Calmann-Lévy, éditeurs (p. 110-121).

XII

LA TERRE EST SAUVE !

Félicie s’alita dans les premiers jours de septembre.

On ne la vit pas descendre, un matin ; au moment de se mettre à table, ces dames s’interrogèrent en désignant la place vide, et grand’mère fit signe de la tête : « Non ». Pendant quelques jours encore, on posa son couvert, à la place habituelle, devant la cheminée, sous la photographie et le Cupidon. L’oncle Planté regardait, en face de lui, la serviette sanglée dans le rond d’ivoire.

La femme de Philibert se révéla promptement une garde-malade incomparable. Elle, grand’mère et la Boscotte montaient et descendaient tout le jour ; on les rencontrait dans le corridor, faisant du vent à leur passage. Et Félicie ne voulait point que les autres personnes entrassent dans sa chambre, car elle avait honte de se montrer délabrée. Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/119 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/120 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/121 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/122 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/123 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/124 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/125 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/126 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/127 Page:Boylesve - La Becquée 1910.djvu/128 lui mit le goupillon à la main ; et elle ne s’en allait plus. On dut la pousser, car beaucoup d’autres personnes avaient à faire le même signe d’adieu. Privée du seul caractère solide qu’elle eût rencontré le long de sa vie, elle s’en allait à la dérive, et elle ne reconnaissait plus les gens qui lui tendaient la main.

Courance parut dépeuplé. L’oncle Planté alla à la chasse, un jour, et ne revint pas. On le trouva, la nuit, sous les sapins d’Épinay que vénérait sa femme et grâce à Mirabeau qui faisait retentir le bois de ses hurlements. Son fusil lui était parti dans la figure. Ceux qui avaient compris le muet amour de cet homme timide pour sa femme, ne s’étonnèrent pas outre mesure de l’accident.

Un mercredi, la voiture de Sucre-d'Orge monta l'allée des ormes comme autrefois. On crut rêver ; on se demanda si le temps avait coulé. Le fidèle ami venait réclamer, selon son droit, le chapeau et la canne. Quelqu'un les avait déposés sur le canapé d'utrecht ; et personne n'osait ytoucher. À les voir là, on eût dit que Félicie était sur le point de sortir. M. Laballue fit une courte visite et prit les objets, pieusement. Il les tint à la main, de la porte du pavillon à sa voiture, et les plaça à côté de lui sur le coussin. On les regarda s'en aller, tant qu'on put, jusqu'à la grille.

FIN

<< Image et légende ici >>