La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 143-146).

XVI


Élisabeth avait assisté à la messe à côté de son mari ; et, malgré son émotion profonde, elle l’avait souvent observé avec une attention inquiète, angoissée.

Elle comprenait que ce sublime dévouement devait exercer sur lui une séduction irrésistible : que toutes les brûlantes énergies de son âme héroïque s’étaient réveillées et — amère pensée — il lui semblait qu’il regrettait sa liberté.

En un sens, elle ne se trompait pas.

Lambert Closse enviait ceux qui couraient à l’ennemi. Même il avait instamment supplié Daulac de lui donner le temps de faire ses semences, s’engageant à en entraîner d’autres. Soit qu’il n’osât risquer le moindre retard, soit qu’il ne voulût pas perdre le commandement ou qu’il eût pitié d’Élisabeth dont l’extrême amour se trahissait à tous les regards, Daulac avait obstinément refusé d’attendre.

Des larmes avaient mouillé les yeux du major pendant que les jeunes gens prononçaient le redoutable serment. Il se rappelait qu’il n’était venu à Ville-Marie que pour se dévouer, que pour mourir, et souffrait de s’être pris au bonheur.

Comme les autres colons, il assista au départ. Longtemps son regard perçant suivit les canots ; puis il quitta la plage déserte, et, muet et sombre, prit avec sa femme le chemin de sa maison.

Son silence et sa tristesse oppressaient Élisabeth et l’intimidaient. Elle tenait à son amour plus qu’à sa vie : et la crainte qu’il l’aimât moins était pour elle la plus terrible, la plus insupportable des craintes.

Passé l’hôpital, le chemin qui conduisait à leur maison n’était plus qu’un large sentier ouvert en pleine forêt, et à l’entrée du bois, le major tendit la main à sa femme.

Elle la prit sans rien dire ; et, comme pour lui rappeler sa faiblesse, le besoin qu’elle avait de sa protection, elle appuya la tête contre son épaule. Il ne parut pas s’en apercevoir : et une grande envie de pleurer monta au cœur de la jeune femme.

Elle avait frayeur de ces grands bois : elle frissonnait quand elle voyait quelque sauvage en sortir, marchant sans bruit comme les chats. Et pourtant, elle aimait ce sentier solitaire que les aiguilles desséchées des sapins couvraient par places. Tant de fois elle y avait passé avec son mari alors tendre, épris, follement heureux. Si graves que fussent les circonstances, de chers et délicieux souvenirs lui revenaient. La terre qu’ils avaient foulée, où parfois le héros avait déposé ses armes pour la serrer contre son cœur, gardait pour elle quelque chose du charme de ces heures. Alors, songeait-elle, il m’appelait sa vie, son âme, sa lumière… et, maintenant, il voudrait aller mourir loin de moi. — Ah ! moi, pour lui épargner une souffrance, je laisserais crouler le monde entier.







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