La Beauté du cheval

Imprimerie Jean Pradel et Blanc, 6 Rue des Gestes (p. 1-65).


École Impériale Vétérinaire de Toulouse


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DE LA


BEAUTÉ DU CHEVAL


PAR


Nelson POITEVIN


Né à Xaintrailles (Lot-et-Garonne)


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THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


Présentée et soutenue le 25 juillet 1869


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TOULOUSE,

IMPRIMERIE JEAN PRADEL ET BLANC

Rue des Gestes, 6.


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1869


ÉCOLES IMPÉRIALES VÉTÉRINAIRES




Inspecteur général.
M. H. BOULEY O. ❄, Membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.
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ÉCOLE DE TOULOUSE




Directeur.
M. LAVOCAT ❄ Membre de l’Académie des Sciences de Toulouse, etc.
Professeurs.
MM. LAVOCAT ❄, Physiologie (embrassant les monstruosités).
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie médicale et maladies parasitaires.
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générale.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.


Chefs de service


MM. BONNAUD Clinique et Chirurgie.
MAURI Anatomie, Physiologie et Extérieur.
BIDAUD Physique, Chimie et Pharmacie.


JURY D’EXAMEN

MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
Bonnaud, Chefs de service.
Mauri,
Bidaud,


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PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle
du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie et de Physiologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.




À MES PARENTS

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À MES PROFESSEURS

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À MES AMIS



N. P.


DE LA BEAUTÉ DU CHEVAL


Le mot beauté, pris dans son acception la plus large et en même temps la plus simple, indique l’état particulier d’un objet, dont les formes extérieures ou les qualités morales excitent en nous un sentiment d’amour ou d’admiration : une chose est belle, quand elle plait à l’œil. Qu’un amateur se trouve en face d’un animal, il examine, dans leur ensemble, ses divers caractères extérieurs et cherche à les apprécier d’une manière absolue, conformément à l’idée qu’il a du beau, en d’autres termes, au point de vue de ce que dans les arts on appelle l’esthétique. L’élégance, la vigueur, la souplesse de son corps, les nuances plus ou moins chatoyantes de sa couleur, un je ne sais quoi, enfin, plus facile à sentir qu’à définir, impressionne son esprit et détermine son jugement. Il y a plus, si plusieurs autres personnes réputées comme ayant le sentiment du beau, examinent cet animal dans des conditions identiques, elles éprouvent toutes la même sensation et portent sans restriction le même jugement.

Ce n’est pas de cette beauté purement conventionnelle et trop artistique que je veux parler à propos du cheval. Pour que ce dernier soit beau, il ne suffit pas que ses formes soient parfaitement modelées et qu’elles se dessinent en contours irréprochables ; elles doivent encore recéler en elles ou dans leur agencement, certains indices qui dérivent de cette beauté superficielle qui seule est peu de chose, et ne doit occuper que le deuxième rang.

On ne doit pas entendre la beauté pour le cheval, comme on le fait pour l’espèce humaine, dans laquelle il faut que la régularité des formes et la pureté des lignes ne laissent rien à désirer, comme le prouvent l’Apollon du Belvéder, type de la belle conformation chez l’homme, et la Vénus de Milo, que l’on considère comme représentant le nec-plus-ultra de la beauté chez la femme. Pour les chevaux réduits à l’état domestique, la beauté ne peut être ainsi représentée par un type unique, centre autour duquel graviteraient toutes les individualités de l’espèce chevaline. Cela va ressortir, je l’espère, des quelques considérations suivantes : dans l’état de nature, lorsqu’il est encore à l’état sauvage, le cheval se suffit à lui-même et n’a pas besoin d’autres aptitudes que celles que nécessite sa propre conservation. On comprend facilement qu’il puisse alors avoir des formes qui flattent la vue, et qui se rapportent à un type unique conventionnel, sans qu’il en résulte d’inconvénient, parce que ces prétendues belles formes ne l’empêcheront ni de se sustenter, ni de défendre. De plus, tous les animaux d’une même espèce peuvent, quand ils se trouvent encore livrés à eux-mêmes, présenter des formes identiques, parce qu’ils sont absolument soumis aux mêmes causes modificatrices, et que si une d’elles vient à agir sur quelques-uns d’entre eux, en changeant leurs caractères, on ne voit aucun motif pour que cette même cause n’agisse pas également sur tous ceux qui se trouvent dans les mêmes conditions, et ne leur fasse pas subir les mêmes changements. Mais lorsque le cheval est réduit à l’état domestique, l’homme, sous la puissance duquel il se trouve, essaie par tous les moyens qui sont en son pouvoir de la modifier dans un sens donné afin d’obtenir ce qu’il appelle une amélioration. Les aptitudes naturelles, que ce quadrupède possède à l’état de liberté et qui sont communes à tous les animaux de son espèce, se trouvent alors plus ou moins sacrifiées. Peu importe au maître que son cheval s’éloigne ou non du type de beauté artistique, ce qu’il demande, c’est qu’il devienne plus apte au service qu’il veut exiger de lui. Pour opérer ces divers changements, l’intervention seule de l’homme ne suffit pas, il faut que la nature lui vienne en aide par la force de ses moyens ; mais, comme on l’a dit quelque part, le génie de l’homme, fécondé par la science, va jusqu’à diriger les travaux de la nature, jusqu’à lui faire perfectionner l’œuvre de Dieu, dans le sens de ses intérêts, de ses plaisirs ou de ses caprices. Or, tout le monde sait que ces mêmes intérêts, ces plaisirs et même ces caprices varient pour ainsi dire à l’infini, ou pour parler en rapport avec la circonstance, que les divers services et les autres agents modificateurs auxquels sont soumis les animaux, existent en très grand nombre ; aussi le cheval doit-il changer de caractères pour remplir avec toute la perfection désirable, les diverses conditions qu’exigent les services auxquels il est employé, et que commandent les puissances modificatrices qu’on fait agir sur lui.

Pour bien comprendre la beauté du cheval, il ne suffit pas d’un coup d’œil d’ensemble ; on doit, au contraire, analyser chacun de ses caractères jusque dans ses moindres détails, il faut remonter des effets aux causes : ainsi, par exemple, lorsqu’on voit un animal effectuer un mouvement souple et gracieux, ou bien déployer une force extraordinaire, on doit rechercher les diverses manières d’être qui commandent ce mouvement, qui produisent cette force ; lorsqu’on connaîtra la disposition la plus propre à faire exécuter un effet demandé, c’est elle que l’on devra considérer comme constituant la véritable beauté chez le sujet en question. Il faut se rappeler que le cheval est une machine animée dont la force est appelée à être mise à profit toutes les fois que besoin est, et que, par conséquent, la puissance et la qualité de ses formes doivent plutôt être recherchées que leur régularité. Ce n’est pas à dire pourtant que la beauté artistique doive être mise de côté d’une manière absolue ; on pourra, au contraire, s’estimer heureux de la rencontrer, pourvu toutefois qu’elle ne nuise en rien à la vigueur ou à l’énergie de l’animal qui la présentera. Et à ce propos, je puis dire qu’on ne la verra que rarement remplissant cette condition ; car, pour qu’un cheval soit véritablement beau, il faut qu’il présente des saillies et des angles osseux, quelquefois même assez proéminents, qui sont loin de lui donner des formes moelleuses et flattant la vue ; tout au plus pourra t-on la trouver limitée dans quelques régions qui, dans ce cas, seront pour le vulgaire comme des joyaux jetés au milieu d’un accoutrement grossier.

Pour faire voir que la beauté du cheval réside moins dans la régularité des formes que dans leur puissance, il me suffira de citer un fait à la portée de tout le monde : avant que la traite des nègres fût abolie, on recherchait plutôt chez eux une musculature puissante que la beauté du visage et des formes ; et cela, il en coûte de le dire, parce qu’on les assimilait à des bêtes de somme. À peine leur attribuait-on les mêmes privilèges qu’aux brutes, et, les considérant comme tels, on n’estimait chez eux que ce qui était un indice de force et de vigueur. Il faudra donc, et à fortiori, rechercher ces dernières qualités chez le cheval, puisque, le plus souvent, il est employé à des travaux pénibles.

Que faut-il donc pour qu’un cheval soit beau ? La réponse se déduit, il me semble, des considérations dans lesquelles je suis déjà entré, et on acceptera sans difficulté qu’un cheval beau est celui qui possède des formes le rendant le plus apte possible au service qu’il est appelé à remplir. Tout est là, un cheval remplissant bien ces conditions, sera la perfection même pour le vrai connaisseur ; il pourra bien se faire qu’un sportsman d’occasion le trouve de beaucoup inférieur à un autre qui aura des formes plus régulières et mieux arrondies ; mais, je le répète, l’homme expert l’appréciera toujours à sa juste valeur. Les divers services auxquels est utilisé le cheval variant essentiellement, il s’en suit que la beauté de cet animal doit changer avec eux ; en d’autres termes, il doit y avoir autant de différentes sortes de beautés chez le cheval qu’il y a de services variés pour ce quadrupède. Et la belle conformation ainsi appliquée à un animal affecté à un service particulier, et indiquant une aptitude parfaite à ce service unique, est celle que l’on désigne sous le nom de beauté relative, sur laquelle je revendrai.

Il est facile de comprendre par là, comme je l’ai déjà dit, que chez le cheval la belle conformation ne peut être représentée par un type unique ; car, parmi les caractères qui sont propres aux animaux de son espèce, si quelques-uns peuvent être considérés comme des qualités pour un cheval employé à tel service, ils peuvent, avec la même disposition, avec la même forme et les mêmes dimensions, constituer des défectuosités pour un sujet utilisé à un service différent. Il serait donc chimérique de se créer un type unique et idéal de beauté auquel pourraient être rapportés tous les animaux de l’espèce chevaline, ce n’est qu’un rêve tout au plus digne d’occuper l’esprit de quelques pseudo-hippologues. Si Bourgelat a commis cette faute en considérant le cheval andalou comme un type parfait auquel devaient être comparés tous les autres chevaux, c’est parce qu’il était avant tout écuyer, et qu’il ne voyait nulle belle conformation en dehors des qualités qui convenaient au cheval de manège de son temps. Mais si l’on a pu subir une semblable erreur à l’époque de Bourgelat, il ne peut plus en être de même, parce que de nos jours les divers types de beauté du cheval sont scientifiquement expliqués, et le préjudice de leur absence bien et logiquement démontré.

Avant le célèbre fondateur des Écoles vétérinaires en France, on comprenait encore bien moins la beauté du cheval que lui ; ses devanciers, qui n’avaient pas d’assez vastes notions d’anatomie et de physiologie animales, considéraient comme beaux les chevaux possédant des formes plus ou moins arbitrairement attribuées à la belle conformation, aussi acceptaient-ils comme beau chez un cheval tout ce qui plaisait simplement à l’œil, et par conséquent, il leur fallait toujours des formes arrondies et harmonieuses. On a même été jusqu’à faire suivre au cheval les caprices de la mode, exemple : la recherche du chanfrein busqué sous Louis XV. Grâce à la Dubarry, cette forme était devenue une qualité à laquelle la science a de nos jours rendu justice, en démontrant qu’une tête ainsi constituée est plus grosse et plus lourde qu’elle ne devrait être, et que le passage de l’air qui se rend au poumon est diminué, les cavités nasales étant rétrécies par cette conformation vicieuse de la tête ; il est, en effet, facile de s’apercevoir que la proéminence antérieure du chanfrein n’est dans ce cas produite que par l’aplatissement d’un côté à l’autre de cette même région, et que ce qui est gagné en avant par les cavités nasales, ne compense pas ce qu’elles perdent en largeur. Non-seulement cette forme était un défaut, mais encore où était sa grâce ? Ne donne-t-elle pas un air ridicule et stupide, plutôt qu’agréable, aux animaux qui la possèdent ? Mais la célèbre courtisane avait un grand nombre d’adulateurs tous jaloux de l’imiter, pour chercher à lui plaire ou pour flatter servilement son détestable orgueil.

Il n’est pas étonnant que, soumise à de telles influences, la science hippique soit restée stationnaire et stérile pendant des siècles entiers ; ce n’est que depuis qu’on possède une connaissance à peu près parfaite de la mécanique animale qu’elle a commencé à faire de véritables progrès.

La beauté du cheval pour les connaisseurs, qui, il est vrai, sont encore peu nombreux, n’est pas celle qui flatte seulement la vue, mais bien celle qui implique la force, la vigueur, la souplesse. Pour eux, enfin, le mot beauté, appliqué au cheval, a la même signification que bonté, c’est du reste le sens qu’on doit lui accorder. Un bon cheval n’est-il pas, en effet, celui qui remplit aussi bien que possible le service qu’on exige de lui ? En France, on est resté longtemps sans attribuer à la beauté son véritable sens, aussi les races chevalines ont-elles souffert dans leur amélioration ; tandis qu’en Angleterre, où la belle conformation fut considérée sous un meilleur point de vue, l’hippologie fit des progrès plus rapides, et pourtant ce pays se prête moins que le nôtre à l’élevage du cheval, à cause de la rigueur de son climat. Mais nos voisins d’Outre-Manche, assez bien pénétrés de la valeur de la beauté zootechnique (ζώον, animal ; τέχνη, art), ont su tirer parti de leurs connaissances ; d’ailleurs, d’un naturel persévérant, ils n’ont rien négligé pour arriver au but qu’ils s’étaient proposé. Ils savaient parfaitement diriger leurs moyens d’amélioration, de telle sorte que le résultat auquel ils visaient fût assez vite atteint. De nos jours encore ils sont généralement plus connaisseurs que nous et ne se laissent pas aller aux vaines apparences, ils savent apprécier les formes comme elles doivent l’être, en les rapportant à telle ou telle aptitude spéciale. Tout cela vient, il n’y a pas à en douter, du point de départ, car ils ont pris pour types des animaux d’une parfaite conformation, Éclipse en est un exemple. Longtemps avant les Anglais, les Arabes et les Berbères étaient pénétrés de la science hippique, témoins les beaux chevaux Numides dont parlent une foule d’auteurs recommandables, et entre autres Salluste, qui en fait mention à propos de Jugurtha, roi de Numidie (115 ans avant J.-C.). Et il fallait bien que ces animaux eussent une valeur réelle, une beauté bien comprise, puisque tous les auteurs sont unanimes pour leur attribuer une foule de qualités qu’ils ont peut-être exagérées, mais non inventées. Du reste, si les idées que le général Daumas prête aux Arabes sur le cheval de race sont vraies, on peut se convaincre qu’ils n’étaient pas bien ignorants en hippologie. D’après cet auteur, que je cite textuellement, « le cheval de race, pour les Arabes, doit être bien proportionné, avoir des oreilles courtes et mobiles, les os lourds et minces, les joues dépourvues de chair, les naseaux larges comme la gueule du lion, les yeux beaux, noirs et à fleur de tête ; l’encolure longue, le poitrail avancé, le garrot saillant, les reins ramassés, les hanches fortes, les côtes de devant longues et celles de derrière courtes, le ventre évidé, la croupe arrondie, les rayons supérieurs longs comme ceux de l’autruche et garnis de muscles comme ceux du chameau, les saphènes peu apparentes, la corne noire et d’une seule couleur, les crins fins et fournis, la chair dure, et la queue très grosse à sa naissance, déliée à son extrémité. » Parmi tous ces caractères qui se rapportent, il n’y a pas à en douter, au cheval de selle, s’il en est quelques-uns qui n’ont pas une grande valeur, la plupart indiquent la vigueur et l’énergie que tout le monde reconnaît au coursier de l’Arabie. Mais il ne faut pas ajouter une foi complète aux histoires que les naturels du pays, et principalement les Marabouts, se plaisent à raconter sur leurs chevaux qu’on serait tenté, après les avoir écoutés, de prendre pour des prodiges de vitesse, de résistance et de robusticité. Ainsi ils vous diront, par exemple, que dans une circonstance difficile, un cheval des leurs a parcouru trois cent-vingt kilomètres en vingt-quatre heures, et cela en ne mangeant que les feuilles d’un palmier nain et en ne buvant qu’une seule fois. Bien certainement, dans ce récit et dans beaucoup d’autres à peu près semblables, il y a de l’exagération ; il faut néanmoins reconnaître que les chevaux qui habitent sous le ciel brûlant de l’Arabie, et beaucoup de ceux qui vivent au milieu des populations nomades du Sahara, sont estimables sous bien des rapports, car ils joignent à la beauté des formes, une énergie et une vigueur peu communes. Mais, je le répète, ils sont loin de présenter toutes les qualités que leur attribuent les enthousiastes habitants du pays dans lesquels ils sont élevés.

Beauté absolue et beauté relative. — Puisque, je l’ai dit plus haut, le beau chez le cheval ne peut être représenté par un type unique, il doit être relatif à diverses considérations économiques, et non à la notion confuse d’une esthétique purement idéale, dont les lois ne sont pas, du reste, parfaitement déterminées. Tout, néanmoins, dans les formes du cheval, n’est pas exclusivement relatif au service auquel on l’emploie, cet animal peut, en effet, présenter des régions conformées d’une façon telle qu’on peut les considérer comme des beautés absolues, car elles sont avantageuses pour tous les chevaux, quels que soient les services auxquels ils sont destinés. Il y a donc, comme on le voit, une grande différence entre la beauté absolue et la beauté relative ; car, comme on le sait déjà, cette dernière ne doit s’entendre que de ce qui constitue une qualité essentielle pour un animal destiné à tel ou tel service, en particulier. La première peut s’appliquer à tous les chevaux sans tenir compte de ce qu’on exige d’eux, tandis que la seconde ne convient qu’à des animaux destinés au même usage. La beauté absolue et la beauté relative peuvent également atteindre le moral et le physique, l’animal externe, si je puis ainsi parler, et l’animal interne. Parmi ces beautés, les unes, celles qui résident dans la conformation extérieure, peuvent facilement être distinguées, parce qu’elles sont visibles et même palpables, tandis que les autres qui tiennent principalement à l’intelligence et à la douceur du caractère, ne sont pas toujours facilement reconnaissables même après un sérieux examen.

Un cheval n’est véritablement beau que lorsqu’il répond très bien, et par ses beautés physiques et par ses qualités morales, à la spécialité du service auquel il est destiné. Il est facile de comprendre par là que chez les animaux de la même espèce que ce quadrupède, la belle conformation comporte forcément autant de types qu’il y a de services divers auxquels ils sont employés. Je ferai connaître dans un chapitre particulier, ces types qui diffèrent essentiellement les uns des autres ; mais avant, je vais passer en revue les beautés absolues qui peuvent exister dans les diverses régions du corps du cheval, beautés qui sont remarquables autant par leur nombre, que parce qu’elles sont, dans tous les cas, les plus favorables à l’exécution d’un service quelconque. Le premier soin lorsqu’on examine un cheval à quelque point de vue que ce soit, est de rechercher en lui les diverses qualités que je vais signaler. Il n’y a pas de cheval véritablement beau qui ne les présente, quelle que soit d’ailleurs son aptitude intrinsèque.

Il est presque impossible de pouvoir juger de la beauté d’un cheval par un coup d’œil synthétique, il faut au contraire examiner les régions les unes après les autres pour avoir une idée à peu près exacte de leur bonne ou de leur mauvaise conformation ; tout au plus pourrait-on, par un rapide examen d’ensemble, voir si les rapports de grandeur, qui doivent exister entre ces différentes régions, ont été bien observés par la nature, et encore faut-il pour cela une grande habitude, qui ne s’acquiert que par le temps.

Beauté absolue. — S’il résulte des considérations dans lesquelles je suis entré, que toutes les conditions de la beauté parfaite ne peuvent se trouver réunies chez un même animal, on peut la rencontrer limitée dans certaines régions conformées d’une façon telle, qu’elles favorisent toujours les aptitudes spéciales des chevaux, quelques variés que soient les services auxquels ils sont employés. Cela étant bien compris, passons en revue les différentes régions du corps en signalant les diverses configurations qui, dans ces espaces circonscrits, peuvent être considérées comme des beautés absolues.

Tête. — La tête, cette partie si expressive et en même temps si importante du cheval, peut être examinée sous le double point de vue de sa physionomie et de sa conformation. L’idée du mot physionomie appliquée au cheval, doit s’entendre de l’impression produite sur notre esprit par l’examen de divers caractères que présente la tête de cet animal. Il faut examiner cette région avec le plus grand soin, car elle peut fournir des renseignements précieux, touchant les qualités réelles du sujet que l’on examine. C’est elle, en effet, qui porte le cachet de la race, «  c’est sur elle, comme l’a écrit M. H. Bouley, que se déroule le mouvant tableau de sa physionomie ; car, bien que les chevaux n’aient pas comme l’homme la faculté d’exprimer par les muscles de leur face les sensations-qu’ils éprouvent, les passions qui les animent, ils ont pour les traduire au dehors le langage énergique des yeux, et en outre ces mouvements particuliers des oreilles, des naseaux et des lèvres, par lesquels ils nous révèlent, en quelque sorte, l’énergie qui les anime, les qualités dont ils sont doués et les défauts qui les déprécient.  » C’est surtout de l’expression des yeux qu’on doit tenir compte ; car si l’on a dit que chez l’homme ils sont le miroir de l’âme, on peut ajouter que chez le cheval ils sont comme le critérium de sa vigueur, de sa vivacité et même de la noblesse de son origine. Je les étudierai, en temps et lieu, à propos des régions de la tête, car cette dernière ne doit pas être seulement examinée au point de vue du cachet qu’elle imprime à l’apparence extérieure du cheval, il faut aussi ne pas oublier qu’elle renferme divers organes appelés à participer à une foule de fonctions indispensables à la vie de l’animal, et qui par conséquent méritent d’attirer la plus scrupuleuse attention.

Dans son ensemble, la tête doit être courte et rétrécie insensiblement depuis les yeux jusqu’à son extrémité libre, parce que dans cet endroit il n’existe pas d’organes essentiels, et qu’un grand développement de cette partie augmenterait en pure perte le poids de la tête tout en donnant à l’animal un air disgracieux. Il ne faut jamais craindre que la tête soit trop courte, dit M. Gourdon dans ses leçons orales sur la zootechnie, pourvu toutefois qu’elle reste dans la limite naturelle en dehors de laquelle il n’y a que des monstruosités, limite que la nature, d’ailleurs, franchit dans des circonstances trop rares pour qu’il faille en tenir compte. Plus la tête est courte plus elle se rapproche de celle des animaux mieux doués, sous le rapport de l’intelligence ; quand elle s’allonge, elle ne le fait que par ses parties antérieures au détriment des supérieures qui sont les seules importantes, à cause des organes essentiels qu’elles renferment, et alors elle devient prismatique, c’est-à-dire, aussi large dans sa partie libre que dans sa portion fixe.

Avec la tête courte, au contraire, on observe presque toujours l’élargissement du crâne, qui a pour conséquence un plus grand développement du cerveau, et par suite de la faculté de l’entendement ; la réduction des parties antérieures, en un mot, la forme pyramidale. La tête a le même poids qu’auparavant, mais alors elle est comme refoulée sur sa base.

Ne sait-on pas, en effet, d’une manière générale, que le développement des parties antérieures de la tête correspond avec l’accroissement des instincts de la brute, et même avec l’affaissement des facultés intellectuelles ? Qu’on compare les poissons, les oiseaux et les reptiles, aux mammifères ; et parmi ces derniers, l’homme au singe, le singe aux carnassiers, aux ruminants, aux rongeurs, et on aura bientôt la preuve de ce fait qui se produit même parmi les individus des mêmes espèces ; voyez le lévrier et le caniche, et dans l’espèce humaine, le nègre et le caucasique ; c’est donc, à peu d’exceptions près, une loi générale, et elle fait ressortir d’une façon tout-à-fait manifeste l’intérêt qu’on doit attacher à la brièveté de la tête. Mais cette conformation n’est pas seulement importante en ce qu’elle dénote l’intelligence, elle l’est aussi parce que les conditions de beauté, d’élégance artistique, de dynamique, y trouvent leur compte ; l’animal avec une petite tête est plus souple et plus léger, il a moins d’efforts à faire pour la soutenir et la mouvoir. L’idée même que la grosse tête est favorable au cheval destiné au service du trait est complètement fausse, car en le forçant par son poids à la tenir basse, elle relâche les muscles de l’encolure, qui doivent concourir à mouvoir les membres antérieurs ; ces muscles, moins soutenus par suite de ce relâchement, sont obligés de se contracter avec plus d’efforts pour produire un effet qui aurait pu être facilement obtenu si l’encolure eût été dans une direction convenable.

Je vais maintenant examiner les configurations particulières que doivent présenter les diverses régions de la tête ; et ces configurations, telles que je vais les décrire, conviennent à toutes les spécialités de service ; elles sont toujours un mérite sinon une nécessité de la beauté complète.

Dans l’étude des régions de la tête, on rencontre d’abord la bouche, fermée en avant et en bas par les lèvres qui doivent s’appliquer parfaitement l’une contre l’autre. Elles ne sont belles qu’autant qu’elles sont fines, mobiles et recouvertes par une peau souple, portant à sa surface externe de longs poils rigides, qui sont autant d’organes de tact, et qui se font surtout remarquer sur cette saillie de la lèvre inférieure nommée houppe du menton à cause de leur présence. La finesse des lèvres ne se fait remarquer que chez les chevaux de race distinguée. Les lèvres ne doivent pas avoir leurs commissures trop haut placées ; car, outre que cette disposition implique leur plus grande longueur, elle permet au mors de remonter, dans quelques circonstances, jusqu’aux molaires. Les animaux ainsi conformés, si leur caractère laisse à désirer, peuvent, s’ils s’emballent, devenir difficiles à maîtriser ; ils prennent alors le mors aux dents, comme on dit dans le langage vulgaire. Il faut, en outre, rechercher dans la bouche la régularité des dents incisives, éviter surtout qu’elles soient usées d’une façon irrégulière, indice d’un animal tiqueur ; l’intégrité des barres ou de l’espace linéaire qui existe entre les dents incisives et les molaires et sur lequel vient appuyer le mors ; enfin, une longueur proportionnée et une mobilité suffisante de la langue.

Les naseaux bien ouverts devront avoir les ailes rigides et dilatables, pour permettre une pénétration facile de l’air dans les conduits respiratoires ; le chanfrein, ou la partie de la tête qui s’étend depuis le niveau des yeux jusqu’au bout du nez, devra présenter un profil à peu près droit, tandis qu’examiné de face il devra être large ; car cette dernière disposition indique un grand développement des cavités nasales, ce qui est toujours une beauté en ce sens que la circulation du fluide aérien est facilitée par la largeur même de ces conduits. Un grand écartement des ganaches devra toujours être estimé, surtout lorsqu’elles seront en même temps minces et nettes ; cette disposition est utile pour laisser un assez grand espace au larynx, organe de phonation, et dans lequel doit aussi s’engouffrer l’air qui pénètre dans la trachée pour se rendre au poumon. En un mot, l’auge sera large et bien évidée, disposition qui permet, sans gêne pour le larynx, tous les mouvements même assez étendus de la tête sur l’encolure, mouvements si gracieux en même temps qu’indispensables pour la parfaite exécution des déplacements du cheval. Les caractères que j’ai signalés à propos des naseaux, du chanfrein et de l’auge, sont des beautés absolues, car ils se rattachent au meilleur accomplissement de la fonction la plus importante, sans contredit, de toutes celles qui s’effectuent chez l’être vivant : j’ai nommé la respiration. Et cette fonction, personne ne l’ignore, est du plus grand intérêt, surtout pour le cheval qui est tantôt appelé à déployer une grande force musculaire, tantôt une grande vitesse d’allures : toutes choses qui exigent une grande puissance et surtout une parfaite intégrité des fonctions respiratoires. Les dispositions que j’ai fait connaître ne sont pas seulement importantes par elles-mêmes, mais elles le sont aussi, et c’est précisément ce qui doit les faire rechercher, parce qu’elles entraînent toujours l’existence d’une poitrine ample et profonde et par suite de vastes poumons ; d’où il résulte que, par un examen attentif de la tête du cheval, un connaisseur peut juger de l’amplitude probable, presque certaine des organes essentiels de la respiration.

Les diverses beautés dont j’ai déjà parlé, ne sont pas les seules importantes de la tête du cheval ; il faut aussi rechercher le front large d’un côté à l’autre et assez développé de haut en bas. Cette disposition entraîne toujours une position particulière des yeux, qui sont descendus et qu’un grand espace sépare. Avec un front ainsi conformé, les oreilles sont également écartées l’une de l’autre, mais il faut aussi qu’elles soient petites, mobiles et bien plantées. Ces derniers organes sont, avec les yeux, ceux qui donnent à la physionomie du cheval le plus de jeu et de mobilité ; ils trahissent ses impressions, et peuvent, pour une grande part, contribuer à faire connaître l’énergie de l’animal et la noblesse de sa race. Les oreilles présentent les caractères que je viens d’indiquer chez tous les animaux d’origine distinguée ; tandis que lorsqu’elles sont longues et pendantes, elles impriment à la physionomie du cheval un air particulier de stupidité, qui est toujours un indice de race commune et abâtardie. Elles peuvent même, dans une certaine mesure, donner une idée du caractère ; personne n’ignore, en effet, que lorsque le cheval veut mordre ou ruer, il couche ces organes en arrière.

Les beautés que je viens de signaler pour le front et les oreilles, sont de la plus haute importance, puisque non-seulement elles donnent à la tête de l’animal qui les présente un cachet particulier de distinction qui flatte la vue, mais encore parce qu’elles impliquent un grand développement du cerveau ; car les dimensions du front sont toujours en rapport avec celles du crâne, qui renferme cet organe essentiel, dont le volume est toujours un indice certain d’intelligence et de vigueur.

La tête possédant les qualités multiples ci-dessus signalées, est celle que l’on désigne par l’épithète de carrée, dans le langage hippologique ; évidemment cette qualification ne doit pas être prise dans son sens propre. La tête ainsi nommée est celle qui, considérée quant à ses dimensions dans tous les sens, est large et relativement courte ; on peut s’en faire une idée à peu près nette en se la figurant comme une pyramide quadrangulaire, tronquée vers le sommet, et dont chacune des faces a la forme d’un quadrilatère allongé et rétréci vers une de ses extrémités, celle qui correspond à la partie libre de l’organe. Ainsi constituée, la tête présente une face antérieure plane supérieurement et légèrement arrondie sur le chanfrein, qui doit être aussi large que possible ; une postérieure concave, évidée, profonde et sans tuméfaction ; enfin, des faces latérales sèches et revêtues d’une peau fine, qui laisse paraître en relief les proéminences des os qu’elle recouvre, et au-dessous de laquelle se dessinent, pendant l’exercice, de nombreux vaisseaux.

Nous allons maintenant nous occuper assez longuement des yeux, qu’il faut toujours rechercher assez gros, limpides, vifs, pleins de feu, placés à fleur de tête et circonscrits par des paupières régulièrement incurvées. Il importe essentiellement, dans leur examen, de s’assurer de la parfaite intégrité de la vision, cette fonction étant une de celles dont le cheval ne peut se passer pour remplir exactement son service. On conçoit, en effet, que cet animal étant essentiellement voyageur, il faut qu’il puisse voir, afin de les éviter, les accidents de terrain, les fossés, les précipices, sans quoi sa vie et celle de son conducteur seraient à chaque instant en danger. D’un autre côté, tout le monde a pu remarquer que le cheval a plus de vigueur quand il peut voir autour de lui le vivant tableau des mouvements variés de la nature, et qu’il n’est pas étranger au noble sentiment de l’émulation ; il faut donc qu’il jouisse intégralement du sens optique, pour qu’il puisse s’animer de la vie même de tout ce qui l’entoure, et être influencé par l’énergie et par la bouillante ardeur de ses semblables.

L’examen des yeux est surtout intéressant au point de vue de l’expression qu’ils impriment à la physionomie ; ils sont comme un miroir dans lequel la vigueur, le courage et la docilité, ainsi que la méchanceté, se peignent avec les nuances qui leur sont propres. C’est par l’examen du regard d’un cheval que l’homme exercé juge, presque sûrement, de la puissance de son système nerveux et peut connaître approximativement la force qu’il est capable de développer. C’est dans le regard du cheval, et non dans les organes mécaniques, que se reflète ce cachet de supériorité native, cette force de volonté que l’on désigne sous le nom de sang, d’âme, dans le langage vulgaire, et qui supplée à l’insuffisance de ces mêmes organes mécaniques, lorsque, par son intensité trop considérable, il ne précipite pas leur ruine. Tout le monde a pu remarquer dans les rues des grandes villes de nombreux chevaux pouvant à peine se tenir, tant leurs membres, usés de bonne heure, sont couverts de tares de toutes sortes ; et néanmoins on les voit traîner, clopin-clopant, des voitures d’administration, par cela seul que leur père les a doués de cette vigueur de volonté dont j’ai déjà parlé. Ces chevaux, qui sont pour la plupart des produits irrationnels de croisements anglais, pèchent par une constitution insuffisante ; mais ils ont hérité de leur père de cette énergie qui les caractérise si bien, et qu’on ne saurait mieux qualifier que du nom de morale. Sous l’excitation pure et simple de la volonté, leur œil s’injecte et s’anime ; ils vont jusqu’à la fin sans consulter leurs forces, et meurent plutôt que de céder. Il faut donc rechercher cette expression de physionomie chez le cheval, quel que soit l’usage auquel on le destine, et si elle est jointe à tous les autres caractères appropriés aux exigences d’un service spécial, on aura un cheval de premier mérite pour ce même service. Ce serait une erreur de croire que cette qualité se rencontre seulement dans les sujets de race distinguée ; car, si elle est pour ainsi dire un attribut constant de ces derniers, on la rencontre assez fréquemment chez les chevaux de race commune, et bien que dans tous les cas elle n’y soit pas jointe aux conditions que la beauté zootechnique implique, elle n’en constitue pas moins une qualité appréciable, et on le comprend avec d’autant plus de facilité, qu’il n’y a pas d’emploi pour le cheval dans lequel une physionomie intelligente et une vue nette ne soient d’une importance majeure.

La beauté absolue de la tête telle que je l’ai fait connaître, peut ne pas être impérieusement nécessitée dans tous les services que le cheval est appelé à remplir, mais elle n’est jamais nuisible, et, quand elle existe, on doit toujours la considérer comme précieuse.

Je pense avoir assez longuement insisté sur les beautés que l’on doit toujours rechercher dans la tête du cheval ; je vais actuellement passer en revue les beautés qui peuvent exister dans les autres régions du corps, et, pour cela, je suivrai un ordre aussi naturel que possible en examinant d’abord et successivement celles du tronc, après quoi je passerai à l’examen des membres.

Encolure. — L’encolure, qui termine le tronc en avant et qui porte la tête à son extrémité antérieure, ne peut pas présenter dans son ensemble une disposition qui soit une beauté pour tous les services, parce que chaque race a son encolure spéciale, chaque type de l’espèce chevaline, une forme particulière de cette région, qui est supérieure pour lui à toutes les autres ; de sorte qu’il vaudra mieux indiquer sa forme à propos des divers types de chevaux employés à ses services distincts. Tout au plus, dans l’encolure, trouve-t-on des dispositions limitées à quelques-unes de ses parties, et qui sont toujours des beautés. Quelle que soit la forme qu’elle affecte, ses muscles doivent être assez fortement développés, pourvu toutefois qu’ils ne dépassent pas les limites de l’harmonie. En outre, son bord inférieur sera bien régulièrement arrondi d’un côté à l’autre, et aussi large que possible, parce qu’il renferme la trachée, tuyau cartilagineux destiné à conduire l’élément essentiel de la vie, du larynx jusque dans le poumon. Il est facile de comprendre, en effet, que plus le diamètre de ce canal, exactement en rapport avec la largeur du bord inférieur de l’encolure, est considérable, plus grande aussi est la quantité d’air qui se rend au poumon dans un temps donné. Le cheval présentant cette disposition, qui donne, par loi d’enchaînement, la mesure de la puissance respiratoire, peut tout aussi bien remplir un service qui exige un grand déploiement de force, d’énergie musculaire, qu’un emploi demandant une grande vitesse d’allures, pourvu toutefois qu’il présente les attributs de ces divers services.

Garrot. — Le garrot, qui fait immédiatement suite au bord supérieur de l’encolure, est cette saillie dirigée d’avant en arrière et aplatie d’un côté à l’autre, qui a pour base les apophyses épineuses des premières vertèbres dorsales. Cette région, pour être belle, doit présenter un bord supérieur régulièrement incurvé d’avant en arrière et se confondant insensiblement avec la ligne supérieure du dos, pour que les harnais ne puissent que difficilement le blesser ; car, si la ligne courbe que forme son contour supérieur venait se terminer brusquement en avant du dos, la selle ou les autres harnais que l’on met au cheval pour l’utiliser au service qui lui convient, pourraient plus facilement se porter en avant et venir contusionner cette partie saillante. Le garrot doit, en outre, être élevé et former une saillie assez manifeste ; les muscles qui occupent ses faces latérales, seront assez développés sans néanmoins lui communiquer l’empâtement, qui indique toujours un animal mou et lymphatique. La hauteur du garrot est une beauté, non-seulement parce qu’il favorise l’action des muscles qui longent des deux côtés la colonne vertébrale, en ce sens que ces puissances constituées par les faisceaux successifs des muscles ilio-spinaux, se fixant sur les apophyses épineuses qui forment la base du garrot, agissent sur des bras de leviers plus longs et qu’elles sont elles-mêmes plus développées, mais encore pour que cette même hauteur favorise toujours l’action des puissances qui, de la région dont il s’agit, se portent sur l’encolure pour la maintenir dans une position fixe ou pour agir sur elle ; car la direction de ces forces se rapproche d’autant plus de la perpendiculaire par rapport à la masse qui doit être contenue ou mise en mouvement, que leur point fixe est lui-même plus élevé. L’élévation du garrot entraîne, en outre, une longueur proportionnée de l’épaule, ce qui est toujours une beauté, ainsi que je le ferai voir en temps opportun.

Dos. — Cette région, limitée par le garrot en avant, les reins en arrière, à droite et à gauche par les côtes, doit, pour être bien conformée, présenter quand on l’examine de profil une légère incurvation vers le point où elle s’unit avec le garrot, et se diriger ensuite en arrière en formant une ligne à peu près droite et horizontale. Examiné par sa face supérieure, il faut que le dos soit large sans présenter dans sa ligne médiane, une arête formée par la saillie des apophyses épineuses des vertèbres qui lui servent de base. Ses parties latérales doivent, en outre, s’arrondir d’une façon régulière. Ces dispositions sont des beautés absolues, car elles indiquent une grande énergie musculaire et un grand développement de la poitrine dans le sens de sa longueur. On comprend aussi, sans difficulté, qu’une certaine longueur du dos n’est pas un défaut grave, comme plusieurs l’ont avancé, car si cette longueur a le désavantage de diminuer un peu la résistance physique de la région, elle entraîne toujours une étendue équivalente de la poitrine dans le même sens, et par suite un plus grand développement des organes essentiels de la respiration.

Reins. — Les reins, qui viennent après le dos, sont limités en arrière par la partie antérieure de la croupe ; ils doivent se faire principalement remarquer par leur brièveté et leur largeur. Leur brièveté facilite la transmission puissante des détentes des membres postérieurs à toute la partie antérieure du corps ; s’ils étaient longs, ils seraient moins rigides, et cette transmission ne se ferait pas d’une manière aussi efficace. La brièveté des reins n’est pas seulement une beauté pour les raisons déjà données plus haut ; il faut aussi, pour bien l’apprécier, tenir compte de ce que si deux animaux présentant à peu près la même longueur, l’un d’eux a les reins courts et l’autre long, le premier aura un dos plus allongé et par conséquent une poitrine plus développée dans le sens antéro-postérieur, sans que son diamètre transversal soit diminué, disposition qui augmentera l’étendue respiratoire chez l’animal qui la présentera. La largeur des reins est aussi une beauté, car elle indique une grande puissance musculaire toujours utile chez le cheval pour la facile transmission des mouvements entre le train antérieur et le train postérieur, qu’il soit appelé à déployer de grands efforts de tirage, ou bien qu’il doive porter sur son dos un fardeau quelconque. Si la brièveté et la largeur des reins sont des qualités pour un cheval employé à un service quel qu’il soit, il ne faut pas que ces beautés existent au détriment de la souplesse de la région, souplesse qui se manifeste par une flexion immédiate quand on la pince entre le pouce d’un côté, l’index et le médius de l’autre ; il résulte en effet de l’observation, que cette flexibilité est un des signes essentiels de la santé, tandis que la raideur est le plus souvent un indice de l’existence d’une maladie, quelquefois même assez grave.

Croupe et Hanche. — Comprise entre les reins et la queue et limitée de chaque côté par les saillies plus ou moins manifestes, mais toujours visibles des hanches, la croupe, pour être belle, doit être aussi longue que possible, par la raison bien simple qu’étant une partie essentiellement musculaire, elle indique une puissance d’autant plus considérable qu’elle est plus étendue. Mais cette raison n’est pas la seule qu’on puisse invoquer en faveur de la longueur de la croupe ; une autre qui a beaucoup plus de valeur, est celle que l’on déduit des divers mouvements qui s’effectuent autour de l’articulation coxo-fémorale et des puissances qui y président. Rappelons, en effet, que l’extrémité supérieure du fémur est comme un pivot sur lequel, dans certaines circonstances, tout le poids du corps vient en quelque sorte s’appuyer par l’intermédiaire de la cavité cotyloïde du coxal ; remémorons aussi que les divers mouvements du corps entier sur le pivot dont il s’agit, s’effectuent en vertu d’un levier du 1er genre dont le bras de la puissance est représentée par l’ischium, partie de l’os coxal située en arrière de la cavité cotyloïde. De ce qui précède, il résulte que plus l’ischium sera long, plus sera favorisée la puissance principalement représentée par les muscles ischio-tibiaux et sous l’influence de laquelle s’effectuent les divers mouvements dont j’ai déjà parlé. Or, on a remarqué, et c’est aujourd’hui un fait acquis à la science, que plus la croupe est longue, plus cette longueur est due, surtout, à une étendue relativement considérable de l’ischium, d’où il faut conclure que dans le levier qui fait pivoter le corps sur l’articulation coxo-fémorale, le bras de la puissance sera d’autant plus long que la croupe elle-même sera plus étendue dans le sens antéro-postérieur. Ces raisons sont suffisantes, je crois, pour démontrer que la longueur de la croupe est toujours un indice de force et de puissance ; du reste, pour donner plus d’authenticité à ce que je viens d’avancer, il suffira de faire connaître une disposition qui se rencontre chez les animaux essentiellement coureurs, et jouissant d’une puissance considérable du train postérieur, je veux parler de la conformation de l’os coxal chez les lièvres et les lapins. Ces animaux ont cet os très allongé relativement à l’étendue du tronc ; mais ce qu’il y a surtout de remarquable, c’est que la longueur de l’ischium est à peu près égale à celle de l’ilium, partie du coxal située en avant de la cavité cotyloïde. Voilà, il me semble, une analogie qui prouve jusqu’à la dernière évidence que la longueur du coxal et par suite celle de la croupe, est une beauté absolue. Mais la longueur seule ne suffit pas ; il faut aussi une certaine étendue en largeur, parce que si les muscles de la croupe étaient longs et grêles, leur puissance de contraction ne serait pas assez considérable ; il faut, par conséquent, une certaine épaisseur de ces organes contractiles, et elle ne s’obtiendra que par une largeur assez considérable de la région à laquelle ils appartiennent.

Pour ce qui est de la direction la plus favorable aux fonctions de la croupe, la science ne paraît pas encore avoir trouvé d’explication unanimement satisfaisante. Parmi les auteurs, les uns se montrent partisans acharnés de la croupe horizontale, tandis que les autres prônent chaudement sa direction oblique. Néanmoins, en examinant de près les divers arguments que les nombreux défenseurs de ces deux formes fournissent à l’appui de leur opinion, on est tenté de donner la préférence à la croupe horizontale. En effet, cette direction a non-seulement l’avantage de plaire à l’œil, mais encore, comme le disent ses partisans, elle est plus apte à projeter le corps en avant ; car, dans la détente des membres postérieurs, toutes les forces déployées agissent en imprimant à la résultante une direction à peu près horizontale, au lieu de se perdre en partie en soulevant d’abord le train postérieur, dans un sens vertical, comme cela a lieu quand la croupe est oblique. Et d’ailleurs, si cette dernière possède le mince avantage de favoriser la projection en avant, des membres postérieurs, et par conséquent de leur faire embrasser une étendue de terrain plus considérable que si elle était horizontale, elle a aussi le grave inconvénient de les mettre d’une façon plus immédiate sous le centre de gravité, et par suite, de précipiter leur ruine. On doit donc toujours considérer la croupe horizontale comme une beauté ; c’est d’ailleurs la direction qu’elle présente chez tous les animaux de race distinguée. Il ne faut pas croire que l’horizontalité de la croupe soit produite par une semblable direction des coxaux, qui lui servent de base osseuse principale. Il est facile de s’apercevoir, au contraire, que cette horizontalité est due à la ligne du sacrum, qui fait suite à celle du dos et des reins ; mais on ne doit pas pour cela considérer cette disposition comme peu importante, car elle a le double avantage de plaire à l’œil, et de permettre un plus grand prolongement des ischio-tibiaux à leur partie supérieure, et par suite, d’augmenter leur force de contraction.

Les hanches, sont ces deux proéminences qui se dessinent en un relief plus ou moins marqué de chaque côté de la partie antérieure de la croupe. Pour être dans de bonnes conditions, elles doivent être convenablement saillantes au-dessus des régions qui les environnent, car elles ont pour base osseuse l’angle externe de l’ilium, qui fournira aux muscles qui s’y fixent des attaches d’autant plus larges et plus solides qu’il sera lui-même suffisamment accentué.

Queue. — Extrémité terminale du tronc, la queue influe beaucoup par sa forme et par son port sur l’élégance du cheval. La beauté de cet organe est plutôt conventionnelle que réelle. Cependant on peut dire, d’une manière générale, que celle qui pendant l’exercice se détache de la croupe en suivant d’abord une direction horizontale, qui s’incurve ensuite en laissant échapper de son tronçon une touffe de crins soyeux et ondoyants, doit être considérée comme belle, car elle jouit du double avantage de produire au coup d’œil un effet agréable et d’être un indice certain de force et de vigueur. Cette position étant obtenue par la contraction des muscles groupés autour de sa tige vertébrale, on peut, par l’énergie de ces agents contractiles, juger de la puissance de la musculature toute entière. On comprend par là pourquoi les marchands de chevaux ont l’habitude de soulever la queue des animaux qu’ils achètent ; c’est tout simplement pour juger de leur vigueur par la résistance que cet organe oppose à la main qui cherche à l’écarter du périnée ; en un mot, elle est pour eux comme une sorte de dynamomètre par lequel ils jugent de la force probable des animaux sur lesquels ils exercent leurs manipulations.

Il ne faut pas confondre la direction horizontale que la queue prend tout naturellement chez les animaux vigoureux, avec celle que l’on obtient artificiellement chez les sujets mous et lymphatiques, soit par l’opération que l’on désigne sous le nom de queue à l’anglaise, et qui consiste dans la section des muscles abaisseurs de l’organe, soit par l’introduction, dans l’anus, de substances plus ou moins irritantes.

Côtes, Poitrine, Poitrail. — Les côtes forment les parois latérales de la cage, qui contient et protège les organes essentiels de la respiration et de la circulation ; c’est sur elles que vient s’appuyer le premier rayon des membres antérieurs, l’épaule. On ne doit pas seulement les examiner au point de vue de leur propre conformation, mais bien parce qu’elles influent considérablement par leur courbure sur l’ampleur de la poitrine. Il faudra les rechercher longues et incurvées, parce que leur longueur indique une grande étendue de la cavité pectorale, dans le sens de la hauteur, et que leur incurvation augmente d’autant plus le diamètre de cette même cavité qu’elle est plus prononcée.

Pour ce qui est de la poitrine, il est inutile de dire, sans doute, qu’elle doit être développée dans tous les sens, puisqu’elle renferme des organes essentiels, dont le grand développement ne peut jamais exagérer les fonctions au point de les rendre nuisibles, d’où il suit qu’elle ne pourra jamais pécher par une trop grande extension, pourvu toutefois que dans son ampleur elle n’entraîne pas des défectuosités diverses dans les régions qui la circonscrivent.

La poitrine est comme la chaudière de la machine animale, et c’est du fonctionnement parfait de ses divers organes que dépend le sort de la machine tout entière. Aussi faudra-t-il non-seulement rechercher son ampleur, qui indique toujours une grande étendue de la respiration, mais encore exiger la parfaite intégrité de cet acte important   ; et un cheval, qui sera trop fortement essoufflé, après une course de quelques instants, ne pourra jamais être considéré comme un bon serviteur, pas plus que celui dont la respiration sera irrégulière, quelles que soient d’ailleurs leurs formes extérieures.

Le poitrail est placé en avant de la poitrine, à la partie déclive du bord de l’encolure ; c’est une région principalement musculaire ; comme telle, elle doit se faire remarquer par ses dimensions, car son ampleur indique un grand développement musculaire général. Quoi qu’on en ait dit, la largeur du poitrail est en rapport assez souvent exact, sinon bien réel et constant, avec l’étendue de la poitrine, d’où il résulte qu’un grand développement de la région qui nous occupe, sera dans tous les cas une qualité, pourvu toutefois qu’il se présente avec un certain degré de pondération.

Ventres et flancs. — Le ventre, dont tout le monde connaît la position, doit, pour être bien conformé, ne pas dépasser dans son ampleur la circonférence du cercle circonscrit par les côtes, sans quoi il serait trop volumineux et indiquerait des animaux lourds, ayant été mal nourris, et par conséquent de peu de valeur. Il ne faut pas cependant qu’il pèche par l’excès contraire, c’est-à-dire que le ventre soit levretté ; car si cette disposition est d’une importance relative pour le cheval de course qui a subi l’entraînement, elle peut être considérée comme un défaut dans tous les autres cas, parce qu’elle indique un animal qui ne se nourrit pas bien, ou encore dont les fonctions digestives ne s’effectuent pas dans toute leur régularité.

Les flancs, situés un de chaque côté des reins, entre les côtes et les saillies des hanches, doivent, pour être beaux, avoir peu de longueur. Ce n’est pas que cette brièveté indique un meilleur accomplissement de la fonction qui leur est dévolue, mais parce qu’elle coïncide toujours avec un rein court, et qu’elle indique que la cavité de la poitrine est fortement prolongée en arrière. Mais ce n’est pas seulement de l’étendue du flanc que l’on doit tenir compte, il faut aussi, et surtout, chercher à s’assurer si les divers mouvements dont ils sont le siège s’exécutent avec régularité, car ils sont l’expression parfaite de ceux qui s’effectuent dans la poitrine pendant les phénomènes mécaniques de l’inspiration et de l’expiration.

La régularité de ces mouvements est donc une condition essentielle de la beauté absolue ; aussi les chevaux chez lesquels ils sont trop précipités, après une course de quelques minutes, comme aussi ceux chez lesquels ils s’effectuent en deux reprises de manière à présenter un temps d’arrêt, que l’on désigne par les expressions de soubresaut, de contre-temps, de coup de fouet, devront dans tous les cas être mis de côté, parce qu’ils indiquent toujours des animaux dont les fonctions respiratoires ne s’effectuent pas dans les conditions normales, et par conséquent de mauvais chevaux, incapables de bien faire le service qu’on serait en droit d’exiger d’eux.

Membres. — Pour faire ressortir toute l’importance qu’on doit attacher à la bonne conformation des membres, il me suffira de rappeler que le cheval étant le plus souvent employé comme moteur, sa valeur dépend de la confection parfaite des rouages de sa machine, et que parmi ces rouages, les membres peuvent pour ainsi dire être placés au premier rang, car c’est sur eux que s’effectue la locomotion, c’est par eux seuls que la machine se déplace, d’où il résulte que c’est de leur bon fonctionnement que dépend la perfection des divers services auxquels le cheval est employé.

En règle générale, je crois pouvoir dire que parmi les régions des membres, les supérieures doivent toujours être longues, et les inférieures, se faire remarquer par leur brièveté ; et la raison se déduit de ce que les premières sont toutes entourées de masses musculaires qui sont d’autant plus puissantes qu’elles sont plus développées. En outre, ces régions supérieures sont comme les parties actives des membres, si toutefois je puis m’exprimer ainsi ; ce sont elles, en effet, qui font mouvoir les inférieures complètement osseuses ou tendineuses et par conséquent passives. Il est facile de comprendre par là que, chez ces dernières, la brièveté sera toujours à rechercher, parce que, en raison de cette conformation, elles obéissent plus facilement à l’action des supérieures.

Ce n’est pas seulement dans l’étendue des régions des membres que réside leur beauté, elle se trouve aussi dans leur direction, ou mieux dans celle des os qui leur servent de base. En examinant les membres dans leur ensemble, il est facile de s’apercevoir que les parties qui les composent, affectent seulement trois directions : l’une verticale, et les deux autres obliques en sens opposé. Ces diverses directions doivent dans tous les cas favoriser l’harmonie et la parfaite régularité des mouvements qui s’effectuent dans les membres ; or, sans avoir de vastes notions sur la mécanique animale, on comprendra facilement que cette harmonie, cette parfaite régularité, dépendent de la similitude d’inclinaison de toutes les parties dirigées dans le même sens. Ce résultat est obtenu lorsque toutes les régions verticales le sont d’une manière complète, tandis que les obliques sont parfaitement parallèles avec celles dirigées dans le même sens, ou bien que leurs prolongements rencontrent ceux des régions inclinées en sens opposé, en formant des angles à peu près droits. Il doit en être ainsi, pour que dans les mouvements naturels de translation, les organes similaires, agissant dans le même but, puissent produire absolument les mêmes effets, et que par suite cette translation s’accomplisse avec toute la régularité désirable. Pour faire mieux comprendre ce qui vient d’être avancé, il suffit de se servir d’un exemple : supposons, en effet, un cheval à l’allure du trot ; pour que cette allure s’effectue régulièrement, il faudra que toutes les régions des membres, dirigées dans le même sens, soient ensemble portées en avant, et d’une quantité égale pour chaque bipède diagonal. Or, on comprend sans difficulté que la régularité d’une telle allure dépend de la similitude et de l’égalité parfaites des mouvements dans les membres antérieurs et dans les postérieurs, et que l’étendue de cette même allure dépend de l’obliquité que peuvent atteindre ces mêmes membres. Il faut, pour que l’effet désiré soit produit, que l’arc décrit par l’extrémité inférieure de chacune des régions d’un membre antérieur, dans sa projection en avant, soit exactement égal à celui décrit par la partie similaire et synergique du membre postérieur opposé en diagonale. En bornant la comparaison à une seule région, l’extrémité inférieure de l’os de la cuisse doit être portée en avant, d’une quantité équivalente à celle atteinte par l’extrémité correspondante de l’os qui forme la base de l’épaule. Il est donc impossible que cette similitude et cette égalité parfaites puissent être obtenues, à moins qu’un parallélisme à peu près exact n’existe entre les régions des membres antérieurs et celles qui leur correspondent dans les postérieurs.

C’est à cause d’une disposition particulière de leur appareil locomoteur, différente de celle précédemment énoncée, et appropriée à leur allure spéciale, le galop à deux temps, que les chevaux de course trottent mal ou plutôt ne savent pas trotter. On a, chez eux, par des procédés empiriques, détruit le parallélisme des régions des membres, en rendant celles du train postérieur moins obliques que celles du train antérieur, de sorte que ces mêmes régions étant moins inclinées les unes sur les autres, leurs détentes sont plus complètes, et par conséquent plus efficaces pour projeter le corps en avant. Si ces régions eussent été trop fléchies, la projection verticale aurait gagné au détriment de l’horizontale, tandis que c’est le contraire qui a lieu lorsque la disposition est semblable à celle plus haut indiquée.

Cette loi des parallèles est très importante, et on peut en tirer une foule d’enseignements utiles pour l’hippologie. Elle avait été entrevue par le général Morris qui, faute de connaissances anatomiques et physiologiques suffisantes, n’a pu en faire qu’une seule application restreinte à un type unique ; mais elle a été définitivement établie et parfaitement interprétée dans ces derniers temps par M. Sanson. Bien comprise, elle peut servir de base dans l’appréciation judicieuse de la belle conformation du cheval ; aussi en tiendrons-nous grand compte, quand il s’agira de faire connaître les divers types de chevaux propres à tel ou tel service, et qui seront tous construits d’après ce plan.

Je vais maintenant indiquer les diverses dispositions que doivent posséder les membres pour être bien constitués, et pour cela j’examinerai successivement leurs régions en commençant d’abord par celles du membre antérieur.

Épaule. — L’épaule est cette région que tout le monde connaît et par laquelle le membre antérieur vient prendre son attache sur le thorax. Pour être belle elle devra, dans tous les cas, avoir une musculature puissante, mais proportionnée à la masse générale du corps. Il faudra, en outre, rechercher sa longueur et un certain degré d’obliquité, parce que la première de ces dispositions indique toujours un grand développement des muscles qui la constituent, et par suite une plus grande puissance ; en outre, parce que cette longueur est toujours liée à une grande hauteur de la poitrine. L’obliquité de l’épaule a le double avantage : 1o de favoriser l’harmonie et la grande étendue des mouvements du membre antérieur lorsque, dans la marche, il est porté en avant ; 2o de faciliter l’action des muscles qui, de l’omoplate, se portent à l’os du bras, car ils se rapprochent d’autant plus de la perpendiculaire par rapport à ce dernier qui doit être mis en mouvement, que l’épaule est plus inclinée. Quoiqu’on en ait dit, l’obliquité de la région dont il s’agit n’est pas un défaut, même pour le cheval de trait ; l’inconvénient qu’on lui a reproché de favoriser la trop grande pression du collier sur la pointe de l’épaule et de gêner la liberté des mouvements qui s’y effectuent, peut facilement disparaître avec un harnais bien fait et dont les points d’attache des traits sur le collier soient placés assez haut. Du reste, par cette modification, l’animal ne perd rien de sa force ; c’est plutôt le contraire qui a lieu, puisque le point où s’applique la résistance est ainsi plus rapproché de la colonne vertébrale, qui sert de tige de transmission aux puissances qui agissent pour effectuer le tirage.

Indépendamment de la longueur, qui concorde ordinairement avec l’obliquité, il est encore une autre condition de la beauté de l’épaule qui n’est pas moins importante, c’est celle qui réside dans la liberté de ses mouvements, et de laquelle résulte la franchise de la progression qui fait que l’animal ne butte pas, comme cela peut arriver si les mouvements de l’épaule ne sont pas libres, en un mot, si elle est chevillée, comme on le dit dans le langage hippologique.

Avant-bras, coude. — Une des qualités essentielles de l’avant-bras est comme pour l’épaule une musculature puissante ; de plus, il faut rechercher chez lui des aplombs parfaits et une direction complètement verticale. Sa longueur est toujours une beauté, pourvu qu’elle se lie à un grand développement musculaire ; cette qualité a le double avantage de favoriser la force et la vitesse. Elle favorise la force, parce qu’elle donne aux muscles qui forment les organes actifs de l’avant-bras une plus grande étendue de contraction, et par conséquent plus de puissance, et, en outre, parce qu’elle entraîne une certaine brièveté du canon et que, par suite, dans la marche, la partie inférieure du membre est toujours moins pénible à soulever. La longueur de l’avant-bras augmente la vitesse, parce que plus elle est prononcée, plus le membre antérieur va appuyer en avant dans les grands mouvements de translation. Pour se convaincre que cette longueur fait embrasser une étendue de terrain plus considérable que s’il était court, on n’a qu’à se rappeler que, dans la marche, l’avant-bras se fléchit en portant son extrémité inférieure en avant, et que même quelquefois, dans les grandes allures, il va jusqu’à prendre une direction horizontale.

Le coude est cette saillie située à la partie supérieure et en arrière de l’avant-bras ; une des principales conditions de sa beauté est sa longueur, ou mieux sa proéminence. Pour s’assurer de cette vérité, il suffit de ne pas oublier que la région dont il s’agit a pour base osseuse l’extrémité supérieure du cubitus, désignée sous le nom d’olécrane, et que cet os dépasse l’extrémité articulaire supérieure du radius. En s’appuyant sur cette disposition on peut donner une preuve irrécusable de ce qui a été avancé. Supposez, en effet, que dans une allure quelconque, un membre antérieur porté en avant appuie sur le sol par son extrémité inférieure ; les muscles triceps brachial, grand dorsal et beaucoup d’autres encore, qui se fixent sur l’olécrane, agissent comme puissance d’un levier de second genre, dans lequel le point d’appui se fait au sol ; tandis que la résistance, représentée par le poids de la partie antérieure du corps, vient presser sur l’extrémité supérieure et articulaire du radius par l’intermédiaire de l’humérus. Il est facile de voir par là que le bras de levier de la puissance sera d’autant plus long que l’olécrane sera lui-même plus développé, voilà pourquoi la proéminence du coude, qui dépend de la longueur de ce dernier os, est une beauté absolue, puisqu’elle favorise la puissance sans détriment pour la vitesse.

Genou. — Il est à remarquer que parmi les articulations des membres, celle du genou est la seule dans laquelle les deux rayons qui se meuvent l’un sur l’autre par son intermédiaire, forment une seule et même ligne verticale ; cette disposition, qui indique la solidité, serait loin de remédier aux secousses qui se produisent dans le membre pendant la marche, si la nature prévoyante n’avait, pour obvier à cet inconvénient, placé entre les deux rayons osseux qui se trouvent en présence, un certain nombre d’osselets sur lesquels les commotions se répartissent successivement en s’amoindrissant de plus en plus ; cette conformation remarquable permet ainsi que la souplesse soit jointe à la solidité. Pour être beau, le genou doit être d’aplomb, et il le sera s’il réunit l’avant-bras et le canon en formant avec eux une même verticale : tout écartement dans un sens ou dans l’autre se fait toujours au détriment des puissances qui se trouvent du côté où se produit une déviation anormale ; mais le déplacement en avant est de tous le plus défectueux, parce que l’animal qui le présente peut facilement tomber sur les genoux, que l’on dit alors arqués, expression consacrée par le langage hippologique.

La largeur du genou est aussi une beauté, parce qu’elle indique toujours un grand développement de l’extrémité inférieure du radius, qui sert dans ce point de poulie de renvoi à plusieurs tendons ; la puissance des muscles auxquels ces cordes tendineuses servent d’agents de transmission est par cela même augmentée. En outre, quand le genou est large, il entraîne toujours une grande étendue de ses surfaces articulaires, et une saillie marquée de l’os sus-carpien, qui sert de bras de levier aux muscles fléchisseurs du canon. Inutile d’ajouter que ses faces latérales doivent être dépourvues de ces éminences anormales, dures ou molles, auxquelles on donne le nom de tares.

Canon. — Les canons, dont la base est essentiellement osseuse et tendineuse, doivent être courts, parce que autrement ils entraînent un poids tout-à-fait inutile, puisqu’ils ne se composent que d’organes passifs. En outre, leur longueur, qui est toujours en balancement avec celle de l’avant-bras, impliquerait une brièveté de ce dernier, ce qui serait un mal, on sait déjà pourquoi. Du reste, et quoiqu’en aient dit quelques auteurs, la longueur du canon n’augmente pas la vitesse des allures comme on pourrait le supposer de prime-abord, car au moment du poser ils sont dirigés à peu près perpendiculairement par rapport au sol. Quand le canon est court, le membre ou plutôt l’avant-bras n’a pas besoin de se soulever très haut quand il veut se porter en avant ; tandis que s’il est long, il faut que les muscles releveurs de l’avant-bras se contractent fortement, sans quoi l’extrémité inférieure du membre, peu éloignée du sol, heurtant sur les moindres aspérités, exposerait l’animal à des chutes fréquentes ; et néanmoins, cette puissante contraction, si utile pour éviter des accidents, ne favorise en rien la vitesse des allures.

Les canons ne doivent pas seulement être courts, il faut aussi qu’ils se lassent remarquer par leur largeur, parce qu’alors le tendon est très développé et parfaitement distinct de l’os. Les deux cordes tendineuses des muscles fléchisseurs des phalanges, alors fortes et développées, se détachant en arrière et à une certaine distance des rayons osseux qui leur servent de bras de levier, se trouvent ainsi favorablement disposés pour transmettre les efforts de contraction des muscles auxquels ils font suite. D’ailleurs, cet écartement des tendons auxquels le genou et le boulet servent en quelque sorte de poulies de renvoi, entraîne toujours une largeur relative de ces mêmes articulations, laquelle largeur est toujours une qualité appréciable. Ainsi donc, et pour résumer, les canons doivent être courts, larges et pourvus de tendons puissants et bien détachés.

Boulet, paturon, couronne et pied. — Le boulet, comme toutes les surfaces articulaires, doit être aussi large que possible ; il doit aussi être exempt de ces saillies molles et fluctuantes qui peuvent exister à son pourtour et que l’on désigne sous le nom de mollettes. Le boulet bien conformé doit être développé dans tous les sens ; mais il ne faut pas que ce développement soit dû à l’épaisseur anormale de la peau qui recouvre la région, mais bien au grand volume des abouts osseux qui lui servent de base et qui fournissent ainsi de larges et solides points d’attache à de forts ligaments et à de volumineux tendons. La région qui nous occupe doit surtout se faire remarquer par la grande largeur de ses faces latérales, qui est toujours un indice de l’épaisseur des sésamoïdes formant une poulie de renvoi pour les cordes tendineuses des deux fléchisseurs des phalanges.

Le paturon, qui complète la beauté du boulet, doit, pour être bien conformé, présenter peu de longueur et être incliné de 45 degrés, pour que le poids du corps et les réactions qui en résultent quand le cheval se meut, puissent assez régulièrement se répartir sur les os et l’appareil tendineux suspenseur ; car si dans un cas l’axe du paturon se rapproche de la verticale, les commotions qui se produisent dans la partie inférieure du membre sont tellement fortes, qu’elles précipitent la ruine des animaux ainsi conformés ; si dans un autre cas il tend à devenir horizontal, l’appareil tendineux, qui se trouve en arrière du boulet où il forme une sorte de soupente, fatigue alors énormément, aussi il ne tarde pas à se relâcher, à s’enflammer, et l’animal est bientôt mis hors de service. Pour ce qui est de la longueur du paturon, on ne peut pas la fixer avec une rigueur mathématique, mais cependant elle ne doit pas être trop prononcée, parce qu’il est de remarque que cette région est d’autant plus obliquement dirigée qu’elle est plus longue. On peut facilement se convaincre que la longueur trop considérable du paturon est un défaut, en se figurant un levier du premier genre représenté par les trois phalanges et par les grands sésamoïdes, levier dans lequel le point d’appui se fait sur l’extrémité inférieure et articulaire de l’os du canon ; la puissance, représentée par les cordes tendineuses des fléchisseurs des phalanges, agit sur la face postérieure des sésamoïdes dont l’épaisseur mesure la longueur du bras de levier de cette même puissance ; enfin, la résistance offerte par le sol au moment de l’appui, exerce son action sur la face inférieure du pied : on comprend par là que la longueur du bras de levier de la résistance, représentée par la ligne qui va du centre de l’articulation du boulet à la face inférieure du sabot, est subordonnée à celle du paturon ; elle sera donc d’autant plus grande que ce dernier sera lui-même plus développé dans le sens de son grand axe. Il faudra donc toujours rejeter la longueur des paturons, puisqu’elle favorise le tiraillement des cordes tendineuses qui résistent comme des soupentes contre le poids du corps, et sans la parfaite intégrité desquelles un cheval ne pourrait jamais bien remplir un service même peu pénible.

La couronne, pour être irréprochable, aura la même direction que le paturon auquel elle fait suite, et elle devra dans tous les cas être dépourvue de ces proéminences dures et anormales que l’on désigne sous le nom de formes.

Le pied, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, mais que néanmoins je passerai rapidement en revue, pour être bien conformé doit avoir dans son ensemble la forme d’un cône tronqué au sommet et incliné de 45 degrés suivant son axe. La muraille, lisse à sa surface et de couleur naturellement noire, doit être formée d’une corne solide et de bonne nature ; la face inférieure ou plantaire du sabot, légèrement creusée en voûte, doit présenter une fourchette élastique, saine, bien nourrie et avec des lacunes bien marquées. Ces dispositions sont des qualités parce qu’elles indiquent un pied bien constitué et élastique, toutes choses utiles pour un service quelconque, mais surtout pour que le cheval ne ressente pas de commotions trop fortes lorsqu’il doit déployer de grandes allures.

Les membres postérieurs, au lieu d’être, comme les antérieurs, des colonnes d’appui, de soutènement, sont plutôt des agents d’impulsion ; aussi les divers organes qui les composent ne forment jamais de lignes droites en se rencontrant.

Cuisse, fesse et jambe. — La cuisse est la première partie qui se détache du tronc, dans les membres postérieurs, et encore ne le fait-elle pas d’une manière très distincte. Pour être bien conformée, elle doit être remarquable par sa longueur, par son obliquité en avant et par un développement assez considérable des muscles se groupant autour du fémur, qui lui sert de base osseuse ; car, plus elle est descendue et inclinée, plus grande est l’étendue des mouvements des membres, plus puissante est l’action musculaire et conséquemment plus grande est la vitesse des allures. Et, quoi qu’on en ait dit, je ne sache pas que cette région puisse jamais, chez un animal quelconque pécher par excès de volume et être sous ce rapport en disproportion avec les autres parties du corps ; trop souvent, au contraire, elle se fait remarquer par les défauts opposés et se montre tout à la fois plate extérieurement et grêle dans son ensemble.

La fesse, qui se trouve immédiatement en arrière de la cuisse, est presque exclusivement charnue ; elle s’appuie seulement vers sa partie supérieure sur la pointe de l’ischium. On doit la rechercher bien descendue, proéminente et offrant à l’œil un témoignage certain d’énergie physique, de puissance motrice. Il ne faut pas oublier que cette région est formée par les muscles ischio-tibiaux, puissances qui favorisent le plus l’action du ressort des membres postérieurs, et que par conséquent leur développement ne peut jamais pécher par l’excès. On devra aussi éviter que la fesse présente une gouttière trop marquée vers ses limites antérieures, entre ces dernières et la cuisse, du côté externe ; en un mot, que l’animal possède ce que l’on désigne par le nom assez pittoresque de Raie de misère, indiquant toujours des animaux trop maigres ou épuisés par des fatigues prématurées.

La jambe, qui a pour base osseuse le tibia et le péroné, est parfaitement distincte du tronc ; sa longueur et son grand développement musculaire sont toujours un indice de bonne conformation, pour les mêmes motifs que j’ai déjà donnés à propos de l’avant-bras et que je me dispenserai de répéter ici.

Jarret. — Cette région, on peut le dire d’une manière générale, est la plus importante du membre postérieur, car elle en constitue le principal agent impulsif, le meilleur ressort. Les conditions essentielles de sa beauté sont sa largeur et son épaisseur ; cette dernière, qui se mesure d’un côté à l’autre, doit toujours être recherchée, parce qu’elle fournit au poids du corps s’exerçant sur la surface articulaire de l’astragale par l’intermédiaire de l’extrémité inférieure du tibia, un appui large et solide, et, en outre, parce qu’elle favorise l’action des muscles dont les cordes tendineuses glissent sur cette région sans y prendre attache.

Pour ce qui est de la largeur, qui s’étend depuis le pli du jarret jusqu’à sa pointe, elle ne saurait jamais être trop prononcée, car elle indique dans tous les cas un grand développement du calcanéum, et par conséquent augmente le bras de la puissance dans le levier du second genre, représenté par toute la partie inférieure du membre depuis la pointe du jarret jusqu’au pied, levier dans lequel le point d’appui se fait au sol par la surface plantaire ; la résistance représentée par le poids du corps presse sur l’astragale par l’intermédiaire du tibia, tandis que la puissance fournie par les muscles concourant à former la corde du jarret, (tendon d’Achille de l’homme), agit au sommet du calcanéum. Cette largeur du jarret est une beauté absolue, parce que c’est de son étendue que dépend la forte détente de la région, détente si utile, soit que l’animal exerce de violents efforts de traction, soit qu’il déploie de grandes allures.

Le jarret devra, en outre, être exempt de saillies anormales, molles ou dures, qui sont dans tous les cas des tares pouvant nuire au parfait accomplissement de ses fonctions si importantes. De plus, le creux du jarret, représenté par l’espace compris entre le calcanéum et l’extrémité inférieure du tibia, sera aussi net que possible pour permettre la facilité des mouvements qui s’effectuent dans cette partie. Pour ce qui est de la grandeur de l’angle du jarret, on ne peut pas la fixer sûrement, son ouverture facilite les grandes allures ; tandis que s’il est un peu fermé, les réactions sont de beaucoup amoindries ; de sorte que si on voulait avoir un cheval pouvant faire un bon service, sans être trop prédisposé à l’usure, il faudrait prendre un juste milieu qui serait fourni, par exemple, par une direction du tibia oblique de 45 degrés, ce qui élèverait l’angle du jarret à 135 degrés.

Le canon, le paturon, la couronne et le pied doivent, dans les membres postérieurs, avoir la même conformation d’ensemble que dans les antérieurs, puisqu’ils sont appelés à servir exactement aux mêmes usages que dans ces derniers. Ils doivent également présenter la même direction et, à peu près aussi, une égale longueur ; cependant on peut remarquer que dans les membres postérieurs les canons sont plus allongés que dans les antérieurs ; cela ne doit pas surprendre, parce que c’est une manière d’être tout-à-fait normale.

Tous les caractères que j’ai indiqués à propos du tronc et des membres sont autant de beautés absolues, parce qu’elles conviennent à tous les genres de services. Par le plan général que j’en ai exposé, on comprendra qu’il n’est pas facile de déterminer d’une manière précise, les limites du beau dans chacune des nombreuses parties du corps qui ont été passées en revue, et d’ailleurs, dans l’observation naturelle, ces limites n’existent pas. L’harmonie, la pondération parfaite avec laquelle elles se présentent est telle, qu’on peut non-seulement les considérer comme belles pour chacune d’elles, mais encore dans leur ensemble, pourvu toutefois qu’elles ne s’écartent pas des règles de cette harmonie, sans laquelle il n’est pas de beauté possible.

Les proportions relatives que doivent posséder ces mêmes régions les unes par rapport aux autres, ne peuvent pas être fixées avec une rigueur mathématique ; mais elles se présentent dans un tel degré d’équilibre, que l’on peut en déduire qu’aucunes d’elles ne se montre jamais exagérée dans un sens favorable, et dire en thèse générale et d’une manière absolue : que, quelques longues que soient certaines régions et quelques limitées que soient certaines autres, ce n’est jamais un défaut.

Beauté relative. — Le moment est venu maintenant d’examiner, les uns après les autres, les divers types de l’espèce chevaline, et de signaler les qualités qui appartiennent en propre à chacun d’eux. Les beautés qui vont être indiquées rendent l’animal aussi apte que possible à l’accomplissement d’un service spécial, aussi les désigne-t-on sous le nom de beautés relatives ; mais on pourrait les désigner aussi exactement par celui de beautés zootechniques.

Les conditions dans lesquelles un cheval est utilisé de nos jours, réduisent au nombre de quatre les types principaux auxquels peuvent être rapportés tous les animaux de son espèce. Nous employons, en effet, le cheval au service de selle, à celui d’attelage, avec divers degrés de luxe, et enfin au service de trait, pour transporter des fardeaux assez lourds, à grande ou à petite vitesse. Aussi passerai-je successivement en revue : 1o le cheval de selle ; 2o celui d’attelage ; 3o le cheval de trait léger ; 4o enfin celui de gros trait, en signalant les diverses qualités de conformation exclusivement propres à chacun de ces types, pour qu’il puisse remplir son service avec toute l’aptitude et toute la perfection désirables. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’un cheval destiné à un emploi quelconque, doit non-seulement présenter les qualités qui ne conviennent qu’à lui seul, mais aussi toutes les diverses beautés absolues plus haut signalées ; un service même spécial ne peut être bien rempli si elles n’existent pas.

CHEVAL DE SELLE.

Le cheval de selle a de nos jours perdu beaucoup de son ancienne vogue ; je n’essaierai pas de le réhabiliter, ma voix n’est pas assez autorisée pour cela. Presque exclusivement borné à notre cavalerie, le service auquel il est employé tend à disparaître tous les jours de plus en plus de nos mœurs civiles ; tout au plus si l’on voit quelques vieux de la vieille conserver leur ancienne habitude et faire encore des courses à franc étrier, ou bien quelques jeunes citadins faire parade, montés sur des chevaux de race plus ou moins distinguée. C’est une chose regrettable, parce que si le service de selle était remis en vigueur, l’élevage des chevaux destinés à cet usage, encouragé par un débouché facile des sujets arrivés à bonne fin, et par un bon bénéfice pécuniaire, ne tarderait pas à reprendre une certaine extension, et il ne serait plus utile que le recrutement des animaux destinés à notre armée se fasse jusque dans les nations étrangères.

Le cheval de selle devant porter un cavalier, il faut toujours viser à ce qu’il n’ait pas une conformation indiquant de réactions trop dures, surtout si on doit faire avec lui des courses longues. Les animaux à commotions peu fortes ne seraient pas difficiles à rencontrer s’il ne fallait pas aussi tenir compte de leur force de résistance ; car, si les mouvements du cheval de selle doivent s’effectuer avec un certain degré de souplesse, il ne faut pas que ce soit au détriment de la force.

Pour le choix du cheval destiné au service qui nous occupe, il faut surtout se rappeler que cet animal doit être organisé d’une façon telle, qu’il puisse obéir le plus prestement possible aux aides que le cavalier emploie pour lui faire comprendre ce qu’il veut obtenir de lui. Partant de ce principe, il est facile de comprendre, même avec peu de notions sur la mécanique animale, que pour qu’il puisse en être ainsi, il faut que ce cheval présente en lui une disposition qui se prête au facile déplacement du centre de gravité. Or, si on tient compte de ce fait acquis que, chez le cheval de selle, l’encolure est comme une sorte de balancier réglant pour ainsi dire tous les mouvements que cet animal exécute de lui-même, ou lorsqu’ils sont demandés, on attachera la plus grande importance à la parfaite conformation de cette région.

Pour remplir exactement les fonctions qui lui sont dévolues, chez le cheval de selle, l’encolure doit être longue et bien musclée. Sa longueur contrebalance d’autant plus facilement le poids du corps qu’elle est plus prononcée, et par suite les déplacements du centre de gravité sont plus faciles. Elle devra être bien musclée parce que portant à son extrémité un corps lourd et mobile, la tête, il faut que les muscles représentant les puissances qui doivent le soutenir ou le mouvoir, soient assez développés ; mais cependant il ne faut pas que la musculature de la région soit portée à un degré tel que sa souplesse en souffre, car si la puissance de l’encolure est utile, sa flexibilité est pour ainsi dire indispensable pour le cheval de selle, et sans cette dernière il est impossible que cet animal puisse faire son service avec toute la perfection désirable.

La longueur et la puissance musculaire de l’encolure ne présentent pas seulement les divers avantages que je viens de leur attribuer ; elles en ont un autre incontestable et qui ressort de ce que le cheval de selle est plus souvent appelé à déployer une grande vitesse d’allures, vitesse qui dépend de la forte projection des membres en avant, dans les grands mouvements de translation. Supposez, en effet, un cheval lancé au grand trot, et progressant en ligne droite, les membres antérieurs alternativement lancés en avant sous l’influence des muscles, qui, de l’encolure tendue, se portent à l’épaule et au bras, embrassent un espace de terrain assez considérable. Il est facile de comprendre que, dans ce cas, la projection en avant, des membres antérieurs, de laquelle dépend la vitesse des allures, sera d’autant plus forte que les muscles tels que : l’huméro-mastoïdien, le trapèze trachélien et l’angulaire de l’épaule qui président à ce mouvement, seront eux-mêmes plus longs et plus développés. Or, la longueur comme aussi le développement de ces parties charnues étant tout-à-fait subordonnés à la dimension de l’encolure, dans le sens de son grand axe et à la puissance de sa musculature, il faut absolument que ces deux dernières qualités existent dans l’encolure du cheval de selle, pour qu’il puisse bien remplir son service.

Telle est la disposition d’ensemble que l’on doit toujours rechercher pour l’encolure du cheval destiné au service de selle ; passons maintenant aux détails. Pour la crinière, qui occupe son bord supérieur, il est assez difficile d’indiquer une disposition particulière plutôt à désirer qu’une autre, sa beauté dépend uniquement du goût de chacun. Cependant, il faut le dire, une crinière fine, soyeuse et assez fournie est toujours une beauté ; si elle est touffue et composée de crins grossiers, volumineux, elle indique un cheval de race commune, et le plus souvent mou, lymphatique ; tandis que celle que j’ai indiquée plus haut, a le double avantage de plaire au coup d’œil et de toujours se rattacher à un animal de race distinguée.

Mais ce qu’il faut surtout examiner dans l’encolure du cheval qui nous occupe, ce sont ses deux extrémités et principalement l’antérieure, celle qui porte la tête. Vers ce dernier point, elle doit être légèrement incurvée sur elle-même, de façon que son bord supérieur devienne convexe et son inférieur concave, et, en outre, il faut que vers l’endroit où elle s’unit à la tête, il y ait une légère dépression de chaque côté. Cette disposition est importante, en ce sens qu’elle donne à la partie supérieure de l’encolure une souplesse toujours utile pour faciliter les mouvements de la tête, desquels mouvements dépendent la prestesse et la facile exécution des déplacements généraux de l’encolure. L’extrémité postérieure, contrairement à l’antérieure, doit s’unir aux différentes parties auxquelles elle fait suite, sans transition brusque, sans délimitation bien nette ; car si l’encolure était séparée du poitrail, du garrot et des épaules, par un sillon, elle aurait l’inconvénient d’offrir au coup d’œil quelque chose de disgracieux, et de plus elle ne posséderait pas la rigidité nécessaire pour rendre efficace l’action des muscles qui, de cette région, se portent aux membres antérieurs pour les attirer en haut et en avant, dans les grands mouvements de translation. Pour tout dire en trois mots, l’encolure du cheval de selle doit être longue, souple et bien musclée.

Si les qualités de l’encolure que je viens de faire connaître sont une des conditions essentielles de la beauté du cheval de selle, seules elles ne suffisent pas pour former le type propre à ce service. Il est peut-être vrai qu’en vertu de la corrélation, de l’harmonie parfaite qui existe ordinairement dans les différentes parties du corps, on serait en droit de penser que cette disposition si importante entraîne toujours après elle toutes les autres perfections exigées par le service de selle ; mais il n’en est pas toujours ainsi. Un cheval peut avoir une encolure parfaite, et pourtant ne pas être bien constitué dans les autres régions du corps ; aussi faudra-t-il rechercher pour le cheval de selle, non-seulement une encolure bien conformée, mais aussi une foule d’autres qualités que je vais esquisser à grands traits.

La tête devra être belle dans sa forme et dans son expression ; pour cela, son front sera large et carré ; l’œil grand, bien ouvert et rayonnant d’intelligence et de fierté ; les naseaux larges, dilatables et pourvus d’ailes rigides. Les parties antérieures du tronc, construites pour embrasser largement du terrain, recevront, par une tige vertébrale solide, assez longue, mais néanmoins irréprochable, l’impulsion qui leur sera donnée par l’arrière-main ; cette dernière sera, pour la facile exécution des mouvements généraux, un ressort plein de force et de souplesse. Il faudra que partout les leviers mobiles du squelette aient les bras allongés et parfaitement disposés pour favoriser la puissance. Dans les parties antérieures, l’épaule devra être longue et inclinée ; les dimensions de la poitrine seront grandes surtout dans le sens antéro-postérieur et dans le sens vertical ; cette cavité se prolongera autant que possible en arrière, de manière à laisser peu de place au flanc. Le train postérieur se fera remarquer par son ampleur proportionnée à la masse générale du corps. Les hanches, convenablement accusées, y seront écartées l’une de l’autre ; la croupe se rapprochera autant que possible de la direction horizontale ; enfin, la queue, par son port élégant, ajoutera encore aux beautés de l’arrière-main en se faisant surtout remarquer par le volume de sa base, indiquant des muscles développés, et par des crins brillants et soyeux.

L’appareil respiratoire devra présenter une disposition qui facilite, sans détriment pour la force et la souplesse, la fonction si importante qui lui est dévolue, et pour cela la poitrine ne devra pas seulement être développée, comme je l’ai déjà dit, mais aussi la trachée sera large et résistante, et le larynx, grandement logé entre les deux branches du maxillaire inférieur. Tout, en un mot, sera disposé pour offrir à l’air qui pénètre dans les voies respiratoires ou qui en sort, des voies larges et faciles.

Les membres devront répondre en tous points aux conditions exigées par la force et la souplesse, et pour cela, leurs régions seront suffisamment inclinées les unes sur les autres, les articulations larges, et les pieds, régulièrement conformés, posséderont une corne dure et élastique.

La conformation que je viens de faire connaître convient principalement au cheval de selle appelé à remplir un service de fond. Le type qu’elle représente pourrait, par conséquent, être utilisé pour les longues courses à franc étrier et pour le service de notre cavalerie, parce qu’elle indique toujours des animaux bien trempés, joignant une vitesse d’allures assez grande, à une certaine force de robusticité. Il est inutile d’ajouter, sans doute, que la taille et la force des chevaux de selle doivent être en rapport avec le poids des cavaliers qui les montent.

Le type qui précède pourrait, à la rigueur, servir comme cheval de chasse ; mais cependant, pour cet usage, il faut des animaux assez adroits, doués d’une certaine aptitude à la vitesse, et surtout jouissant d’une grande force de résistance ; on devrait donc choisir des chevaux au corps mieux roulé, bien soutenu dans ses lignes, aux membres larges, très musculeux dans les régions supérieures, osseux et tendineux dans le bas, nets dans leurs articulations et surtout pourvus d’attaches musculaires larges et solides. L’avant-main et l’arrière main, l’une et l’autre aux grandes proportions et pourvues de couches musculaires bien accusées, seront réunies par une région dorso-lombaire, indiquant surtout la force et aussi un certain degré de souplesse, c’est-à-dire que le dos doit être modérément long. Un cheval ainsi conformé est incontestablement la plus belle variété chevaline qui puisse exister ; elle réunit dans des proportions heureuses et réussies la légèreté des chevaux de sang originaires des pays chauds, à la force de nos anciennes races européennes. Autrefois, le cheval de chasse des Anglais (the hunter) possédait à peu près cette belle conformation ; mais depuis que la vitesse exagérée est en vogue, le hunter s’en ressent et ses formes ont beaucoup perdu de leur beauté première ; c’est une chose vraiment regrettable, car il était la création chevaline la plus parfaite que l’homme eût jamais obtenue, et il est fâcheux qu’on ne lui ait pas conservé son plus haut degré de perfection. Le hunter, il est vrai, a encore de nos jours une valeur incontestable ; mais il est beaucoup moins appréciable qu’autrefois, sous bien des rapports ; sa taille varie de un mètre cinquante à un mètre soixante.

Les deux catégories de chevaux que je viens de passer en revue conviennent indistinctement à toutes les variétés du service de selle. Si l’on voulait des animaux dont la spécialité serait plus limitée, si toutefois je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire si l’on désirait posséder des chevaux exclusivement propres au manège, aux promenades de pur agrément, ou bien encore au service des courses, il faudrait rechercher chez eux des formes particulières exclusivement propres à ces aptitudes tout-à-fait spéciales. Je vais faire connaître, en peu de mots, ces deux variétés du cheval de selle, en signalant les diverses conformations qui leur conviennent.

Le cheval destiné au manège ou à la promenade d’agrément, étant appelé à déployer plutôt de la grâce, de la souplesse que de la force, il faut rechercher chez lui tout ce qui favorise les mouvements gracieux et détruit les réactions violentes. S’appuyant sur ce fait d’observation que les secousses supportées par le cavalier sont provoquées, d’un côté, par la brièveté du dos et des reins et, de l’autre, par le peu de flexion des parties constituantes des membres les unes sur les autres, on devra rechercher pour le service qui nous occupe des chevaux dont les membres offriront des régions assez inclinées ; l’angle du jarret sera plus fermé que dans la conformation type que nous avons donnée de cet organe impulsif ; les autres angles, formés par les régions entr’elles, seront également un peu moins ouverts que dans les conditions ordinaires, tout cela pour favoriser les bonds sur place, les mouvements de projection verticale que le cheval effectue dans la haute école. Le dos et les reins seront plus allongés que dans les autres chevaux de selle, sans que toutefois cette disposition soit poussée tellement loin, que le cheval devienne ensellé ; on peut tout au plus tolérer un peu cette conformation, que j’ai déjà considérée comme vicieuse. Si elle était trop prononcée, elle indiquerait des animaux faibles et qui fléchiraient sous le poids du cavalier. C’est ici surtout que la longueur et la souplesse de l’encolure ne pourront jamais pécher par l’excès, afin que ses mouvements, rendus faciles par cette disposition même, puissent agir d’une manière efficace sur les déplacements cadencés et les mouvements sur place.

Je vais maintenant m’occuper du cheval de course, car lui aussi possède une beauté dans son genre ; elle est loin, j’en conviens, de flatter la vue ; mais il n’en pas moins vrai que c’est une beauté relative, puisqu’elle favorise la vitesse des allures. On a tout sacrifié chez cet animal : force de résistance, puissance musculaire, beauté de formes, pour augmenter la vitesse. Cependant, il faut le reconnaître, on est allé trop loin, car le cheval que l’on a ainsi obtenu ne peut être utilisé à aucun service sérieux ; tout au plus si, une fois tous les ans, on lui fait parcourir quelques centaines de mètres, avec une vitesse prodigieuse, et encore est-il exténué après cette course de quelques instants, et assez souvent mis hors de service. Les animaux utilisés aux courses sont de grands et longs chevaux, efflanqués, à poitrine étroite, mais haute et longue ; leur corps grêle est porté par des membres qui n’en finissent plus. Peu de chose chez eux attire l’attention du connaisseur, si ce n’est la vivacité de leur regard, la pétulance de leur physionomie, qui est un indice certain d’énergie native, de sang, comme on le dit dans le langage vulgaire. Mais cette énergie, pour ainsi dire factice, disparaît après quelques minutes de course, et ces animaux sont alors comme dans une sorte de stupeur.

Les éleveurs qui se sont occupés du cheval de course sont parvenus, il faut leur rendre cette justice, à avoir un animal remplissant toutes les conditions pour parcourir, dans un temps assez court, une distance relativement considérable. Partant de ce principe que les membres postérieurs sont en même temps des organes d’impulsion et de translation, ils ont cherché à leur donner une conformation telle qu’ils puissent en même temps, et lancer avec force le corps en avant, et embrasser eux-mêmes une grande étendue de terrain. Aussi ont-ils fait en sorte que les régions soient peu inclinées les unes sur les autres, que le jarret, par exemple, soit à peu près droit, pour que sa détente soit plus complète et par conséquent plus efficace pour projeter le corps. Ils ont voulu que la croupe fût oblique, afin que le membre postérieur, plus naturellement dirigé en avant, pût embrasser un plus grand espace de terrain. Mais cette dernière disposition aurait diminué l’efficacité de la détente de ce même membre postérieur en faisant perdre une partie de l’impulsion dans la projection verticale, si on n’avait obvié à ce désavantage en rendant le train antérieur plus bas que le postérieur, ce qui se dénote à l’œil, même peu exercé, sous une apparence qui est loin d’être gracieuse. Enfin, s’ils ont cherché à obtenir un animal fortement élevé sur jambes, c’est pour que ces longues jambes pussent embrasser, dans la marche, une grande étendue de terrain. Ils en sont venus au point d’avoir un cheval qui, en somme, n’en est pas un ; car, je le répète, il ne peut être utilisé à aucun service de fond.

Après ces quelques considérations sur le cheval de course, je crois pouvoir dire, sans déroger au bon sens, que les éleveurs qui l’ont produit auraient beaucoup mieux fait d’employer leur argent et surtout leurs loisirs à élever des chevaux de fond et d’un usage journalier. En agissant ainsi, ils pourraient, sans léser leurs intérêts, rendre de véritables services à leur pays. Et si tant ils veulent des courses, qu’ils les organisent comme elles doivent l’être et comme tant d’hommes compétents à tous égards les ont comprises ; qu’ils les considèrent comme des moyens d’amélioration de nos races chevalines, et non pas comme un amusant spectacle pour les populations urbaines ; qu’ils fassent parcourir aux animaux qui entrent en lice, des kilomètres et non pas des centaines de mètres ; enfin, qu’ils rétablissent les parties liées, car ce n’est pas par une seule course qu’on peut juger d’un animal, mais bien par plusieurs fréquemment répétées. Il serait temps que tous ces abus eussent une fin, pour une foule de motifs que je passe sous silence ; et, d’ailleurs, la Société protectrice des animaux, qui prend de nos jours une si grande importance, devrait intervenir, parce que, dans les courses entendues comme elles le sont aujourd’hui, on demande au cheval beaucoup plus qu’il ne peut ; car peu importe à messieurs les amateurs que l’objet vivant de leur distraction souffre ou non ; ce qu’ils veulent, c’est qu’il arrive le premier au but, dût-il en mourir.

Toutes les qualités que j’ai fait connaître comme appartenant aux diverses variétés du service de selle sont purement physiques ; mais il en est aussi de morales, et, parmi ces dernières, je citerai l’intelligence et l’obéissance parfaite à tous les aides du cavalier ; pour que la dernière qualité existe, il faut que l’animal ne soit pas rétif, c’est-à-dire qu’il n’ait pas une volonté capricieuse qui le porte à désobéir, et pour cela il doit présenter un certain degré de sensibilité de barres, condition indispensable désignée par le vulgaire sous le nom de bouche fine, de tête légère, et qui fait que l’animal se déplace au moindre signe et sans résister. Mais, pour que la finesse, pour que la sensibilité de la bouche puisse avoir toute son efficacité, il faut que les mouvements du jarret soient souples et faciles dans tous les sens où ils peuvent normalement s’effectuer ; s’ils sont pénibles, comme cela arrive quelquefois, bien que la bouche soit fine, les déplacements généraux ne peuvent plus s’effectuer avec la prestesse désirable ; loin d’être faciles et gracieux, ils sont embarrassés, et ne s’effectuent qu’avec gêne.

Pour bien juger de l’intelligence et de la souplesse de caractère, le cavalier doit lui-même essayer le cheval dont il a l’intention de faire sa monture ; il lui est alors facile de voir si l’animal est intelligent et s’il pourra le façonner à sa main. Un cheval monté par un homme expérimenté doit, quand il possède bien ces qualités morales, renoncer, pour ainsi dire, à son être et n’avoir d’autre volonté que celle de son conducteur ; il doit comprendre ses moindres signes, et exécuter avec promptitude les divers mouvements qui lui sont demandés.


CHEVAL D’ATTELAGE.


Le cheval d’attelage étant appelé à déployer une force plus considérable que le cheval de selle, puisqu’il doit traîner des véhicules quelquefois assez lourds, devra avoir une taille plus élevée que ce dernier, tout en se faisant remarquer par l’ampleur de son corps et par une musculature générale plus puissante que celle du sujet destiné au service de selle.

Ce qui est surtout appréciable chez le cheval d’attelage, c’est un trot assez vite et irréprochable ; aussi faut-il rechercher chez lui des aplombs parfaits, et c’est ici surtout que la théorie des parallèles et de la similitude des angles, dont j’ai dit deux mots à propos des membres en général, trouve parfaitement son application, parce que, sans les dispositions que cette loi entraîne, il n’est pas de trot régulier possible. Le cheval de carrosse doit avoir aussi un corps bien musclé et peu élevé sur jambes, de même que toutes les beautés absolues dont j’ai déjà parlé ; mais il faudra surtout rechercher chez lui un avant-bras puissant et assez développé en longueur, un genou et un jarret parfaitement d’aplomb : tout cela étant un indice de la solidité que doit posséder le cheval dont il s’agit. Chez lui, la longueur de l’encolure n’est pas une qualité absolument indispensable, car il est plutôt appelé à exercer des efforts de traction assez considérables en marchant droit devant lui et avec une certaine vitesse, qu’à effectuer comme le cheval de selle des mouvements sur lui-même. Cependant, si cette région est puissante et bien musclée, en même temps que longue et souple, ce sera toujours une qualité appréciable, parce que cette disposition, tout en donnant au cheval qui la présente un aspect agréable à l’œil, ne nuit en rien à son service, qui sera, au contraire, rempli avec plus de grâce.

Le cheval d’attelage a, de nos jours, en France, une très grande vogue ; on se l’explique difficilement quand on considère que les chevaux propres à ce service sont assez rares dans notre pays, car c’est à peine si on trouve ce type dans la race actuelle de la Normandie, celle qui résulte du croisement de l’ancienne jument de cette province avec le pur sang anglais, et que l’on désigne sous le nom de race anglo-normande. Cette race habite le Cottentin et le Merlerault ; mais c’est principalement dans le Cottentin que l’on trouve les plus beaux types pour le service d’attelage. À l’étranger, on peut encore trouver pour cet usage d’assez bons chevaux, en les choisissant parmi les races du Mecklembourg, du Hanovre et du Danemark.


CHEVAL DE TRAIT LÉGER.

Le cheval de trait léger est celui qui est appelé à traîner des fardeaux assez lourds, avec une vitesse d’allures assez considérable ; il devra donc avoir une conformation qui indique une certaine puissance en même temps qu’une propension assez marquée aux allures rapides. Je ne puis mieux faire, pour indiquer un type propre au service du trait léger, que de faire connaître les principaux caractères que M. Magne accorde au beau percheron, qui, avec une taille de 1m 55 à 1m 60, possède un corps cylindrique parfaitement proportionné, une côte ronde, un garrot bien sorti, des reins larges et parfaitement soutenus. Charnue, longue et peu inclinée, la croupe soutient une queue bien attachée ; les hanches sont saillantes, écartées et bien sorties. Par sa longueur et sa direction, l’épaule répond à la belle conformation de la croupe. L’encolure, forte, un peu rouée, porte une tête un peu longue, mais expressive, bien que le chanfrein soit un peu saillant. Les membres sont remarquables par la régularité de leurs aplombs et par leur musculature puissante.

C’est ce cheval et tous ceux qui lui ressemblent que nous citons comme pouvant très bien remplir le service particulier du trait léger. On a parfaitement reconnu les qualités du percheron, et on en a la preuve en ce que, dans les villes, on l’emploie au service des omnibus et aussi à celui du camionnage rapide ; il a beaucoup de vogue surtout depuis que les chemins de fer se sont multipliés et que les expéditions commerciales de toutes sortes, par la voie ferrée, ont pris une grande extension ; on le comprend facilement parce qu’il pouvait, mieux que tout autre, se prêter à la célérité et à la puissance d’action exigées par de tels services. Les animaux de la race du Perche sont vraiment remarquables par leur énergie ; on peut les voir dans les rues de nos villes traînant de lourds chariots avec une vitesse assez grande, et néanmoins portant gaillardement la tête comme des chevaux de luxe. Du reste, quand on examine attentivement les plus beaux sujets de cette race, on est étonné de trouver sous leur corpulence un peu forte un certain cachet de distinction qui frappe tout d’abord. Cette belle apparence est principalement donnée par la tête, qui porte en elle quelque chose qui plaît ; car il y a dans l’œil du percheron une vivacité de regard vraiment remarquable quand on le considère par rapport à la conformation d’ensemble ; cependant ses extrémités sont fines et peu pourvues de ces crins disgracieux indiquant toujours, lorsqu’ils existent en trop grande quantité, des races peu distinguées ; tout cela s’ajoutant à une pétulance d’action que tout le monde lui reconnaît, vient encore augmenter la haute idée qu’on avait eue de lui à première vue. Ce type réunit les meilleures conditions possibles pour bien remplir le service qu’on exige des chevaux d’artillerie.

Les Percherons ne sont pas les seuls qui offrent de beaux types pour traîner des omnibus ou des diligences, on peut aussi trouver de bons chevaux pour le trait léger dans les races chevalines du Poitou et de la Bretagne, principalement ; car si dans ces dernières provinces les types parfaits de bonne conformation sont moins nombreux que dans le Perche, on peut trouver des chevaux parfaitement réussis parmi le très grand nombre de ceux qu’on y élève.


CHEVAL DE GROS TRAIT.


Les chevaux de gros trait sont appelés, en raison même de leur service, à déployer surtout une grande force musculaire, car le plus souvent ils doivent tirer la charrue, ou bien traîner des véhicules lourds et fortement chargés. Il faudra donc que dans leur conformation tout indique la force, la puissance, plutôt que la vitesse des allures. Il n’est pas nécessaire que chez eux la disposition des régions permette des mouvements faciles et étendus, il faut, je le répète, que tout dans leur forme soit un indice certain de force motrice.

On doit donc rechercher chez le cheval de gros trait une encolure forte, surtout à la base, pour fournir au collier un point d’appui large et solide ; en outre, le garrot doit être bien sorti et large, parce qu’ainsi conformé il facilité l’action du muscle long dorsal destiné à produire la rigidité de la colonne vertébrale, condition indispensable pour que les efforts du tirage soient énergiques et efficaces. De plus, le dos et les reins doivent être courts pour que la colonne qu’ils forment soit moins exposée à se fléchir, et que, par conséquent, elle ait plus de résistance pour transmettre sur le collier la détente vigoureuse des membres postérieurs ; et comme cette même disposition du dos entraîne une étendue peu considérable de la poitrine dans le sens antéro-postérieur, il faut, pour obvier à ce désavantage, que cette région soit large, afin que l’étendue du diamètre transversal compense la brièveté du diamètre longitudinal. Une grande hauteur de la poitrine est toujours une qualité pour une raison tout-à-fait semblable, et parce qu’elle entraîne un grand développement de l’épaule et par suite une grande puissance musculaire de cette dernière région. Un poitrail large et bien musclé doit être recherché, car ainsi conformé il est toujours, sinon un indice de la largeur de la poitrine, tout au moins un signe certain de la grande puissance musculaire générale, parce que, par la musculature d’une région on peut toujours augurer de celle du corps tout entier, en vertu de l’harmonie de conformation qui ne manque presque jamais d’exister.

Le dos et les reins ne doivent pas seulement être courts, comme je l’ai déjà dit, ils doivent aussi être larges et bien musclés, et les muscles de ces deux régions, ceux, en un mot, qui forment les organes actifs de la colonne dorso-lombaire, devront être très développés, au point même de former une saillie des deux côtés de la ligne médiane du dos et des reins, de façon que cette ligne, au lieu de se dessiner en relief tranchant sur la partie médiane et supérieure du corps, présente comme une sorte de gouttière, dont les bords sont formés par les saillies musculaires dont il s’agit. La croupe doit aussi être développée dans tous les sens ; les muscles fessiers doivent être conformés d’une façon telle qu’ils donnent à la croupe la configuration que l’on désigne par l’épithète de double. Enfin, les membres doivent être développés principalement dans le sens de leur largeur ; ils se feront surtout remarquer par l’ampleur de leurs articulations.

Quant à la tête, lors même qu’elle serait un peu grosse et un peu longue, cela ne constituerait pas un grave défaut, pourvu toutefois qu’elle ne fût pas empâtée, de manière qu’il y eût confusion entre ses parties constituantes ; car, dans ce dernier cas, elle serait l’indice d’un tempérament trop lymphatique et indiquerait un animal mou. Cependant, il faut le dire, pour le service de gros trait même, une tête courte et large à sa base seulement n’est jamais à dédaigner, je dis même plus, on devrait la rechercher pour les raisons déjà données à propos des beautés absolues de la tête.

La France possède pour le service de gros trait plusieurs races importantes, parmi lesquelles se fait surtout remarquer la Boulonnaise que tous ses voisins et principalement les insulaires d’outre-Manche lui envient depuis longtemps. Le cheval Boulonnais, en effet, est très estimé et il doit l’être, parce qu’il possède une foule de qualités qui le rendent vraiment important. Sa taille varie de 1m 66 à 1m 70 ; il possède un corps et des membres énergiquement musclés, des articulations larges, des tendons bien détachés et irréprochables ; tout, en un mot, indique chez lui la vigueur et la puissance indispensables pour que le service de gros trait puisse être bien rempli.

Ce cheval a, dans sa grosse stature, quelque chose d’imposant qui le ferait de prime-abord considérer comme redoutable, si la douceur de sa physionomie ne venait de suite rassurer. Mais ce qu’il y a surtout de remarquable dans ce magnifique cheval, c’est la brièveté de la tête qui contraste avec la masse considérable de son corps ; il se distingue aussi par la parfaite confection de son pied, et bien que né dans le Nord, il n’a pas, comme les autres chevaux habitant le même climat que lui, la fâcheuse conformation que l’on désigne sous le nom de pied plat.

Ce que j’ai relaté dans cet opuscule résume d’une façon assez complète, à ce que je crois du moins, tout ce qui a trait à la beauté du cheval ; cependant, il est des particularités relatives aux robes et aux signes qu’elles présentent, qui sont assez souvent mises en ligne de compte. Je les ai laissées complètement de côté parce qu’elles n’ont pas une importance suffisante. Elles dépendent uniquement du goût de chacun, sans augmenter en rien les qualités physiques ou morales du cheval qui les possède. Pourvu qu’un animal ait une des conformations que j’ai indiquées, il remplira aussi bien que possible le service qu’on pourra exiger de lui, quelle que soit la couleur de sa robe et la disposition des épis ou autres particularités qu’elle présente.

N. Poitevin.