La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Hérode
NOUVEAU TESTAMENT.
D’HERODE.
Quelques ténebres que la science des commentateurs
ait répandues sur l’origine d’Hérode, il est clair
qu’il n’était pas juif ; et cela suffit pour faire
voir que les romains distribuaient des couronnes à
leur gré comme Alexandre avait donné celle de
Sidon au jardinier Abdalonyme.
Tous ceux qui s’intéressent aux événements de son
regne, conviennent que sa famille était
iduméenne. Elle est très ancienne dans le sens
que tous les hommes sont de la race de Noé, et
que les iduméens descendaient d’ésaü. Hérode
recouvra son droit d’ainesse dont ésaü s’était
dépouillé, et traita durement la maison de Jacob.
Mais dans le sens ordinaire sa famille était de la
lie du genre humain. Son grand pere Antipas fut,
selon Eusebe, un pauvre payen, et sacristain d’un
temple d’Ascalon. Fait esclave dans sa jeunesse
par des voleurs iduméens, son fils Antipater,
esclave comme lui, sut plaire au brigand Arétas,
chef des arabes nabatéens, qui étaient venus pour
piller Jérusalem, et que Pompée renvoya dans leurs
déserts. Antipater quitta le service des arabes
pour celui des romains. Il devint leur
munitionaire, et fit une grande fortune dans les
vivres. Voilà l’unique origine de la grandeur
de sa maison. Il était riche ; et tous les juifs
de
Jérusalem étaient pauvres. C’est ainsi que
les Tarquins furent souverains dans Rome, et
les Médicis à Florence.
L’application infatigable d’Antipater à
s’enrichir a fait penser à quelques-uns qu’il était
juif ; mais on n’a jamais su au juste de quelle
religion il fut lui et Hérode son fils. C’était
un des hommes les plus entreprenants, et des
plus rusés. Il se rendit nécessaire aux romains
dans leur guerre contre Aristobule ; il
contribua beaucoup à l’accabler, parce qu’il gagnait
à sa perte. Il s’intrigua sans cesse avec les
commandants romains, les juifs et les arabes, les
fesant tous servir à ses intérêts, et prêtant de
l’argent par avarice à quiconque pouvait l’aider
dans ses exactions.
Il épousa une fille riche d’Arabie nommée
Kypron, dont il eut quatre enfants. Hérode n’était
que le second : mais ayant toutes les qualités et
tous les vices de son pere dans un plus haut
degré, il devait faire une bien plus grande
fortune.
Antipater établit si bien son crédit, que tantôt
Pompée, et tantôt César eurent besoin de lui
pour faire subsister leurs troupes. C’était enfin
un de ces hommes qui doivent devenir princes ou
être pendus.
César, en passant d’égypte en Syrie, lui
accorda sa protection : il ne haïssait pas de tels
caracteres. Antipater eut l’audace de lui demander
le gouvernement de Jérusalem et de la Galilée,
et l’obtint aisément. Il partagea les deux provinces
entre deux de ses fils Phazaël et Hérode :
quoiqu’Hérode n’eût encore que quinze ans, il eut
la Galilée ; Phazaël eut Jérusalem.
Hérode, quelques années après, fut le premier qui
éprouva le pouvoir et la mauvaise volonté de ce
fameux sanhédrin établi par Pompée. Quelque
puissant qu’il fût par lui-même et par son pere, on
l’accusa devant ce tribunal. Il vint répondre, mais
bien accompagné. On lui imputait des malversations
et des meurtres. Il soutint qu’il n’avait fait
mourir que des brigands. Il fut traité de brigand
lui-même, et condamné à la mort. Il se retira avec
ses satellites ; et dans la suite, lorsqu’il fut
roi, il fit mourir tous les juges du sanhédrin,
excepté un seul nommé Saméas qui l’avait absous.
Ce Saméas
était le prédécesseur d’Hillel et de Gamaliel
maître de st Paul.
Pendant que ces petites convulsions agitaient ce
coin de terre, l’Asie et l’Europe étaient en
armes. César tué dans le capitole par des hommes
chargés de ses bienfaits, les horreurs des
proscriptions, la funeste concorde d’Octave et
d’Antoine, leur discorde encore plus fatale, la
guerre où périrent Brutus et Cassius, tenaient
l’Europe en allarmes ; et les parthes vainqueurs
de Crassus épouvantaient l’Asie.
Un antigone, un homme de la race des
Machabées, un fils de cet Aristobule
grand-prêtre des juifs, frere de cet Alexandre que
Pompée avait condamné à perdre la tête, appelle les
parthes à son secours jusques dans Jérusalem. Il
disputait le bonnet de grand-prêtre, et même le vain
titre de roi des juifs, à Hircan son oncle, frere
d’Aristobule. C’était le jeune Hérode qui était
roi en effet par ses intrigues, par son argent, par
le pouvoir qu’il usurpait, par la faveur des
romains. Antigone promet, dit Joseph, mille talents
et cinq cents filles aux parthes, s’ils veulent venir
le seconder et lui assurer sa place de pontife. Quel
prêtre que cet Antigone, et quel successeur de
Judas Machabée ! Les parthes viennent chercher
l’argent et les filles à Jérusalem. Ils entrent
dans cette ville si souvent prise et saccagée.
Hérode et son frere Phazaël résistent autant qu’ils
le peuvent aux parthes et aux soldats d’Antigone.
On combat aux portes du temple, dans les rues, dans
les maisons. Les temps de Nabucodonosor n’étaient
pas plus affreux. On parlemente au milieu du
carnage. Phazaël frere d’Hérode se laisse séduire
aux promesses des parthes ; il a l’imprudence de se
mettre dans leurs mains ; on l’enchaîne, et il se
casse la tête contre le mur de sa prison. Hérode
fuit de la ville avec ce qui lui restait de soldats,
et se réfugie en Arabie.
Ce malheur, qui devait le détruire sans ressource,
fut ce qui lui valut le royaume de Judée. Il
marche en égypte, s’embarque au port d’Alexandrie,
et va implorer dans Rome la protection
d’Antoine et d’Octave, réunis alors pour un peu
de temps. Antoine prêt de partir pour aller faire la
guerre aux parthes, et sentant le besoin qu’on avait
d’un tel homme, disposa le sénat en sa faveur.
Octave le seconda. Hérode fut déclaré roi de
Judée en plein sénat. David et Salomon ne
s’étaient pas doutés que, du fond de l’Italie,
deux citoyens d’une ville qui n’était pas encore
bâtie nommeraient un jour leurs successeurs dans
Jérusalem.
Hérode ne fut que roi tributaire et dépendant des
romains, mais il fut maître absolu chez lui.
Antoine envoya d’abord Sosius à son secours avec
une armée. Hérode, sous les ordres de Sosius,
vint chasser les parthes et assiéger Jérusalem,
tandis que Ventidius, lieutenant d’Antoine,
poursuivait les parthes dans la Syrie, et
qu’Antoine lui-même se préparait à porter la guerre
jusques dans le sein de la Perse.
Tout le peuple de Jérusalem avait pris le parti
d’Antigone. C’était un devoir religieux de
soutenir un Asmonéen ; un Machabée, contre un
arabe d’Idumée, fils d’un payen et qui leur
apportait des fers de la part de Rome. Les
juifs des autres villes, et même d’Alexandrie,
étaient venus défendre leur ancienne capitale.
Sosius et Hérode entrerent par les breches au
bout de quarante jours. Le temple extérieur fut
brûlé ; et jamais le carnage ne fut plus grand. Le
Machabée Antigone vint se jetter en tremblant aux
pieds de Sosius, qui l’appella Antigonia par
mépris ; et ce fut alors qu’Hérode obtint qu’on
fît mourir ce pontife du supplice des esclaves.
Cependant Hérode avait épousé la niece de ce
même pontife, la célebre Mariamne ;
mais les nœuds de l’alliance le retenaient encore
moins qu’ils ne retinrent Pompée et César,
Antoine et Octave. L’histoire de la plupart
des princes est l’histoire des parents immolés les
uns par les autres.
Cette nouvelle prise de Jérusalem, qui ne fut pas à
beaucoup près la derniere, arriva trente-trois ans
avant notre ère vulgaire.
Souvenons-nous ici de ce vieux Hircan, compétiteur
du grand-prêtre Aristobule, par qui commença cette
foule de désastres. Il avait été livré aux parthes
par Antigone son neveu, qui se contenta de lui faire
couper les oreilles pour le rendre incapable
d’exercer jamais le sacerdoce ; attendu qu’il était
dit dans le lévitique, que les prêtres doivent avoir
tous leurs membres. Ce vieillard, âgé de
quatre-vingts ans, obtint sa liberté des parthes, et
revint auprès d’Hérode, qui avait épousé sa
petite-fille Mariamne. Hérode le fit mourir, sous
prétexte qu’il avait reçu quatre chevaux du chef des
arabes. La véritable raison était qu’il voulait se
sauver des mains de son tyran : un frere de
Mariamne demandait le sacerdoce ; Hérode le fit
noyer. Il avait créé grand-pontife un homme
de la lie du peuple nommé Ananel. Ainsi il fut
réellement le chef de l’église juive, tout étranger
qu’il était.
On sait par quelle barbarie ce chef de l’église fit
tuer sa femme Mariamne et sa mere Alexandra ;
et comment il fit ensuite égorger les deux enfants
qu’il avait eus d’elle, de peur qu’ils ne la
vengeassent un jour. La cruauté devint en lui une
seconde nature, un besoin toujours renaissant, comme
les tigres ont besoin de dévorer pour vivre.
Hérode, dans sa derniere maladie, et cinq jours
avant sa mort, fit encore tuer un de ses enfants
nommé Antipater, aussi méchant que lui. Néron
fut un homme doux et clément en comparaison
d’Hérode. Ce mot célebre d’Auguste, qu’il valait
mieux être son cochon que son fils[1], n’était que trop
juste : car
le même homme, qui trempait ses mains dans le sang
de sa famille et de ses amis, n’aurait pas osé
manger une perdrix lardée en présence de ses sujets.
Ce n’est pas la peine de retracer ici ses autres
barbaries ; il est triste que la nature ait
produit de tels hommes. Il fallait que son sang
fût d’une acreté qui le rendait semblable aux
bêtes farouches. Cette acrimonie, qui augmente
avec l’âge, le réduisit enfin, si l’on en croit
Joseph, à un état qui semblait la punition de
ses crimes : les vers rongeaient tout son corps ;
les insectes sortaient de ses parties viriles. Nous
ne connaissons point une telle maladie. On en dit
autant de Sylla et de Philippe Second : ce sont
des bruits populaires. Ces bruits ont fait croire
aussi qu’Hérode fesait égorger des enfants pour se
baigner dans leur sang, et adoucir par ce remede la
virulence de ses humeurs. Il est vrai que le
charlatanisme de l’ancienne médecine a été assez
insensé pour imaginer, que le bain dans le sang des
enfants pouvait corriger le sang des vieillards. On
a cru que Louïs Onze, attaqué d’une maladie
mortelle au Plessis-Les-Tours, fesait saigner des
enfants pour lui composer un bain. Cet usage odieux
et rare était fondé sur l’ancien axiome,
les contraires guérissent les contraires ;
et
cette idée a produit enfin la tentative de la
transfusion, expérience que plusieurs croient trop
légérement abandonnée.
- ↑ Ce mot est rapporté par Macrobe, Saturn., II, iv ; Voltaire en reparle dans le chapitre v de son Histoire de l’établissement du christianisme.