La Ballade du temps perdu

Éclairs et FuméeEditions Armorica Voir et modifier les données sur WikidataOeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 1 (p. 86-87).


LA BALLADE DU TEMPS PERDU


À Mme Jeanne Perdriel-Vaissière.


On fouille à chaque fin d’année
Parmi les cendres de son cœur,
Cherchant après toute flambée
Les vaines traces du bonheur.

Chaque jour, depuis notre enfance,
Marqué d’un caillou blanc ou noir,
Reflète en nous la survivance
Des mots d’amour, des mots d’espoir.

Je suis à la page vingt-trois
Du livre que Dieu me destine.
Le papier frémit sous mes doigts,
Un frisson court dans mon échine.

Pauvre livre dont la préface
Est un sourire de maman.
Mais, hélas ! tout passe, tout lasse.
Où donc es-tu, rire d’enfant ?

Ces humbles feuilles que j’ai lues
Annonçaient un cœur amoureux.
Pourquoi le soleil, sous les nues,
A-t-il blémi, le malheureux ?


J’aimais les fleurs, j’aimais les roses,
Les oiseaux, les parfums, les chants.
J’aurais adoré d’autres choses…
Et j’ai pleuré sur mes vingt ans !

Pleuré ? mais bien sûr en cachette…
Qui donc a su que j’ai souffert ?
Quand mes pareils étaient en fête,
Bravement, j’ai dressé la tête.
Qui donc a su que j’ai souffert ?
Que mon rire éclatait amer ?

Et si plusieurs ont pris ma main,
J’ai refusé leur douce obole,
La bonne amitié qui console,
Le regard qui fond le chagrin.
De tout mon cœur qui se désole,
J’ai fait le fou, j’ai fait le drôle.
Plus j’aimais, plus j’avais dédain.
Rire et souffrir, quel vilain rôle…

Envoi
Pourquoi donc, nature perverse,
M’as-tu fait craindre la pitié ?
Crois-tu que les larmes qu’on verse
Sont indignes de l’amitié ?
Ah ! si l’amour en ce bas monde
Ne chantait que de gais couplets,
S’il n’était qu’amours gentillets,
Notre cœur qui toujours abonde
En soupirs, en pleurs, en regrets,
Serait violon sans archet !