La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Prophètes/Ézéchiel
EZECHIEL.
ézéchiel, captif sur les bords du fleuve Chodar,
voit d’abord au milieu d’un feu quatre animaux
ayant chacun quatre faces d’homme, quatre ailes,
des pieds de veau et des mains d’homme, de lion, de
bœuf et d’aigle.
Il y avait près d’eux une roue à quatre faces :
lorsque les animaux marchaient, les roues
marchaient aussi...
après ce spectacle, dont nous ne donnons qu’une
très-légere esquisse, le seigneur présente au
prophete un livre, un rouleau de parchemin, et lui
dit : mange ce livre. Et ézéchiel le mange. Puis le
seigneur lui dit : va te faire lier dans ta maison.
Et le prophete va se faire lier.
Puis le seigneur lui dit : " prends une brique,
dessine dessus la ville de Jérusalem, et autour
d’elle une armée qui l’assiege. Prends une poële
de fer, et mets-la contre un mur de fer. " ... et le
prophete fait tout cela.
" ensuite le seigneur lui dit : couche-toi pendant
trois cents quatre-vingt-dix jours sur le côté
gauche, et pendant quarante jours sur le côté droit ;
mange pendant trois cents quatre-vingt-dix jours
ton pain couvert de merde d’homme, devant tous les
juifs. Car c’est ainsi qu’ils mangeront leur pain
tout souillé parmi les nations chez lesquelles je
les chasserai. "
ce sont là les ordres positifs que donne le
seigneur ; ce sont là les propres termes dont il
se sert. à quoi ézéchiel répond : ah, ah, ah !
(ou pouha ! Pouha ! ) seigneur, jamais rien
d’impur n’est entré dans ma bouche. Le seigneur
lui répond : " eh bien, je te donne de la fiente
de bœuf au lieu de merde d’homme ; et tu la
mêleras avec ton pain ; je vais briser dans
Jérusalem
le bâton du pain ; et on ne mangera de pain, et on
ne boira d’eau que par mesure.
" le seigneur continue et dit à ézéchiel : prends
un fer tranchant, et coupe-toi les cheveux et la
barbe ; brûle le tiers de ces poils au milieu de la
ville, selon le nombre des jours du siege. Coupe
avec une épée le second tiers autour de la ville ;
et jette au vent le tiers restant... car voici ce
que dit le seigneur : parce que Jérusalem n’a pas
marché dans mes préceptes, et n’a pas opéré selon
les jugemens de ceux qui l’environnent, j’irai à
elle, j’exercerai mes jugemens aux yeux des
nations... les peres mangeront leurs enfans, et les
enfans mangeront leurs peres. Un tiers du peuple
mourra de peste et de faim ; un tiers tombera sous
le glaive dans la ville ; un tiers sera dispersé,
et je le poursuivrai l’épée nue. "
il s’est élevé une grande dispute entre les
interprêtes. Tant de choses extraordinaires, si
opposées à nos mœurs et à notre raison, se
sont-elles passées en vision ou en réalité ?
ézéchiel raconte-t-il cette histoire comme un songe
ou comme une action véritable ? Les derniers
commentateurs, et sur-tout Don Calmet, ne
doutent pas que tout ne se soit réellement passé
comme le dit ézéchiel. Voici comme Don Calmet
s’en explique.
" nous ne voyons aucune nécessité de recourir au
miracle. Il n’est nullement impossible qu’un homme
demeure enchaîné et couché sur le dos pendant
trois-cents quatre-vingt-dix jours... Prado
témoigne qu’il a vu un fou, qui demeura lié et
couché sur son côté pendant plus de quinze ans. Si
tout cela n’était arrivé qu’en vision, comment les
juifs de la captivité auraient-ils compris ce que
leur voulait dire ézéchiel ? Comment ce prophête
aurait-il exécuté les ordres de Dieu ? Il faut
donc dire aussi qu’il ne dressa point le plan de
Jérusalem ; qu’il ne fut lié, qu’il ne mangea
son pain, qu’en esprit et en idée. "
on doit donc croire qu’effectivement tout se
passa comme ézéchiel le raconte ; et cela n’est
pas plus surprenant que les avantures réelles
d’élie, d’élisée, de Samson, de Jephté, de
Gédéon, de Josué, de Moyse, de Jacob,
d’Abraham, de Noë, d’Adam et d’ève. Mes
prédécesseurs ont remarqué que dans les livres
judaïques rien ne s’est fait de ce qui se fait
aujourd’hui[1].
De tous les passages d’ézéchiel, celui qui a
excité le plus de murmures parmi les critiques,
et qui a le plus embarrassé les commentateurs,
est l’article d’Olla et d’Ooliba. Le prophete fait
parler ainsi le seigneur à Olla[2]. " je t’ai fait
croître comme l’herbe qui est dans les champs ;
tu es parvenue au temps où les filles aiment les
ornemens ; tes tettons sont enflés ; ton poil
a poussé ; tu étais toute nue et pleine de
confusion ; j’ai passé auprès de toi ; je t’ai vue.
Voilà le temps des amans. Je me suis étendu sur toi ;
j’ai couvert ton ignominie ; j’ai juré un pacte
avec toi, et tu as été mienne... je t’ai donné
des robes de plusieurs couleurs ; je t’ai donné
des souliers bleus, une ceinture de coton...
tu as été parée d’or et d’argent, nourrie de
bon pain, de miel et d’huile. Et après cela
tu as mis ta confiance en ta beauté ; tu as
forniqué en ton nom, et tu as exposé ta fornication
à tous les passants ; tu t’es bâti un mauvais lieu,
et tu t’es prostituée dans les rues... on paie les
filles de joie ; et tu as payé tes amans pour
forniquer avec toi... "
ensuite le seigneur s’adresse à Ooliba ; il dit
qu’Ooliba a exposé à nu ses fornications,... etc.
Ce n’est point là le récit d’une avanture
réelle, comme celle du prophete Ozée avec la
gomer ; ce n’est qu’une pure allégorie exprimée
avec une naïveté qu’aujourd’hui nous trouverions
trop grossiere, et qui peut-être ne l’était point
alors.
Les juifs firent beaucoup de difficultés pour
insérer cette prophétie dans leur canon ; et
lorsqu’ils l’admirent, ils n’en permirent la lecture
qu’à l’âge de trente ans. Une des raisons qui les
porterent à cette sévérité, fut qu’ézéchiel, dans
sa prophétie, fait dire au seigneur : j’ai donné à mon peuple des préceptes qui ne sont pas bons, et je leur ai donné des ordonnances dans lesquelles ils ne trouveront point la vie
. On eut peur que
ce passage ne diminuât le respect des juifs pour
la loi de Moyse.
On peut encore remarquer sur ézéchiel la
prédiction qu’il fait au chapitre trente-neuf, pour
consoler les juifs captifs. Il fait inviter par le
seigneur-même tous les oiseaux et tous les
quadrupedes à venir manger la chair des guerriers
qu’il immolera, et à boire le sang des princes.
Et ensuite il dit au verset 19 et 20 : " vous
mangerez de la chair grasse jusqu’à satiété ; vous
boirez le sang de la victime que je vous prépare ;
vous vous rassasierez à ma table de la chair des
chevaux et des cavaliers, et de tous les gens de
guerre. J’établirai ma gloire parmi les nations ;
elles connaîtront ma main puissante ; et dans ce
jour la maison d’Israël saura que c’est moi qui
suis le seigneur. "
on a cru que la premiere promesse de manger la chair
des guerriers, et de boire le sang des princes,
était faite pour les oiseaux, et que la seconde
de manger le cheval et le cavalier était faite pour
les guerriers juifs. Il y avait en effet dans les
armées des perses beaucoup de scythes qui mangeaient
de la chair humaine, et qui s’abreuvaient de sang
dans le crâne de leurs ennemis. Le seigneur pouvait
dire aux juifs, qu’ils traiteraient un jour les
scythes, comme les scythes les avaient traités. Le
seigneur pouvait bien leur dire, vous saurez que c’est
moi qui suis le seigneur. Mais il ne pouvait le dire
aux quadrupedes et aux oiseaux, qui n’en ont
jamais rien su.
Nous ne prétendons point entrer dans toutes
les profondeurs mystérieuses de tous les
prophetes, ni examiner les divers sens qu’on a
donnés à leurs paroles. Nous nous bornons à
montrer seulement ce qu’il y a de plus singulier dans
leurs avantures, et ce qui est le plus éloigné de
nos mœurs.