La Bande Cadet/Partie 2/Chapitre 30

E Dentu (tome IIp. 349-355).
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Deuxième partie


XXX

Le dénouement


Telle fut la fin du sanguinaire scélérat qui avait donné son nom à la bande Cadet.

On retrouva le lendemain, dans l’arrière-cour de la rue de la Rochefoucauld, cette chose hideuse que le Manchot y avait laissée : le corps d’un vieillard chauve, noué dans un sac qui était un bloc de glace.

Le concierge déclara que, dans la soirée, un homme dont le visage était enveloppé de linges et qui semblait marcher avec peine avait demandé le cordon bien avant minuit.

C’était Clément le Manchot qui avait cuvé sa débauche de tigre et qui allait se coucher.

Il nous resterait à dire ici ce que les autres chefs de la bande, la comtesse Marguerite, Samuel, Comayrol et le bon Jaffret firent cette nuit au rez-de-chaussée de la maison du docteur Lenoir, rue de Bondy, chez ce mystérieux personnage, M. Mora, que nous avons laissé dans l’ombre de parti pris et que Cadet-l’Amour disait être le colonel Bozzo, ancien Père-à-tous des Habits-Noirs, enterré au Père-Lachaise depuis des années, — mais cela ne regarde pas la bande Cadet.

La bande Cadet mourut avec son parrain, ce soir-là même.

C’est le prologue d’un autre drame, absolument distinct de celui-ci.

Le dénouement de notre présente histoire eut lieu à l’hôtel de Souzay même, dans le boudoir où les deux dames de Clare, Marguerite et Angèle, avaient eu leur entrevue.

C’était au moment où les agents fouillaient les massifs, à la recherche de l’assassin, et alors que le Manchot traînait encore son sinistre haquet sur la terre gelée avant de crocheter la porte du bout. Les événements, qui vous ont semblé peut-être lents sous notre plume, avaient marché vite, au contraire ; neuf heures n’étaient pas sonnées.

Dans le boudoir, le docteur Abel se penchait au-dessus du prétendu jeune homme assassiné dont il venait de reconnaître le sexe.

On avait retourné Clotilde, qui était maintenant étendue sur le tapis, la face en l’air.

Le docteur avait défendu, tant il la trouvait mal, qu’on la soulevât pour la porter sur un lit.

Auprès d’elle, Lirette et le prince Georges étaient agenouillés.

Le commissaire verbalisait dans la chambre de Mme la duchesse, dont la porte restait ouverte. Par l’autre porte, celle qui donnait sur le corridor, Albert entra, soutenu d’un côté par sa mère, de l’autre par Tardenois.

C’était le bruit de l’invasion qui l’avait éveillé. Il s’était levé tout seul et avait détaché lui-même les liens d’Angèle, revenue à la vie.

De ce qui s’était passé, il savait seulement ce qu’avaient pu lui apprendre les paroles entrecoupées de sanglots qui échappaient à la détresse de sa mère ; il ne se doutait de rien, à vrai dire, car la maison était tranquille quand il s’était endormi et des choses semblables ne se devinent pas.

Et pourtant, un pressentiment mortel lui opprimait le cœur.

Il ne pouvait ignorer, du moins, la ténébreuse bataille où sa famille était engagée ; il savait, et nous l’avons vu s’en indigner, que la poitrine de son frère avait été mise plusieurs fois entre lui et le danger.

Désormais, d’un mot il allait tout comprendre.

Et d’avance Angèle subissait les tourments de l’enfer.

À l’instant où la mère et le fils franchissaient le seuil, le docteur disait :

— Le cœur bat encore, il reste un souffle, mais il n’y a plus d’espoir.

— Qui donc a été frappé ? demanda Albert. Mon frère ? Est-ce mon frère qu’on a tué pour moi ?

Le silence lui répondit.

Il sentait sa mère chanceler au lieu de le soutenir.

La lumière de la lampe, démasquée par le mouvement du docteur qui se relevait, tomba sur le visage de Clotilde.

Albert ne la reconnut pas tout d’abord, car elle avait l’air d’un enfant avec ses cheveux coupés et ses habits d’homme.

Elle était merveilleusement belle sous sa pâleur de marbre.

Le pauvre vaillant sourire de défi qui restait autour de ses lèvres faisait admiration et pitié.

Albert se pencha en avant, la bouche et les yeux grands ouverts.

— Est-ce que ma raison est perdue ? dit-il.

Puis il prononça le nom de Clotilde et son corps fut pris d’un tremblement qui secoua le vieux Tardenois de la tête aux pieds.

— Abel ! appela Mme de Clare : au secours !

Et comme le docteur restait incliné au-dessus de la mourante, elle ajouta :

— Abel ! Abel ! ton fils se meurt !

— Elle va parler, dit le docteur, qui guettait le réveil de Clotilde.

Il se leva et vint vers Albert, qu’il prit aux mains de Tardenois pour l’entourer de ses bras. La duchesse s’était affaissée, mourante, sur un siège.

— C’est elle qui l’a tuée, n’est-ce pas ? demanda Albert en montrant du doigt la duchesse : qu’elle soit maudite !

Le docteur le baisa sur le front.

— Dieu te pardonnera cette parole et ta cruauté, dit-il, car tu t’en vas bien jeune, et tu as beaucoup souffert, mais n’accuse pas ta mère : son crime fut de n’aimer que toi !

Une voix faible fut entendue dans le profond silence.

Elle disait aussi :

— N’accusez pas votre mère qui voulait mourir pour vous !

C’était la blessée qui parlait.

Elle rouvrit les yeux, et son premier regard se baissa parce qu’il avait rencontré les larmes de Lirette, — mais elle dit, comme si elle eût voulu excuser ce mouvement.

— Petite amie, vous êtes maintenant une riche et noble demoiselle. C’est moi qui vous apporte votre héritage et j’en ai bien de la joie.

— Oh ! Clotilde chérie ! balbutia Lirette, vivez seulement pour que nous vous aimions tous à genoux !…

— Mon pauvre Clément, interrompit la mourante en prenant la main de Georges, c’est moi aussi qui t’apporte ta fortune et ton nom. J’ai été dure avec ta mère, mais je lui ai demandé pardon… Pourquoi pleures-tu ? Dieu est bon : qu’aurais-je fait sur la terre puisque vous vous aimez ?…

Elle souriait, le sourire des enfants et des anges. Sa tête s’était légèrement soulevée. Elle attira les mains réunies de Georges et de Lirette jusque sur son cœur et dit encore :

— Soyez bien heureux !

Sa tête retomba sur le tapis d’un mouvement doux et lent.

Elle était morte.

— Adieu, ma mère, dit Albert, je vais à elle.

Et il n’y eut plus rien que le cri déchirant d’Angèle, qui tomba foudroyée sur le corps de son fils adoré.

Ce fut près d’elle que le docteur Abel s’agenouilla.

— Enfants, dit-il à Georges et à Lirette, celle-ci est la vraie condamnée, car elle vivra…


FIN.