La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Rois/Livre 1

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 30 (p. 159-187).
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ROIS.

LIVRE PREMIERS.

… les enfans d’Héli grand-prêtre étaient des enfans de Bélial qui ne connaissaient point le seigneur, et qui violaient le devoir des prêtres envers le peuple ; car qui que ce fût qui immolât une victime, un valet de prêtre venait pendant qu’on cuisait la chair, tenant à la main une fourchette à trois dents, il la mettait dans la chaudiere, et tout ce qu’il pouvait enlever était pour le prêtre… et si celui qui immolait, lui disait : fesons d’abord brûler la graisse comme de coutume, et puis tu prendras de la viande autant que tu en voudras ; le valet répondait : non tu m’en donneras à présent, ou j’en prendrai par force…[1]. Or Héli était très-vieux ; et il apprit que ses fils fesaient toutes ces choses, et qu’ils couchaient avec toutes les femmes qui venaient à la porte du tabernacle… or le jeune Samuel servoit le seigneur auprès du grand-prêtre Héli… la parole du seigneur était alors très-rare, et il n’y avait point de grande vision… il arriva un certain jour qu’Héli couchait dans son lieu ; ses yeux étaient obscurcis, et il ne pouvait voir…[2]. Samuel dormait dans le temple du seigneur, où était l’arche de Dieu. Et avant que la lampe qui brûlait dans le temple fût éteinte, le seigneur appella Samuel ; et Samuel répondit : me voici. Il courut aussi-tôt vers le grand-prêtre Héli, et lui dit : me voici, car vous m’avez appellé. Héli lui dit : je ne t’ai point appellé ; et il dormit. Le seigneur appella encore Samuel, qui, s’étant levé, courut à Héli, et lui dit : me voici…[3]. Or Samuel ne savait point encore distinguer la voix du seigneur ; car le seigneur ne lui avait point encore parlé… le seigneur appella donc encore Samuel pour la troisieme fois ; il s’en alla toujours à Héli, et lui dit : me voici… le seigneur vint encore, et il l’appella en criant deux fois, Samuel, Samuel !… et le seigneur lui dit : tiens, je vais faire un verbe dans Israël, que quiconque l’entendra les oreilles lui corneront ;… j’ai juré à la maison d’Héli que l’iniquité de cette maison ne sera jamais expiée, ni par des victimes, ni par des présents[4]. Et il arriva dans ces jours que les philistins s’assemblerent pour combattre… et dès le commencement du combat Israël tourna le dos ; et on en tua environ quatre mille. Le peuple ayant donc envoyé à Silo, on amena l’arche du pacte du seigneur des armées assis sur les chérubins ; et lorsque l’arche du seigneur fut arrivée au camp, tout le peuple jetta un grand cri, qui fit retentir la terre ; et les philistins ayant entendu la voix de ce cri, disaient : quelle est donc la voix de ce cri au camp hébraïque ! Confortez-vous, philistins, soyez hommes, de peur que vous ne deveniez esclaves des hébreux, comme ils ont été les vôtres[5]. Donc les philistins combattirent ; et Israël s’enfuit ; et on tua trente mille hommes d’Israël. L’arche de Dieu fut prise, et les deux fils du grand-prêtre Héli, Ophni et Phinée, furent tués… Héli avait alors quatre-vingt-dix-huit ans… et quand il eut appris que l’arche de Dieu était prise, il tomba de son siege à la renverse, et s’étant cassé la tête il mourut… les philistins ayant donc pris l’arche, ils la menerent dans Azot, et la placerent dans leur temple Dagon auprès de Dagon… le lendemain les habitants d’Azot s’étant levés au point du jour, voilà que Dagon était par terre devant l’arche du seigneur. Ils prirent Dagon et le remirent à sa place. Le surlendemain, s’étant levés au point du jour, ils trouverent encore Dagon par terre devant l’arche du seigneur ; mais la tête de Dagon, et ses mains coupées, étaient sur le seuil. Or le trône de Dagon était demeuré en son lieu. Et c’est pour cette raison que les prêtres de Dagon, et tous ceux qui entrent dans son temple, ne marchent point sur le seuil du temple d’Azot jusqu’à aujourd’hui[6]. Or la main du seigneur s’aggrava sur les azotiens, et il les démollit, et il les frappa dans la plus secrete partie des fesses ; et les campagnes bouillirent, et les champs aussi au milieu de cette région, et il naquit des rats ; et il fut fait une grande confusion de morts dans la cité. Or ceux d’Azot, voyant ces sortes de plaies, dirent : que le coffre du dieu d’Israël ne demeure plus chez nous et sur Dagon notre dieu. Et ils assemblerent tous les princes philistins, et ils dirent : que ferons-nous de l’arche du dieu d’Israël ? Les géthéens dirent : qu’on la promene. Et ils promenerent l’arche du dieu d’Israël. Et comme ils la promenaient de ville en ville, la main de Dieu se fesait sur eux, et il tuait grand nombre d’hommes ; et le boyau du fondement sortait à tous les habitants tant grands que petits, et leur fondement sorti dehors se pourrissait… l’arche du seigneur fut dans le pays des philistins pendant sept mois[7]. Et les philistins firent venir leurs prêtres et leurs prophêtes, et leur dirent : que ferons-nous de l’arche du seigneur ? Dites-nous comment nous la renverrons en son lieu ? Ils répondirent : si vous renvoyez l’arche du dieu d’Israël, ne la renvoyez pas vuide, mais rendez-lui ce que vous lui devez pour le péché ;… faites cinq anus d’or, et cinq rats d’or, selon le nombre des provinces des philistins… pourquoi endurciriez-vous votre cœur, comme l’égypte et pharaon endurcirent leur cœur ? Pharaon ayant été puni ne renvoya-t-il pas les hébreux ? Ne s’en allerent-ils pas ?… prenez donc une charrette toute neuve, et deux vaches pleines à qui on n’a pas encore mis le joug, et renfermez leurs veaux dans l’étable. Vous prendrez l’arche du seigneur, et vous la mettrez sur la charrette avec les figures d’or dans un panier pour votre péché ; et laissez aller la charrette afin qu’elle aille… et vous la regarderez aller ; et si elle va à Bethsamès, ce sera le dieu d’Israël qui nous aura fait ces grands maux[8]. Si elle n’y va point, nous saurons que ce n’est pas lui qui nous a frappés, et que tout est arrivé par hazard. Ils firent donc ainsi, et prenant deux vaches qui allaitaient leurs veaux, ils les attelerent à la charrette, et enfermerent leurs veaux dans l’étable ; et ils mirent l’arche de Dieu sur la charrette, et le panier où étaient les rats d’or, et les figures de l’anus et du fondement…[9]. La charrette vint dans le champ de Josué de Betsamès et s’arrêta là. Et il y avait là une grande pierre… et ils couperent les bois de la charrette, et ils immolerent les deux vaches au seigneur en holocauste. Les lévites déposerent l’arche du seigneur et le panier sur la grande pierre ; et les gens de Betsamès offrirent des holocaustes, et immolerent des victimes au seigneur. … or le seigneur punit de mort ceux de Betsamès, parce qu’ils avaient vu l’arche du seigneur ; et il fit mourir soixante et dix hommes du peuple et cinquante mille de la populace[10]. Et le peuple pleura, parce que le seigneur avait frappé le peuple d’une si grande plaie… ils envoyerent donc aux habitants de Cariathiarim ; et ceux de Cariathiarim ramenerent l’arche du seigneur en Gabaa dans la maison d’Abinadab… et l’arche du seigneur demeura donc à Cariathiarim ; et elle y était depuis vingt ans, quand la maison d’Israël se reposa après le seigneur. Il arriva que Samuel, étant devenu vieux, établit ses enfans juges sur Israël… mais ils ne se promenerent point dans ses voies ; ils déclinerent vers l’avarice ; ils reçurent des présents ; ils pervertirent la justice[11]. Ainsi donc, tous les anciens d’Israël assemblés vinrent vers Samuel à Ramatha, et lui dirent : voilà que tu es vieux ; tes enfans ne se promenent point dans tes voies ; donne-nous donc un melch, un roitelet , comme en ont tous nos voisins, afin qu’il nous juge. Ce discours déplut dans les yeux de Samuel, parce qu’ils avaient dit, donne-nous un roitelet ; et Samuel pria au seigneur. Et le seigneur lui dit : tu entends la voix de ce peuple qui t’a parlé ; ce n’est point toi qu’il rejette, c’est moi ; ils ne veulent plus que je regne sur eux[12]. C’est ainsi qu’ils ont toujours fait depuis que je les ai tirés d’égypte ; ils m’ont délaissé ; ils ont servi d’autres dieux ; ils t’en font autant. à présent rends-toi à leur voix ; mais apprends-leur, et prédis-leur quels seront les usages de ce roi qui régnera sur eux. Samuel rapporta donc le discours de Dieu au peuple qui lui avait demandé un roi, et lui dit : voyez quel sera l’usage du roi qui vous commandera. Il prendra vos fils pour en faire ses charretiers ; et il en fera des cavaliers ; et il en fera des tribuns et des centurions, et des laboureurs de ses champs, et des moissonneurs de ses bleds, des forgerons pour lui faire des armes et des chariots ; et il fera de vos filles ses parfumeuses, ses cuisinieres et ses boulangeres ; et il prendra vos meilleurs champs, vos meilleures vignes, et vos meilleurs plants d’olivier[13], et les donnera à ses valets. Il prendra la dixme de vos bleds et de vos vignes, pour donner à ses eunuques ; et il prendra vos serviteurs et vos servantes, et vos jeunes gens et vos ânes, et les fera travailler pour lui [14]. Et vous crierez alors contre la face de votre roi ; et le seigneur ne vous exaucera point, parce que c’est vous-mêmes qui avez demandé un roi. Or le peuple ne voulut point entendre ce discours de Samuel, et lui dit : non, nous aurons un roi sur nous ; nous serons comme les autres peuples, et notre roi marchera à notre tête, et il combattra nos combats pour nous. Samuel ayant entendu les paroles du peuple, les rapporta aux oreilles du seigneur ; et le seigneur lui dit : fais ce qu’ils te disent ; établis un roi sur eux. Et Samuel dit aux enfans d’Israël : que chacun s’en retourne dans sa bourgade. Il y avait un homme de la tribu de Benjamin nommé Cis, fort vigoureux ; il avait un fils appellé Saül, d’une belle figure, et qui surpassait le peuple de toute la tête. Cis pere de Saül avait perdu ses ânesses. Et Cis pere de Saül dit à son fils : prends un petit valet avec toi, et va me chercher mes ânesses. Après avoir cherché, le petit valet dit : voici un village où il y a un homme de Dieu ; c’est un homme noble ; tout ce qu’il prédit arrive infailliblement ; allons à lui, peut-être il nous donnera des indications sur notre voyage… Saül dit au petit valet : nous irons ; mais que porterons-nous à l’homme de Dieu ? Le pain a manqué dans notre bissac, et nous n’avons rien pour donner à l’homme de Dieu[15]. Et le petit valet répondit : voilà que j’ai trouvé le quart d’un sicle par hazard dans ma main ; donnons-le à l’homme de Dieu pour qu’il nous montre notre chemin. Autrefois en Israël ceux qui allaient consulter Dieu se disaient : allons consulter le voyant. Car celui qui s’appelle aujourd’hui prophete s’appellait alors le voyant[16]. Et Saül dit au petit valet : tu parles très bien ; viens, allons. Et ils entrerent dans le bourg où était l’homme de Dieu ; et comme ils montaient la colline du bourg, ils rencontrerent des filles qui allaient puiser de l’eau. Ils dirent à ces filles : y a-t-il ici un voyant ? Les filles lui répondirent : le voilà devant toi ; va vite… or le seigneur avait révélé la veille à l’oreille de Samuel, que Saül arriverait, en lui disant : demain à cette même heure j’enverrai un homme de Benjamin ; et tu le sacreras duc sur mon peuple d’Israël ; et il sauvera mon peuple de la main des philistins, parce que j’ai regardé mon peuple, et que son cri est venu à moi. Samuel ayant donc envisagé Saül, Dieu lui dit : voilà l’homme dont je t’avais parlé ; ce sera lui qui dominera sur mon peuple. Saül, s’étant donc approché de Samuel au milieu de la porte, lui dit : enseigne-moi, je te prie, la maison du voyant. Samuel répondit à Saül, disant : c’est moi qui suis le voyant ; monte avec moi au lieu haut, afin que tu manges aujourd’hui avec moi ; et je te renverrai demain matin, et je te dirai tout ce que tu as sur le cœur… or Samuel prit une petite fiole d’huile, et il la répandit sur la tête de Saül, et le baisa, et dit : voilà que le seigneur t’a oint en prince ; et tu délivreras son peuple de la main de ses ennemis[17]. Et voici le signe qui t’apprendra que Dieu t’a oint en prince. Tu rencontreras, en t’en retournant, deux hommes près du sépulcre de Rachel ; et ils te diront qu’on a retrouvé tes ânesses ;… tu viendras après à l’endroit nommé colline de Dieu, où il y a garnison philistine ; et quand tu seras entré dans le bourg, tu rencontreras un troupeau de prophetes descendants de la montagne, avec des psaltérions, des flûtes et des harpes ;… et l’esprit du seigneur tombera sur toi, et tu prophétiseras avec eux, et tu seras changé en un autre homme… et lorsque Saül fut venu à la colline ; il rencontra une troupe de prophetes ; et l’esprit de Dieu tomba sur lui, et il prophétisa au milieu d’eux. Et tous ceux qui l’avaient vu hier et avant-hier, disaient : qu’est-il donc arrivé au fils de Cis ? Saül est-il devenu prophete ?[18]. Après cela Samuel assembla le peuple à Masphat ; et il dit aux enfants d’Israël : voici ce que dit le seigneur Dieu d’Israël : j’ai tiré Israël de l’égypte ;… mais aujourd’hui vous avez rejetté votre dieu qui seul vous avait sauvés ; vous m’avez répondu, non ; vous m’avez dit, donnez-nous un roi. Eh bien, présentez-vous donc devant le seigneur par tribus et par familles… et Samuel ayant jetté le sort sur toutes les tribus et sur toutes les familles, il tomba enfin jusques sur Saül fils de Cis[19]. Samuel prononça ensuite devant le peuple la loi du royaume, qu’il écrivit dans un livre, et la mit en dépôt devant le seigneur…[20]. Environ un mois après, Naas l’ammonite combattit contre Galaad. Et les gens de Jabès en Galaad dirent à Naas : reçois-nous à composition, et nous te servirons. Naas l’ammonite leur répondit : ma composition sera de vous arracher à tous l’œil droit. Les anciens de Jabès lui dirent : accordez-nous sept jours, afin que nous envoyions des messagers dans tout Israël ; et si personne ne vient nous défendre, nous nous rendrons à toi. Or Saül revenant du labourage ayant fait la revue à Bésech, il trouva que son armée était de trois cents mille hommes des enfans d’Israël, et trente mille de Juda. Le lendemain il divisa son armée en trois corps, et ne cessa d’exterminer Ammon jusqu’à midi…[21]. Alors Samuel dit à tout le peuple d’Israël : vous voyez que j’ai écouté votre voix, comme vous m’avez parlé. Je vous ai donné un roi. Pour moi, je suis vieux, mes cheveux sont blancs… et il se retira [22]. Or Saül était le fils de l’année lorsqu’il commença à régner ; et il régna deux ans sur Israël[23]. Les philistins s’assemblerent pour combattre contre Israël avec trente mille chariots de guerre, six mille cavaliers, et une multitude comme le sable de la mer ; et ils se camperent à Machmas, à l’orient de Bethaven[24]. Quand ceux d’Israël se virent ainsi pressés, ils se cacherent dans les cavernes, dans les antres, dans les rochers, dans les citernes[25]. Les autres passerent le Jourdain, et vinrent au pays de Gad et de Galaad… et comme Saül était encore à Galgal, tout le peuple qui le suivait fut effrayé. Saül attendit sept jours selon l’ordre de Samuel ; mais Samuel ne vint point à Galgal : et tout le peuple l’abandonnait. Saül dit donc alors : qu’on m’apporte l’holocauste pacifique. Et il offrit l’holocauste ; et à peine eut-il fini d’offrir l’holocauste, voici que Samuel arriva ; et Saül alla au-devant de lui pour le saluer. Samuel lui dit : qu’as-tu fait ? Saül lui répondit : voyant que tu ne venais point au jour que tu m’avais dit, et les philistins étant en armes à Machmas, contraint par la nécessité j’ai offert l’holocauste. Samuel dit à Saül : tu as fais follement ; tu n’as pas gardé les commandements du seigneur ; si tu n’avais pas fait cela, le seigneur aurait affermi pour jamais ton regne sur Israël ; mais ton regne ne subsistera point ; le seigneur a cherché un homme selon son cœur, et il l’a destiné à régner sur son peuple, parce que tu n’as pas observé les commandements du seigneur[26]. Samuel s’en alla ; et Saül ayant fait la revue de ceux qui étaient avec lui, il s’en trouva environ six cents[27]. Même il ne se trouvait point de forgerons dans toutes les terres d’Israël. Car les philistins le leur avaient défendu, de peur que les hébreux ne forgeassent une épée ou une lance ; et tous les israélites étaient obligés d’aller chez les philistins pour éguiser le soc de leurs charrues, leurs cognées, leurs hoyaux et leurs serpettes[28]. Et lorsque le jour du combat fut venu, il ne se trouva pas un hébreu qui eût une épée ou une lance, hors Saül et Jonathas son fils. Un certain jour il arriva que Jonathas, fils de Saül, dit à son écuyer : viens t’en avec moi, et passons jusqu’au camp des philistins. Et il n’en dit rien à son pere… Jonathas monta grimpant des pieds et des mains ; et son écuyer derriere lui… de façon qu’une partie des ennemis tomba sous la main de Jonathas, et son écuyer, qui le suivait, tua les autres. Ils tuerent vingt hommes dans la moitié d’un arpent ; et ce fut la premiere défaite des philistins…[29]. Et les israëlites se réunirent. Saül fit alors ce serment : maudit sera l’homme qui aura mangé du pain de toute la journée, jusqu’à-ce que je me sois vengé de mes ennemis. Et le peuple ne mangea point de pain… en même temps ils vinrent dans un bois où la terre était couverte de miel. Or Jonathas n’avait pas entendu le serment de son pere ; il étendit sa verge qu’il tenait en main, et la trempa dans un rayon de miel ; et l’ayant portée à sa bouche, ses yeux furent illuminés[30]. Saül consulta donc le seigneur, et lui dit : poursuivrai-je les philistins ? Et les livreras-tu entre les mains d’Israël dans ce jour ? Et Dieu ne répondit point… et Saül dit au seigneur : seigneur d’Israël ! Prononce ton jugement ; pourquoi n’as-tu pas répondu aujourd’hui à ton serviteur ? Découvres-nous si l’iniquité est dans moi, ou dans mon fils Jonathas ; et si l’iniquité est dans le peuple, donne la sainteté… Jonathas fut découvert aussi bien que Saül ; et le peuple échappa… et Saül dit : qu’on jette le sort entre moi et mon fils ; et le sort prit Jonathas. Saül dit à Jonathas : dis-moi ce que tu as fait ? Jonathas répondit : en tâtant j’ai tâté un peu de miel au bout de ma verge ; et voilà que je meurs…[31]. Et le peuple dit à Saül : quoi ! Jonathas mourra, lui qui a fait le grand salut d’Israël ! Cela n’est pas permis. Vive dieu ! Il ne tombera pas un poil de sa tête. Ainsi le peuple sauva Jonathas, afin qu’il ne mourût point…[32]. Après cela Saül se retira ; il ne poursuivit point les philistins, et les philistins se retirerent en leur lieu… et Samuel dit à Saül : le seigneur m’a envoyé pour t’oindre en roi sur le peuple d’Israël, écoute donc maintenant la voix du seigneur ; voici ce que dit le seigneur des armées. Je me souviens qu’autrefois Amalec s’opposa à Israël dans son chemin quand il s’enfuyait d’égypte ; c’est pourquoi marche contre Amalec, frappe Amalec, détruis tout ce qui est à lui, ne lui pardonne point, ne convoite rien de tout ce qui lui appartient, tue tout, depuis l’homme jusqu’à la femme, et le petit enfant qui tette ; [33] le bœuf, la brebis, le chameau, et l’âne. Donc Saül commanda au peuple, et l’ayant assemblé comme des agneaux, il trouva deux cents mille hommes de pieds, et dix mille hommes de Juda… et il marcha à la ville d’Amalec ; et il dressa des embuscades le long du torrent… et Saül frappa Amalec depuis Hévila jusqu’à Sur, vis-à-vis de l’égypte. Et il prit vif Agag roi des amalécites, et tua tout le peuple dans la bouche du glaive… mais Saül et les israélites épargnerent Agag et l’élite des brebis, des bœufs, des béliers, et de ce qu’il y avait de plus beau en meubles et en vêtemens ; ils ne démolirent que ce qui parut vil et méprisable[34]. Alors le verbe du seigneur fut fait à Samuel, disant : je me repens d’avoir fait Saül roi, parce qu’il m’a abandonné. Samuel en fut enflammé, et cria au seigneur toute la nuit. Donc s’étant levé avant le jour pour aller chez Saül au matin, on lui annonça que Saül était venu sur le mont Carmel, où il s’érigeait un monument, un four triomphal, et que delà il était descendu à Galgal. Samuel vint donc à Saül ; et Saül offrait au seigneur un holocauste des prémices du butin pris sur Amalec. Samuel lui dit : le seigneur t’a oint roi sur Israël ; le seigneur t’a mis en voie, et t’a dit, va, tue tous les pécheurs amalécites, et combats jusqu’à-ce que tout soit tué ; pourquoi donc n’as-tu pas tout tué ?[35]. Obéissance, vaut mieux que victime ; il y a de la magie et de l’idolâtrie à ne pas obéir ; ainsi donc, puisque tu as rejetté la parole de Dieu, Dieu te rejette et ne veut plus que tu sois roi…[36]. Et Samuel se retourna pour s’en aller… mais Saül le prit par le haut de son manteau, qu’il déchira. Et Samuel dit : comme tu as déchiré mon manteau, Dieu déchire aujourd’hui le royaume d’Israël, et le donne à un autre qui vaut mieux que toi… Saül lui dit : j’ai péché, mais au moins rends-moi quelque honneur devant les anciens du peuple… Samuel dit : qu’on m’amene Agag roi d’Amalec ; et on lui amena Agag, qui était fort gras et tout tremblant. Et Samuël lui dit : comme ton épée a ravi des enfants à des meres, ainsi ta mere sera sans enfants parmi les femmes. Et il le coupa en morceaux à Galgal…[37]. Or Samuel vint à Bethléem selon l’ordre du seigneur ; et les anciens de Bethléem tout surpris lui dirent : viens-tu ici en homme pacifique ? Et il répondit : je viens en pacifique pour immoler au seigneur ; purifiez-vous, et venez avec moi pour que je sacrifie. Samuel purifia donc Isaï et ses enfants, et il les appella au sacrifice… et Samuel dit à Isaï : sont-ce là tous tes enfants ? Isaï lui répondit : il en reste encore un petit qui garde les brebis. Et Samuel dit à Isaï : fais-le venir ; car nous ne nous mettrons à table que quand il sera venu… on l’amena[38] donc. Il était roux et très beau. Et Dieu dit à Samuel : c’est celui-là que tu dois oindre. Samuel prit donc une corne pleine d’huile, et oignit David au milieu de ses freres. Et le soufle du seigneur vint sur David ; et le soufle du seigneur se retira de Saül ; et Dieu envoya à Saül un mauvais esprit…[39]. Et les officiers de Saül lui dirent : tu vois qu’un mauvais soufle de Dieu te trouble ; s’il te plait, tes serviteurs iront chercher un joueur de harpe, afin que, quand le mauvais soufle de Dieu te troublera le plus, il touche de la harpe avec sa main, et qu’il te soulage… Saül dit à ses serviteurs : allez-moi chercher quelqu’un qui sache bien harper. Et l’un de ses serviteurs lui dit : j’ai vu un des fils d’Isaï de Bethléem, qui harpe fort bien ; c’est un jeune homme très fort et belliqueux, prudent dans ses paroles, fort beau, et Dieu est avec lui[40]. Saül fit donc dire à Isaï : envoye-moi ton fils qui est dans les pâturages. Isaï prit aussi-tôt un âne avec des pains, une cruche de vin et un chevreau, et les envoya à Saül par la main de son fils David… Saül aima fort David ; et il le fit son écuyer ; et toutes les fois que le mauvais soufle du seigneur rendait Saül maniaque, David prenait sa harpe, il en jouait, Saül était soulagé, et le soufle malin s’en allait[41]. Cependant les philistins assemblerent toutes leurs troupes pour le combat. Saül et les enfants d’Israël s’assemblerent aussi. Les philistins étaient sur une montagne, et les juifs étaient d’un autre côté sur une montagne. Et il arriva qu’un bâtard sortit du camp des philistins ; il était de Geth, et il avait six coudées et une palme de haut (douze pieds et demi) ; et il avait des bottes d’airain, et un grand bouclier d’airain sur les épaules. La hampe de sa lance était comme un grand bois des tisserands, et le fer de sa lance pesait six cents sicles (vingt livres) ; et son écuyer marchait devant lui… et il venait crier devant les phalanges d’Israël ; et il disait : si quelqu’un veut se battre contre moi[42], et s’il me tue, nous serons vos esclaves ; mais si je le tue, vous serez nos esclaves… Saül et tous les israélites, entendant le verbe de ce philistin, étaient stupéfaits, et tremblaient de peur. Or David était fils d’un homme d’éphrata, dont il a été parlé ; son nom était Isaï, qui avait huit fils, et qui était fort vieux, et très âgé parmi les hommes. Les trois plus grands de ses fils s’en allerent après Saül pour le combat. David était le plus petit ; et il avait quitté Saül pour venir paître les troupeaux à Bethléem[43]. Cependant ce philistin se présentait au combat le matin et le soir, et resta là debout pendant quarante jours… or Isaï dit à David son fils : tiens, prends un litron de farine d’orge et dix pains, et cours à tes freres dans le camp. Porte aussi dix fromages à leur capitaine, visite tes freres, et vois comme ils se comportent… David se leva dès la pointe du jour, laissa son troupeau à un autre, et s’en alla tout chargé comme son pere lui avait dit, et vint au lieu de Magala où l’armée s’était avancée pour donner bataille, et qui criait déjà bataille… David, ayant donc laissé au bagage tout ce qu’il avait apporté, courut au lieu de la bataille voir comment ses freres se comportaient[44]. Et comme il parlait encore, voilà que le bâtard nommé Goliath, philistin de Geth, vint recommencer ses bravades ; et tous les israélites qui l’entendaient se mirent à fuir devant sa face en tremblant de peur… et un homme d’Israël se mit à dire : voyez-vous ce philistin qui vient insulter Israël ? S’il se trouve quelqu’un qui puisse le tuer, le roi l’enrichira de grandes richesses et lui donnera sa fille, et sa famille sera affranchie de tout péage en Israël. Et David disait à ceux qui étaient auprès de lui, que donnera-t-on à celui qui tuera ce philistin ? Et le peuple lui répétait les mêmes discours… or ces paroles de David ayant été entendues, furent rapportées au roi. Et Saül l’ayant fait venir devant lui, David lui parla ainsi :[45] que personne n’ait le cœur troublé à cause de Goliath ; car j’irai, moi ton serviteur, et je combattrai ce philistin… et Saül lui dit : tu ne saurais résister à ce philistin, parce que tu n’es qu’un enfant, et qu’il est homme de guerre dès sa jeunesse… et David ajouta : le seigneur, qui m’a délivré de la main d’un lion et de la main d’un ours, me délivrera de la main de ce philistin[46]… Saül dit donc à David : va, et que le seigneur soit avec toi ; et il lui donna ses armes, lui mit sur la tête un casque d’airain, et sur le corps une cuirasse… et David ayant ceint l’épée par-dessus sa tunique, commença à essayer s’il pouvait marcher avec ces armes ; car il n’y était pas accoutumé. David dit donc à Saül, je ne puis marcher avec ces armes, car je n’en ai pas l’habitude ; et il quitta ses armes. Il prit le bâton qu’il avait coutume de porter ; et il prit dans le torrent cinq pierres, et les mit dans sa panetiere ; et tenant sa fronde à la main, il marcha contre le philistin. Le philistin s’avança aussi, et s’approcha de David, ayant devant lui son écuyer. Et lorsqu’il eut regardé David, voyant que c’était un adolescent roux et beau à voir, il le méprisa et lui dit : suis-je un chien, pour que tu viennes à moi avec un bâton ?… et David mit la main dans sa panetiere, prit une pierre, la lança avec sa fronde, la pierre s’enfonça dans le front du philistin, et il tomba le visage contre terre… David courut, et se jetta sur le philistin, prit son épée, la tira du foureau, le tua, et coupa sa tête[47]. Les philistins voyant que le plus fort d’entre eux était mort, ils s’enfuirent… et David prit la tête du philistin ; il la porta dans Jérusalem, et il mit ses armes dans sa tente… or lorsque Saül avait vu que David marchait contre le philistin, il dit à Abner prince de sa milice : qui est ce jeune homme ? De quelle famille est-il ? Abner lui répondit : vive ton ame, ô roi ! Je n’en sais rien. Le roi lui dit : va l’interroger ; il faut savoir de qui cet enfant est fils… et lorsque David fut retourné du combat après avoir tué le philistin, Abner le présenta au roi tenant en sa main la tête de Goliath… et Saül lui dit : de quelle famille es-tu ? David lui dit : je suis un des fils d’Isaï ton serviteur, de Bethléem[48]. Or quand David revenait après avoir tué le philistin, les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël chantant en chœur et dansant au-devant du roi Saül avec des flûtes, des tambours et des instruments à trois cordes ; elles chantaient dans leurs chansons : Saül en a tué mille, et David dix mille. Cette chanson mit Saül dans une grande colere… le lendemain le soufle malin du seigneur s’empara de Saül ; il prophétisait au milieu de sa maison ; et David jouait de la harpe devant lui comme à l’accoutumée ; et Saül tenait sa lance : il la jetta contre David pour le clouer à la muraille. David se détourna, et évita le coup deux fois…[49]. Le temps étant venu que Saül devait donner Mérob sa fille en mariage à David, il la donna en mariage à Hadriel Molathite. Mais Michol, autre fille de Saül, était amoureuse de David ; cela fut rapporté à Saül, et il en fut bien aise ; car il dit : je lui donnerai celle-ci ; elle lui sera pierre d’achoppement ; elle le fera tomber dans les mains des philistins. Or donc, dit-il à David, tu seras mon gendre à deux conditions… et ensuite il lui fit dire par ses officiers : le roi n’a point besoin de présent de noces pour sa fille ; il ne te demande que cent prépuces des philistins… quelques jours après, David marcha avec ses soldats ; il tua deux cents philistins, et apporta au roi deux cents prépuces, qu’il compta devant lui ; et Saül lui donna sa fille Michol… alors Saül ordonna à Jonathas son fils et à tous ses serviteurs de tuer David ; mais Jonathas aimait beaucoup David, et il lui donna avis que son pere voulait le tuer…[50]. Or il arriva que le soufle malin du seigneur se saisit encore de Saül ; et Saül étant dans sa maison comme David harpait de la harpe, il voulut le clouer contre la muraille avec sa lance ; et David s’enfuit. Saül envoya ses gardes dans la maison de David pour le tuer le lendemain matin… Michol sa femme le fit sauter par une fenêtre, et il s’enfuit… Michol aussi-tôt prit un téraphim, le coucha dans son lit à la place de David, et lui mit sur la tête une peau de chevre…[51]. David s’enfuit donc et se sauva, et alla trouver Samuel à Ramatha. Cela fut rapporté à Saül, qui envoya des archers pour prendre David. Mais les archers ayant vu une troupe de prophetes qui prophétisaient, et Samuel qui prophétisait par-dessus eux, ils furent saisis eux-mêmes du soufle du seigneur, et ils prophétisèrent aussi… Saül en ayant été averti, envoya d’autres archers ; et ils prophétisèrent de même. Il en envoya encore, et ils prophétisèrent tout comme les autres. Enfin, il y alla lui-même ; et le souffle du seigneur fut sur lui, et il prophétisa pendant tout le chemin… il se dépouilla de ses habits, prophétisa avec tous les autres devant Samuel, et resta tout nu le jour et la nuit. C’est de là qu’est venu le proverbe. Saül est donc aussi devenu prophète…[52]. David s’enfuit donc [ch. XXII, v.1] ; et tous les gens qui étaient mal dans leurs affaires, chargés de dettes, et d’un naturel amer, s’assemblèrent autour de lui dans la caverne d’Odollam ; et il fut leur prince. Or il y avait dans le désert de Maon [ch. XXV, v.2] un homme très riche nommé Nabal, qui possédait sur le Carmel trois mille brebis et mille chèvres ; et il fit tondre ses brebis sur le mont Carmel. Sa femme Abigaïl était prudente et fort belle à voir. David envoya dix de ses gens à Nabal lui dire ; nous venons dans un bon jour ; donnez à vos serviteurs et à votre fils David le plus que vous pourrez. Nabal répondit : qui est ce David ? On ne voit que des serviteurs qui fuient leur maître ; vraiment oui ! J’irai donner mon pain, mon eau et mes moutons, à des gens que je ne connais pas[53] ! Alors David dit à ses garçons : que chacun prenne son épée. Et David prit aussi son épée ; et il marcha vers Nabal avec quatre cents soldats, et en laissa deux cents au bagage. Mais la belle Abigaïl prit deux cents pains, deux outres de vin, cinq moutons cuits, cinq boisseaux de farine d’orge, cent paquets de raisins secs, et deux cents cabas de figues, et les mit sur des ânes. Abigaïl ayant aperçu David, descendit aussitôt de son âne, tomba sur sa face devant David et l’adora, et lui dit : que ces petits présents, apportés à monseigneur par sa servante pour lui et pour ses garçons, soient reçus avec bonté de monseigneur… David lui répondit : sois bénie toi même ; car sans cela, vive dieu, si tu n’étais venue promptement, Nabal ne serait pas en vie [ch. XXV, v.34], et il ne serait pas resté un de ses gens qui pût pisser contre les murailles. Or, dix jours après, le seigneur frappa Nabal ; et il mourut… Abigaïl monta vite sur son âne avec cinq servantes à pied ; et David l’épousa le jour-même[54]. David épousa aussi Achinoam ; et l’une et l’autre furent ses femmes. Saül, voyant cela, donna sa fille Michol, femme de David, à Phalti. David s’en alla avec six cents hommes [ch. XXVII, v.2] chez Achis, philistin, roi de Geth. Akis lui donna la ville de Ciceleg ; et David demeura dans le pays des philistins un an et quatre mois… il faisait des courses avec ses gens sur les alliés d’Achis à Gessuri, à Gerzi, chez les Amalécites. Il tuait tout ce qu’il rencontrait, sans pardonner ni à homme, ni à femme, enlevant brebis, bœufs, ânes, chameaux, meubles, habits, et revenait vers Achis[55]. Et lorsque le roi Achis lui disait : où as-tu couru aujourd’hui ? David lui répondait : j’ai couru au midi vers Juda… or David ne laissait en vie ni homme ni femme, disant : je les tue, de peur qu’ils ne parlent contre nous. Akis se fiait donc à lui, disant : il fait bien du mal à Israël ; il me sera toujours fidele… et il dit à David : je ne confierai qu’à toi la garde de ma personne…[56]. Or les philistins s’étant assemblés, Saül ayant aussi assemblé ses gens vers Gelboé, et ayant vu les philistins, il trembla de peur. Il consulta le seigneur ; mais il ne lui répondit rien ni par les songes, ni par les prêtres, ni par les prophetes[57]. Et il dit à un de ses gens : va me chercher une femme (une ventrilogue) qui ait un ob, un esprit de Python[58] … la femme lui dit : qui voulez-vous que j’évoque ? Saül lui dit : évoque-moi Samuel[59]. Or comme la femme eut vu Samuel, elle cria d’une voix grande : pourquoi m’as-tu trompée ; car tu es Saül ? Le roi lui dit : ne crains rien ; qu’as-tu vu ? Elle répondit, j’ai vu des dieux montants de la terre. Saül lui dit : comment est-il fait ? Elle dit : c’est un vieillard qui est monté ; il est vêtu d’un manteau. Et Saül vit bien que c’était Samuel ; et il s’inclina la face en terre, et il l’adora. Samuel dit à Saül : pourquoi as-tu troublé mon repos en me fesant évoquer ? Saül lui dit : je suis très-embarrassé ; les philistins me font la guerre ; Dieu s’est retiré de moi ; il n’a voulu m’exaucer ni dans la main des prophetes, ni par les songes ; ainsi je t’ai évoqué, afin que tu me montres ce que je dois faire[60]. Samuel lui dit : pourquoi m’interroges-tu quand Dieu s’est retiré de toi ?… il livrera Israël avec toi entre les mains des philistins ; demain toi et tes fils vous serez avec moi[61]. Or la pythonisse avait un veau gras pour la pâques ; elle alla le tuer, prit de la farine, fit des azymes, et donna à souper à Saül[62]. Or les philistins fondirent sur Saül et sur ses enfans, et ils tuerent Jonathas, et Abinadab, et Melchisua, les fils de Saül… et tout le poids du combat fut sur Saül ; et les sagittaires le poursuivirent, et il fut griévement blessé par les sagittaires. Et Saül dit à son écuyer : tire ton épée et acheve-moi, de peur que ces incirconcis ne viennent et ne me tuent en m’insultant. Son écuyer effraié n’en voulut rien faire ; ainsi Saül tira son épée, et tomba sur elle[63].

  1. on ne sait pas quel est l’auteur du livre de Samuel. Le grand Newton croit que c’est Samuel lui-même ; qu’il écrivit tous les livres précédens, et qu’il y ajouta tout ce qui regarde le grand-prêtre Héli et sa famille. Newton, qui avait étudié d’abord pour être prêtre, savait très bien l’hébreu ; il était entré dans toutes les profondeurs de l’histoire orientale : son systême cependant n’a paru qu’une conjecture. Si Samuel n’a pas écrit une partie de ce petit livre, c’est sans doute quelque lévite qui lui était très attaché. Le savant Fréret reproche à l’auteur, quel qu’il soit, un défaut dans lequel aucun historien de nos jours ne tomberait : c’est de laisser le lecteur dans une ignorance entiere de l’état où étoit alors la nation. Il est difficile de savoir quel est le lieu de la scene, quelle étendue de pays possédaient alors les juifs, s’ils étaient encore esclaves ou simplement tributaires des phéniciens nommés philistins. L’auteur paraît être un prêtre, qui n’est occupé que de sa profession, et qui compte tout le reste pour peu de chose. Nous pensons qu’il y avait alors quelques tribus esclaves vers le nord de la Palestine ; et d’autres, vers le midi, seulement tributaires, comme celle de Juda, qui était la plus considérable, et celle de Benjamin, réduite à un très petit nombre : il nous semble que les juifs ne possédaient pas encore une seule ville en propre.
  2. l’auteur ne nous dit point où résidait ce grand-prêtre Héli, que les phéniciens toléroient : il paraît que c’était dans le village appellé Silo, et que l’arche des juifs était cachée dans ce village, qui appartenait encore aux philistins, et dans lequel les juifs avaient permission de demeurer et d’exercer entr’eux leur police et leur religion. L’auteur fait entendre que les juifs étaient si misérables, que Dieu ne leur parlait plus fréquemment comme autrefois, et qu’ils n’avaient plus de visions : c’était l’idée de toutes ces nations grossieres, que quand un peuple était vaincu, son dieu était vaincu aussi ; et que, lorsqu’il se relevait, son dieu se relevait avec lui.
  3. les critiques téméraires ne peuvent souffrir que le créateur de l’univers vienne appeller quatre fois un enfant pendant la nuit. Milord Bolingbroke traite le lévite, auteur de la vie de Samuel, avec le même mépris qu’il traite les derniers de nos moines, et que nous traitons nous-mêmes les auteurs de la légende dorée et de la fleur des saints ; c’est continuellement la même critique, la même objection ; et nous sommes obligés d’y opposer la même réponse.
  4. Woolston trouve l’auteur sacré excessivement ridicule, de dire que le petit Samuel ne savait pas encore distinguer la voix du seigneur, parce que le seigneur ne lui avait point encore parlé . Effectivement on ne peut reconnaître à la voix celui qu’on n’a point encore entendu : c’est d’ailleurs supposer que Dieu a une voix, comme chaque homme a la sienne. Boulanger en tire une preuve que les juifs ont toujours fait dieu corporel, et qu’ils ne le regarderent que comme un homme d’une espece supérieure, demeurant d’ordinaire dans une nuée, venant sur la terre visiter ses favoris, tantôt prenant leur parti, tantôt les abandonnant, tantôt vainqueur, tantôt vaincu, tel, en un mot, que les dieux d’Homere. Il ne nie pas que l’écriture ne donne souvent des idées sublimes de la puissance divine ; mais il prétend qu’Homere en donne de plus sublimes encore, qu’on en trouve de plus belles dans l’ancien Orphée, et même dans les mysteres d’Isis et de Cérès. Ce systême monstrueux est suivi par Fréret, par Du Marsais, et même par le savant abbé De Longue-Rue : mais c’est abuser de son érudition, et vouloir se tromper soi-même, que d’égaler les vers d’Homere aux pseaumes des juifs, et la fable à la bible.
  5. l’auteur sacré ne nous apprend ni comment les hébreux s’étaient révoltés contre les philistins leurs maîtres, ni le sujet de cette guerre, ni quelle place avaient les hébreux, ni où l’on combattit ; il nous parle seulement de trente-quatre mille juifs tués malgré la présence de l’arche. Comment concevoir qu’un peuple esclave, qui a essuyé de si grandes et de si fréquentes pertes, puisse sitôt s’en relever ! Les critiques ont toujours osé soupçonner l’auteur d’un peu d’exagération, soit dans les succès, soit dans les revers ; il vaut mieux soupçonner les copistes d’inexactitude. L’auteur semble beaucoup plus occupé de célébrer Samuel, que de débrouiller l’histoire juive : on s’attend envain qu’il donnera une description fidele du pays, de ce que les juifs en possédaient en propre sous leurs maîtres, de la maniere dont ils se révolterent, des places ou des cavernes qu’ils occuperent, des mesures qu’ils prirent, des chefs qui les conduisirent : rien de toutes ces choses essentielles ; c’est delà que Mylord Bolingbroke conclut que le lévite, auteur de cette histoire, écrivait comme les moines écrivirent autrefois l’histoire de leurs pays. Nous pouvons dire que Samuel, étant devenu un prophete, et Dieu lui parlant déjà dans son enfance, était un objet plus considérable que les trente mille hommes tués dans la bataille, qui n’étaient que des profanes, à qui Dieu ne se communiquait pas ; et qu’il s’agit dans la ste écriture des prophetes juifs, plus que du peuple juif.
  6. le Lord Bolingbroke fait sur cette avanture des réflexions trop critiques. " la ressource des vaincus, dit-il, est toujours de supposer des miracles qui punissent les vainqueurs. Ces mots, ne marchent point sur le seuil du temple d’Azot jusqu’à aujourd’hui, prouvent deux choses, que ce miracle pitoyable ne fut imaginé que longtemps après, et que l’auteur ignorait les coutumes des phéniciens, dont il ne parle qu’au hazard : il ne sait pas que non seulement les phéniciens, les syriens, les égyptiens, les grecs et les romains, consacraient le seuil de tous les temples, qu’il n’était pas permis d’y poser le pied, et qu’on le baisait en entrant dans le temple. " il fait une critique beaucoup plus insultante. Quoi ! Dit-il, Dagon avait un temple ; Ascalon, Acaron, Sidon, Tyr, en avaient ; et le dieu d’Israël n’avait qu’un coffre ; encore ses ennemis l’avaient-ils pris ! Nous avons déjà réfuté cette critique blasphématoire, en fesant voir que le temple du seigneur devait être bâti à Jérusalem dans le temps marqué par la providence, et que c’est par un autre dessein de la providence qu’il fut détruit par les babyloniens ; ensuite par Hérode, qui en bâtit un plus beau ; que le temple d’Hérode fut détruit par les romains ; et que les mahométans ont enfin élevé une mosquée sur la même plateforme, et sur les mêmes fondemens construits par l’iduméen Hérode. Nous n’entrerons point dans la question, que propose Don Calmet, si le grand-prêtre Héli est damné : il n’appartient point aux hommes de damner les hommes. Laissons à Dieu seul ses jugements.
  7. les incrédules, qui ne lisent les livres du canon juif que comme les autres livres, ne peuvent concevoir ni que le seigneur n’eût qu’un coffre pour temple, ni qu’il laissât prendre ce temple par ses ennemis, ni qu’ayant vu prendre ce temple portatif il ne se vengeât qu’en envoyant des rats dans les champs des philistins, et des hémorrhoïdes dans la plus secrete partie des fesses de ses vainqueurs. Mais qu’ils considerent que c’est ainsi à peu-près que le seigneur en usa quand Sara fut enlevée pour sa beauté à l’âge de soixante-cinq ans, et à l’âge de quatre-vingts-dix ans : il ferma toutes les vulves, toutes les matrices de la cour d’Abimélech roi d’un désert. Il y a peu de différence entre ce châtiment et celui des philistins. La commune opinion est, que le seigneur donna des hémorrhoïdes aux vainqueurs des juifs. Nous sommes d’un sentiment contraire : les hémorrhoïdes, soit internes soit externes, ne font point tomber le boyau rectum, qui d’ailleurs tombe très rarement. La chûte du fondement est toute une autre maladie.
  8. il est étrange que les prophetes des philistins (peuple maudit) soient ici regardés comme de vrais prophetes ; mais chaque pays avait les siens ; et l’auteur, étant prophete lui-même, respecte son caractere jusques dans les étrangers maudits qui en font profession. Le seigneur inspire quand il veut les prophetes des faux dieux, témoin Balaam, comme il accorde le don des miracles aux magiciens, témoins les magiciens d’égypte Jannès et Mambrès, qui firent les mêmes miracles que Moyse. Les vaches qui ramenerent l’arche sont un espece de miracle : elles vont d’elles-mêmes à Bethsamès, village qui semble appartenir en propre aux hébreux. Il semble que ces vaches fussent prophétesses aussi.
  9. les rats d’or et les anus d’or dans un panier sont les présents que les philistins font au dieu d’Israël leur ennemi. Les critiques prétendent qu’il n’est pas possible de forger une figure qui ressemble au trou qu’on nomme anus plus qu’à tout autre trou rond, et que ces figures ne pouvaient être que de petits cercles, de petits anneaux d’or. Mais qu’importe l’exactitude de la figure ? Un anus mal fait peut servir d’expiation tout aussi bien qu’un anus fait au tour. Il ne s’agit ici que d’une offrande qui marque le respect que le seigneur imposait aux vainqueurs-mêmes de son peuple.
  10. le célebre docteur Kennicot dit que l’évêque d’Oxford et lui sont bien revenus de leur préjugé en faveur du texte. Les juifs et les chrétiens , dit-il, ne se sont point fait scrupule d’exprimer leur répugnance à croire cette destruction de cinquante mille soixante et dix hommes . Le seigneur ne punit ses ennemis qu’en leur donnant une maladie dans la plus secrete partie des fesses , pour avoir pris son arche ; et il tue cinquante mille soixante et dix hommes de son propre peuple pour l’avoir regardée ! Une telle providence semble impénétrable. Nous avons déjà vu tant de milliers de ce peuple tués par ordre du seigneur, que nous ne devons plus nous étonner. Plusieurs savants ont soutenu que ces phrases hébraïques, Dieu les frappa, Dieu les fit mourir de mort, Dieu les arma, Dieu les conduisit, signifient simplement, ils moururent, ils s’armerent, ils allerent ; c’est ainsi que dans l’écriture un vent de Dieu veut dire un grand vent , une montagne de Dieu , une grande montagne . Mais cette explication ne résout pas la difficulté : on demande toujours, pourquoi ces cinquante mille soixante et dix hommes moururent subitement ? Calmet, il faut l’avouer, ne dit rien de satisfaisant. Convenons qu’il y a dans l’écriture bien des passages qu’il n’est pas donné aux hommes de comprendre : il est bon de nous humilier.
  11. il est manifeste que les enfants de Samuel furent aussi corrompus que les enfants d’Héli son prédécesseur : cependant Samuel conserva toujours son pouvoir sur le peuple.
  12. ce peuple lui demande enfin un roi ; et Samuel fait dire expressément à Dieu, ce n’est point toi qu’il rejette, c’est moi . On fait sur cette parole de Dieu une difficulté : il est certain, dit le docteur Arbutnoth, que Dieu pouvait gouverner aussi aisément son peuple par un roi que par un prêtre ; ce roi pouvait lui être aussi subordonné que Samuel ; la théocratie pouvait également subsister. Mr Huet, petit-neveu de l’évêque d’Avranches, que nous connaissons sous le nom de Hut, établi en Angleterre, dit dans son livre intitulé the man after god’s own heart , qu’il est évident que Samuel voulait toujours gouverner ; qu’il fut très fâché de voir que le peuple voulait un roi ; que toute sa conduite dénote un fourbe ambitieux et méchant. Il n’est pas permis d’avoir cette idée d’un prophete, d’un homme de Dieu. M Huet le juge selon nos loix modernes : il le faut juger selon les loix juives, ou plutôt ne le point juger. Nous en parlerons ailleurs.
  13. cette énumération de toutes les tyrannies qu’un roi peut exercer sur son peuple, semble prouver que M Huet pourroit être excusable de penser que Samuel voulait inspirer au peuple de l’horreur pour la royauté, et du respect pour le pouvoir sacerdotal. C’est, dit Arbuthnoth, le premier exemple des querelles entre l’empire, et le sacerdoce. Samuel, dit-il,… etc. Il est vrai que dans une histoire profane la conduite du prêtre Samuel pourrait être un peu suspecte ; mais elle ne peut l’être dans un livre canonique.
  14. pour donner à ses eunuques, semble marquer qu’il y avoit déjà des eunuques dans la terre de Canaan, ou que du moins les princes voisins fesaient châtrer des hommes pour garder leurs femmes et leurs concubines. Cet usage barbare est bien plus ancien, s’il est vrai que les pharaons d’égypte eurent des eunuques du temps de Joseph. Ceux qui pensent que tous les livres de la ste écriture, jusqu’au livre des rois inclusivement, ne furent écrits que du temps d’Esdras, disent que les rois de Babylone furent les premiers qui firent châtrer des hommes, après qu’on eut châtré les animaux pour rendre leur chair plus tendre et plus délicate. Les empereurs chrétiens ne prirent cette coutume que du temps de Constantin.
  15. les incrédules prétendent que ce seul passage prouve que les prêtres et les prophetes juifs n’étaient que des gueux entiérement semblables à nos devins de village, qui disaient la bonne avanture pour quelque argent, et qui fesaient retrouver les choses perdues. Mylord Bolingbroke, M Mallet, son éditeur, et M Huet, en parlent comme des charlatans de smithfields. Don Calmet, bien plus judicieux, dit, que si on leur donnait de l’argent ou des denrées, c’était uniquement par respect pour leur personne.
  16. ces messieurs prennent occasion de ce demi-sicle, de ce schelling donné par un petit garçon gardeur de chevres au prophete Samuel, pour couvrir de mépris la nation juive. Saül et son valet demandent dans un petit village la demeure du voyant, du devin qui leur fera retrouver deux ou trois ânesses, comme on demande où demeure le savetier du village. Ce nom de devin, de voyant, qu’on donnait à ceux qu’on a depuis nommé prophetes, ces huit ou neuf sous présentés à celui qu’on prétend avoir été juge et prince du peuple, sont selon ces critiques les témoignages les plus palpables de la grossiere stupidité de l’auteur juif inconnu. Les sages commentateurs pensent tout le contraire : la simplicité du petit gardeur de chevres n’ôte rien à la dignité de Samuel ; s’il reçoit huit sous d’un petit garçon, cela ne l’empêchera pas d’oindre deux rois et d’en couper un troisieme par morceaux ; ces trois fonctions annoncent un très grand seigneur.
  17. le savant Don Calmet examine d’abord, si l’huilier que Samuel avait dans sa poche, était un pot de terre, un godet, ou une fiole de verre ; quoique les juifs ne connussent point le verre ; et il ne résout point cette question. Non seulement Samuel a une révélation que les ânesses de Saül sont retrouvées, mais il répand une bouteille d’huile sur la tête de Saül en signe de sa royauté ; et c’est delà que tout roi juif s’est depuis nommé oint, christ, dans les traductions grecques, et que les juifs ont appellé les grands rois, de Babylone, et de Perse, du nom d’oint, de christ, d’oint du seigneur, christ du seigneur. Il est dit dans le lévitique, qu’Aaron, tout prévaricateur, tout apostat qu’il était, fut oint par Mosé en qualité de grand-prêtre. Il se peut, en effet, que dans le désert, au milieu d’une disette affreuse, on eût trouvé une cruche d’huile que Mosé répandit sur les cheveux, la barbe et les habits d’Aaron : cette cérémonie convenait à un peuple pauvre ; et puisque le dieu du ciel et de la terre y présidait, elle était sacrée. Les grands-prêtres juifs furent installés depuis avec la même onction d’huile. Toute cérémonie doit être publique ; Samuel pourtant n’huila pas d’abord la tête de Saül devant le peuple ; il crut apparemment qu’il ne pouvait imprimer un caractere plus auguste à Saül qu’en l’oignant de la même huile dont on prétend que lui Samuel avait été oint : cependant il n’est point dit que Samuel fut oint. Quoiqu’il en soit, les rois juifs furent les seuls qui reçurent cette marque de la royauté. On ne connaît dans l’antiquité aucun prince oint par ses sujets. On prit cette coutume en Italie ; et l’on croit que ce furent les usurpateurs lombards, qui, devenus chrétiens, voulurent sanctifier leur usurpation en fesant répandre de l’huile sur leur tête par la main d’un évêque. Clovis ne fut pas oint ; mais l’usurpateur Pepin le fut. On oignit quelques rois espagnols ; mais il y a longtems que cet usage est aboli en Espagne. On sait qu’un ange apporta du ciel une bouteille sainte pleine d’huile pour sacrer les rois de France ; mais l’histoire de cette bouteille, appellée sainte ampoule, est révoquée en doute par plusieurs doctes : c’est une grande question.
  18. l’huile de Saül eut quelque chose de divin, puisqu’elle le rendit prophete tout d’un coup ; ce qui était bien au-dessus de la dignité de roi.
  19. les critiques trouvent mauvais que Samuel oigne Saül roi, et le fasse christ avant d’avoir assemblé le peuple et d’avoir obtenu son suffrage : s’il suffisait d’une bouteille d’huile pour régner, il n’y a personne qui ne pût se faire oindre roi par le vicaire de son village. Cette objection est forte en certains pays ; mais Samuel, qui était le voyant, savait bien que quand le peuple tirerait un roi au sort, le sort tomberait sur Saül, et qu’alors le peuple reconnaîtrait son légitime souverain déjà oint.
  20. ils soutiennent encore, que de jouer un roi aux dès (comme dit Boulanger) est une chose ridicule : que le sort peut très aisément tomber sur un homme incapable ; qu’on n’a jamais tiré ainsi un monarque qu’au gâteau des rois ; que chez les grecs et chez les romains on tirait aux dès un roi du festin ; mais que dans une affaire sérieuse on devait procéder sérieusement. La réponse, déjà faite à cette critique, est que Dieu conduisait le sort, et qu’il disposait non seulement du tirage, mais aussi de la volonté du peuple. Pour la loi du royaume, que Samuel prononça, on dispute si c’est le lévitique ou le deutéronome. Quelques commentateurs pensent que ce fut une loi faite par Samuel.
  21. les incrédules ne sont pas surpris que Saül revînt du labourage ; mais ils ne peuvent consentir à le voir à la tête de trois cents trente mille combattants, dans le même temps que l’auteur dit que les juifs étaient en servitude, qu’ils n’avaient pas une lance, pas une épée ; que les philistins leurs maîtres ne leur permettaient pas seulement un instrument de fer pour aiguiser leurs charrues, leurs hoyaux, leurs serpettes. notre Gulliver, dit le Lord Bolingbroke, a de telles fables, mais non de telles contradictions . Nous avouons que le texte est embarrassant ; qu’il faut distinguer les temps ; que probablement les copistes ont fait des transpositions. Ce qui était vrai dans une année, peut ne l’être pas dans une autre. Peut-être même ces trois cents trente mille soldats peuvent se réduire à trois mille : il est aisé de se méprendre aux chiffres. Le révérend pere Don Calmet s’exprime en ces mots : il est fort croyable qu’il y a un peu d’exagération dans ce qui est dit de Saül et de Jonathas .
  22. M Huet de Londres dit encore, que la retraite de Samuel, en voyant Saül si bien accompagné, prouve assez son dépit de ne plus gouverner. Mais quand cela serait, quand Samuel aurait eu cette faiblesse, quel est le chef d’une église qui ne serait pas un peu fâché de perdre son pouvoir ? Nous verrons cependant que le pouvoir de Samuel ne diminua pas.
  23. le même M Huet se récrie ici sur la contradiction, et sur l’anachronisme : dans d’autres endroits, dit-il, l’écriture marque que Saül régna quarante ans. Il est vrai qu’il y a là une apparence de contradiction ; et Don Calmet lui-même n’a pu concilier les textes. Il se peut qu’il y ait là une erreur de copiste.
  24. Mrs Le Clerc, Freret, Boulanger, Mallet, Bolingbroke, Middleton, se recrient sur ces trente mille chariots de guerre. Le docteur Stakhouse, dans son histoire de la bible, rejette ce passage. Calmet dit, que ce nombre de chariots de guerre paraît incroyable, et qu’on n’en a jamais tant vus à la fois . Pharaon, continue-t-il, n’en avait que six cents ; Jabin roi d’Azor neuf cents ; Sesac roi d’égypte douze cents ; Zarar roi d’éthiopie trois cents, etc. Les critiques contestent encore à Calmet les neuf cents chariots du roi d’Azor. Tous conviennent d’ailleurs, que tout le pays de Canaan ne connut la cavalerie que très tard. Nous avons observé que dans ce pays montueux, entrecoupé de cavernes, on ne se servit jamais que d’ânes. Quand nous mettrions trois mille chariots au lieu de trente mille, nous ne contenterions pas encore les incrédules. Nous ne connaissons point de maniere d’expliquer cet endroit. Nous pourrions hazarder de dire que le texte est corrompu ; mais alors on nous répondrait que le seigneur, qui a dicté ce texte, doit en avoir empêché l’altération. Alors nous répondrions, qu’il a prévenu en effet les fautes de copistes dans les choses essentielles, mais non pas dans les détails de guerre, qui ne sont point nécessaires à salut.
  25. les critiques disent, que si Saül avait trois cents trente mille soldats et un prophete, et étant prophete lui-même, il n’avait rien à craindre ; qu’il ne fallait pas s’enfuir dans des cavernes, quoique le pays en soit rempli. Il est à croire qu’on n’avait point alors des armées soudoyées, qui restassent continuellement sous le drapeau.
  26. Mr Huet de Londres déclare, que Samuel ne découvre ici que sa mauvaise volonté. Il prétend, avec Estius et Calmet, que Samuel n’était point grand-prêtre, qu’il n’était que prêtre et prophete ; que Saül l’était comme lui ; qu’il avait prophétisé dès qu’il avait été oint, et qu’il était en droit d’offrir l’holocauste. Samuel, dit-il, semble avoir manqué exprès de parole pour avoir occasion de blâmer Saül, et de le rendre odieux au peuple. Nous ne voyons pas que Samuel mérite cette accusation. Huet peut lui reprocher un peu de dureté ; mais non pas de la fourberie. Cela serait bon s’il avait été prêtre par-tout ailleurs que chez les juifs.
  27. le lecteur est bien surpris de ne plus trouver Saül accompagné que de six cents hommes, lorsque le moment d’auparavant il en avait trois cents trente mille. Nous en avons dit la raison ; les armées n’étaient point soudoyées ; elles se débandaient au bout de quelques jours, comme du temps de notre anarchie féodale.
  28. nous avons parlé de cette puissante objection ; mais elle n’est pas contre les trois cents trente mille hommes, qui peut-être n’avaient point d’armes ; elle n’est que contre les six cents hommes qui restaient à Saül, et qui devaient être aussi désarmés. Le texte dit positivement que la victoire de Jonathas fut un miracle ; et cela répond à toutes les critiques.
  29. ce combat de deux hommes, qui n’ont qu’une lance et une épée, contre toute une armée, est fort extraordinaire. Mais aussi le texte nous apprend qu’il y avait là du miracle ; et nous devons nous souvenir, que Samson tua mille philistins avec une mâchoire d’âne dans le commencement de sa servitude.
  30. Boulanger ne peut digérer ce serment de Saül. L’écriture, dit-il, nous le donne pour un homme attaqué de manie : il était, sans doute, dans un de ses accès quand il défendit à ses soldats de manger de toute la journée. La critique de Boulanger tombe à faux ; car Saül n’était pas encore fou alors ; il ne le devint que quelque temps après. La terre couverte de miel a paru à d’autres critiques une trop grande exagération. Les abeilles ne font leurs ruches que dans des arbres. Les voyageurs assurent qu’il n’y a aucun arbre dans cette partie de la Palestine, excepté quelques oliviers dans lesquels les abeilles ne logent jamais. Cette critique ne regarde que l’histoire naturelle, et ne touche point au fond des choses, d’ailleurs Jonathas peut avoir trouvé une ruche dans le chêne de Mambré, qui subsistait encore du temps de Constantin, à ce qu’on dit.
  31. cette résolution de Saül, d’immoler son fils pour avoir mangé un peu de miel, a quelque chose de semblable au serment de Jéphté, qui fut forcé de sacrifier sa fille. Saül dit en propres mots à son fils : que Dieu me fasse tout le mal possible, et qu’il y ajoute encore, si tu ne meurs aujourd’hui, mon fils Jonathas. Les savants alleguent encore cet exemple, pour prouver qu’il était très commun d’immoler des hommes à Dieu. Mais les exemples de Saül et de Jephté ne concluent pas que les juifs fissent si souvent des sacrifices de sang humain.
  32. on demande pourquoi le peuple n’empêcha pas Jephté d’immoler sa fille, comme il empêcha Saül d’immoler son fils ? Nous n’en savons pas bien précisément la raison ; mais nous oserons dire que le peuple, ayant mangé ce jour-là de la chair et du sang malgré la défense, craignait apparemment que le sort ne tombât sur lui comme il étoit tombé sur Jonathas ; et qu’il devait être très en colere contre Saül qui avait été assez imprudent de défendre à ses troupes de reprendre un peu de forces un jour de combat.
  33. la foule des critiques ne parle de ce passage qu’avec horreur. Quoi ! S’écrie sur-tout le Lord Bolingbroke, faire descendre le créateur de l’univers dans un coin ignoré de ce misérable globe, pour dire à des juifs : à propos, je me souviens qu’il y a environ quatre cents ans qu’un petit peuple vous refusa le passage ; allons, vous avez une guerre terrible avec vos maîtres les philistins, contre lesquels vous vous êtes révoltés ; laissez là cette guerre embarrassante ; allez vous en contre ce petit peuple, qui ne voulut pas autrefois que vous vinssiez tout ravager chez lui en passant ; tuez hommes, enfants, vieillards, femmes, filles, bœufs, vaches, chevres, brebis, ânes ; car comme vous êtes en guerre avec le peuple puissant des philistins, il est bon que vous n’ayez ni bœufs ni moutons à manger, ni ânes pour porter le bagage. Ces paroles nous font fremir ; et assurément si c’était un homme qui parlât ; nous ne l’approuverions point ; mais c’est Dieu qui parle ; et ce n’est pas à nous de savoir quelle raison il avait pour ordonner qu’on tuât tous les amalécites, leurs moutons et leurs ânes.
  34. toujours les mêmes objections sur ces prodigieuses armées, que le prétendu roi d’une horde d’esclaves leve en un moment. Les turcs ont bien de la peine à conduire aujourd’hui une armée de quatre-vingts mille combattants complet. On demande encore ce que sont devenus les autres cent vingt-mille soldats du Melk Saül, lesquels étaient venus combattre sans avoir une seule épée, une seule fleche. Tout-à-l’heure, dit le fameux curé Mêlier, l’armée de Saül était de trois cents trente mille hommes ; et il ne lui en reste plus que deux cents dix mille ; le reste apparemment est allé conquérir le monde sur les pas de Sésostris. Ces railleries indécentes du curé Mêlier ne sont pas des raisons. Il était fort difficile de nourrir de si grandes armées dans un petit pays tel que la Judée : on était obligé de licentier ses troupes au bout de peu de jours ; ainsi il ne serait pas surprenant que Saül eût été un jour suivi de trois cents mille hommes, et un autre de deux cents mille : il est vrai qu’il faut au moins quelques épées, quelques fleches à tant de soldats, et que selon le texte ils n’en avaient point ; mais ils pouvaient se servir de frondes et de massues.
  35. les déclamations du Lord Bolingbroke sur ce passage sont plus violentes que jamais. Si un prêtre, dit-il, avait été assez insolent et assez fou pour parler ainsi, je ne dis pas à notre roi Guillaume, mais au duc de Marlborough, on l’aurait pendu sur le champ au premier arbre. Samuel, ajoute-t-il, n’est point un prêtre de Dieu, c’est un prêtre du diable. Toutes ces exclamations de tant de critiques partent du même principe ; ils jugent les juifs comme ils jugeraient les autres hommes. pourquoi n’as-tu pas tout tué ? serait ailleurs un discours infernal ; mais ici c’est Dieu qui parle par la bouche de Samuel ; et il est sans doute le maître de punir comme il veut, et quand il veut. Les incrédules insistent : ils disent qu’il n’est que trop vrai qu’on s’est toujours servi du nom de Dieu pour excuser, si l’on pouvait, les crimes des hommes. Ils ont raison quand ils parlent des autres religions ; mais ils ont tort quand il s’agit de la religion juive. Il leur semble absurde que Dieu ordonne qu’on tue toutes les brebis, et tous les ânes ; mais on leur dira toujours que ce n’est pas à eux de juger la providence.
  36. la querelle entre le sceptre et l’encensoir, qui a troublé si longtems tant de nations, est ici bien marquée ; nous ne pouvons en disconvenir. Samuel dit au roi que sa désobéissance aux ordres, que ce prince a reçus de lui de la part de Dieu, est aussi coupable que le serait la magie et l’idolâtrie ; et il déclare à Saül : Dieu ne veut plus que tu regnes. C’est une question épineuse, si Saül devait l’en croire sur sa parole. M Fréret prétend que Saül pouvait lui dire : donne-moi un signe, fais-moi un miracle, pour me prouver que Dieu veut me détrôner, comme tu me donnas un signe quand tu me fis oint ; tu me fis alors retrouver mes ânesses ; fais au moins quelque chose de semblable. Les commentateurs sont d’une autre opinion : ils disent que dès qu’un prophete a donné une fois un signe, il n’est plus obligé d’en donner d’autre.
  37. plusieurs personnes excusent les emportemens du Lord Bolingbroke quand ils lisent ce passage. Un prêtre, un ministre de paix, un homme qui serait souillé pour avoir touché seulement un corps mort, couper un roi en morceaux comme on coupe un poulet à table ! Faire de sa main ce qu’un bourreau tremblerait de faire ! Il n’y a personne que la lecture de ce passage ne pénetre d’horreur. Enfin quand on est revenu du frissonnement qu’on a éprouvé, on est tenté de croire que cette abomination est impossible ; un vieillard, tel que Samuel, aura eu difficilement la force de hâcher en pieces un homme. Calmet dit que le zele arma Samuel dans cette occasion pour venger la gloire du seigneur
    il
    veut dire apparemment la justice . Peut-être qu’Agag avait mérité la mort ; car quelle gloire peut revenir à Dieu de ce qu’un prêtre coupe un souverain en morceaux ? Nous tremblons en examinant cette barbarie absurde : adorons la providence sans raisonner.
  38. il semble étrange que les habitants de Bethléem demandent à Samuel : viens-tu ici avec un esprit de paix ? Bethléem n’appartenait donc pas à Saül ; et cela est très vraisemblable : car Jérusalem, qui est tout auprès, n’était point à lui. Il y avait donc dans Bethléem des cananéens qui dominaient, et des juifs tributaires. C’est aux juifs pourtant que Samuel s’adressa : purifiez-vous, et venez avec moi . Jamais histoire ne fut plus divine ; mais aussi elle est très obscure aux yeux des hommes.
  39. Calmet observe que c’était une beauté chez les juifs d’être roux, et que l’époux ou l’amant du cantique des cantiques était rousseau. Nous ne sommes pas de cette opinion. L’amant du cantique des cantiques était d’un blanc mêlé de rouge, candidus et rubicundus . Mais le sacre de David est un objet plus important. C’est d’abord une chose remarquable que Dieu parle à Samuel chez le pere de David même, en présence de toute la maison. Il faut croire qu’il lui parlait intérieurement : mais alors comment les assistants pouvaient-ils deviner qu’il avait une mission particuliere et divine ? Tous les juifs devaient savoir que Saül régnait ; parce que Samuel lui avait répandu de l’huile sur la tête. Or quand il en fait autant à David, son pere, sa mere, ses freres et les assistants devaient s’appercevoir qu’il fesoit un roi nouveau, et que par-là il exposait toute la famille à la vengeance de Saül. Il y a là quelque difficulté ; mais elle disparaît, dès qu’on sait que Samuel était inspiré. Boulanger dit qu’il n’y a jamais eu de scene du théâtre italien plus comique, que celle d’un prêtre de village qui vient chez un paysan, avec une bouteille d’huile dans sa poche, oindre un petit garçon rousseau, et faire une révolution dans l’état. Mais il ajoute que cet état et ce petit garçon rousseau ne méritaient pas un autre historien. Nous laissons ces blasphêmes pour ce qu’ils valent.
  40. les commentateurs exaltent ici le pouvoir de la musique. Calmet remarque, que Terpandre appaisa une sédition en jouant de la lyre ; et il cite Henri étienne, qui vit dans la tour d’Angleterre un lion quitter son dîner pour entendre un violon. Ces exemples sont assez étrangers à la maladie de Saül. Le soufle malin de Dieu, c’est-à-dire un soufle très-malin, une espece de possession, l’avait rendu maniaque, et, selon plusieurs commentateurs, Dieu l’avait abandonné au diable. Mais il est prouvé que les juifs ne connaissaient point encore d’esprit malin, de diable qui s’emparât du corps des hommes ; c’était une doctrine des chaldéens et des persans ; et jusqu’ici il n’en est pas encore question dans les livres saints.
  41. les commentateurs remarquent que c’était un don particulier, communiqué de Dieu à David, de guérir les accès de folie dont Saül était attaqué. Mais en même temps ils veulent expliquer si ce don était la suite de son sacre, et de l’huile que Samuel avait répandu sur sa tête.
  42. on remarque qu’en cet endroit l’histoire est interrompue, et que l’auteur sacré passe rapidement de la folie de Saül à des opérations de guerre. Rarement il se sert de transitions. Quelques-uns même affirment que c’est une marque infaillible de l’inspiration, de passer rapidement d’un objet à un autre. La cause, l’objet et les détails de cette guerre ne sont pas exprimés selon notre méthode ; c’est à nous à nous conformer à celle de l’auteur. Ce géant Goliath, qui avait douze pieds et demi de haut, ne doit pas paraître une chose extraordinaire après les géants que nous avons vus dans la genese. Il est vrai que nous ne voyons plus aujourd’hui d’hommes de cette taille ; telle est même la constitution du corps humain, que cette excessive hauteur, en dérangeant toutes les proportions, rendrait ce géant très faible et incapable de se soutenir. Il faut regarder Goliath comme un prodige, que Dieu suscitait pour manifester la gloire de David. La vulgate se sert ici du mot phalange, qui ne fut connu que longtemps après ; c’est une anticipation.
  43. M Huet de Londres dit qu’il n’est pas naturel que David, ayant été fait écuyer du roi, le quittât pour aller paître des troupeaux au milieu de la guerre. Il convient que chez les anciens peuples, et sur-tout chez les premiers romains, il n’était pas rare de passer de la charrue au commandement des armées ; mais il soutient que personne ne quitta jamais l’armée pour mener des brebis paître. Il se peut cependant que le pere de David l’eût appellé auprès de lui pour quelque autre raison, et qu’étant chez son pere il lui eût rendu les mêmes services qu’auparavant.
  44. on fait toujours la même question, pourquoi l’écuyer du roi l’avait abandonné. Nous y avons déjà répondu.
  45. les critiques disent, que ces histoires de géants, vaincus par des hommes d’une taille médiocre, sont très communes dans l’antiquité, soit qu’elles aient été véritables, soit qu’elles aient été inventées. Un fait n’est pas toujours romanesque pour avoir l’air romanesque. Ils censurent ces paroles de David, que donnera-t-on ? Il semble que David ne combatte pas par amour pour la patrie, mais par l’espoir du gain. Mais il est permis de desirer une juste récompense.
  46. il y a des naturalistes qui prétendent qu’on ne voit point d’ours dans les pays qui nourrissent des lions. Nous ne sommes pas assez instruits de cette particularité pour les réfuter ; l’histoire sacrée est plus croyable qu’eux.
  47. d’autres critiques disent qu’un caillou, lancé de bas en haut contre un casque d’airain, ne peut s’enfoncer dans le front : c’est une objection vaine.
  48. il est plus difficile de répondre à ceux qui ne peuvent comprendre comment Saül ignore quel est ce David, comment il ne reconnaît point son joueur de harpe, son écuyer, qui portait ses armes. Nous n’avons point de solution pour cette difficulté ; mais considerons que ces contradictions ne sont qu’historiques, et qu’elles ne touchent ni à la foi, ni aux bonnes mœurs. On ne peut comprendre encore comment David porta la tête de Goliath à Jérusalem, qui n’appartenait point alors au peuple de Dieu ; mais c’est une anticipation ; il se peut que David, s’étant emparé plusieurs années après de la place de Jérusalem, y ait porté le crane de Goliath.
  49. l’auteur sacré nous représente ici Saül dans un accès de folie. Quelques commentateurs disent que ce n’était qu’un accès de colere, et qu’il était jaloux de la chanson qu’on chantait à l’honneur de David, et sur-tout de ce qu’il avait été oint en secret.
  50. M Huet d’Angleterre trouve de la contradiction dans la conduite de Saül, qui veut toujours tuer David, qui est jaloux de lui, et qui lui donne sa fille Michol en mariage. Mais il est dit que Saül était possedé d’un esprit malin. Lorsque le roi de France Charles Vi donna sa fille au roi d’Angleterre son ennemi, on avoue qu’il était fou. à l’égard des deux cents prépuces, chaque pays a ses usages : on apporte aux turcs des têtes ; on apportait aux scythes des crânes ; on apporte aux iroquois des chevelures.
  51. voilà la guerre déclarée entre Saül et David ; le beau-pere craint toujours que le gendre ne le détrône ; cela ne peut être autrement. Quand Samuel a oint deux rois, deux christs, il a excité nécessairement une guerre civile. Michol sauve son mari en mettant une figure dans son lit coëffée d’une peau de chevre : cette peau de chevre était-elle le bonnet de nuit ordinaire de David ? C’était un téraphim ; mais un téraphim était, dit-on, une idole. Michol fesoit-elle coucher des idoles avec elle ? Voulait-elle que les satellites envoyés par Saül prissent cette idole pour son mari ? Voulait-elle que la peau de chevre fût prise pour la chevelure rousse de David ? C’est sur quoi les commentateurs ne s’accordent pas.
  52. l’auteur sacré a déjà donné une autre origine à ce proverbe. M Boulanger compare ici témérairement Saül à un juge de village en basse-Bretagne nommé Kerlotin, qui envoya chercher un témoin par un huissier ; le témoin buvait au cabaret, et l’huissier resta avec lui à boire ; il dépêche un second huissier, qui reste à boire avec eux : il y va lui-même, il boit et s’enivre ; et le procès ne fut point jugé.
  53. M. Huet de Londres déclare la conduite de David insoutenable ; il ose le comparer à un capitaine de bandits, qui a ramassé jusqu’à six cents coupe-jarrets, et qui court les champs avec cette troupe de coquins, ne distinguant ni amis, ni ennemis, rançonnant, pillant tout ce qu’il rencontre. Mais cette expédition n’est pas approuvée dans la sainte Écriture : l’auteur sacré ne lui donne ni louange, ni blâme ; il raconte le fait simplement.
  54. M. Huet continue et dit, que si on avait voulu écrire l’histoire d’un brigand, d’un voleur de grand chemin, on ne s’y serait pas pris autrement ; que ce Nabal, qui, après avoir été pillé, meurt au bout de peu de jours, et David qui épousa sur le champ sa veuve, laissent de violents soupçons. Si David, dit-il, a été selon le cœur de Dieu, ce n’est pas dans cette occasion. Nous confessons qu’aujourd’hui une telle conduite ne serait point approuvée dans un oint du Seigneur. Nous pouvons dire que David fit pénitence, et que cette aventure fut comprise dans les sept psaumes pénitentiaux implicitement. Nous n’osons prétendre que David fût impeccable.
  55. M. Huet remarque, que d’abord David contrefit le fou et l’imbécile devant le roi Achis, chez lequel il s’était réfugié. Ce n’est pas une excellente manière d’inspirer la confiance à un roi qu’on se propose de servir à la guerre ; mais la manière dont David sert ce roi son bienfaiteur est encore plus extraordinaire : il lui fait accroire qu’il fait des courses contre les Israélites, et c’est contre les propres amis de son bienfaiteur qu’il fait ces courses sanguinaires ; il tue tout, il extermine tout, jusqu’aux enfants, de peur, dit-il, qu’ils ne parlent. Mais comment ce roi pouvait-il ignorer que David combattait contre lui-même sous prétexte de combattre pour lui ? Il fallait que ce roi Achis fût plus imbécile que David n’avait feint de l’être devant lui. M. Huet déclare David et Achis également fous, et David le plus scélérat de tous les hommes. Il aurait dû, dit-il, parler de cette action abominable dans ses psaumes. On peut répondre à M. Huet, que David, dans cette guerre civile, ne portait pas au moins le ravage chez ses compatriotes ; qu’il ne trahissait et qu’il n’égorgeait que ses alliés, lesquels étaient des infideles. Il y a aussi des commentateurs éclairés, qui, regardant David comme l’exécuteur des vengeances de Dieu, l’absolvent de tout péché dans cette occasion.
  56. voilà David qui, d’écuyer et de gendre de Saül son roi, devient formellement capitaine des gardes de l’ennemi d’Israël. Il est difficile, nous l’avouons avec douleur, de justifier toute cette conduite selon le monde ; mais selon les desseins inscrutables de Dieu, et selon la barbarie abominable de ces temps-là, nous devons suspendre notre jugement, et tâcher d’être justes dans le temps où nous sommes, sans examiner ce qui était juste ou injuste alors.
  57. il est défendu dans le deutéronome d’expliquer les songes ; mais Dieu se réservait le droit de les expliquer lui-même. Aujourd’hui un général d’armée, qui déterminerait ses opérations de campagne sur un songe, ne serait pas regardé comme un homme bien sensé. Mais, nous l’avons déjà dit, ces temps-là n’ont rien de commun avec les nôtres.
  58. les devins, les sorciers, les pythonisses, les prophetes, dans tous les pays, ont toujours affecté de parler du creux de la poitrine, et de former des sons qui ont quelque chose de sombre et de lugubre : ils se disaient tous agités d’un esprit qui les fesait parler autrement que les autres hommes ; et la populace se laissait prendre à ces infames simagrées, qui effrayaient les femmes et les enfants. Les premiers prophetes des Cevennes, vers l’an 1704, parlaient tous du creux de la poitrine, et traînaient un peuple fanatique après eux. Il n’en était pas ainsi des vrais prophetes du seigneur. Saül demande une femme qui ait un ob ; la vulgate dit, un esprit de Python. Les profonds mythologistes, qui ont sérieusement examiné l’histoire de Typhon frere d’Osiris et d’Isis, ont conclu savamment qu’il était le même que le serpent Python. Le judicieux Bochard assûre pourtant, que Typhon était le même qu’Encélade. Leur histoire est aussi confuse que le reste de la mythologie. Il n’est pas aisé de savoir si Jupiter se battit contre Typhon, et le foudroya ; ou si Apollon tua Python à coups de fleches. Quoiqu’il en soit, la pythie, ou pythonisse de Delphes, rendait des oracles de temps immémorial. Non seulement elle était ventriloque, mais elle recevait l’inspiration dans son ventre. Elle s’asseyait sur un triangle de bois ou de fer, une exhalaison qui sortait de la terre, et qui entrait dans sa matrice lui fesait connaître le passé et l’avenir. La réputation de cet oracle pénétra dans l’Asie Mineure, dans la Syrie, et enfin jusques dans la Palestine. Il est très vraisemblable que la pythonisse d’Endor était une de ces gueuses, qui tâchaient de gagner leur vie à imiter comme elles pouvaient la pythie de Delphes. Le texte nous dit donc, que Saül se déguisa pour aller consulter cette misérable. Il n’y a rien que de très ordinaire dans cette conduite de Saül. Nous avons vu dans plusieurs endroits, qu’il n’y a point de pays où la friponnerie n’ait abusé de la crédulité ; point d’histoire ancienne qui ne soit remplie d’oracles et de prédictions. Longtemps avant Balaam on a prédit l’avenir ; depuis Balaam on le prédit toujours ; et depuis Nostradamus on ne le prédit plus gueres.
  59. il y avait un an ou deux que Samuel était mort, lorsque Saül s’adressa à la pythonisse pour évoquer ses manes, son ombre. Mais comment évoquait-on une ombre ? Nous croyons avoir prouvé ailleurs que rien n’était plus naturel, ni plus conforme à la sottise humaine. On avait vu dans un songe son pere, ou sa mere, ou ses amis, après leur mort ; ils avaient parlé dans ce songe ; nous leur avions répondu ; nous avions voulu, en nous éveillant, continuer la conversation, et nous n’avions plus trouvé à qui parler. Cela était désespérant ; car il nous paraissait très certain que nous avions parlé à des morts, que nous les avions touchés ; il y avait donc quelque chose d’eux qui subsistait après la mort, et qui nous avait apparu : ce quelque chose était une ame, c’était une ombre, c’étaient des manes. Mais tout cela s’enfuyait au point du jour ; le chant du coq fesait disparaître toutes les ombres. Il ne s’agissait plus que de trouver quelqu’un d’assez habile pour les rappeller pendant le jour, et le plus souvent pendant la nuit. Or sitôt que des imbéciles voulurent voir des ames et des ombres, il y eut bientôt des charlatans qui les montrerent pour de l’argent. On cacha souvent une figure dans le fond d’une caverne, et on la fit paraître par le moyen d’un seul flambeau derriere elle. La pythonisse d’Endor n’y fait pas tant de façon : elle dit qu’elle voit une ombre ; et Saül la croit sur sa parole. Par-tout ailleurs que dans la sainte écriture, cette histoire passerait pour un conte de sorcier assez mal fait ; mais puisqu’un auteur sacré l’a écrite, elle est indubitable ; elle mérite autant de respect que tout le reste. St Justin ne doute pas, dans son dialogue contre Tryphon, que les magiciens n’évoquassent quelquefois les ames des justes et des prophetes, qui étaient tous en enfer, et qui y demeurerent jusqu’à ce que Jesus-Christ vint les en tirer, comme l’assurent plusieurs peres de l’église. Origene est fortement persuadé que la pythonisse d’Endor fit venir Samuel en corps et en ame. Le plus grand nombre des commentateurs croit que le diable apparut sous la figure de Samuel. Nous ne prenons parti ni pour ni contre le diable. Le révérend pere Don Calmet prouve la vérité de l’histoire de la pythonisse par l’exemple d’un anglais, qui avait le secret de parler du ventre. M Boulanger dit que Calmet devait s’en tenir à ses vampires.
  60. puisque Saül et l’ombre de Samuel ont ensemble une grande conversation, on peut inférer delà que c’était Samuel lui-même qui était monté de la terre. Samuel se plaint qu’on ait troublé son repos en enfer ; il parle au nom de Dieu ; c’est un fort préjugé que cette ombre n’était point le diable. Encore une fois, nous n’osons rien décider dans une question si ardue. Quelques critiques se sont enquis pourquoi l’ombre de Samuel était venue de l’enfer avec son manteau. Ils demandent si on a des manteaux en enfer ; si les ames sont habillées quand elles sont évoquées. Ce sont des questions plus ardues encore.
  61. l’ombre de Samuel prédit réellement à Saül qu’il perdra la bataille ; qu’il y sera tué avec ses fils. Pourquoi donc Saül donne-t-il cette bataille ? Il ne croyait donc pas aux prédictions de Samuel. Saint éphrem dit que cette obstination de combattre, malgré les prédictions d’une ombre, est une preuve que ce roi était tout-à-fait fou. Le pere Quesnel en tire un grand argument en faveur de la prédestination. Le pere Doucin soutient que Saül était libre de refuser la bataille après que l’ombre lui avait promis qu’il y serait tué. On dispute sur une autre question. Samuel dit à Saül : tu seras demain avec moi. Saül sera-t-il sauvé ? Sera-t-il damné ? Samuel est en enfer ! Mais il n’est pas probablement dans l’enfer des damnés ; il est dans l’enfer des élus. Saül sera-t-il élu ? Nous protestons que nous n’en savons rien. Des incrédules demandent s’il y a jamais eu un Saül et un Samuel. Ils disent qu’il n’y a que les livres juifs qui en parlent, et que les annales de Tyr ont parlé de Salomon et n’ont jamais parlé de David. Un pareil scepticisme ruinerait toutes les histoires particulieres. Ces incrédules ont beau traiter de fable le combat de David et de Goliath, les deux cents prépuces philistins présentés à Saül, Agag haché en morceaux par un prêtre âgé d’environ cent ans, et enfin l’histoire de la pythonisse d’Endor ; tous ces faits, même indépendamment de la révélation, sont aussi certains qu’aucune autre histoire ancienne.
  62. voilà la premiere fois que des sorcieres donnent à souper à ceux qui les consultent. Nous n’en dirons pas davantage sur la pythonisse d’Endor. Le lecteur peut consulter, s’il veut, tous les livres qu’on a écrits sur les sorciers ; il n’en sera pas plus instruit.
  63. il est étrange que le moment d’après l’auteur sacré raconte la mort de Saül d’une maniere toute différente ; car il dit qu’un amalécite vint se présenter à David, lui disant : Saül m’a prié de le tuer, et je l’ai tué ; et je t’apporte son diadême et son bracelet à toi mon maître. Laquelle de ces deux leçons devons nous adopter ? L’auteur donne une autorité pour la seconde leçon, il cite le livre des justes, le droiturier. Il y a encore là une terrible difficulté, que nous n’avons pas la témérité de résoudre. Comment ce même livre des justes, que nous avons vu écrit du temps de Josué, peut-il avoir été écrit du temps de David ? Il faudrait, disent les critiques, que l’auteur eût vécu environ quatre cents ans. Les commentateurs répondent, que c’était un livre où les lévites inscrivaient tous les noms des justes, ou tout ce qui concernait la justice. Il est triste qu’un tel livre, qui devait être fort curieux, ait été perdu sans ressource.