La Bien allee
[LA BIEN ALLEE DE MICHAULT]
S’ensuit en ce present cayer
La bien allee de Michault,
Laquelle a amours veult payer,
Pour ce que d’amer ne luy chault.
Je, Michault, pour aultre party
Tenir, ay prins nouvellement
Congié d’amours, et suis party
D’amer tellement quellement.
Mais encores semblablement,
Je veul payer ma bien allee
A amours, car presentement
J’ay d’amours toute ma saoullee.
Je dy d’amours, quant est a my,
Qui n’aime, il ne pert pas granment.
Penelope oncques n’ot amy,
Ne daigna amer nullement :
Ulixes sy non a tourment,
Et d’amours froide et engellee.
Et pour ces causes vraïement
J’ay d’amer toute ma saoullee.
Phellis par amours se pendy,
Sans desserte et sans jugement,
Pour Demophon qu’elle attendy
Oultre son gre trop longuement.
Et Demophon piteusement,
Quant il la trouva estranglee,
Ploura ; par quoy finablement
J’ay d’amer toute ma saoullee.
Prince, qui aime il s’en repent.
Cleopatra en fut navree.
Pour ce que tel mal en deppend,
J’ay d’amer toute ma saoullee.
Tel se complaint du fait d’amer
Quy n’a cause de s’en dolloir,
Et doit il plaindre ung pou d’amer,
Pour avoir dame a son voulloir ?
Nesnil ! Non ! Ne luy doit challoir
S’amours ung pou trop dure le maine,
Car par tant il puet estre l’oir
Des biens qu’amours a en demaine.
Maint dient, sans restituer,
Mal d’amours tourne en desespoir.
Mais quoy ! Quy son chien veult tuer,
La raige luy met sus, pour voir.
S’un amant n’a tost son voulloir,
Fault il pour ce qu’il s’en demaine
Et qu’il desdie main et soir
Des biens qu’amours a en demaine ?
Le bien qu’on a par desirer
Et ou on met paine a l’avoir,
Vault mieulx, a tout considerer,
Que bien sans paine recevoir.
Celuy s’en doit bien percevoir
Quy mercy a aprez sa paine,
Car c’est [le] principal avoir
Des biens qu’amours a en demaine.
Prince, je vous fais assavoir
Que nulz en ceste vie humaine
Ne scet la paine concevoir
Des biens qu’amours a en demaine.
On scet assez, en pluiseurs lieux,
Bien d’amours comment il en va.
Virgille, qui fut moult soubtieulx,
Le povoir d’amours esprouva ;
Mais enfin trompé s’en trouva
De Liegart, quant il l’eut amee.
Puis que son sens ne le saulva,
D’amer n’ay plus la teste enflee.
Aristote, a sens ententieux,
De son sens aussy mal usa
Encontre amours, car il fu tieulx
Qu’amours par amer l’abusa.
Menalope l’en chevaucha,
Comme ung coursier ou haquenee.
Pour ces cas advenus piecha,
D’amer n’ay plus la teste enflee.
Se noble n’est, ne sy gentieulx,
Ne sy saige, je dis cela,
Quy ne soit au bout des courtieulx,
Rataint, quant amours au dos a.
Par la chemise qu’endossa,
Hercule ot sa char brullee,
Quant amours tout ce luy brassa.
D’amer n’ay plus la teste enflee.
Prince, amours, ung jour quy passa,
Me vendy trop chier sa denree.
Or se gard quy a garder s’a.
D’amer n’ay plus la teste enflee.
Les biens d’amours sont si haultains
Qu’on ne les sauroit extimer.
Pour tant, s’on n’est seur ne certains
D’avoir mercy par bien amer,
On ne doit point amours blamer,
Mais, en servant de corps et d’ames,
De bien en mieulx continuer
A l’onneur d’amours et des dames.
Posé qu’on soit au cuer attains
Du mal d’amours que fait pasmer,
Ou qu’on en soit palles et tains,
Doit on decha et dela mer
Cremir la paine ne l’amer,
Ne ressongnier les ardans flammes ?
Nesnil ! Il fault tout endurer
A l’onneur d’amours et des dames.
Dangier, quy est rudes villains,
Fait les amans plaindre et clamer.
Pour ce le hez et envis l’aims.
Mais quoy ! S’on se voulloit ensmer,
Il se fault contre luy armer
D’Espoir en lieu de piece a lames,
Et de l’escu de Beauparler,
A l’onneur d’amours et des dames.
Prince, sans blecier n’entamer,
On doit amer, et, sans nulz blasmes,
Faire ballades et rimer
A l’onneur d’amours et des dames.
En amours a moult dur chemin.
Mains en sont mors de mort villaine,
Qui sont escrips en parchemin.
Car de Vergy la Chastelaine
Fut d’amours prinse par la laine,
Dont ne pot de mort eschapper.
Pour ce, tant qu’aye poux n’alaine,
On ne m’y saura atraper.
Par force ama jadis Tarquin,
Dont perdy Romme et le demaine,
Et Lucresse s’en mist a fin,
Et hors de ceste vie humaine…
............
Par Tarquin quy ne le voult fraper.
A telle mort laide et soudaine
On ne m’y saura atraper.
Amours est comme le daulphin
Quy les poissons aprez soy maine,
Et leür joue d’un tour fin,
Car il en repaist la ballaine.
Aussi amours sa queue traine
Pour les amans qu’il veult tromper.
Mais de peur d’avoir malle estrenne,
On ne m’y saura atraper.
Prince, mener vueil vie saine ;
D’amours ne me veul plus copper,
Non plus qu’a moy noyer en Saine.
On ne m’y saura atraper.
Pour tout conclurre et le sac clorre,
Mains amans, en leurs jeusnes jours,
Ont acquis nom, honneur et gloire
Ou joyeulx service d’amours,
Tout partout, en ville et en bours,
Mais nulz n’a le cuer franc ne fin,
Ains recr[e]ans, lasse et rebours,
S’il n’aime jusques en la fin.
Nul n’est digne, et fust Ysodoire,
En tous lieux et en toutes cours,
D’avoir triomphe ne victoire
S’il ne combat bien es estours,
Et aussy es amoureux tours.
Nul n’est digne, soir ne matin,
D’avoir de Mercy le secours,
S’il n’aime jusques en la fin.
Amours embellit et decore
Celuy quy aime tout son cours,
Et fait plus vaillament encore
Que d’assaillir chasteaulx ne tours.
S’il concqueste en paine et en plours
Mercy, tant vault mieulx son butin.
Pas n’acquiert couronne de flours,
S’il n’aime jusques en la fin.
Prince, ung amant pour ces labours
On ne doit loer par chemin,
A son de trompe et de tambours,
S’il n’aime jusques en la fin.
Quant ung amant va a declin,
Et qu’il a sa saison passee,
Posé qu’il ait esté enclin
A amer, s’amour est cassee,
Et des dames fort refusee.
C’est la maniere, c’est la guise !
Cure n’en a dame rusee,
Pour ce qu’il a la barbe grise.
Entre dames, soir ne matin,
N’a que faire, pour belle entree,
Ung tel amant, par saint Martin,
Car chose ne fait quy agree.
S’il veult dansser, dame est lassee :
S’il veult baisier, on le desprise ;
S’il veult acoller, on le bee,
Pour ce qu’il a la barbe grise.
Et que sera, par saint Lievin,
Ung amant, ou joye est fuiee ?
Laissee l’amer, se tiengne au vin,
S’ait bouteille bien avinee ;
Et se tiengne, au froit de l’annee,
Vestu d’une robe de frise,
Au feu, delez la cheminee,
Pour ce qu’il a la barbe grise.
Prince, a la court jamais celee
Ne soit ceste œuvre, mais aprise.
C’est de Michault la Bien Allee,
Pour ce qu’il a la barbe grise.
Seigneurs, Michault a prins congié
D’amours, pour ce qu’il ne puet mais,
Et sa bien allee payee.
On le doit bien laissier en paix.