôtel du passage Brémant, qui ne contient pas moins de 400 chambres ou petits logemens. Sur les terrains non construits notamment dans la rue des Pyrénées, on rencontre des agglomérations de roulottes et de baraques faites de planches, de toile, de carton bitumé, parfois de vieilles boîtes à sardines ; là trouvent refuge des forains, des brossiers, des repasseurs de couteaux, des rétameurs de casseroles, des fabricans de paniers, des éleveurs de pigeons, des brocanteurs et des chiffonniers. Le prix des loyers varie, de 3 francs par semaine à 5 francs par mois pour un terrain où une famille peu exigeante parvient à camper.

Le brocantage semble être une occupation répandue. On restaure du mieux qu’on peut des effets d’habillement pour les offrir aux amateurs, sur le « marché aux puces, » près la Porte de Montreuil. Les chiffonnières du treizième viennent y vendre leur travail ; elles s’y rencontrent avec les biffins et chineurs de Belleville, de la rue des Amandiers et de la place de la Réunion. Toute la banlieue d’alentour, Montreuil, Bagnolet, les Lilas, concourent à la foule des acheteurs. C’est le pendant du marché aux ferrailles de la Porte d’Ivry.

Ce marché est à l’extrémité du territoire de Charonne. Comme le sol s’est abaissé, l’industrie a reparu. Voici des fabriques de coton, des brasseries, des chocolateries, des entreprises de transport, l’usine à gaz, le métropolitain ; on parle de construire, vers la rue Saint-Blaise, une gare aux marchandises. En attendant la suite de ce projet, les abords du boulevard Davout sont occupés par une armée de chiffonniers dont beaucoup entassent des peaux de lapins. Ils trouvent à écouler leurs provisions chez les coupeurs de poils qui préparent les chapeaux de soie. Comme on voit, l’ouvrier peut, en cet endroit, trouver sur place un salaire, et la région se distingue tout à fait, à ce point de vue, du reste de l’arrondissement.


Nous avons ainsi passé une rapide revue de tous les arrondissemens. Si l’on voulait rayer l’un d’eux de la carte, on ferait beaucoup plus que diminuer la ville ; on la priverait d’un de ses caractères essentiels. Chacun de ces arrondissemens a une physionomie originale, et souvent on pourrait faire la même observation pour les quartiers. Ils se distinguent les uns des autres, par l’aspect extérieur, par l’étendue, par la densité de la population, par la nature des professions qu’exercent leurs habitans.

S’il avait fallu faire une étude complète, nous aurions dû parler des rapports intimes de Paris avec les grosses agglomérations de la banlieue qui sont voisines. Les malheureux s’aperçoivent vite que les secours sont plus accessibles dans la ville que hors des murs. La population de la capitale se charge ainsi des élémens les plus suspects des communes suburbaines. C’est là un phénomène constant, particulièrement sensible dans les arrondissemens de la périphérie. Mais notre objet n’était pas de présenter un travail définitif. C’est une simple esquisse que nous avons présentée, pensant bien qu’il faudrait un autre effort et d’autres moyens pour dégager tous les traits des arrondissemens parisiens.


HENRI BONNET.

  1. Cet établissement vient d’être transporté hors Paris à la suite des récens travaux de prolongement du boulevard Raspail.