L’interprétation de Versailles dans la littérature contemporaine/02

L’interprétation de Versailles dans la littérature contemporaine
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L’INTERPRÉTATION DE VERSAILLES
dans la Littérature contemporaine

(Fin.)

III

Le Parc de Le Nôtre aurait dû inspirer les impassibles parnassiens, qui aimaient les lignes pures, solennelles et immuables. Cependant, ils s’en inspirèrent peu. Les événements historiques qui se déroulèrent dans l’ancienne ville royale retinrent seuls l’attention de quelques-uns d’entre eux. Le couronnement du roi de Prusse arrache à Théodore de Banville un ardent poème vengeur, dont voici quelques strophes :

Versailles regarde la route,
Muet et se sentant frémir,
Et son peuple de marbre écoute
Les voix des fontaines gémir.

Maître des palais et des bouges,
Le roi Guillaume sort coiffé
D’une casquette à galons rouges.
Il est simple, ayant triomphé.

À travers la campagne verte,
Il passe d’un air indulgent,
Dans sa calèche découverte,
Entre deux cuirassiers d’argent.

Haïssant la lâcheté vile
Et mal instruits aux trahisons,
Tous les habitants de la ville
Sont enfermés dans leurs maisons.

Et sur toi, dans les maisons closes,
Sans lumière sous leurs murs blancs,
France des épis et des roses,
On verse des larmes de sang.


Et l’on entend sous les murailles,
Qui déjà tressaillent d’espoir,
Cet absurde bruit de ferraille
Déchirer le silence noir[1].

Novembre 1870.

Plus tard, lors de la visite du tsar de Russie, Sully-Prudhomme réveilla en son honneur la Nymphe des Bois de Versailles, — tel est le titre de son ode.

Enfin, le peintre-graveur Marcelin Desboutins, poète à ses heures, rima sur Versailles un long poème aux allures d’épopée romantique. Ce poème a été publié, après la mort de l’artiste, par la revue Versailles illustré[2].

Mais ce fut aux poètes de la génération suivante, ceux qui reçurent l’enseignement de Stéphane Mallarmé et qui se groupèrent un moment sous le nom de symbolistes, qu’il appartint de dégager toute l’incomparable beauté des jardins de Versailles, et tout le trésor d’art, d’émotion et de sentiments qu’ils contiennent.

D’ailleurs, ils étaient singulièrement prédisposés à goûter cette beauté et à ressentir cette émotion. Deux influences s’étaient exercées sur leur formation esthétique : celle des préraphaëlites anglais et celle de la légende wagnérienne. Tous, et leurs premiers vers en font foi, étaient ardemment épris des figures troublantes et séraphiques, virginales et sensuelles à la fois, de Burnes Jones et de Dante-Gabriel Rossetti, aussi bien que d’Elsa et d’Isolde. Tous berçaient leur inspiration dans un rêve orgueilleux, sans cesse évadé de la vie commune. Un seul d’entre eux, le plus puissant peut-être, Émile Verhaeren, devait plus tard s’éprendre des tumultes modernes.

À de tels rêves, à de telles muses, il fallait quelque décor fabuleux, un parc presque irréel à force de magnificence. Ce parc, ils n’eurent pas de peine à le découvrir.

Stéphane Mallarmé, leur maître, était le causeur le plus exquis, le théoricien le plus séduisant que l’on eût jamais entendu. Ses réunions hebdomadaires étaient suivies avec une dévotion toute religieuse par les poètes de la nouvelle pléiade. Son œuvre était infiniment rare et précieuse ; elle l’était de toutes manières, et elle en acquérait plus de prestige. Quelques-uns de ses poèmes étaient accessibles dans leur signification verbale, la plupart n’y prétendaient point ; mais la subtilité de leurs images et de leur rythme créait des suggestions jusqu’alors inconnues.

Un autre guide partageait avec Mallarmé la vénération de la jeune école : le tendre Verlaine, dont la chanson était triste et douce comme la plainte d’un enfant bercé. Ses Fêtes galantes semblaient avoir emprunté à Trianon toute leur grâce patricienne et délicieusement surannée.

Et ces poètes nouveaux furent par excellence les poètes de Versailles.

M. Victor Margueritte comptait parmi les plus assidus des familiers de Stéphane Mallarmé, à qui il dédia son premier recueil de vers, le Parc enchanté, tout entier inspiré par Versailles. Après cet heureux début, M. Victor Margueritte, officier de cavalerie, se tint longtemps éloigné de la littérature, tandis que son frère Paul y conquérait une brillante célébrité. Il revint ensuite aux lettres et poursuivit avec succès la carrière de romancier que nous avons rappelée tout à l’heure.

Le Parc enchanté, recueil d’une trentaine de poèmes, a été réédité depuis dans le volume : Au fil de l’heure. Et, bien qu’il s’agisse d’un livre de jeunesse, certains de ces poèmes sont des descriptions vivantes et colorées :

LE PARTERRE D’EAU

Un souffle dont au loin s’émeuvent les feuillages
Plisse le ciel dormant sur le Parterre d’eau.
Les ondes du miroir font flotter par lambeaux
Les dais de satin clair aux bouquets de nuages.

Pourtant, rien n’a bougé dans le grand paysage.
Sous l’or brumeux du soir s’estompent les coteaux ;
L’azur suspend toujours au-dessus du Château
Son immobile dais aux bouquets de nuages.

Et sur l’eau mate des bassins frissonne encor
Avec le ciel flottant tout l’immense décor ;
Puis l’étale miroir s’aplanît peu à peu.

Heure sereine ! Au loin s’apaisent les feuillages,
L’Âme se sent pareille à ce parterre bleu,
Séculaire miroir de fragiles images.


LE JARDIN DU ROI

Le coin que je préfère est le Jardin du Roi.
Une pelouse, et çà et là, dans l’herbe drue,
De grands arbres d’où tombe une paix inconnue,
Nul portique pompeux sur un feuillage droit.

Mais de l’herbe et des fleurs, le silence d’un bois,
La terre qui embaume ainsi qu’une chair nue
Et la sensation de l’heure continue
Du temps qui meurt et ressuscite autour de moi.

Comme le soir est doux, l’ombre tiède et vivante !
Et dire que jadis une nappe mouvante
À la place où je suis étendait son niveau !

Sur le Jardin du Roi flottait l’Isle Royale ;
Au lieu d’herbe ondulaient des plantes estivales,
Et les gerbes de fleurs étaient des gerbes d’eau.


LA MÉNAGERIE

Un pavillon croulant au bord d’une prairie ;
Des escaliers où l’herbe entre les dalles pousse,
Et le lierre noir, le lichen et la mousse,
Le long des anciens murs de la Ménagerie.

Le Grand-Canal étend son parterre d’eau rousse,
Et Trianon, dans sa pompeuse symétrie,
Face à face, découpe au loin la rêverie
De son fantôme blanc sous la lumière douce.

Les salons où vécut Madame la Dauphine,
Les cours pleines d’oiseaux et de bêtes sauvages,
C’est aujourd’hui du vent, du songe et des ruines.

Et le ciel nuancé de turquoise et d’orange
Plane seul à la place où les paons fabuleux
Rouaient des astres d’or sur leurs éventails bleus.


LA COLONNADE

Matins tièdes où bruissait la Colonnade !
Et le murmure frais jailli du cercle d’eaux,
Les feuillages mouvant leur paisible rideau,
Les petits cris, la chair peureuse des naïades…

Frissonnants au soleil, des seins de neige, un dos,
Roses, étincelaient sous la blanche cascade.
Elles faisaient surgir un temple des arcades,
Leurs corps étant divins à force d’être beaux.


Ainsi dans la clarté s’ébattaient les baigneuses ;
Des regards et du jour qui monte dédaigneuses,
Leurs jupes sur le sol plaquaient de grandes fleurs.

Et toutes au désir d’un dieu qui les enlève,
Elles riaient de voir, marbre nu de leur rêve,
Proserpine se tordre au bras du ravisseur[3].

Albert Samain fut l’un des poètes les plus parfaits de cette époque. Il avait pour Versailles une prédilection particulière. Durant les dernières années de sa vie, il habitait tout près de sa ville préférée, à Magny-les-Hameaux, au seuil de Port-Royal ; il y mourut à quarante ans, le 29 août 1900.

Son poème Versailles[4] semble en avoir inspiré beaucoup d’autres, qui le rappellent sans l’égaler :

i

Ô Versailles, par cette après-midi fanée,
Pourquoi ton souvenir m’obsède-t-il ainsi ?
Les ardeurs de l’été s’éloignent, et voici
Que s’incline vers nous la saison surannée.

Je veux revoir au long d’une calme journée
Tes eaux glauques que jonche un feuillage roussi
Et respirer encore, un soir d’or adouci
Ta beauté plus touchante au déclin de l’année.

Voici tes ifs en cône et tes tritons joufflus,
Tes jardins composés où Louis ne vient plus
Et ta pompe arborant les plumes et les casques.

Comme un grand lys tu meurs, noble et triste, sans bruit
Et ton onde épuisée au bord moisi des vasques
S’écoule, douce ainsi qu’un sanglot dans la nuit.


ii

Grand air. Urbanité des façons anciennes.
Haut cérémonial. Révérences sans fin.
Créqui, Fronsac, beaux noms chatoyants de satin.
Mains ducales dans les vieilles valenciennes,

Mains royales sur les épinettes. Antiennes
Des évêques devant Monseigneur le Dauphin.
Gestes de menuet et cœurs de biscuit fin ;
Et ces grâces que l’on disait autrichiennes…

Princesses de sang bleu, dont l’âme d’apparat,
Des siècles, au plus pur des castes macéra.
Grands seigneurs pailletés d’esprit. Marquis de sèvres.

Tout un monde galant, vif, brave, exquis et fou,
Avec sa fine épée en verrouil, et surtout
Ce mépris de la mort, comme une fleur, aux lèvres !


iii

Mes pas ont suscité les prestiges enfuis.
Ô psyché de vieux saxe où le Passé se mire…
C’est ici que la reine, en écoutant Zémire,
Rêveuse, s’éventait dans la tiédeur des nuits.

Ô visions : paniers, poudre et mouches ; et puis,
Léger comme un parfum, joli comme un sourire,
C’est cet air vieille France ici que tout respire ;
Et toujours cette odeur pénétrante des buis…

Mais ce qui prend mon cœur d’une étreinte infinie,
Aux rayons d’un long soir dorant son agonie,
C’est ce Grand-Trianon solitaire et royal,

Et son perron désert où l’automne, si douce,
Laisse pendre, en rêvant, sa chevelure rousse
Sur l’eau divinement triste du grand canal.


iv

Le bosquet de Vertumne est délaissé des Grâces.
Cette ombre qui, de marbre en marbre gémissant,
Se traîne et se retient d’un beau bras languissant,
Hélas ! c’est le Génie en deuil des vieilles races !

Ô Palais, horizon suprême de terrasses,
Un peu de vos beautés coule dans notre sang ;
Et c’est ce qui vous donne un indicible accent,
Quand un couchant sublime illumine vos glaces !

Gloires dont tant de jours vous fûtes le décor.
Âmes étincelantes sous les lustres. Soirs d’or.
Versailles… Mais déjà s’amasse la nuit sombre,

Et mon cœur tout à coup se serre, car j’entends,
Comme un bélier sinistre aux murailles du temps,
Toujours, le grand bruit sourd de ces flots noirs dans l’ombre

Octobre 1894.

Après Albert Samain vint M. Henri de Régnier. L’un et l’autre avaient collaboré aux jeunes revues dont la publication marqua l’avènement du mouvement symboliste : la Revue Indépendante, la Vogue, les Écrits pour l’Art, la Plume, le Mercure de France. Mallarmé, Verlaine et Samain ayant disparu tour à tour, M. Henri de Régnier ne tarda pas à partager avec Jean Moréas la toute première place parmi les jeunes poètes. Il fut entre tous le chantre des sylvains et des dryades, des vieux parcs et des fontaines. Il devait donc aimer Versailles : ce fut en effet Versailles qui retint sans cesse son inspiration. Après en avoir maintes fois célébré la magnificence, il lui consacra un recueil de poèmes qu’il nomma, selon un mot de Michelet, la Cité des Eaux[5].

Voici la belle invocation qui ouvre la Cité des Eaux :

SALUT À VERSAILLES

Celui dont l’âme est triste et qui porte à l’automne
Son cœur brûlant encor des cendres de l’été
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.

Car ce qu’il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l’écho qui toujours le devance,
Ce qu’il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n’est pas

Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux ;

Il ne demande pas qu’y passe ou qu’y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l’astre et le soleil de ces augustes lieux.

Ce qu’il veut, c’est le calme et c’est la solitude,
La perspective avec l’allée et l’escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l’altitude
De l’if pyramidal auprès du buis taillé ;

La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour,
Et ce parfum de soir et cette odeur d’automne
Qui s’exhalent de l’ombre avec la fin du jour.


Ô toi que l’aube effraie, ô toi qui crains l’aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d’airain.

C’est là que l’homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l’horizon ;
Mais toi, dont le désir n’apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,

Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu’elle plie,
L’épaule, et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie,
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.


L’onde ne chante plus en tes mille fontaines,
Ô Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois !
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l’ornaient autrefois !

La nymphe qui parlait par ta bouche s’est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t’es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.

Tes bassins endormis à l’ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l’oubli.
Et leur tain qui s’encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d’aujourd’hui.

Qu’importe ! ce n’est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ;
Et je ne monte pas les marches de l’histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.

Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.

Que m’importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu’en son bronze aride, un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,

Pourvu que, faible, basse, et dans l’ombre incertaine,
Du fond d’un vert bosquet qu’elle a pris pour tombeau,
J’entende longuement ta dernière fontaine,
Ô Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux !

L’inspiration de M. Ernest Raynaud est très parente e celles de Régnier et de Samain ; c’est de la même manière qu’il comprend Versailles et qu’il en célèbre la beauté. Le Versailles de M. Ernest Raynaud est, comme celui de Samain, une suite de quatre sonnets. Il est d’ailleurs à remarquer que les poètes, même les plus épris de la formule moderne du vers libre, ont employé de préférence la coupe régulière et classique du sonnet lorsqu’ils ont évoqué Versailles.

VERSAILLES[6]
i

Le soir, où traîne éparse au vent l’âme des roses,
Baigne d’or le feuillage et les lointains flottants.
Le faîte du Palais s’éclaire de feux roses.
Une vitre frappée en a frémi longtemps.

La Gloire fatiguée du marbre se repose.
Mais, troublant le silence, il semble par instants
Qu’à travers les massifs où pleure quelque chose,
Un long sanglot d’adieu s’élève des étangs.

Tant de pompe étalée à l’ombre de la feuille
Par ce lent crépuscule humblement se recueille.
La dernière lueur agonise aux vitraux,

Et l’importune nuit, hâtant l’œuvre du lierre,
Des eaux venue, efface, en montant sur la pierre,
L’image de la Grâce et le nom des héros.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

iii

L’air est tiède. Un soleil joyeux joue à travers
Les vieux ormes touffus, et, la tête inclinée,
La déesse regarde à ses seins découverts
Une dentelle d’or et d’ombre promenée.

Sur son épaule nue ont pleuré tant d’hivers
Que, par endroits, sa pierre en est toute écornée ;
Sa cuisse lutte en vain contre une herbe obstinée,
Sa guirlande effondrée emplit les gazons verts.

Mais les fleurs, que le vent mêle à sa chevelure,
Le bruit des nids, le frais parfum de la ramure,
Le soleil, la chanson de l’eau sur les graviers,


Tout s’emploie à lui faire oublier son dommage,
Et, comme pour lui rendre un plus sensible hommage,
Deux pigeons amoureux se baisent à ses pieds.

Le comte Robert de Montesquiou-Fezensac a longtemps habité Versailles. Le retentissement de ses premières œuvres fut considérable : la forme très nouvelle et très savante du vers, l’étrange sonorité des allitérations, la préciosité complexe des idées et des images, la richesse et la variété de la syntaxe, concoururent à classer l’auteur des Chauves-Souris parmi les novateurs les plus hardis et parfois les plus heureux. Versailles lui a inspiré un recueil de quatre-vingt-treize sonnets, les Perles rouges[7], et c’est lorsque le poëte a chanté Versailles, que ses brillantes qualités ont trouvé leur plus parfaite expression.

PERLES ROUGES

Mes vers ont reflété votre Miroir, ô vasques
Dont l’orbe s’arrondit tel qu’un clair bouclier ;
Vos Glaces, Galerie, où rien n’ose oublier,
Et dont le cœur est plein de plumes et de casques,

Tous les paniers géants, les justaucorps à basques
Dans ce double cristal vont se multiplier ;
Et des perles en pleurs, des larmes en collier
Roulent au bord des yeux, lorsque tombent les masques.

En vain le Temps est rude, et le Ciel est changeant ;
Le grand Louis, qui fut notre Grand Alexandre,
Dans le soleil couchant, tous les soirs, vient descendre…

Et rougir et pâlir, en l’or, et sur l’argent
Que ces rangs, alternés de pourpre et de grisailles,
Font, tour à tour, neiger, et saigner, sur Versailles.


PEINTRE DU ROY

Portraitiste attitré du vieux Versailles, Lobre,
J’aime à m’entretenir avec vous de ses maux ;
Dans ses bergers de pierre aux muets chalumeaux,
De ses rois, de ses dieux que ronge un morne opprobre.

Nous nous promènerons, un triste et riche octobre,
Sous l’abri blondissant des charmilles d’ormeaux ;
Et nous regarderons, en somptueux émaux,
Le parc agoniser d’un geste auguste et sobre.

La première à s’enfuir est l’âme des tilleuls.
Ils brodent sur les eaux l’or vivant des linceuls
Dont la pompe funèbre automnale se feutre.

Les marbres sont souillés, les arbres sont rouillés ;
Et d’un étrange élan énigmatique et neutre,
Eux-mêmes, les Tritons se sont agenouillés.

Au début du xxe siècle, Versailles attire et retient tous les poètes. Beaucoup y cherchent non plus une passagère sensation d’art, de mélancolie ou d’émerveillement, mais un enseignement, une véritable formation intellectuelle et mentale.

Tel est M. Paul Souchon.


À VERSAILLES[8]

Ô Versailles, par toi j’ai compris la beauté
De cette Île-de-France où se plaît la clarté.
J’ai vu tes pièces d’eau s’emplir d’une lumière
Vaporeuse et j’ai vu descendre tout entière

La grande paix du soir sur tes bois dépouillés.
L’Automne avait jeté sa gloire sous mes pieds ;
J’allais, foulant le marbre ou bien l’herbe royale,
Incertain si dans l’ombre une figure pâle,

Déesse, reine ou dieu, ne m’avait appelé.
L’amer parfum des buis dans l’air était mêlé
Au silence des eaux, des arbres, du ciel blême,

Et je chantais, strophe après strophe, le poème
Que ces ondes, ce ciel, ces cyprès et ces buis
Déroulent devant toi, blanc palais de Louis.

M. André Foulon de Vaulx, le plus tendre peut-être et le plus mélancolique des amants de Versailles, a écouté les voix des fontaines, et médité à l’ombre des voûtes augustes du Parc. Nul n’a plus noblement que lui ressenti l’émotion qui s’en dégage. Sous l’inspiration de Versailles, il a écrit la plupart des poèmes qui composent ses volumes : l’Allée du Silence, la Fontaine de Diane, la Statue mutilée[9].

AUTOMNE DANS LE PARC

Une brume de cendre argentée a couvert
Les grands bois effeuillés où s’attriste l’Automne ;
Le sommeil engourdit le bassin de Latone,
La solitude rampe au bord du Tapis-Vert.

Le vieux Parc, dédaigneux de toute fantaisie,
Suivant d’amples dessins rectilignes planté,
Étire avec ennui sa grave majesté
Dont le déclin se vêt de tant de poésie.

On avance à pas lents dans une oasis d’art
Où les vaines rumeurs des foules se sont tues.
De leur socle de pierre émergent des statues :
Nous évoquons Coustou, Coysevox et Mansart.

Comme dans une nef, à travers les verrières,
Les rayons du soleil pénètrent par endroits ;
Et des arbres, pareils à de hauts piliers droits,
On dirait qu’il descend un conseil de prières.

Nous aimons le frisson de ces âges passés,
L’or du soleil jouant sur l’or des feuilles jaunes,
Le regard indulgent des Termes et des Faunes
Dont le temps a poli les rires grimacés.

Ces maîtres d’autrefois que notre amour vénèree
Errent par les beaux soirs au fond des bois touffus,
Robustes et vivants, et pareils à ces fûts
Cambrant avec fierté leur orgueil centenaire.

Là, s’épure l’amour devant tant de grandeur ;
Et nous rêvons qu’après la mort on nous enterre
Au pied d’un dieu sylvain qui songe solitaire
Et dont l’âge ennoblit l’immobile splendeur.

Nous rêvons qu’on nous rende à l’ombre maternelle
De ce Parc, où bruit le vol de nos aveux,
Quand nos deux âmes sœurs, jetant leurs derniers feux,
S’éteindront à jamais dans la nuit éternelle.

Que tout ce qui fut nous demeure enseveli
En un coin de ce Parc où personne ne passe,
Plus perdu que le plus faible point de l’espace,
Sous un tombeau muré de silence et d’oubli.

(L’Allée du Silence.)
TRIANON D’AVRIL

Quand l’aube a nuancé de ses roses pâleurs
La verdure qui mousse à la cime des arbres,
Trianon sent l’avril ranimer ses vieux marbres
Et rit de s’éveiller dans un printemps de fleurs.

Sa beauté s’enlumine encor de la rosée
Que le frais du matin sur l’herbe vient figer.
Comme en un souple corps, dans ce cadre léger,
L’âme du temps jadis revit, subtilisée.

Toute surprise aussi de ce vernal éveil,
De gouttelettes d’eau la pelouse gemmée
Étale sa splendeur, telle une femme aimée,
Et livre sa jeunesse aux baisers du soleil.

Une poussière d’or danse sur la terrasse,
Et la vierge qui passe en ouvrant son œil clair,
Buvant l’amour dans la transparence de l’air,
Sourit à ce décor de lumière et de grâce.

Trianon est toujours le temple du passé.
Une odeur d’autrefois dans les chambres persiste ;
Les meubles de bois blanc ont une douceur triste
En tendant au passant leur satin effacé.

Le lent travail du temps fend les biscuits de Sèvres,
Acidule la voix grêle du clavecin,
Et sur les pastels gris dont se perd le dessin,
Pâlit le bleu des yeux et le rose des lèvres.

Une mélancolie afflige Trianon
De n’ouïr plus jamais l’âme de l’épinette
Chanter sous les doigts fins de Marie-Antoinette
Dont Lamballe plissait le fichu de linon.

Et désormais au Parc désert, par les allées
Où la Reine à Fersen venait parfois rêvant,
On entend sangloter dans la plainte du vent
Le charme douloureux des choses en allées…

(La Statue mutilée.)

M. Fernand Gregh, dans son Versailles d’Automne, trouve encore des accents noblement émus pour célébrer la majesté dolente du Parc aux feuilles mortes :

Dans les rameaux mouillés qu’un souffle tiède essuie,
S’entend un monotone et frais ruissellement,
Bruit de feuilles tombant continuellement,
Bruit de feuilles pareil à celui de la pluie.

… Vol d’une chose d’or parmi le soleil blond,
Sans qu’on sache si c’est des oiseaux ou des feuilles.
Passage, aux cris aigus, d’hirondelles, parfois
Glauque sommeil herbeux d’un bassin dans les bois,
Grand silence où, mon âme, enfin tu te recueilles[10] !…

Et voici la comtesse de Noailles, avec son lyrisme magnifiquement exalté. Mme de Noailles nous est venu du lumineux Orient : c’est en Roumanie que, tout enfant, elle s’était passionnée pour la plus haute culture française. Et comme elle a senti la splendeur sereine des paysages de France, comme elle a senti Versailles ! Le frémissement de son être se confond délicieusement avec les frémissements de la nature. Ses chants sont comme le cri joyeux de la nature en fête. Ce qu’elle découvrira à Versailles, ce qu’elle découvre partout où passe son âme émerveillée, c’est un éblouissement de joie ardente…

VERSAILLES[11]

Au centre du profond et du secret palais,
Quand parfois en juillet on ouvre les volets,
L’air, chargé des parfums que les brises entraînent,
S’élance, Éros joyeux, dans les chambres des reines,
Et, comme on éveillait la Belle au bois dormant,
Met des baisers d’azur sur ce délaissement…
Alors, ce qui dans l’ombre et dans l’oubli repose
Reprend son clair parfum et sa rondeur de rose,
Tout ce qui fut chargé de soie et de couleurs
Sent revivre sa grâce et ses secrètes fleurs.
— Immense chevelure experte et délicate,
L’or sur la boiserie afflue, ondule, éclate ;
La cornemuse, un jet d’églantine, un râteau,
Un beau dauphin gonflé qui fait jaillir de l’eau,
Suspendent leur divin dessin à la muraille :
Or plus tendre que l’ambre heureux ou que la paille !
Et voici qu’un rayon de soleil vif et doux
Allume brusquement le parquet de miel roux
Dans la chambre ou marchait Madame Adélaïde…
Ah ! comme l’air est las, comme le monde est vide,
Comme la jeune aurore a perdu ses amants,
Depuis que tous ces fronts frivoles et charmants,

Accourus à l’appel de la funèbre chasse,
Ont quitté la maison, le parc et la terrasse !
Hélas ! les eaux, les bois semblent disgraciés…
Qu’importe, beaux massifs, que vous refleurissiez ?
Vous ne rendez jamais, si clair que le jour naisse,
Au tendre Trianon sa luisante jeunesse ;
Les brillants orangers, d’un vert vif et verni,
Ne peuvent empêcher que le temps soit fini
Où le parterre ardent riait sous ses corbeilles,
Où les femmes étaient de vivantes corbeilles
Et leurs cheveux, la source au reflet argentin ;
Le temps où, quand sonnait neuf heures du matin,
On voyait sur un banc, tenant un bol de crème,
Cette enfant qui sera duchesse d’Angoulême ;
Le temps où, quand le soir semble soudain trop doux,
Si bien qu’un corps charmant étouffe tout à coup,
La reine brusquement entr’ouvrait sa fenêtre
Et, voyant s’obscurcir la nuit qui vient de naître,
Entendait frissonner la rose et le lézard,
Chantant pour soi des airs que lui montra Mozart,
Rêvait à des amours secrètes et sereines…


LE ROSSIGNOL DANS LE JARDIN DU ROI

Ah ! comme tu t’émeus, t’énerves et tressailles,
Vertigineuse nuit des jardins de Versailles !
Les larmes de mon cœur, montant comme un jet d’eau,
Semblent jaillir soudain du gosier d’un oiseau.
— Rossignol qui chantez dans le léger cytise,
Flambeau mélodieux que le vent doux attise,
Je remets ma douleur à vos divins accents.
Soupirez pour mon cœur, sanglotez pour mon sang !
Vous chantez cette nuit au-dessus du parterre
Où des rosiers, gonflés d’un solennel mystère,
Menés par quelque dieu des jardins et des eaux,
Au son de je ne sais quels cristallins pipeaux,
Forment une amoureuse et langoureuse ronde
Et semblent reliés par leur odeur profonde…
Ô lune ! ô banc de pierre ! ô vase de granit !
Romantique douceur, désespoir infini !
Et pourtant le bonheur est là, qui se repose
Dans le parc alangui, dans ce salon des roses !
… Hélas ! tous ces rosiers, comme ils viennent sur moi,
Par leurs soupirs, par leur parfum, par leur émoi.
Je les vois dans la nuit, en cercle, autour de l’urne.
La nuit semble expansive et pourtant taciturne.

Ah ! ce bouquet de fleurs pour un seul frêle tronc,
Cinquante fleurs sur un rosier chétif et rond ;
Sous ce poids éperdu tout l’arbuste succombe
Comme la volupté nous courbe sur la tombe !

Écoutons le suprême salut d’un poète qui va mourir… La Grande Guerre éclate. Robert d’Humières, l’auteur du Désir aux Destinées, le traducteur de Rudyard Kipling, part rejoindre son escadron. Ses pressentiments ne le trompent pas : il sait qu’il sera tué quelques semaines plus tard. Sa dernière pensée lyrique est pour Versailles qu’il aime, et rien n’est plus émouvant que ce fier testament d’artiste…


L’ADIEU À VERSAILLES
i

J’emplis de vous mes yeux, marbres, eaux, nobles lignes
Menant à l’Infini le cortège royal
Des plus beaux de mes vœux, comme nagent vos cygnes
Vers la gloire où descend l’astre immémorial ;

J’emplis de vous ces yeux aveugles qu’un dieu rouvre,
Lumière, ombres, reflets, prisme agile, ors éteints
Des vieux plombs, lichens roux, du socle au tronc du rouvre
Nouant votre arabesque et scellant vos butins ;

Noirs bronzes avivés à la tempe ou la gorge
D’un diamant de jour ; pourpre éparse aux degrés
Tachant le marbre blond, feu transparu des forges
Du Cyclope dont la Vénus sourit auprès ;

J’abreuve en vous mes sens impénitents, royaumes
Des murmures profonds, des poignantes odeurs —
Buis, rose, orange, lys, trophée ardent d’arômes —
Doux râle d’eau captive, orgue des vents rôdeurs !

Vous aviez beau m’avoir, dès l’aube adolescente
Où j’épelais l’amour au flanc nu de vos dieux,
Soufflé dans mes cheveux de petit corybante
Vos grands apaisements miséricordieux,

Calmé tous mes tourments, rythmé tous mes délires,
Haussé divinement d’un geste jamais las
L’offrande de mon cœur infime entre vos lyres.
Je ne vous savais pas, je ne vous aimais pas !


Jardin de mon pays, temple élu de ma race,
Jardin de mes vertus et de ma volupté,
Il fallait le clairon, le tumulte du Thrace,
L’ombre d’un oiseau noir au ciel de ton été,

Pour savoir et sentir qu’en ta paix menacée
Le Barbare attendait au bien de mon souci
Le plus cher, fibre vive avant le fer blessée —
C’est toi, Mort, le héraut des Sésames d’ici !

ii

Salut, Mort, qui fais vivre et palpiter les pierres
Et jaillir un trésor de chaque morne bloc,
Attiseuse de feux, brasseuse de lumières,
L’être se tend à toi comme la glèbe au soc ;

Ô Mort, artiste unique, ô féconde en miracle,
Quand au cadran du temps tu promènes ta faulx,
Chaque moment touché devient un tabernacle
Riche d’extase vierge et de rayons nouveaux ;

Et tu fais rayonner jusque sur le visage
Du défaillant Amour, sous le masque de chair,
Ton grand sourire obscur, et véridique, et sage,
Au baiser du départ sublimement offert.

iii

Ce soir, de quel azur as-tu pétri ces ombres ?
Quel éther ébloui vibre dans ces lueurs ?
Quel monde sais-tu peindre en nos prunelles sombres,
Redoublé de magie, attisé de splendeurs ?

Pour que nous refermions nos yeux sans larmes viles
Et sans regret nos cœurs sur notre bien repris ?
Prodige ultime, flamme aux fronts les plus serviles,
Que ton suprême don, ô Mort, soit ton mépris !

Sûrs que rien de plus fort n’assaille ou ne dilate
Notre totalité d’énergie et d’amour,
Qu’importe de périr ! Que la grenade éclate
Au sommet du Destin et de l’Arbre et du Jour !

iv

Riant aux contes bleus de nos métamorphoses,
Enfants bercés qu’un chant de sphères assoupit,
Nous rentrerons au rêve indéfini des choses,
Et déjà le Jardin de nos Sangs refleurit.


Qu’il sera beau sans nous pour nos fils toujours libre,
Patrimoine sacré qui paya ses soldats
De cette heure où l’adieu sous l’espérance vibre
Et nous hèle le sort allégé du trépas !

Car tu nous as jetés de l’Eden à nos fanges.
Mais ce soir qui descend sur le royal pourpris
C’est ton glaive de feu, ô magnanime archange,
Que tu baisses au seuil du Jardin reconquis !


Versailles, 16 août 1914.

Les journées terribles de l’invasion et celles de la délivrance survinrent tour à tour : les fervents de Versailles s’émurent pour la merveille menacée. Ce fut à l’historien de sa création, à l’évocateur de son passé, à l’artisan de sa résurrection, qu’il appartint de veiller sur elle à l’heure des pires angoisses. Et, pour célébrer le triomphe libérateur, M. Pierre de Nolhac se rappela qu’il n’avait pas cessé d’être un poète parfait[12].

VERSAILLES TRIOMPHANT

La France d’autrefois a laissé son image
Faute de pierre et d’eau, de marbre et de fleurs ;
Versailles lui compose un livre de grandeurs
Où l’art de ses enfants l’exalte à chaque page.

Par lui sous notre ciel s’attestent d’âge en âge
Les grâces d’un génie où se prennent les cœurs ;
La volonté d’un seul ordonna ces splendeurs
Et le pays entier se mire en son ouvrage.

Mais ces Français vaillants dont nous sommes les fils
Savaient entremêler les lauriers et les lis ;
À cueillir la victoire ils excellaient naguère ;

Et l’on voit, aux plafonds que Le Brun déroula
Du Salon de la Paix au Salon de la Guerre,
L’Allemagne trembler lorsque Turenne est là.


VERSAILLES SAUVÉ

L’été resplendissait au miroir des fontaines ;
Le triomphe des eaux chantait dans les conduits ;
Aux degrés du palais, le parterre et les buis
Unissaient les parfums qu’avaient aimés les Reines.


Ce beau jardin paré de tant de grâces vaines
Brusquement, en un jour, fut désert et, depuis,
Notre oreille anxieuse écouta dans les nuits
L’approche du canon sur les routes lointaines.

Nous t’aimions doublement, chef-d’œuvre menacé,
Trésor de notre gloire et de notre passé
Dont le sort se liait au risque des batailles.

L’impur Barbare a fui sans pouvoir te saisir ;
Mais quelle autre victime a-t-il osé choisir,
Puisque Reims a payé la rançon de Versailles !


Bien d’autres poètes ont chanté Versailles. M. Gaston Destrais, M. Auguste Jehan, M. Henri Allorge, M. Ernest de Ganay, M. Pierre Gauthier, M. François Loison, trente autres encore, ont fixé leur admiration en de beaux poèmes, où s’accuse l’évolution qui s’est produite dans les sentiments des écrivains français, depuis l’hostilité railleuse des romantiques jusqu’à la piété passionnée des poètes contemporains.

Cette évolution est significative. Elle indique l’influence actuelle et le prestige toujours croissant de Versailles ; elle permet de prévoir son rôle dans la France à venir.

Il n’y avait en 1830 que le château abandonné d’une monarchie disparue, avec les souvenirs d’un faste que l’on ne goûtait plus et que l’on n’entrevoyait pas encore à travers le rayonnement glorieux de l’histoire. Ce château désert semblait promis à la luxuriante avidité de toutes les fleurs des ruines. Les giroflées sauvages et les pavots funèbres n’allaient-ils pas triompher du zèle inutile de la Sarcleuse ? Aujourd’hui, le vieux palais est devenu un jeune temple, un temple élevé à toute la gloire française ; un temple dont le prestige vient de s’accroître encore, et dont les foules toujours plus nombreuses apprendront le chemin.

Mais c’est aussi le dernier temple offert à la Sagesse et à la Beauté, le suprême asile de la méditation et du rêve. Il est désormais presqu’aussi enviable d’entendre, comme Mme de Noailles, chanter un rossignol dans le Jardin du Roi, ou de contempler le soleil crépusculaire s’abaissant vers le Grand-Canal et se reflétant aux mille glaces de la façade sublime, que de redire sur l’Acropole la prière immortelle de Renan.

Telle est la raison majeure de vénérer Versailles. Ce n’est pas en vain que tant de poètes ont frémi d’enthousiasme devant sa majesté. Monument prodigieux de la splendeur classique, la cité des marbres et des eaux demeurera, pour les générations futures, la plus sûre et la plus séduisante éducatrice de beauté.

Marcel Batilliat.



  1. Idylles prussiennes ; Paris (Lemerre), 1871.
  2. T. vii (1902-1903), pp. 104-106 et 117-119.
  3. Au fil de l’Heure : Le Parc enchanté ; Paris (Plon), 1898 ; in-12.
  4. Le Chariot d’Or ; Paris (Mercure de France), 1901 ; in-12.
  5. Paris (Mercure de France), 1902 ; in-12.
  6. Le Signe ; Paris (Bibliothèque artistique et littéraire), 1897 ; in-12.
  7. Paris (Richard), 1910 ; in-8o.
  8. La Beauté de Paris ; Paris (Mercure de France), 1904 ; in-12.
  9. Paris (Lemerre), 1904, 1910 et 1907 ; 3 vol. in-12.
  10. L’Or des Minutes ; Paris (Fasquelle), 1905 ; in-12.
  11. Les Éblouissements ; Paris (Calmann Lévy), 1907 ; in-12.
  12. Pierre de Nolhac : Vers pour la Patrie. 1 vol. in-8o (Émile-Paul), 1920.