La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Rois/Livre 3

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 30 (p. 201-224).
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LIVRE III.

Or le roi David avait vieilli, ayant beaucoup de jours ; et quoiqu’on le couvrît de plusieurs robes, il ne se réchauffait point. Ses officiers dirent donc : allons chercher une jeune fille pour le seigneur notre roi, et qu’elle reste devant le roi, et qu’elle le caresse, et qu’elle dorme avec le seigneur notre roi. Et ayant trouvé Abisag De Sunam, qui était très belle ; ils l’amenerent au roi, et elle coucha avec le roi, et elle le caressait ; et le roi ne forniqua pas avec elle[1]. Cependant Adonias, fils de David, disait : ce sera moi qui régnerai… il avait dans son parti Joab le général des armées, et Abiathar le grand-prêtre. Mais un autre grand-prêtre nommé Sadok, et le capitaine Banaia, et le prophete Nathan, et Séméi, n’étaient pas pour Adonias… ce prince donna un grand festin à tous ses freres et aux principaux de Juda ; mais il n’invita ni son frere Salomon, ni le prophete Nathan, ni Banaia, ni les autres prêtres. Alors Nathan dit à Bethsabé mere de Salomon : n’avez-vous pas ouï dire qu’Adonias s’est déja fait roi, et que notre seigneur David n’en sait rien ? Allez vite vous présenter au roi David ;… pendant que vous lui parlerez je surviendrai après vous, et je confirmerai tout ce que vous aurez dit…[2]. … le roi David dit : faites moi venir le prophete Sadok, le prophete Nathan, et le capitaine Banaia, prenez avec vous mes officiers ; mettez mon fils Salomon sur ma mule ; chantez avec la trompette ; et vous direz, vive le roi Salomon… les convives d’Adonias se leverent de table ; et chacun s’en alla de son côté ; et Adonias alla se réfugier à la corne de l’autel… or la mort de David approchant, il recommanda à Salomon, en lui disant : tu sais ce qu’a fait autrefois Joab, qui mit du sang autour de ses reins, et dans les souliers qu’il avait aux pieds. Tu ne permettras pas que ses cheveux blancs descendent en paix au tombeau, je compte sur ta sagesse ;… j’ai juré à Séméi que je ne le ferais point périr par le glaive ; mais tu es sage, tu sauras ce qu’il faut faire, ne permets pas que ses cheveux blancs descendent dans la fosse autrement que par une mort sanglante[3]. Et David s’endormit avec ses peres.


AVIS DE L'EDITEUR.

Le commentateur qui avait entrepris de continuer cet ouvrage s'est arrêté ici, ayant été appelé à la cour d'un grand prince pour être son aumônier. Un troisième commentateur s'est présenté, et a continué avec la même érudition et la même impar- tialité, mais avec trop de véhémence peut-être, et trop de hardiesse.

Salomon prit possession du trône de son pere, et affermit son regne… Adonias alla implorer la protection de sa belle-mere Bethsabé, et lui dit : vous savez que le regne m’appartenait, comme à l’ainé, et que, de plus, tout Israël m’avait choisi pour roi ; mais mon royaume a été transporté à mon frere, et le seigneur l’a constitué ainsi ; je ne demande qu’une grace ; le roi Salomon ne vous refusera rien ; je vous prie qu’il me laisse épouser Abisag la sunamite… Bethsabé dit donc à Salomon son fils : je te prie, donne pour femme Abisag la sunamite à ton frere Adonias. Le roi Salomon répondit à sa mere ; pourquoi demandes-tu Abisag la sunamite pour Adonias ? Demande donc aussi le royaume ; car il est mon frere ainé, et il a pour lui Abiathar le grand-prêtre, et le capitaine Joab…[4]. Salomon jura donc par Dieu… disant : je jure par Dieu, qui m’a mis sur le trône de David mon pere, qu’aujourd’hui Adonias mon frere sera mis à mort. Et le roi Salomon envoya le capitaine Banaia, fils de Joiadad, qui assassina Adonias, et il mourut… cette nouvelle étant venue au capitaine Joab, qui était attaché au prince Adonias ; il s’enfuit dans le tabernacle du seigneur, et embrassa la corne de l’autel… on vint dire au roi Salomon que Joab s’était réfugié dans le tabernacle de Dieu, et qu’il s’y tenait à l’autel. Et le roi Salomon envoya aussitôt le capitaine Banaia, fils de Joiadad, disant : cours vite, va tuer Joab… Banaia alla donc au tabernacle de Dieu, et dit à Joab : sors d’ici, que je te tue. Joab lui répondit : je ne sortirai point ; je mourrai ici… le capitaine Banaia, alla rapporter la chose au roi. Le roi lui répondit : fais comme je t’ai dit[5], assassine Joab, et l’enterre ; et je ne serai pas responsable, ni moi, ni la maison de mon pere, du sang innocent répandu par Joab ; que le seigneur donne une paix éternelle à David, à sa semence, à sa maison, et à son trône !… donc le capitaine Banaia, fils de Joiadad, retourna vers Joab, et l’assassina à l’autel ; et il enterra Joab en sa maison dans le désert[6]. Le roi envoya aussi vers Séméi, et lui dit : bâtis-toi une maison dans Jérusalem, et n’en sors point pour aller d’un côté ni d’un autre ; si tu en sors jamais, et si tu passes le torrent de Cédron, je te ferai tuer au même jour. Séméi dit au roi, cet ordre est très juste. Mais au bout de trois ans il arriva que les esclaves de Séméi s’enfuirent vers Akis roi de Geth. Séméi fit aussitôt sangler son âne, et s’en alla vers Akis à Geth pour redemander ses esclaves, et les ramena de Geth… et Salomon, en ayant été averti, commanda à Banaia, fils de Joiadad, d’aller tuer Séméi ; et le capitaine Banaia y alla sur le champ, et il assassina Séméi, qui mourut… cependant le seigneur apparut à Salomon en songe, disant : demande ce que tu veux que je te donne… et Salomon dit au seigneur : je te prie de me donner un cœur docile, afin que je puisse juger ton peuple, et discerner entre le bon et le mauvais ; car qui pourra juger ce peuple, qui est fort nombreux ! … et Dieu lui dit dans ce songe ; parce que tu as demandé cette parole, et que tu n’as pas requis longues années, ni richesses, ni la mort de tes ennemis, mais que tu as demandé sagesse pour discerner justice, je ferai selon ton discours ; je te donne un cœur intelligent, de sorte que jamais homme, ni avant toi, ni après toi, n’aura été semblable à toi[7]. Mais je te donnerai, en outre, richesses et gloire que tu n’as point demandées ; de sorte que nul ne sera semblable à toi en gloire et en richesses. Salomon se réveilla ; et il vit que c’était un songe. Salomon[8] avait donc sous sa domination tous les royaumes depuis l’Euphrate jusqu’aux philistins et à la terre d’égypte. Et il y avait pour la nourriture de Salomon, chaque jour, trente muids de fleur de farine, et soixante muids de farine commune, dix gros bœufs engraissés, vingt bœufs de pâturage, cent moutons, et grande quantité de cerfs, de chevreuils, de bœufs sauvages, et d’oiseaux de toute espece ; car il avait tout le pays au-delà du fleuve d’Euphrate depuis Tapsa jusqu’à Gaza[9]. Et Salomon avait quarante mille écuries pour les chevaux de ses chars, et douze mille chevaux de selle…[10]. Et la sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les orientaux, et de tous les égyptiens ; il était plus sage que tous les hommes, plus sage qu’éthan israïte, et que Heman, et que Chacol, et que Dorda[11]. Salomon composa trois mille paraboles, et il fit mille et cinq cantiques… Hiram roi de Tyr envoya ses serviteurs vers Salomon, ayant appris qu’il avait été oint et christ à la place de son pere. Et Salomon envoya aussi à Hiram, disant : j’ai dessein de bâtir un temple au nom de mon dieu Adonaï, comme Adonaï l’avait dit à mon pere ; commande donc à tes serviteurs qu’ils coupent pour moi des cedres du Liban ; car tu sais que je n’ai pas un seul homme parmi mon peuple qui puisse couper du bois comme les sidoniens… Hiram donna donc à Salomon des bois de cedre et de sapin ; et Salomon donna à Hiram, pour la nourriture de sa maison, vingt mille muids de froment par année, et vingt mille muids d’huile très pure chaque année… le roi Salomon choisit dans Israël trente mille ouvriers,…[12] soixante et dix mille manœuvres et porte-faix, quatre-vingt mille tailleurs de pierre, et trois mille trois cents intendants des ouvrages[13]. Or on commença à bâtir le temple du seigneur quatre cents quatre-vingt ans après la sortie d’égypte[14]. Or cette maison, que le roi Salomon bâtit au seigneur, avait soixante coudées et demi en longueur, vingt coudées en largeur, et trente coudées en hauteur… et il fit au temple des fenêtres de côté ; et il fit sur la muraille du temple des échafauds tout autour ; et l’échafaud d’en bas avait cinq coudées de large, et celui du milieu avait six coudées de large, et le troisieme échafaud avait sept coudées de large ;… et il plaça des poutres tout autour, afin qu’ils ne touchassent pas à la muraille ;… et il fit un étage sur toute la maison qui avait cinq coudées de hauteur[15]. Il fit l’oracle au milieu du temple, en la partie la plus intérieure, pour y mettre le coffre du pacte. L’oracle avait vingt coudées de long, vingt de large, et vingt de haut. Il fit, dans l’oracle, des chérubins de bois d’olivier, qui avaient dix coudées de haut ; une aile de chérubin avait cinq coudées de longueur, et l’autre avait aussi cinq coudées[16]. Il fit aussi un grand bassin de fonte, nommé la mer, de dix coudées d’un bord à l’autre ; et elle était toute ronde. Et il y avait une mer, et douze bœufs sur cette mer… or le roi, et tout Israël avec lui, immolerent des victimes devant le seigneur. Et Salomon égorgea et immola au seigneur vingt-deux mille bœufs gras et six-vingts mille brebis… ainsi le roi et le peuple dédierent le temple au seigneur…[17]. Et Hiram, roi de Tyr, lui envoyait tous les bois de cedre et de sapin, et tout l’or dont il avait besoin. Et Salomon donna à Hiram vingt villes dans la Galilée… Hiram, roi de Tyr, vint voir ces villes ; mais il n’en fut point du tout content ; et il dit à Salomon ; mon frere, voilà de pauvres villes que vous m’avez données là !…[18]. Le roi Salomon équipa aussi une flotte à ésiongaber, auprès d’élath, sur le rivage de la mer, au pays d’Idumée : et Hiram lui envoya de bons hommes de mer… et étant allés en Ophir, ils en rapporterent quatre cents vingt talents d’or au roi Salomon[19]. La reine de Saba, ayant entendu parler de Salomon, vint le tenter par des énigmes[20]. La reine de Saba donna au roi Salomon six-vingts talents d’or, une quantité très-grande d’aromates et de pierres précieuses. On n’a jamais apporté, depuis ce temps-là, tant de parfums à Jérusalem… le poids de l’or qu’on apportait chaque année à Salomon était du poids de six cents soixante et six talents d’or. Le roi Salomon eut aussi deux cents boucliers d’or pur, et trois cents autres boucliers d’or pur. Le roi Salomon fit aussi un trône d’yvoire revêtu d’un or très pur. Tous les vases dans lesquels Salomon buvait étaient aussi d’or ; et toute sa vaisselle, et tous les meubles de sa maison du Liban, étaient d’un or très pur. On lui amenait aussi une quadrige d’égypte pour six cents sicles d’argent, et chaque cheval pour cent cinquante sicles[21]. Et il eut sept cents femmes qui étaient reines, et trois cents concubines… et comme il était déjà vieux, elles séduisirent son cœur pour lui faire adorer des dieux étrangers… il bâtit alors un temple à Chamos sur la montagne qui est auprès de Jérusalem…[22]. Cependant le roi Salomon aima plusieurs femmes étrangeres, et la fille aussi de pharaon, et des moabites, et des ammonites ; et des iduméennes et des sidoniennes, et des héthéennes… Salomon eut donc copulation avec ces femmes d’un amour véhémentissime… or le seigneur suscita Adad l’iduméen, de race royale, qui était dans édom… Dieu suscita aussi pour ennemi à Salomon Razon fils d’Héliadad… qui fut ennemi d’Israël pendant tout le regne de Salomon, et qui régna en Syrie[23]. Jéroboam, fils de Nabath, leva aussi la main contre le roi. Or Jéroboam était un homme courageux, fort, et puissant. Et il arriva dans ce temps-là que Jéroboam, sortant de Jérusalem, rencontra dans son chemin Ahias le prophete, qui avait un manteau tout neuf. Et Ahias coupa son manteau en douze morceaux, et dit à Jéroboam : prends pour toi dix morceaux de mon manteau ; car voici ce que dit le seigneur le dieu d’Israël : je diviserai le royaume, et je t’en donnerai dix tribus et il ne restera qu’une tribu à Salomon, à cause de David mon serviteur, et de la ville de Jérusalem que j’ai choisie dans toutes les tribus d’Israël…[24]. Or Salomon voulut faire assassiner Jéroboam… et Salomon s’endormit avec ses peres, et il fut enseveli dans la ville de David son pere[25]. Roboam fils de Salomon vint à Sichem ; car toutes les tribus y étaient assemblées pour l’établir roi ; mais Jéroboam, fils de Nabath, ayant appris en égypte la mort du roi Salomon, revint de l’égypte. Il se présenta donc avec tout le peuple d’Israël devant Roboam, disant : ton pere nous avait chargé d’un joug très-dur ; diminue donc à présent un peu de l’extrême dureté de ton pere ; et nous te servirons…[26]. Roboam ayant consulté des jeunes gens de sa cour, répondit au peuple : le plus petit de mes doigts est plus gros que le dos de mon pere ; si mon pere vous a imposé un joug pesant, j’y ajouterai un joug plus pesant ; si mon pere vous a fouettés avec des verges, je vous fouetterai avec des scorpions. Le peuple, voyant donc que le roi n’avait pas voulu l’entendre, lui répondit : qu’avons-nous à faire à David ton grand-pere ? Quel héritage avons-nous à partager avec le fils d’Isaï ? Allons, Israël, allons-nous-en dans nos tentes ; adieu, David ; pourvois à ta maison comme tu pourras. Et tout Israël s’en alla dans ses tentes[27]. Roboam ne regna donc que dans les bourgs de la tribu de Juda. Or le roi Roboam envoya l’intendant de ses tribus, nommé Aduram ; mais tout le peuple le lapida, et il en mourut… le roi Roboam monta aussitôt sur sa charrette, et s’enfuit à Jérusalem. Et tout Israël se sépara de la maison de David, comme il en est séparé encore aujourd’hui[28]… or tout Israël, sachant que Jéroboam était revenu, le constitua roi ; et personne ne suivit la maison de David, excepté la maison de Juda. Roboam, étant donc à Jérusalem ; assembla la tribu de Juda et celle de Benjamin, et vint avec cent quatre-vingts mille soldats choisis[29] pour combattre contre la maison d’Israël, et pour réduire tout le royaume de Roboam fils de Salomon. Alors Dieu parla à Séméias, homme de Dieu, disant : va parler à Roboam, fils de Salomon, roi de Juda, et à toute la maison de Juda et de Benjamin, disant : voici ce que commande le seigneur ; vous ne monterez point contre vos freres les enfants d’Israël ; que chacun s’en retourne chez soi ; car c’est moi qui ai dit cette parole. Ils écouterent tous ce discours de Dieu, et ils s’en retournerent comme le seigneur l’avait ordonné[30]… or Jéroboam fit bâtir Sichem dans les montagnes d’éphraïm… et il disait en lui-même : le royaume pourrait bien retourner à la maison de David ; si ce peuple monte en la maison du seigneur à Jérusalem, pour y sacrifier, le cœur de ce peuple se tournera à la fin vers Roboam roi de Juda ; ils me tueront et reviendront à lui. Donc, après y avoir bien pensé, il fit faire deux veaux dorés, et il dit à son peuple : gardez-vous de monter à Jérusalem ; voilà vos dieux qui vous ont tirés de l’égypte. Et il mit ces deux veaux, l’un à Béthel, et l’autre à Dan[31]. En même temps Addo le voyant , le prophete, l’homme de Dieu[32], vint de Juda en Béthel, quand Jéroboam était monté sur l’autel, et qu’il jettait de l’encens. Et il cria contre l’autel dans le verbe de Dieu ; et il dit : autel, autel ! Voici ce que dit le seigneur : il naîtra un jour un fils de la maison de David, qui s’appellera Josias ; et il immolera sur toi les prêtres des hauts lieux, qui à présent brûlent sur toi de l’encens : et il brûlera sur toi les os des hommes. Et aussitôt il donna un signe, disant : ceci sera le signe que c’est Dieu qui a parlé ; voici que l’autel va se fendre et que la cendre qui est dessus va se répandre. Le roi, ayant entendu cet homme qui criait contre son autel en Béthel, étendit sa main et cria : qu’on saisisse cet homme-là, mais sa main, qu’il avait étendue, devint paralitique sur le champ ; et il ne put la retirer à lui… l’autel se fendit, et la cendre se répandit, selon le signe que l’homme de Dieu avait prédit dans le verbe de Dieu… alors le roi dit à l’homme de Dieu : conjure la face du seigneur ton dieu, et prie pour moi, afin qu’il me rende ma main. L’homme de Dieu pria la face du seigneur Dieu ; et le roi reprit sa main. Le roi dit donc à l’homme de Dieu : vient-en diner avec moi dans ma maison ; et je te ferai des présens. L’homme de Dieu répondit au roi : quand tu me donnerais la moitié de ta maison, je n’irais pas avec toi ; et je ne mangerai point de pain, ni ne boirai point d’eau ici ; car le seigneur, qui m’a envoyé ici, m’a ordonné en m’ordonnant : tu ne mangeras point de pain, et tu ne boiras point d’eau en ce lieu-là, et tu ne retourneras point par le chemin que tu es venu[33]… Addo : le prophete s’en retourna donc par un autre chemin. Or il y avait un vieux prophete qui demeurait à Béthel ; et ses enfans conterent au vieux prophete leur pere tout ce que l’homme de Dieu venait de faire. Et leur pere leur dit : quel chemin a-t-il pris pour s’en aller ? Et ils lui montrerent le chemin. Et il dit à ses fils : sanglez-moi mon âne. Et ils lui sanglerent son âne ; et il monta dessus ; et il trouva Addo, l’homme de Dieu, assis sous un thérébinte ; et il lui dit : es-tu l’homme de Dieu qui es venu de Juda ? Et Addo répondit : c’est moi. Le vieux prophete lui dit : viens t’en avec moi pour manger du pain. Addo répondit : je ne peux m’en retourner ni venir avec toi, ni manger du pain, ni boire de l’eau en ce lieu ; car le seigneur m’a parlé dans le verbe du seigneur, disant : tu ne mangeras pain, ni ne boiras eau en ce lieu, et tu ne t’en retourneras pas par la même voie[34]. Le vieux voyant lui répartit ; écoute ; je suis prophete aussi, et semblable à toi ; et un ange m’est venu parler dans le verbe du seigneur, disant : ramene-moi cet homme-là dans ta maison, afin qu’il mange pain et qu’il boive eau. Et ainsi il le trompa, et le ramena avec lui ; et Addo mangea pain et but eau. Et lorsqu’ils étaient assis à table, le verbe du seigneur se fit entendre au prophete qui avait ramené le prophete Addo. Et ensuite le même verbe cria au prophete Addo : homme de Dieu, qui viens de Juda, voici ce que dit le seigneur : parce que tu n’as pas été obéissant à la bouche du seigneur, et que tu n’as point gardé le commandement que le seigneur t’a commandé, et que tu t’en es retourné, et que tu as mangé pain et que tu as bu eau dans le lieu où je t’ai défendu de manger pain et de boire eau, ton cadavre ne sera point porté dans le sépulcre de tes peres… donc après qu’Addo, homme de Dieu eut bu et mangé, le vieux devin sangla son âne pour le ramener… et comme Addo, homme de Dieu, était en chemin, et fut rencontré par un lion, qui le tua ; son corps demeura dans le chemin ; et l’âne se tenait auprès de lui d’un côté, et le lion de l’autre[35].


DÉCLARATION DU COMMENTATEUR.


Dans la crainte où je suis que cette histoire ou ce commentaire ne causent au lecteur un ennui aussi mortel qu'à moi, je passerai tous les assassinats des rois de Juda et d'Israël, qui ne forment qu'un tableau dégoûtant et monotone de guerres civiles entre deux petits pays barbares, dont les capitales n'étaient qu'à sept ou huit lieues l'une de l'autre. Je ne parlerai de ces roitelets qu'autant qu'ils auront quelque rapport aux grands miracles que Dieu daignait faire continuellement dans ce coin du monde ignoré. Ces miracles, opérés par les prophètes juifs, soutiennent l'attention, que l'uniformité des guerres lasserait infailliblement. Je n'entrerai dans quelques détails que lorsqu'à la fin les rois de Babylone viendront venger la terre des abominations de ce peuple non moins cruel que superstitieux, lorsqu'ils brûleront Jérusalem, qu'ils disperseront dix tribus, dont on n'entendra jamais plus parler, et qu'ils mettront les deux autres dans les fers.

En ce temps Abias, fils de Jéroboam tomba malade. Et le roi de Jéroboam dit à sa femme : ma femme, déguise-toi ; change d’habit, va-t’en au village de Silo où est le prophete Hahias ; prends avec toi dix pains, un petit gâteau, un pot de miel, et va-t’en trouver le prophete ; car il te dira tout ce qui arrivera au petit enfant… or le prophete Hahias, que la vieillesse avait rendu aveugle, entendit le bruit des souliers de la reine, qui était à sa porte en Silo ; et lui dit : entre, entre, femme de Jéroboam ; pourquoi te déguises-tu ?… ceux de la maison de Jéroboam, qui demeurent dans la ville, seront mangés par les chiens ; et ceux qui mourront à la campagne seront mangés par les oiseaux ;… va-t’en donc, et sitôt que tu auras mis le pied dans la ville, l’enfant mourra[36]. Or Juda fit aussi le mal devant le seigneur. Car ils firent aussi des autels et des statues, et des bois consacrés sur les hauts. Il y eut aussi des sodomites prostitués, et des abominations. Mais la cinquieme année du regne de Roboam, Sésac, roi d’égypte, s’empara de Jérusalem, et il enleva tous les trésors de la maison du seigneur, et les trésors du roi ; il pilla tout, jusqu’aux boucliers d’or que Salomon avait faits[37]or Asa, petit-fils de Roboam, marcha droit devant le seigneur ; il chassa les sodomites prostitués… et empêcha Maacha sa mere de sacrifier à Priape, et il brisa le simulacre honteux de Priape, et le brûla dans le torrent de Cédron. Cependant il ne détruisit pas les hauts lieux. Mais son cœur était parfait devant le seigneur[38].

[39]Abias eut guerre avec Jéroboam. Il avait quatre cents mille combattans bien choisis et très vaillants. Et Roboam avait huit cents mille combattans bien choisis aussi, et très vaillants… et il y eut cinq-cents mille hommes des plus vaillants tués dans la bataille du côté d’Israël[40]… Abias, voyant donc son royaume affermi, épousa quatorze femmes, dont il eut vingt-deux fils et seize filles… Asa, fils d’Abias, fit ce qui était bon et agréable devant le sei- gneur. Il leva dans Juda une armée de trois-cents mille hommes portants boucliers et piques ; et dans Benjamin deux-cents quatre-vingts mille hommes portants boucliers et carquois… et Zara, roi d’éthiopie, vint l’attaquer avec un million de combattants et trois-cents chariots de guerre… et les éthiopiens furent entiérement défaits, car c’était le seigneur qui les frappait. Or Amari acheta la montagne de Samarie d’un hébreu, nommé Somer, pour deux talents d’argent ; et il bâtit la ville de Samarie du nom de ce Somer, à qui la montagne avait appartenu. Et Hiel, natif de Béthel, rebâtit la ville de Jérico[41]. En ce temps-là élie le thesbite, habitant de Galaad[42], dit à Achab roi d’Israël : vive dieu ! Il ne tombera pas pendant sept ans une goutte de rosée et de pluie, si Dieu ne l’ordonne par ma bouche… le seigneur Adonaï s’adressa ensuite à élie, et lui dit : retire-toi d’ici ; va-t’en vers l’orient ; cache-toi dans le torrent de Carith ; j’ai ordonné aux corbeaux de ce pays-là de te nourrir… élie fit comme le verbe d’Adonaï lui avait dit ; il se mit dans le torrent de Carith, qui est contre le Jourdain. Les corbeaux lui apportaient le matin du pain et de la viande, et le soir encore du pain et de la viande, et il buvait de l’eau du torrent. Quelques jours après, le torrent se sécha ; car il ne pleuvait point sur la terre. Le verbe d’Adonaï se fit donc encore entendre à lui, en disant : leve-toi ; va-t’en à Sarepta, village des sidoniens, et demeure là ; car j’ai commandé à une veuve de te nourrir… élie alla aussi-tôt à Sarepta ; et quand il fut à la porte, une veuve se mit à ramasser quelques brins de bois. Il lui dit : donne-moi un peu d’eau dans un gobelet, et une bouchée de pain. La veuve répondit : vive Adonaï ton dieu ! Je n’ai point de pain, je n’ai qu’un petit pot de farine qui n’en contient qu’autant qu’il en peut tenir dans ma main, et un peu d’huile dans un petit vase ; et je viens ici ramasser deux brins de bois pour faire manger mon fils et moi ; après quoi nous mourrons. élie lui dit : cela ne fait rien ; fais comme je t’ai dit ; fais-moi cuire un petit pain sous la cendre ; apporte-le moi : tu en feras après un autre pour ton fils et pour toi[43] ; car voici ce que dit Adonaï dieu d’Israël : le pot de farine ne manquera point, et le pot d’huile ne diminuera point, jusqu’à ce qu’Adonaï fasse tomber de la pluie sur la face de la terre… la veuve s’en alla donc, et fit ce qu’élie lui avait dit. élie mangea, elle aussi, et sa maison aussi ; et la farine du pot ne manqua point ; et l’huile du petit huilier ne diminua point… or il arriva après, que l’enfant de cette veuve, mere de famille, fut si malade qu’il ne respirait plus. Cette femme dit donc à élie : homme de Dieu, es-tu venu chez moi pour faire mourir mon fils… élie lui dit : donne-moi ton fils ; et il le prit du sein de la veuve, et le porta dans la salle à manger où il demeurait. Il se mit par trois fois sur l’enfant en le mesurant ; et il cria à Adonaï : mon seigneur, fais, je te prie, que l’ame de cet enfant revienne dans ses entrailles. Et Adonaï exauça la voix d’élie ; l’ame de l’enfant revint, et il ressuscita[44]. Après plusieurs jours le verbe d’Adonaï fut fait à élie, disant : va, montre-toi au roi Achab, afin que je fasse tomber la pluie sur la face de la terre. élie alla donc pour se montrer au roi Achab… or il y avait alors grande famine sur la terre[45]. Achab vint aussi-tôt devant élie, et lui dit : n’es-tu pas celui qui trouble Israël ? élie lui répondit : ce n’est pas moi qui trouble Israël ; c’est toi et la maison de ton pere, quand vous avez tous abandonné Adonaï et suivi Baal… fais assembler tout le peuple sur le mont Carmel, avec tes quatre cents cinquante prophetes de Baal, et avec tes quatre cents prophetes des bocages, qui mangent de la table de ta femme Jésabel… Achab fit donc venir tous les enfans d’Israël ; et il assembla ses prophetes sur le mont Carmel… élie dit : qu’on me donne deux bœufs ; qu’ils en choisissent un pour eux, et que l’ayant coupé par morceaux ils le mettent sur le bois, sans mettre du feu par-dessous[46]. Et moi, je prendrai l’autre bœuf ; je le mettrai sur du bois, sans mettre du feu par-dessous… invoquez tous le nom de vos dieux ; et moi j’invoquerai le nom du mien. Que le dieu, qui exaucera par le feu, soit dieu ! Tout le monde lui répondit : très-bonne proposition. Les prophetes d’Achab, ayant donc pris leur bœuf, invoquerent le nom de Baal jusqu’à midi, disant : Baal, exauce-nous. Et Baal ne disait mot. Ils sautaient par-dessus l’autel ; il était déja midi. Et élie se moquait d’eux en disant : criez plus fort ; car Baal est un dieu ; il parle peut-être à quelqu’un ; ou il est au cabaret, ou il voyage, ou il dort, et il faut le réveiller. Ils se mirent donc à crier encore plus ; ils se firent des incisions selon leurs rites avec des couteaux et des lancettes, jusqu’à ce qu’ils fussent couverts de sang[47]. élie rétablit l’autel d’Adonaï en prenant douze pierres, et fesant une rigole tout autour, arrangea son bois, coupa son bœuf par morceaux. Il fit répandre par trois fois quatre cruches d’eau sur son holocauste et sur le bois ; et il dit : Adonaï ! Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ! Fais voir aujourd’hui que tu es le dieu d’Israël, et que je suis ton serviteur, et que c’est par ton ordre que j’ai fait tout cela. Et en même temps le feu d’Adonaï descendit du ciel et dévora l’holocauste, le bois, les pierres, la cendre, et l’eau qui était dans les rigoles. Ce que voyant le peuple, il cria : Adonaï est dieu, Adonaï est dieu. Alors élie leur dit : prenez les prophetes de Baal ; et qu’il n’en échappe pas un seul. Et le peuple les ayant pris, élie les mena au torrent de Cison, et les y massacra tous. élie dit ensuite au roi Achab : allez, mangez et buvez ; car j’entends le bruit d’une grande pluie[48]… et il tomba une grande pluie. Achab monta donc sur sa charrette… et élie s’étant ceint les reins, courut devant Achab jusqu’au village de Jésraël[49]. Le roi Achab, ayant rapporté à Jésabel ce qu’élie avait fait, et comme il avait massacré ses prophetes, la reine Jésabel envoya un messager à élie, disant : les dieux m’exterminent, si demain je ne tue ton ame, comme tu as tué l’ame de mes prophetes. élie trembla de peur, et s’enfuit dans le désert ; et il se jetta par terre et s’endormit. L’ange de Dieu le toucha et lui dit : leve-toi, et mange. élie se retourna, et vit auprès de sa tête un pain cuit sous la cendre et un pot d’eau. Il mangea et but et marcha pendant quarante jours et quarante nuits jusqu’au mont Oreb, montagne de Dieu… et il se cacha dans une caverne. Le seigneur Adonaï lui dit : que fais-tu là ? Sors et va sur la montagne. Puis le seigneur passa ; et on entendit devant le seigneur un grand vent, qui déracinait les montagnes, et qui brisait les roches ; et le seigneur n’était point dans le vent. Puis, après le vent, il se fit un grand tremblement de terre ; et le seigneur n’était pas dans ce tremblement. Et après ce tremblement de terre, il s’alluma un grand feu, et Dieu n’était pas dans ce feu. Après ce feu, on entendit le sifflement d’un petit vent ; et Dieu était dans ce sifflement[50]. Et Adonaï dit à élie : retourne dans le désert de Damas, et tu oindras Hazaël, pour être roi de Syrie ; et tu oindras Jéhu, fils de Namsi, pour être roi sur Israël. Tu oindras aussi le bouvier élizée, pour être prophete. Quiconque aura échappé à l’épée de Jéhu, sera tué par élisée[51]. Or élie, ayant rencontré élisée qui labourait avec vingt-quatre bœufs, il mit son manteau sur lui… Benadad, roi de Syrie, ayant assemblé toute son armée, et sa cavalerie, et ses chars de guerre, et trente-deux rois avec lui, marcha contre Samarie et l’assiégea. Le roi d’Israël assembla ses prophetes au nombre de quatre cents, et leur dit : dois-je aller à la guerre en Ramoth de Galaad ? Et ils lui répondirent : marche à la guerre dans la ville de Galaad ; et le seigneur la mettra dans ta main. Le roi Josaphat, roi de Juda (l’ami et l’allié du roi d’Israël Achab) dit aussi : n’y a-t-il point quelqu’autre prophête pour prophétiser ? Achab répondit au roi Josaphat : il y en a encore un par qui nous pourrions interroger Adonaï ; mais je hais cet homme-là, parce qu’il ne prophétise jamais rien de bon ; c’est Michée, fils de Jembla[52]cependant Achab, roi d’Israël, fit venir Michée. Le roi d’Israël et le roi de Juda étaient dans l’aire d’une grange, chacun sur son trone, vêtus à la royale, près de Samarie. Et tous les prophetes prophétisaient devant eux. Le prophete Sédékias, fils de Chaahana, se mit des cornes de fer sur la tête et dit : ces cornes frapperont la Syrie jusqu’à ce qu’elle soit détruite. Tous les prophetes prophétisaient de même, et disaient aux deux rois : montez contre Ramoth en Galaad ; et le seigneur vous la livrera… mais Michée, étant interrogé, dit : j’ai vu le seigneur assis sur son trône, et toute l’armée du ciel rangée à sa droite et à sa gauche ; et le seigneur a dit : qui de vous ira tromper Achab roi d’Israël, afin qu’il marche contre Ramoth en Galaad et qu’il y périsse : et un ange autour du trône disait une chose, et un autre ange en disait une autre… alors un méchant ange s’est avancé, et se présentant devant le seigneur, il lui a dit ; c’est moi qui tromperai Achab. Et Adonaï lui a dit : comment t’y prendras-tu ? Et l’ange malin a répondu : je serai un esprit menteur dans la bouche des prophetes ; Adonaï lui a réparti : oui, tu le tromperas, et tu prévaudras ; va-t’en, et fais cela ainsi. Le reste des discours d’Achab, et de tout ce qu’il fit, et la maison d’ivoire qu’il construisit, et toutes les villes qu’il bâtit, tout cela n’est-il pas écrit dans le livre des discours et des jours des rois d’Israël ?

  1. le révérend pere Don Calmet observe qu’une jeune fille fort belle est très propre à ranimer un homme de soixante et dix ans ; c’était alors l’âge de David. Il dit qu’un médecin juif conseilla à l’empereur Frédéric Barberousse, de coucher avec de jeunes garçons et de les mettre sur sa poitrine. Mais on ne peut pas toute la nuit tenir sur sa poitrine un jeune garçon. On employe, ajoute-t-il, de petits chiens au même usage. Il faut que Salomon crût que son pere avait mis la belle Abisag à un autre usage, puisqu’il fit assassiner (comme nous le verrons) son frere ainé Adonias, pour lui avoir demandé Abisag en mariage ; comme s’il avait voulu épouser la veuve ou la concubine de son pere.
  2. M Huet ne passe pas sous silence, cette intrigue de cour ; il s’éleve violemment contre elle. On ne voit point, dit-il, le seigneur ordonner d’abord que l’on verse de l’huile sur la tête de Salomon, et qu’il soit oint et christ ; tout se fait ici par cabales. L’ordre de la succession n’était pas encore bien établi chez les juifs : mais il était naturel que le fils ainé succédât à son pere ; d’autant plus qu’il n’était point né d’une femme adultere, comme Salomon. L’auteur sacré ne présente pas Nathan comme un prophete inspiré de Dieu dans cette occasion, mais comme un homme qui est à la tête d’un parti, qui fait une brigue avec Bethsabé pour ravir la couronne à l’ainé, et qui emploie le mensonge pour parvenir à ses fins ; car il accuse Adonias de s’être fait roi ; et ce prince avait dit seulement, j’espere d’être roi ; son droit était reconnu par les deux principales têtes du royaume, un grand-prêtre et un général d’armée. C’est une chose étonnante qu’il y ait deux grands-prêtres à la fois. La loi en cela était violée ; et deux grands-prêtres, opposés l’un à l’autre, devaient nécessairement exciter des troubles. M Huet excuse un peu David, qui était affaibli par l’âge ; mais il ne pardonne ni à Salomon, ni à Bethsabé, encore moins au prophete Nathan, auquel il donne les épithetes les plus injurieuses. Nous ne pouvons nous empêcher de voir qu’il y avait en effet une grande cabale pour Salomon contre Adonias, mais enfin le doigt de Dieu est par-tout : il se sert des moyens humains comme des plus divins.
  3. M Huet dit sans détours, que David meurt comme il a vécu. Il a l’horrible ingratitude d’ordonner qu’on tue son général d’armée auquel il devait sa couronne. Il se parjure avec Séméi, après lui avoir fait serment de ne jamais attenter à sa vie. Enfin, il est assassin et perfide jusques sur les bords du tombeau. Le révérend pere Don Calmet justifie David par ces paroles remarquables. " David avait reçu de grands services de Joab ; et l’impunité, qu’il lui avait accordée pendant si long-temps, était une espece de récompense de ses longs travaux : mais cette considération ne dispensait pas David de l’obligation de punir le crime et d’exercer la justice contre Joab. Enfin les raisons de reconnaissance ne subsistaient pas à l’égard de Salomon ; et ce prince avait un motif particulier de faire mourir Joab, qui est, qu’il avait conspiré de donner le royaume à Adonias, à son exclusion. "
  4. en tâchant de suivre mes deux prédécesseurs, j’observe d’abord que cette histoire n’a rien de commun ni avec nos saints dogmes, ni avec la foi, ni avec la charité. Le jeune Adonias demande à son frere puiné, devenu roi par la brigue de Bethsabé et du prophete Nathan, une seule grace, qui ne tire à aucune conséquence : il veut, pour tout dédommagement du royaume qu’il a perdu, une jeune fille, une servante, qui réchauffait son vieux pere : il est si simple et de si bonne foi, qu’il implore, pour obtenir cette fille, la protection de la mere de Salomon, de cette même Bethsabé qui lui a fait perdre la couronne ; et, pour toute réponse, le sage Salomon jure par Dieu qu’il fera assassiner son frere Adonias ; et sur le champ, sans consulter personne, il commande au capitaine Banaia d’aller tuer ce malheureux prince. Est-ce là l’histoire du peuple de Dieu ? Est-ce l’histoire du serrail du grand turc ? Est-ce celle des voleurs de grand-chemins ?
  5. si l’on peut ajouter un crime nouveau aux scélératesses par lesquelles Salomon commence son regne, il y ajoute un sacrilege. Le capitaine Banaia lui rapporte que Joab implore la miséricorde de Dieu dans le tabernacle, et qu’il embrasse la corne de l’autel. Cet officier n’ose commettre un assassinat dans un lieu si saint. Salomon n’en est point touché ; il ordonne au capitaine de massacrer Joab à l’autel-même. S’il est quelque chose d’étrange après tant d’horreurs, c’est que Dieu, qui a fait périr cinquante mille hommes de la populace, et soixante et dix hommes du peuple, pour avoir regardé son arche, ne venge point ce coffre sacré, sur lequel on égorge le plus grand capitaine des juifs, à qui David devait sa couronne.
  6. à peine Salomon, cruel fils de l’infame Bethsabé, s’est-il signalé par l’assassinat, par le sacrilege et par le fratricide, qu’il tend un piege à ce Séméi conseiller d’état du roi son pere. Il attend que ce pauvre vieillard ait sellé son âne pour aller redemander son bien, et qu’il ait passé le torrent de Cédron, pour le faire tuer sous couleur de justice. Qu’on lise l’histoire de Caligula et de Néron, et qu’on voie si ces monstres ont commencé ainsi leur regne par de tels crimes. On dit que Dieu punit Salomon pour avoir offert de l’encens aux dieux de ses femmes et de ses maîtresses ; et moi j’ose croire, que s’il fut enfin puni, ce fut pour ses assassinats.
  7. c’est cependant immédiatement après cette foule de crimes que Dieu parle à Salomon. Dieu venir continuellement sur la terre pour s’entretenir avec des juifs ! Mais passons. Cette fois-ci Dieu n’apparaît à Salomon que dans un rêve : comment l’a-t-on su ? Il le dit donc à quelque autre juif ; et c’est sur la foi de cet autre juif qu’un scribe juif a écrit cette histoire singuliere ! Histoire fondée sur un rêve, comme toutes les avantures de Joseph et du pharaon sont fondées sur des rêves ! S’il se pouvait qu’un ministre du Dieu suprême fût descendu du haut des cieux pour dire à Salomon devant tout le peuple, demande à Dieu ce que tu veux, il te l’accordera, que Salomon lui eût demandé la sagesse, et que Dieu, en la lui donnant, y eût ajouté les trésors et la puissance, ce serait un très bel apologue : mais le rêve gâte tout.
  8. je dirai hardiment, que jamais Salomon, ni aucun prince juif, n’eut tous ces royaumes. Je ne ménage point le mensonge, comme ont fait mes deux prédécesseurs ; mon indignation ne me permet pas cette lâche complaisance. Qui jamais avait entendu dire que des juifs aient régné de l’Euphrate à la Méditerranée. Il est vrai que le brigandage leur valut un petit pays au milieu des roches et des cavernes de la Palestine depuis le désert de Bersabé jusqu’à Dan (voyez la lettre de st Jérôme) ; mais il n’est point dit que jamais Salomon ait conquis par la guerre une lieue de terrain. Le roi d’égypte possédait de grands domaines dans la Palestine ; plusieurs cantons cananéens n’obéissaient pas à Salomon : où est donc cette prétendue puissance ?
  9. ce pauvre Calmet, copiste de toutes les fadaises qu’on a compilées avant lui, a beau nous dire que les rois de Babylone nourrissaient tous leurs officiers : un roi juif était auprès d’un roi de Babylone, ce qu’était le roi de Corse Théodore en comparaison d’un roi d’Espagne, ou le roi d’Yvetot vis-à-vis un roi de France. Soixante et dix mille muids de farine et trente bœufs par jour ! En vérité cela ressemble aux cinq cents aunes de drap employées pour la braguette de la culotte de Gargantua.
  10. les quarante mille écuries de Salomon ne sont pas de trop, après les quatre-vingts dix mille muids de farine. Au reste, les commanetateurs permettent de prendre quarante mille juments, au lieu de quarante mille écuries. On peut choisir. (Id.)
  11. je ne sais point qui étaient ce Dorda et ce Chacol ; et personne ne le sait : mais pour les trois mille paraboles, et les mille cinq cantiques, il nous en reste quelques-uns qu’on attribue à ce Salomon. Flavien Joseph, ce transfuge juif, ce hableur épargné par Vespasien, dit que Salomon composa trois mille volumes de paraboles ; et la mauvaise traduction, dite des septante, attribue à Salomon cinq mille odes. Plût à dieu qu’il eût toujours fait des odes hébraiques, au lieu d’assassiner son frere !
  12. l’historien juif, Flavien Joseph, n’est pas d’accord avec l’écrivain que nous commentons, sur les mesures de vin et d’huile ; mais il affirme que les lettres de Salomon et d’Hiram existaient encore de son temps. Serait-il possible que les archives tyriennes eussent subsisté après la destruction de Tyr par Alexandre, et les juives après la ruine du temple sous Nabuchodonozor ?
  13. tout ce détail semble terriblement exagéré. Cent quatre-vingts trois mille trois cents hommes employés aux seuls préparatifs d’un temple qui ne devait avoir que quatre-vingts onze pieds de face, révoltent quiconque a la plus légere connaissance de l’architecture. Cinquante ouvriers bâtissent en Angleterre une belle maison de cette dimension en six mois. Au reste, les mesures du livre des rois, des paralipomenes, d’ézéchiel et de Joseph, ne s’accordent pas ; et cette différence entre les trois auteurs est assez extraordinaire.
  14. les auteurs ne s’accordent pas davantage sur la chronologie de ce temple. Les prétendus septante le disent bâti quatre-cents quarante ans après la fuite d’égypte ; Joseph cinq cents quatre-vingts douze ans ; et parmi les modernes on trouve vingt opinions différentes : cette question n’est d’aucune importance ; mais dans un livre sacré l’exactitude ne nuirait pas.
  15. il paraît que le sur-intendant des bâtimens de Salomon n’était ni un Michel-Ange, ni un Bramante : on ne sait ce que c’est que ces fenêtres de côté, ces fenêtres obliques. D’ailleurs il ne faut pas s’imaginer que ces temples eussent la moindre ressemblance avec les nôtres. C’étaient des cloîtres, au milieu desquels était un petit sanctuaire : on fesait de ces cloîtres une citadelle ; les murs étaient solides, et les prêtres avaient leurs maisons adossées à l’intérieur de ces murs : ces trois échafauds, ces trois étages, dans l’intérieur du temple, bâtis pour les prêtres, étaient de bois, et avançaient d’une coudée l’un sur l’autre. Nous avons encore d’anciennes villes bâties de cette maniere barbare.
  16. on a remarqué que ces figures de veaux dans le sanctuaire, et ces douze veaux qui soutenaient la cuve appellée la mer où les prêtres se lavaient, étaient une transgression formelle contre la loi.
  17. il ne fallait pas faire souvent de pareils sacrifices : on aurait bientôt été réduit à la famine. Comptez pour chaque bœuf gras quatre cents livres de viande : voilà huit millions 800000 livres de bœuf, et douze cents mille livres de mouton ; ajoutez-y le pain et le vin ; c’est un grand repas. — Larcher (traduction d’Hérodote, tome I, page 262, note 116) ne peut s’empêcher de trouver le fait extraordinaire ; voyez aussi Gibbon. (Note communiqué.) (B.)
  18. on ne sait pas trop où Salomon aurait pris ces vingt villes. Samarie n’existait pas. Jéricho n’était qu’une mazure. Sichem, Béthel, n’étaient pas rebâties ; elles ne le furent que sous Jéroboam. C’étaient apparemment des villages que Salomon donna au roi de Tyr ; et que ce tyrien en ait été content ou non, cela est fort indifférent.
  19. ce voyage d’Ophir est peu de chose. Si vous comptez le talent d’or à cent vingt mille livres de la monnoie de France, ce n’est qu’une affaire de cinquante millions quatre cents mille livres. Les paralipomenes vont bien plus loin : ce livre assure que David, avant sa mort, donna à son fils cent mille talents d’or de ses épargnes, et un million de talents d’argent. Nous comptons le talent d’or à quarante mille écus, et le talent d’argent à deux mille ; ce qui fait juste six milliards d’écus, dix-huit milliards de francs. Ce que Salomon amassa pouvait bien aller à une somme aussi forte. Il est comique de voir un melk, un roitelet juif, avoir à sa disposition trente six milliards de livres françaises, ou neuf milliards d’écus d’Allemagne, ou environ un milliard et demi sterling. On est dégoûté de tant d’exagérations puériles ; cela ressemble à la Jérusalem céleste, qui descend du ciel dans l’apocalypse, et que le bon homme st Justin vit pendant quarante nuits consécutives ; les murailles étaient de jaspe, la ville était d’or, les fondements de pierres précieuses, et les portes de perles.
  20. la reine de Saba, qui vient proposer des énigmes à Salomon, et qui lui fait un petit présent de seize millions huit cents mille livres de France, ou de quatre millions deux cents mille écus d’Allemagne, est bien une autre dame que l’impératrice de Russie. Salomon, qui était fort galant, dut lui faire des présents qui valaient au moins le double. La dixme de tout cet argent appartient aux prêtres. On cherche ce royaume de Saba ; il était sans doute dans le pays d’utopie.
  21. mettons le sicle d’argent à un écu de France de trois livres. Salomon n’achetait pas cher ses chevaux dans un temps où l’on marchait sur l’or et sur l’argent dans les rues de Jérusalem. L’égypte ne nourrissait gueres de chevaux. Que ne les fesait-il venir d’Arabie ? Et de Perse ? Ne savait-il pas que la plupart des chevaux d’égypte deviennent tous aveugles en peu de temps ?
  22. il semble assez prouvé que les juifs n’avaient point encore de culte fixe et déterminé. S’ils en avaient eu, Jacob et ésaü n’auraient point épousé des filles idolâtres ; Samson n’aurait point épousé une philistine ; Jephté n’aurait point dit, que tout ce que le dieu Chamos avait conquis pour son peuple lui appartenait de droit. Il est très vraisemblable qu’aucun des livres juifs, tels qu’ils nous sont parvenus, n’était encore écrit. Il était fort indifférent que Salomon adorât un dieu sous le nom de Chamos, ou de Moloch, ou de Milkon, ou d’Adonaï, ou de Sadaï, ou de Jéhova.
  23. ce Rason roi de Syrie, qui fit tant de peine à Salomon pendant tout son regne en Judée, démontre évidemment que l’auteur sacré se contredit grossiérement quand il dit que Salomon régna de l’Euphrate à la Méditerranée. Les contradictions sont fréquentes dans l’auteur sacré.
  24. nous avons déjà vu un lévite qui coupa sa femme en douze morceaux, parce qu’elle était morte de lassitude d’avoir été violée en Gabaa ; et maintenant voici un prophete nommé Ahias, qui ne coupe que son manteau en douze parts, pour signifier au rebelle Jéroboam que des douze tribus d’Israël il en aurait dix. Il aurait pu complotter contre Salomon avec ce rebelle sans qu’il lui en coutât un bon manteau tout neuf ; le dieu d’Israël ne donnait pas beaucoup de manteaux à ses prophetes ; on sait que leur garderobe était mal fournie ; apparemment que Jéroboam lui paya la valeur de son manteau.
  25. si Salomon voulut faire assassiner ce Jéroboam, il paraît qu’en effet Dieu lui avait donné la sagesse : il est toujours fort vilain d’assassiner ; mais enfin il s’agissait d’un royaume qui, dit-on, s’étendait de l’Euphrate à la mer. Salomon ne put venir à bout de son dessein, il mourut ; et de bonnes gens disputent encore s’il est damné. Les prophetes juifs n’agiterent point cette question. Il n’y avait point encore d’enfer de leur temps.
  26. ce Salomon était donc le plus avare juif qui fût parmi les juifs ; et son contrôleur général des finances méritait d’être pendu. Quoi ! De son temps on marchait sur l’or et l’argent dans les rues ; nous avons vu qu’il possédait environ trente-six milliards d’argent comptant ; et le cancre accablait encore son peuple d’impôts, après lui avoir fait manger en un jour cent quatre-vingts neuf millions deux cents mille livres de viande à seize onces la livre ! On a bien raison de dire qu’il n’y a rien de si avare qu’un prodigue. Pour Roboam, qui dit que Salomon avait fouetté son peuple avec des verges, et qu’il le fouetterait avec des scorpions ; c’est la réponse d’un tyran. Roboam méritait pis que ce qui lui arriva.
  27. tout Israël avait grande raison. Une nation entiere n’aime point à être fouettée avec des scorpions. La maison de David n’était pas meilleure qu’une autre : c’était le fils de l’habitant d’un village ; et les autres familles avaient autant de droit, que la sienne, de se servir de scorpions pour fouetter le peuple ; mais Dieu choisit la famille de David.
  28. ces mots, comme il en est séparé encore aujourd’hui, prouvent que l’auteur sacré écrivait très longtemps après l’événement. Cela prouve encore que, s’il n’était qu’un homme ordinaire, on pourrait douter de tout ce qu’il raconte : mais il était inspiré, comme on sait. Cette scission entre Israël et Juda dura toujours jusqu’à la dispersion des dix tribus, et recommença ensuite entre Samarie et Jérusalem. Delà toutes les prophéties en faveur de Juda par les prophetes du parti de Juda. Delà toutes ces invectives contre les ennemis de Juda, et toutes ces prédictions de la grandeur de Juda, qu’on a ensuite appliquées à Jésu fils de Marie, quand la religion chrétienne a été établie, avec tant de peine et de temps, sur les ruines de la religion judaïque.
  29. voilà une des exagérations incroyables qui se sont glissées dans les livres saints du peuple de Dieu (sans doute par la faute des copistes). Un misérable roitelet de la dixieme partie d’un petit pays barbare pouvait-il avoir une armée de cent quatre-vingts mille combattants ? Les exagérations précédentes, dit-on, sont encore plus incroyables. Il est vrai ; et j’en suis très fâché. Mes deux prédécesseurs ont dit avec raison, que dans ces temps-là rien ne se fesait comme aujourd’hui.
  30. tous les bons critiques soupçonnent quelqu’un de ces Rabi, de ces Rhoë, de ces prophetes, d’avoir écrit tous ces livres juifs. L’auteur représente toujours un prophete prédisant l’avenir et disposant du présent : mais de quelle autorité ce juif inconnu, nommé Séméias, était-il donc revêtu, pour dissiper tout d’un coup une armée de cent quatre-vingts mille hommes ? Ce prophete-là n’était pas de la faction de Juda ; aussi n’était-il point compté parmi ceux qui ont prédit Jésu fils de Marie en Bethléem.
  31. nouvelle preuve que la religion judaïque n’était point fixée. Cette misérable nation juive change de culte à tout moment, depuis sa singuliere évasion d’égypte jusqu’au temps d’Esdras. Remarquez son goût pour les veaux d’or ou dorés. Il en coûta vingt-trois mille hommes pour le veau d’Aaron. Le seigneur Adonaï, ou Sadaï, ou Sabbahoth, ou Jéhova, ou Jhao, devait naturellement égorger quarante-six mille israélites pour les deux veaux de Jéroboam. Au reste, ce Jéroboam était fort sensé de ne vouloir pas que son peuple allât sacrifier en Jérusalem. Les rois de Perse ne souffrent pas que les persans aillent baiser la pierre noire à La Mecque ; et le roi de Prusse n’envoie point ses grenadiers demander des pardons à Rome.
  32. c’est l’historien Flavian Joseph qui appelle ce prophete Addo ; les sacrés cahiers ne le nomment pas. Le seigneur Adonaï donne à son prophete Addo un pouvoir plus qu’humain. Dès que le roitelet Jéroboam veut faire saisir ce prophete de malheur, sa main se seche, et son bras reste étendu, sans pouvoir remuer. Cependant Adonaï avait lui-même envoyé un autre prophete à ce même Jéroboam, pour lui donner dix parts en douze de ce beau royaume de quarante-cinq lieues de long sur quinze de large. Le miracle de cette main séchée est bien peu de chose en comparaison de la mer-Rouge fendue en deux, et du soleil s’arrêtant un jour entier sur Gabaon, comme la lune sur Ayalon. Mais nous verrons d’aussi beaux miracles, quand nous serons parvenus au temps du devin élie, et du roitelet Achab.
  33. cette défense, de manger sur les terres de Jéroboam, prouve encore que ces terres n’étaient pas fort étendues. Un bon piéton pouvait aisément déjeuner à Samarie, et souper à Jérusalem ; à plus forte raison un prophete, accoutumé à une vie sobre, pouvait se passer de déjeuner à Béthel, qui était encore plus près de Jérusalem que de Samarie.
  34. remarquez que dès qu’un homme se disait prophete en Israël, ou en Juda, on le croyait sur sa parole. Nous avons vu qu’il y avait du temps de Saül des troupes de prophetes ; mais on n’était point reçu dans ces bandes, comme on est reçu licentié à Salamanque et à Coïmbre. Dès que le vieillard se dit prophete, Addo le reconnaît pour tel, et se met à manger sans difficulté.
  35. sans l’avanture du lion et de l’âne qui resterent tous deux en sentinelle à côté du corps mort, nous n’aurions fait aucun commentaire sur le prophete Addo, qui n’a pas fait une grande figure dans le monde, et à qui l’on ne peut reprocher que d’avoir eu faim et d’avoir déjeuné mal-à-propos dans un endroit plutôt que dans un autre. On ne peut le ranger que parmi les petits prophetes.
  36. ce prophete Hahias n’est pas consolant. Mais observez qu’il n’est que prophete d’Israël ; et que, par conséquent, il est hérétique. Le peuple d’Israël était plongé dans l’hérésie ; il sacrifiait chez lui ; il ne sacrifiait point à Jérusalem. Et il n’est point exprimé que le prophete Hahias fût de la faction de Juda. Mais il y a eu de tout temps des prophetes chez les hérétiques. Jurieu l’était en Hollande, il prophétisa contre Louis Xiv. Le nommé Caré De Mongeron prophétisa en faveur des jansénistes. Il y a des prophetes par-tout.
  37. le lion de Juda, dont la verge ne devait jamais sortir d’entre ses jambes, jusqu’à-ce que le shilo vînt, sent cette fois-ci ses ongles rognés de bien près ; et sa verge n’a pas grand pouvoir. Sésac vient d’égypte piller tous les trésors prétendus qui étaient dans le temple de Salomon. De graves savants prouvent que Sésac était le grand Sésostris : d’autres graves savants prouvent que Sésostris naquit mille ans avant Sésac. Des savants encore plus graves prouvent qu’il n’y eut jamais de Sésostris. Une raison qui ferait croire que ce ne fut pas Sésostris qui pilla Jérusalem, c’est qu’il ne pilla point Sichem, Jérico, Samarie et les deux veaux d’or hérétiques ; car Hérodote dit que ce grand Sésostris pilla toute la terre.
  38. l’auteur sacré dit que la reine Maacha était mere du roitelet Abia ; et ensuite il dit qu’elle était mere du roitelet Asa ; mais il ne dit point ce que c’étaient que ces Priapes, dont la mere Maacha était grande-prêtresse à Jérusalem. On ne sort point de surprise quand on voit des Priapes adorés par la maison de David et par les enfants de Jacob. Y a-t-il une plus forte preuve que la religion judaïque ne fut jamais fixée jusqu’au temps d’Esdras ? Quant aux jeunes sodomites chassés par le roi Asa, ou par le roi Abias, il est étonnant qu’il y eut encore de ces gens-là, après le terrible exemple de Sodome et Gomore. Il est souvent parlé de ces jeunes sodomites dans le troisieme livre des rois.
  39. Paralipomènes, Livre II, chap. xiii et xiv. (Id.)
  40. je ne puis ni concilier les contradictions énormes qui se trouvent entre le livre des rois et celui des paralipomenes, ni éclaircir leurs obscurités. Je donne seulement ce petit exemple concernant le roitelet de Juda, nommé Abias, et le roitelet Jéroboam. Que dites-vous, mon cher lecteur, des vingt-deux fils de cet Abias et de ses seize filles, dont ces quatorze femmes accouchent en deux ans de temps ? Que dites-vous de son armée de cinq-cents quatre-vingts mille hommes, et de celle du roi d’éthiopie qui se montait à un million ? Vous savez qu’il y a un peu loin de l’éthiopie à Jérusalem. Par où était venu ce roi d’éthiopie ? Comment le roi d’égypte Sésac, ou Sésostris, l’avait-il laissé passer ? Je n’insiste pas sur ces prodiges : nous en avons vus, et nous en verrons bien d’autres ; prenons courage.
  41. ces grands rois d’Israël ne possédaient pas une ville passable avant qu’on eût bâti Samarie, Jérico et Sichem. Jérico fut une place importante contre les irruptions des arabes et des syriens ; ainsi Josué n’avoit pas agi en politique, lorsqu’il la détruisit entiérement ; et l’anathême prononcé contre elle ne subsista pas.
  42. c’est ici où l’on parle pour la premiere fois d’élie le thesbite, cet homme unique, qui n’avait pas de pain à manger sur la terre, et qui monta au ciel dans un char de feu, traîné par quatre chevaux de feu. On ne connaît gueres plus le bourg de Thésbes sa patrie, que sa personne ; et le voilà qui annonce tout d’un coup qu’il ne pleuvra que par son ordre. Remarquons d’abord que Dieu ne l’emploie que chez les israélites hérétiques, comme nous l’avons déjà insinué. Adonaï lui ordonne de s’asseoir, non pas au bord du torrent, mais dans le torrent même ; et c’est là que les corbeaux viennent le nourrir de la part de Dieu. Cette idée, de nourrir les saints par des corbeaux, fut imitée depuis dans l’histoire des peres du désert. Un corbeau nourrit, pendant soixante ans, l’hermite Paul dans une caverne de la Thébaïde, et lui apportait chaque jour la moitié d’un pain dans son bec. Paul n’avait que cent treize ans, lorsque l’hermite Antoine, âgé de quatre-vingt-dix, vint lui faire une visite. Alors le corbeau apporta un pain entier pour le déjeûner des deux saints comme st Jérémie l’atteste.
  43. le seigneur envoie élie du milieu des hérétiques chez des infideles. Le prophete commence par deviner qu’une femme qui ramasse du bois est veuve, il commence par demander pour lui le seul morceau de pain qui reste à cette femme, bien sûr qu’il lui en donnera d’autre. Mais il n’est pas dit que cette femme sidonienne se soit convertie, et ait quitté le dieu de Sidon pour le dieu de Juda, malgré tous les miracles que fait élie en sa faveur ; mais sa conversion peut se supposer. De plus, un grand nombre de savans suppose ; et nous l’avouons souvent, que tous les peuples reconnaissaient un dieu suprême qui communiquait une partie de son pouvoir à ceux qu’il voulait favoriser, tantôt à des mages d’égypte, tantôt à des mages de Perse ou de Babylone, à des hérétiques samaritains, à des idolâtres même, comme Balaam. Si vous en croyez ces savans, chacun conservait ses rites, son culte, ses dieux secondaires, en adorant le dieu universel. Ainsi le pharaon, qui vit les miracles de Moyse, reconnut la puissance de Dieu, et ne changea point de culte : ainsi la veuve de Sarepta, dont élie multiplia l’huile et la farine et ressuscita l’enfant, resta dans sa religion ; car il n’est point dit qu’élie l’engagea à judaïser.
  44. quelques commentateurs ont remarqué qu’élisée, valet d’élie et son successeur en prophétie, fit la même chose en faveur d’un petit enfant, qu’il ne ressuscita qu’après s’être étendu sur lui. L’enfant bailla sept fois, et ouvrit les yeux. Les impies ont prétendu conclure qu’élisée lui-même était le pere de cet enfant, parce que le mari de la mere était fort vieux, et que Gihézi, valet d’élisée, qui lui amena cette femme dans sa chambre, lui dit : ne vois-tu pas ce qu’elle te demande ? Mais il n’est pas permis de soupçonner ainsi un prophete. Nous ne répondrons point à ceux qui nient absolument tous les miracles d’élie et d’élisée, et jusqu’à l’existence de ces deux hommes. contra negantem principia non est disputandum.
  45. toujours la famine dans la terre de promission. Il y a encore une autre famine du temps d’élisée. à peine Abraham y était-il arrivé qu’il y eut famine ; et il y avait encore famine lorsque Joseph, le juif, gouvernait l’égypte despotiquement.
  46. le mont Carmel appartenait aux sidoniens. On sait que c’est sur cette montagne que le prophete élie fonda les carmes. Ces savants moines ont plus d’une fois traité d’hérétiques ceux qui ont osé combattre cette vérité.
  47. il est évident, par l’acceptation universelle et soudaine que les israélites font de l’offre d’élie, qu’ils étaient dans la bonne foi. Il n’est pas moins évident que leurs prêtres avaient une confiance aussi grande dans leur dieu Baal, qu’élie dans le vrai dieu ; puis qu’ils se donnaient des coups de couteau, et qu’ils fesaient couler leur sang, pour obtenir le feu du ciel. Il semble même que le peuple d’Israël et le peuple de Juda adoraient le même dieu sous des noms différents. Israël avait des veaux d’or ; mais Juda avait ses bœufs d’or, placés par Salomon dans le sanctuaire avant que Sésac vint piller Jérusalem et le temple. Il est clair, par le texte, qu’Israël n’adorait point ses veaux ; puis qu’il n’adorait que Baal. Or ce mot Bal, Bel, Baal, signifiait le seigneur, comme Adonaï, éloa, Sabbahoth, Sadaï, Jéhova, signifiait aussi le seigneur. Les rites, les sacrifices, étaient entiérement les mêmes ; les intérêts seuls étaient différents. L’hérésie d’Israël ne consistait donc qu’en ce que les israélites ne voulaient pas porter leur argent à Jérusalem, dont la tribu de Juda était en possession.
  48. quelques savans prétendent qu’élie n’est qu’un personnage allégorique, et qu’il n’y eut jamais d’élie. Mais si élie exista, les critiques disent que jamais juif ne fut plus barbare. Les prophetes de Baal étaient aussi dévots à leur dieu que lui au sien ; leur foi était aussi grande que la sienne. Ils n’étaient donc pas coupables ; ils étaient fideles à leur dieu et à leur roi. Il y avait donc une injustice horrible à leur faire souffrir la mort. Et comment le roi d’Israël permit-il cette exécution ? C’était se condamner soi-même à assister à la potence. De plus, élie devait espérer que le miracle inouï de la foudre, qui vint en temps serain brûler les pierres de son autel, la cendre de son bois et l’eau de ses rigoles, convertirait infailliblement les hérétiques. Il devait donc porter sur ses épaules les brebis égarées. Il devait vouloir le repentir des pécheurs, et non leur mort. Mais il les massacre lui-même. interfecit eos. c’était un rude homme que cet élie, qui égorgeait tout seul huit cents cinquante prophetes ses confreres : car il est dit qu’il les tua tous. Mes prédécesseurs, dans l’explication de la sainte écriture, n’ont pu répondre aux critiques, ni moi non plus. Puisse seulement cette exécrable boucherie d’élie ne point encourager les persécuteurs.
  49. nos critiques ne cessent de s’étonner de voir le plus grand des prophetes, le premier ministre de l’éternel, courir comme valet-de-pied devant la charrette du roi d’Israël. Il est dit dans l’histoire de François Xavier, apôtre des Indes, qu’il courait, comme élie, devant la charette qui mena ses compagnons de Rome en Espagne. Nos critiques s’étonnent bien davantage que la reine Jésabel soit assez sotte pour faire avertir élie, par un messager, qu’elle le fera pendre le lendemain. C’était lui donner un jour pour se sauver. Ils ne conçoivent pas qu’un homme qui ressuscitait des morts, qui disposait des nuées et de la foudre, soit assez poltron pour s’enfuir sur les menaces d’une femme. Dieu ne l’assiste qu’avec un petit pain cuit et de l’eau. L’ange, qui lui donna ce pain et cette eau, était apparemment l’ange qui donna à boire au petit Ismaël et à sa mere Agar.
  50. Dieu, qui n’était pas dans ce grand vent, mais qui était dans ce petit vent, fournit de belles réflexions aux commentateurs, et sur-tout au profond Calmet. Il soupçonne, après de grands hommes, que le grand vent signifie l’ancien testament, et que le petit vent signifie le nouveau.
  51. ce petit morceau est le plus important de tous. Dieu ordonne à élie de faire un oint, un christ, un messie d’Hazaël, de le sacrer roi, oint de Syrie ; et d’oindre, de sacrer pareillement Jéhu roi d’Israël, et d’oindre, de sacrer aussi le bouvier élisée en qualité de prophete, titre qui est bien au-dessus du titre de roi. Cet élisée est le premier prophete pour lequel l’écriture ait jamais employé ce mot d’oint ; de christ. Mylord Bolingbroke dit, que pour faire deux rois et un prophete, il ne faut qu’un demi-septier d’huile. Cependant nous ne voyons pas qu’élisée ait été jamais oint. Nous voyons encore moins qu’élisée ait égorgé ceux qui échapperent à l’épée de Jéhu. On nous a épargné les meurtres dont élisée devait décorer son ministere. C’est bien assez des huit cents cinquante prophetes tués de la propre main d’élie.
  52. mes prédécesseurs, dans le travail épineux et désagréable de ce commentaire, se sont appliqués à citer et à réfuter Mylord Herbert, Wolston, Tindal, Toland, l’abbé de Tilladet, l’abbé de Longuerue, le curé Mêlier, Boulanger, Fréret, Du Marsais, le comte de Boulainvilliers, Mylord Bolingbroke, Huet, et tant d’autres. Nous nous en tiendrons ici à Mylord Bolingbroke ; et nous croirons, en le réfutant, avoir réfuté tous les critiques. Voici donc comme il s’exprima dans son livre aussi profond que hardi, donné au public par l’écossais M Mallet, son secrétaire et son disciple. " je suis bien-aise de voir un roi qui se dit catholique, comme Josaphat, et un roi hérétique comme Achab, réunis contre l’ennemi commun, contre un infidele tel que le roi de Syrie, souillé du crime d’adorer Dieu sous le nom d’Adad et de Remnon, au lieu de l’adorer sous le nom d’Adonaï et de Sabaoth. Mais je suis fâché de voir le roi d’Israël assez imbécille pour appeller à son conseil de guerre quatre cents gueux de la lie du peuple, qui se disaient prophetes. Je ne sais même où il put trouver ces quatre cents énergumenes, après qu’élie avait eu la condescendance d’en tuer huit cents cinquante de sa main, savoir, quatre cents cinquante prophetes commensaux de la reine Jésabel, et quatre cents prophetes des bocages. " quoique je sache bien que les rois d’Israël et de Juda n’étaient pas riches, et que la ville de Samarie était alors fort peu de chose, cependant je n’aime point à voir deux rois vêtus à la royale, assis chacun sur un trône dans une aire où l’on bat du bled. Ce n’est pas-là un lieu propre à tenir conseil. " le prophete Sédékias, fils de Chaahana, pouvait prédire aux deux rois des choses agréables, sans se mettre deux cornes de fer sur la tête. C’eût été un beau spectacle, si tous les autres prophetes et tous les officiers de l’armée s’étaient mis des cornes pour opiner. " Michée ne se met point de cornes ; mais il est assez fou pour dire qu’il vient d’assister au conseil de Dieu, et qu’il a vu Dieu assis sur son trône, environné de toutes les troupes célestes. " ce furieux insensé ose attribuer à Dieu deux choses également abominables et ridicules, l’une de vouloir tromper Achab roi d’Israël, l’autre de ne savoir comment s’y prendre. " mais le comble de l’extravagance est de faire entrer un esprit malin, un diable, dans le conseil de Dieu, quoique le peuple hébreu n’eût jamais encore entendu parler du diable, et que ce diable n’eût été inventé que par les perses, avec qui ce peuple n’avait encore aucune communication. " Dieu ne sait comment ce diable s’y prendra. Le diable, qui a plus d’esprit que lui, et plus de puissance, lui dit qu’il se mettra dans la bouche de tous les prophetes pour les faire mentir. " du moins, lorsque dans le second livre de l’iliade Jupiter cherche des expédients pour relever la gloire d’Achille aux dépens d’Agamemnon, il trouve un expédient de lui-même : c’est de tromper Agamemnon par un songe menteur. Il ne consulte point le diable pour cela, il parle lui-même au songe ; il lui donne ses ordres. Il est vrai qu’Homere fait jouer-là un rôle bien bas et bien ridicule à son Jupiter. " il se peut que les livres juifs, ayant été écrits très-tard, le prêtre, qui compila les rêveries hébraïques, ait imité cette rêverie d’Homere. Car dans toute la bible le dieu des juifs est très-inférieur aux dieux des grecs ; il est presque toujours battu ; il ne songe qu’à obtenir des offrandes ; et son peuple meurt toujours de faim. Il a beau être continuellement présent, et parler lui-même, on ne fait rien de ce qu’il veut. Si on lui bâtit un temple, il vient un Sésac roi d’égypte qui le pille et qui emporte tout. S’il impose la sagesse à Salomon, ce Salomon se moque de lui, et l’abandonne pour d’autres dieux. " s’il donne la terre promise à son peuple, ce peuple y est esclave depuis la mort de Josué jusqu’au regne de Saül. Il n’y a point de Dieu ni de peuple plus malheureux. " les compilateurs des fables hébraïques ont beau dire que les hébreux n’ont toujours été misérables que parce qu’ils ont toujours été infideles. Nos prêtres anglicans en pourraient dire autant de nos irlandois et de nos montagnards d’écosse. Rien n’est plus aisé que de dire : si tu as été battu, c’est que tu as manqué aux devoirs de ta religion : si tu avais donné plus d’argent à l’église, tu aurais été vainqueur. Cette infame superstition est ancienne ; elle a fait le tour de la terre ". On peut dire à Mylord Bolingbroke, que les écrivains sacrés n’ont pas plus connu Homere que les grecs n’ont connu les livres des juifs. Jupiter, qui trompe Agamemnon, ressemble, il est vrai, au dieu Sabaoth qui trompe le roi Achab. Mais l’un n’est point emprunté de l’autre. C’était une créance, commune dans tout l’orient, que les dieux se plaisaient à tendre des pieges aux hommes, et à ouvrir sous leurs pas des précipices dans lesquels ils les plongeaient. Les poëmes d’Homere et les tragédies grecques portent sur ce fondement. D’ailleurs l’exemple de la mort d’Achab rentre dans les exemples ordinaires d’une justice divine, qui venge le sang innocent. Achab était très-coupable, et méritait que Dieu le punît. Il avait pris, dans la ville de Samarie, la vigne de Naboth sans la payer ; et il avait fait condamner injustement Naboth à la mort. Il n’est donc ni étonnant ni absurde que Dieu le punisse, de quelque maniere qu’il s’y prenne. à l’égard du luxe d’Achab et de sa maison d’ivoire, ou ornée d’ivoire, cela prouve que les caravanes arabes apportaient depuis long-temps des marchandises des Indes et de l’Afrique. Quelques ornemens d’ivoire aux chaises curules furent long-temps la seule magnificence que les romains connurent. Quoique les commentateurs reprochent aux écrivains hébreux des hyperboles et de l’exagération, cependant il faut bien que les chefs de la nation hébraïque eussent quelque sorte de décoration.