Édouard Garand (17p. 52-53).

CHAPITRE X

FIANÇAILLES SOLENNELLES


Le lendemain, il y avait grand brouhaha au Beffroi, car, ce soir-là, on célébrait solennellement les fiançailles de Dolorès et Gaston, puis il y aurait un banquet. Le Docteur et Mme Carrol avaient promis d’assister à cette fête, et quand ils arrivèrent, dans le courant de l’après-midi, ils furent reçus… comme on était toujours reçu, chez les Fauvet.

Raymond Le Briel était allé chez lui, ce matin-là. Chacun se proposait de donner un cadeau à la fiancée, et Raymond, n’ayant pas le temps de faire venir quoi que ce fut de Montréal ou de Québec, avait résolu d’offrir à Dolorès un secrétaire antique d’une grande valeur, prétendait-on. Ce secrétaire étant à l’Eden, il était allé le chercher, promettant d’être de retour à temps.

À quatre heures de l’après-midi, chacune et chacun, au Beffroi monta dans sa chambre s’habiller pour la cérémonie, qui devait avoir lieu à cinq heures et demie précises. Pour la circonstance, Rose avait repassé et pressé la robe blanche de Dolorès et elle y avait posé de la dentelle fraîche et du ruban frais.

La fiancée de Gaston, entrée dans sa chambre, commençait à se dévêtir, quand Rose arriva, portant à la main un grand carton.

Mlle Dolorès, dit-elle, M. Fauvet désire que je surveille moi-même votre toilette, et il vous envoie ceci, ajouta-t-elle, en désignant le carton.

— Qu’est-ce ? demanda la jeune fille.

— Je ne sais pas, Mlle Dolorès.

Hâtivement, Dolorès coupa les ficelles attachant le carton, et aussitôt, un cri d’admiration s’échappa de sa poitrine ;

— Oh ! La belle, belle toilette ! Voyez donc, Rose !

Une riche toilette, combinaison de satin, de tulle et de dentelle, dont les légères draperies étaient retenues par de mignons boutons de roses en satin était dans le carton. Il y avait aussi des souliers blancs, des bas de soie blancs et des gants blancs, allant jusqu’au coude.

Quand Dolorès eut revêtu sa riche toilette, elle alla frapper à la porte de l’étude de Henri Fauvet, et ayant reçu l’ordre d’entrer, elle accourut vers son bienfaiteur et entourant son cou de ses bras, lui donna un baiser.

— Cher, cher, cher M. Fauvet ! s’écria-t-elle. Quelle belle surprise vous m’avez faite en me donnant cette magnifique toilette !

— Je suis content de t’avoir fait si grand plaisir, Dolorès, répondit Henri Fauvet.

— Mais comment avez-vous pu commander une si riche toilette, tout à fait à ma taille, et sans m’en parler ? Voyez : ma robe me fait comme si on avait pris mes mesures !

— Rien de plus facile, ma fille, puisque toi et Marcelle vous êtes de la même taille.

— En effet ! dit Dolorès.

— Tu comprends, Mme de Bienencour et Marcelle étaient du complot ; ce sont elles qui ont consulté les catalogues, choisi les modèles, et le reste, et puisque tu es satisfaite…

Quelqu’un frappait à la porte de l’étude.

— Entrez ! dit Henri Fauvet. Ah ! c’est toi, Gaston !

Le jeune homme, en entrant, eut une exclamation d’admiration, en apercevant sa fiancée.

— Dolorès ! Ô Dolorès ! Que vous êtes belle !

— Asseyez-vous, tous deux, dit Henri Fauvet ; j’ai à vous parler, mes enfants. Gaston, continua-t-il, tu sais, n’est-ce pas, que Dolorès n’a pas de dot ?

— Je le sais, M. Fauvet, répondit, en souriant, le jeune homme.

— M’étant consulté avec Marcelle à ce sujet, nous avons décidé que Dolorès devrait avoir une dot. Donc, le jour de votre mariage (qui est fixé au 15 octobre, je crois) ? je donnerai à… ma seconde fille la somme de dix mille dollars.

— Dix mille dollars ! s’écrièrent les fiancés.

— Oh ! M. Fauvet, s’écria Dolorès, comment pourrais-je accepter pareille somme ? Dix mille dollars ! Mais, c’est une fortune !

— M. Fauvet, fit Gaston, je n’ai jamais pensé que Dolorès aurait une dot… mes parents non plus, d’ailleurs, et, vraiment, je ne sais que vous dire pour…

— N’en parlons plus ! dit le père de Marcelle. Rendons-nous au salon, sans retard ; nos amis nous y attendent. Allons !

— Mais, M. Fauvet, insista Gaston, votre extraordinaire générosité…

— Ne t’ai-je pas demandé de n’en plus parler, Gaston ?… Tiens, voilà Marcelle qui s’en vient nous chercher !

Dolorès accourut au-devant de son amie et lui donna un baiser.

— Marcelle ! Marcelle ! s’exclama-t-elle, M. Fauvet vient de nous dire… La dot, tu sais…

— Chère Dolorès ! répondit Marcelle. N’es-tu pas ma sœur ?… Mais, venez tous ; il est déjà cinq heures et quart, et on demande la fiancée à grands cris, ajouta-t-elle, en riant.

— Je suis de l’opinion de mon ami de Bienencour, Mlle Marcelle, dit Gaston, en souriant : vous êtes un ange.

C’est au bras de Henri Fauvet que Dolorès fit son entrée dans le salon. Tous vinrent à sa rencontre ; n’était elle pas l’héroïne de la fête ?

Yolande se mit au piano et joua une marche triomphale, puis la porte du salon s’ouvrit et V. P. annonça ;

— Le Révérend Père Lamaître !

Ce fut une grande et agréable surprise ! Le père Lamaître, qui demeurait à C…, avait été invité par Henri Fauvet, sans que celui-ci en eut soufflé mot à qui que ce fut.

La présence du prêtre donnait aux fiançailles un caractère de solennité ; c’est lui qui bénit les fiancés, il bénit aussi l’anneau de fiançailles que Gaston passa au doigt de Dolorès, en la présence de tous.

Après cette courte mais impressionnante cérémonie, Dolorès fut conduite à l’une des extrémités du salon où, installés artistement sur une table, étaient les cadeaux de chacun. Oui, tous avaient voulu offrir à la fiancée un souvenir de ce beau jour : Henri Fauvet, Mme de Bienencour, le Docteur et Mme Carrol, Marcelle, Olga, Wanda, Yolande, Jeannine, Gaétan, Raymond, Karl, Fred, Réal et Léon.

Des larmes coulaient sur les joues de Dolorès, qui ne pouvait que balbutier :

— Merci, mes amis ! Ô mes amis, merci !

Le banquet, présidé par le Révérend Père Lamaître, fut splendide. Mme Emmanuel s’était vraiment surpassée, en cette occasion, dans la confection des mets abondants, succulents, délicats et exquis.

On demanda au prêtre d’adresser la parole, ce qu’il fit, sans se faire prier, et comme il était très éloquent et qu’il possédait un tour d’esprit fort original, son discours fut grandement applaudi et apprécié de tous.

Après le banquet, il y eut un peu de musique et de chant. À neuf heures, le Père Lemaître dit adieu à tous et retourna à C…

— Marcelle, murmura Gaétan, au moment où chacun se retirait pour la nuit, à quand notre tour ?… Quand me donnerez-vous le droit de vous appeler ma fiancée devant le monde entier ?

— Je ne sais… répondit Marcelle, rougissant et baissant les yeux.

— Chère bien-aimée, me permettez-vous de parler à votre père bientôt ?

Marcelle ouvrait la bouche pour répondre, quand Iris Claudier dit, tout près d’elle :

Mlle Fauvet, Mme de Bienencour demande que vous vous rendiez dans sa chambre, avant de vous retirer pour la nuit ; elle désire vous parler.

— Bien, Mlle Claudier, j’y vais, répondit Marcelle. Bonne nuit, M. de Biennencour, ajouta-t-elle, en tendant la main à Gaétan.

— Quand reprendrons-nous cette conversation. Marcelle, belle Étoile du Nord ? demanda le jeune homme. Demain ?…

— Oui, demain, répondit-elle, en souriant.

Demain ?… Il ne ment que rarement pourtant le proverbe qui dit : « Ne remettez jamais au lendemain ce que vous pouvez faire le jour même ».


FIN DE LA TROISIÈME PARTIE