La Capucinière, ou le bijou enlevé à la course/01

Chez les Marchands de Nouveautés (p. Pl.-12).


Chant Ier Pl. II.
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustration.
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustration.
Tandis qu’ainsi la bataille s’engage
Le grand François…

Bandeau
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LA
CAPUCINIÈRE,
POÈME





CHANT PREMIER


Dans l’âge heureux où l’aimable Folie,
Prenant pitié du pauvre genre humain,
Pour adoucir son funeste destin,
Sème de fleurs le chemin de la vie,
Le dieu des cœurs m’inspira l’art des vers :
Il me l’apprit ; et par reconnaissance,
J’ai fait serment de vieillir dans ses fers.
Célie, Ismée, Euphrosine et Constance,
Ont tour à tour couronné leur vainqueur.
Bientôt après, la séduisante Aglaure
Me fit ouïr l’aveu le plus flatteur ;

Et dans mes bras, ivre de mon bonheur,
Elle jura que le dieu que j’adore
Serait aussi le seul dieu de son cœur.

Amour, tu vois si je te suis fidèle !
Quoique, toujours, volant de belle en belle,
Je n’ai jamais respiré que pour toi ;
Mais c’est trop peu pour ce que je te doi :
Assez long-temps j’ai gardé le silence ;
Il faut le rompre, il faut, en vers pieux,
Dire tes lois, célébrer ta puissance,
En transmettant à nos derniers neveux,
Un fait plaisant, mais un peu scandaleux.

Pour raconter une si belle histoire,
Amour, Amour, soutiens ma faible voix,
Viens m’inspirer, il y va de ta gloire.
D’autres, sans nous, vanteront les exploits
Des conquérans chéris de la victoire :
Je ne veux pas de si fameux héros ;
Je dirais mal leurs glorieux travaux ;
Ma muse est tendre et point du tout guerrière.

Mais s’il suffit de brûler de tes feux
Pour essayer, sur cette autre matière,
Quatre ou cinq chants à demi-sérieux,
Amour, je puis entrer dans la carrière,
Plus d’une fois je t’ai dû mon bonheur ;
D’Aglaure encor je possède le cœur,
Et chaque jour, alors que la nuit sombre
Descend des cieux et nous laisse dans l’ombre,
Guidé par toi, je quitte mon réduit,
Je cours aux lieux où m’attend ma bergère ;
En nous voyant, la contrainte s’enfuit,
Et nous volons tous les trois à Cythère,
Avec l’essaim des aimables plaisirs.

Charmante Aglaure ! amante trop craintive,
O cher objet de mes brûlans desirs,
Prête à mes vers une oreille attentive ;
Je vais chanter les secrets d’un couvent.
Mais vous dévots, mais vous censeurs austères,
Que l’esprit saint égare si souvent,
Vous qui n’aimez que vos sottes chimères,
Gardez-vous bien de me lire un instant.


Non loin du Pô, sur un coteau stérile,
A quelques pas d’une superbe ville,
Soit par caprice, ou par religion,
Un vieux bigot bâtit un monastère :
Quatre vauriens, ne sachant trop que faire,
Vinrent loger dans la sainte maison ;
De capucins ayant déjà le nom,
Cette maison, par l’ignorant vulgaire,
Fut appelée une Capucinière.

Si je voulais suivre de point en point,
Un tas de lois qui gênent l’art d’écrire,
C’est bien ici le lieu de la décrire ;
Mais j’aime mieux ne la décrire point ;
On sait assez comment un monastère
Doit être fait pour loger des crasseux ;
Ainsi, je crois faire bien de me taire.

Là, quelques jours, ces fainéans heureux
Jouirent tous de la même puissance ;
Égaux entre eux, ils étaient fort contens,

Et vivaient même en bonne intelligence.
Ah ! cet accord ne dura pas long-temps :
Jamais la paix n’est entre gens d’église.

De ces vauriens, s’il faut que je le dise,
Le plus âgé ne comptait pas trente ans.
Trahi jadis par sa belle maîtresse,
Il prit le froc avec le nom d’Albin.
Le temps, bientôt, dissipa sa tristesse,
Et voulant être un parfait Capucin,
Il débuta comme un franc libertin,
En peu de temps surpassa ses confrères,
Et fut ainsi le premier de nos pères.

Les deux suivans, non moins mauvais sujets,
Pour éviter de faire la grimace
À ce poteau d’un si terrible accès,
Dirent au monde un adieu pour jamais,
En embrassant l’ordre de la besace ;
On les nommait père Jean, père Ignace.

Quant au dernier, je ne sais trop pourquoi
Il s’enrôla dans cette compagnie ;

Peut-être aussi fit-il quelque folie,
Toujours est-il qu’il s’appelait Éloi.

Sans autre droit que leur hypocrisie,
Le fondateur de la sainte maison
Les y maintint pour y dire l’office.
C’est donc ainsi que l’emporte le vice
Sur la vertu qui n’est plus qu’un vain nom !… »
O temps ! ô mœurs ! mais qu’y pouvons-nous faire ?…
Laissons le monde aller comme il voudra,
Heureux celui qui bien s’en tirera ;
Pour le moment ce n’est pas notre affaire.

En arrivant dans la Capucinière,
Le premier soin de nos quatre lurons
Fut d’enfermer, au fond du monastère,
Quelques beautés d’une humeur peu sévère.
On doit penser que ces jeunes tendrons,
Ainsi nichés avec de pareils merles,
N’étaient pas là pour enfiler des perles,
Mais bien… Suffit ; on m’entend ; poursuivons.


Dans un repas fait avec les donzelles,
Un jour Églé, (c’était une d’entr’elles),
L’esprit troublé par les vapeurs du vin,
Apostropha de ces mots père Albin :

Églé.

« Dis donc, vieux chien, au nombre des pucelles,
As-tu juré de me laisser toujours ?
Tu le sais bien, je ne suis point farouche ;
Depuis trois nuits je partage ta couche,
Et cependant…

Père Albin.

Et cependant…Brisons-là ce discours,
Point de mensonge, encor moins de colère.

Églé.

Je ne mens point.

Père Albin.

Je ne mens point.Bon, c’est assez, ma chère,
N’en parlons plus.

Églé.

N’en parlons plus.Mais…

Père Albin.

N’en parlons plus. Mais…Reçois ce baiser.

Églé.

Oui, voilà bien tout ce que tu sais faire,
Prendre mes bras, me parler, m’embrasser,
Et rien de plus.

Père Albin.

Et rien de plus.Tais-toi…

Églé.

Et rien de plus. Tais-toi…Je veux tout dire :
Certes ! crois-tu toujours en imposer ?… »
Ici chacun, par des éclats de rire,
Interrompit l’orateur emporté,
Et père Albin parut déconcerté.

A la rougeur qui couvrait leur visage,
On se douta qu’Églé n’avait pas tort,
Et qu’en effet le père était trop sage.
Il veut parler, on rit encor plus fort.

Tant de gaîté ne plaisait pas au père ;
Il trépignait de honte et de colère,
Jurant tout bas qu’il s’en vengerait bien :
« Messieurs, dit-il, au comble de sa rage,

Messieurs, messieurs, je suis votre doyen ;
Des ans sur vous n’ai-je pas l’avantage ?
Je tiens ici lieu de père gardien.
Obéissez : cette gaîté me lasse,
Et je prétends que l’on m’en débarasse.

Père Éloi.

« En vérité, l’ordre est assez nouveau ;
Comme il y va notre révérend père !
C’est fort bien fait de se mettre en colère,
De commander, mais d’obéir, tout-beau !

Père Albin.

« Eh ! diable, aussi, faut-il croire une folle
Dont ce champagne a troublé le cerveau !

Églé.

« Je suis donc ivre à t’entendre, bourreau !
Tu voudrais bien qu’on te crut sur parole.
Ah ! je suis ivre ; eh bien ! oui, je le sui ;
Mais non de toi, Capucin à la glace.
Va, je l’ai dit, tu peux dès aujourd’hui,

Faire venir celle qui me remplace.
Jamais Églé ne te pardonnera
L’affront sanglant que tu fais à ses charmes… »
Elle se tut ; et pour cacher ses larmes,
La pauvre enfant de ses mains se voila.

A peine eut-elle achevé ce reproche,
Que l’œil en feu, le visage irrité,
Albin courut sur la jeune beauté,
Pour lui donner quelque bonne taloche ;
Mais c’est en vain : les compagnes d’Églé,
Prirent parti contre l’écervelé,
Et leurs amis qui voyaient que l’affaire,
S’échauffant trop, aurait mauvaise fin,
Se mirent tous entre elle et père Albin.

Ici, sans doute, eût fini cette guerre,
Quand, par malheur, la petite Suson,
(Celle qu’Éloi chérissait davantage)
En avançant le bout de son visage,
Reçut, d’Albin, la confirmation,
Mais de manière à s’en guérir l’envie.


Ah ! qui pourrait redire sans effroi,
Dans quel transport entra le père Éloi,
Voyant ainsi souffleter son amie ?
Les léopards, les tigres, les lions
Sont des agneaux, si nous les comparons
A ces vauriens qui déjà sont aux prises.
Les coups de poing volent de toutes parts :
On jure, on peste, on se dit des sotises ;
Et la fureur anime leurs regards.

Tandis qu’ainsi la bataille s’engage,
Le grand François, leur bienheureux Patron,
Se promenant, assis sur un nuage,
Juste au-dessus de la sainte maison,
Entend les cris des femmes renversées,
Les juremens des quatre furieux,
Roulant parmi les bouteilles cassées ;
Et croit devoir descendre sur les lieux.

Tels qu’à l’aspect d’un pédant de collége,
Qui, tout-à-coup, vient reprendre son siège,
Trente marmots, criant tous à la fois,

Rentrent soudain dans un profond silence ;
Tels, en voyant paraître Saint-François,
Nos combattans levèrent la séance,
Pour se jeter, d’un air respectueux,
Aux saints genoux du Patron bienheureux.

Puisqu’ils y sont, qu’ils fassent pénitence.
Pour un instant, je suspends mes travaux :
Je ne veux pas trop fatiguer ma veine ;
Elle est peu forte, il lui faut du repos,
Et c’est ici que je reprends haleine.