CHAPITRE X

COMMENT SE DÉTERMINE LE TAUX DE L’INTÉRÊT


142. Pour bien comprendre comment se détermine le taux de l’intérêt, il est nécessaire tout d’abord de se rappeler ou de voir certains principes fondamentaux.

Le premier de ces principes est qu’il ne peut y avoir, dans un moment donné et pour une même durée de l’attente capitalistique, qu’un taux de l’intérêt. L’intérêt est ce revenu qu’obtiennent les capitaux qui sont prêtés, c’est, pour ce qui est des capitaux employés par les capitalistes sur leurs propres fonds, cette portion du rendement de ces capitaux qui égale le revenu des capitaux prêtés Ce revenu, cette portion du rendement des capitaux seront partout les mêmes du moment qu’entre les capitaux il existe une parfaite concurrence : et l’économie politique abstraite, ne voyant pas de raison essentielle qui détruise ou qui limite la fongibilité des capitaux, suppose entre ceux-ci cette parfaite concurrence[1].

Le deuxième principe est que l’intérêt se proportionne au temps pendant lequel les capitaux sont avancés. Ce deuxième principe n’est pas moins évident que le précédent ; comme lui il découle de la concurrence des capitaux supposée parfaite. Supposons, pour raisonner sur un exemple particulier, que, empruntant en 1904 1.000 francs jusqu’en 1905, je m’engage à verser à l’échéance 1.050 francs ; en 1905, j’aurai — le taux de l’intérêt étant resté le même, soit 5 % pour les prêts à un an — les 1.050 nécessaires pour rembourser ma dette moyennant la promesse de payer 1.102 francs 50 en 1906. Si le taux des prêts à 2 ans est 10 %, je n’ai qu’à prêter pour 2 ans, en 1904, les mêmes 1.000 francs que j’ai empruntés à un an ; il me reviendra en 1906 1.200 francs ; et au total ces opérations combinées, cet arbitrage me laissera un bénéfice de , ou de 87 francs 50. Mais de tels arbitrages seraient recherchés par tout le monde : tout le monde demanderait à emprunter pour un an, tout le monde offrirait de prêter pour 2 ans. Et ainsi il faut que s’établisse la proportionnalité de l’intérêt à la durée des avances[2].

143. Ces deux principes posés, qui ne font en somme que développer la définition de l’intérêt, on peut formuler la loi d’ensemble de la détermination du taux de l’intérêt. Gardons-nous toutefois de la formuler d’une manière incorrecte. On dit d’ordinaire : le taux de l’intérêt dépend, comme le prix des marchandises, du rapport de l’offre et de la demande, ce taux se règle en telle sorte que l’offre du capital égale rigoureusement la demande. Les termes d’offre et de demande ne sont pas ici tout à fait convenables. Parmi les capitaux qui concourent à déterminer le taux de l’intérêt, il faut compter ceux que leurs propriétaires emploient eux-mêmes, soit qu’ils les emploient productivement sur quelque fonds, soit qu’ils s’en servent pour acquérir des biens durables : ces capitaux en effet sont en concurrence avec les capitaux que l’on prête ; un capital n’est pas prédestiné — si je puis ainsi parler — à être employé par son propriétaire ou à être prêté ; il recevra l’une ou l’autre affectation selon que le propriétaire aura ou non la possibilité, l’employant lui-même, d’en tirer plus que ce que donnent les capitaux prêtés ; et par suite de toutes les façons il concourra à déterminer le taux de l’intérêt. Or comment parler d’offre et de demande pour les capitaux qui ne sont pas prêtés ? De tels capitaux sont sollicités par les placements dont le capitaliste conçoit l’idée ; ils ne sont pas proprement demandés, et ils ne sont pas davantage offerts.

Il y a un autre inconvénient à faire dépendre l’intérêt du rapport de l’offre et de la demande ; supposons que tous les capitaux soient prêtés : dire que le taux réel de l’intérêt est celui qui assure l’égalité de l’offre effective et de la demande effective, c’est commettre une espèce de tautologie : c’est en tout cas ne pas expliquer comment se fixe l’intérêt.

Cherchons donc premièrement comment s’établit l’égalité de l’offre et de la demande de ces capitaux qui sont réellement offerts et demandés. Nous verrons que, les emplois les plus lucratifs étant pris de préférence, la concurrence des capitaux assurera l’emploi de ces capitaux qui exigent, pour consentir à s’employer, les rendements les plus faibles ; que le taux de l’intérêt sera déterminé par le rendement de celui des capitaux qui sera admis le dernier à être employé, et que ce rendement — qui sera celui de tous les capitaux — sera tel que le capital le moins avantagé sous le rapport de la rémunération reçoive précisément — ou à très peu de chose près — cette rémunération à moins de laquelle il ne serait pas employé.

Nous arrivons ainsi à la formule cherchée. Considérons l’ensemble des capitaux et des placements capitalistiques, et pas seulement ces placements où il y a une offre et une demande : tout se passera comme je viens d’indiquer, avec cette seule différence que les capitaux non prêtés pourront donner, et donneront la plupart du temps des rendements supérieurs au rendement minimum, à l’intérêt. On peut donc dire : l’intérêt se règle de telle sorte qu’il rémunère tous les capitaux qui sont employés[3], et qu’il ne soit pas suffisant pour rémunérer aucun capital supplémentaire.

Pour illustrer cette loi, et en montrer les conséquences possibles, il est permis de faire des hypothèses. Imaginons que, dans tous les emplois qui se présentent pour eux, les capitaux soient assurés d’obtenir un rendement de 4 % ; que la rémunération exigée par les capitaux ne soit jamais inférieure à 4 + ε % : aucun capital ne sera employé, et il n’y aura pas d’intérêt.

Que si, les rendements étant de 4 %, la rémunération exigée est de 3 %, l’intérêt sera de 4 - ε % ou de 3 + ε %, selon que tous les capitaux trouveraient à se placer, tandis que des emplois seront délaissés, ou que les capitaux ne suffiront pas pour les emplois.

Que maintenant, les rendements des capitaux étant encore tous de 4 %, la rémunération exigée par les capitaux varie entre 5 % et 3 % : tous ces capitaux qui peuvent se contenter de 4 %, ou de 4 - ε %, seront employés, si toutefois il y a suffisamment d’emplois pour eux ; et l’intérêt se fixera à 4 %, ou plus bas, selon que tous les capitaux pouvant se contenter de 4 % trouveront à s’employer, ou bien qu’un certain nombre de ces capitaux — les plus exigeants, s’entend — devront être exclus.

Mais ces hypothèses sont toutes irréelles. Ce que l’on constate dans l’expérience, c’est qu’il est un nombre pratiquement indéfini d’emplois lucratifs pour les capitaux, qui donneront des rendements infiniment variés, et qu’il est en même temps une quantité de capitaux virtuels très grande, qui exigent des rémunérations infiniment variées aussi. Combien de placements ne pourrait-on pas faire, qui, remboursant au capitaliste ses avances, lui donneraient en outre un surplus de 2 %, de 1 %, de 0,1 % et combien de capitaux ne verrait-on pas se constituer, si l’intérêt mentait à 10 %, à 100 %, à 1.000 %[4] ! Et alors, les capitaux se rangeant d’un côté dans l’ordre de grandeur croissante des rémunérations qu’ils réclament, et de l’autre côté les emplois des capitaux se rangeant dans l’ordre de grandeur décroissante des rendements qu’ils peuvent assurer[5], un trait devra être tiré qui sépare, à partir du commencement des séries, une quantité de capitaux exactement suffisante pour les emplois indiqués en regard, et tel que le dernier emploi situé au-dessus du trait donne au capital correspondant la rémunération qu’il réclame, l’emploi suivant ne suffisant plus à rémunérer le capital mis en regard.


144. Ce n’est pas assez, cependant, de représenter de la sorte la détermination du taux de l’intérêt. Il faut voir quelles sont les circonstances qui font que l’échelle des capitaux d’un côté, que l’échelle des emplois de l’autre sont ce qu’elles sont. Il faut voir quelles causes modifieront ces échelles. Ce seront précisément là les causes qui font varier l’intérêt ; car l’intérêt ne peut manquer de varier quand une des échelles se modifie, ou les deux encore, à moins que les modifications affectant les échelles ne laissent inchangé l’endroit où se pourra tracer le trait que j’ai dit[6].

On aperçoit dès lors la méthode qu’il conviendra de suivre pour élucider la question de la détermination de l’intérêt. Ce que nous cherchons, ce sont les facteurs qui font varier le taux de l’intérêt. Or ces facteurs ne sont autres que les causes, d’une part, qui font que les capitalistes exigent des intérêts, et que les causes, d’autre part, qui font qu’il leur est donné d’obtenir des intérêts. Pour étudier, donc, la question de la détermination de l’intérêt, on ne saurait procéder autrement qu’en passant en revue à nouveau ces phénomènes qu’on est tenu de considérer quand on entreprend d’expliquer l’intérêt. Ce qui ne veut pas dire que ce chapitre doivent être une simple répétition de choses dites aux chapitres précédents. La préoccupation de l’économiste, quand il explique l’intérêt, c’est de mettre en lumière tous les phénomènes qui concourent à faire apparaître cet intérêt, et de montrer en quels modes ces phénomènes se combinent ensemble. Pour voir comment se règle le taux de l’intérêt, il faut envisager les mêmes phénomènes sous un autre aspect, dire les lois quantitatives auxquelles chacun d’eux séparément obéit, et marquer l’importance relative des uns et des autres.




145. Commençons notre revue des phénomènes qui donnent naissance à l’intérêt par ceux de ces phénomènes qui contribuent doublement à produire l’intérêt, d’une part en raréfiant les capitaux, en faisant que les capitaux ne soient employés qu’à la condition de rapporter un surplus, et d’autre part en faisant que les capitaux rapportent. Ces phénomènes, comme on se rappelle, sont au nombre de trois : ce sont la variation des besoins des individus dans le temps, la variation des ressources, la dépréciation systématique des biens futurs.


La variation des besoins et la variation des ressources présentent ceci de particulier que, en même temps qu’elles obligent certains individus à exiger des intérêts pour leurs capitaux et qu’elles leur permettent aussi d’obtenir des intérêts, en même temps, autrement dit, qu’elles produisent l’intérêt, elles font que certains individus ont avantage à économiser, dussent-ils n’obtenir avec leurs économies aucun surplus. Bien entendu, ces capitaux que la variation des besoins et la variation des ressources font constituer et qui n’ont pas besoin d’intérêt sont à la disposition des gens que les mêmes causes disposent à payer des intérêts : et si les dits capitaux suffisaient à contenter ces gens, il arriverait en définitive que la variation des besoins et la variation des ressources — à ne considérer qu’elles, de tous les phénomènes qui contribuent ou peuvent contribuer à donner naissance à l’intérêt — ne feraient naître aucun intérêt, ou feraient naître un intérêt infime, celui qui serait nécessaire pour décider les capitalistes à se dessaisir de leurs capitaux.

Supposons que dans un moment donné les sommes que seraient disposés à emprunter à intérêts les gens dont les besoins sont destinés à diminuer ou les ressources à croître s’élèvent à M, et que les sommes qu’ont avantage à économiser ceux dont les besoins sont destinés à augmenter ou les ressources à décroître s’élèvent plus haut que M, qu’il y ait d’ailleurs concordance entre les périodes pour lesquelles les premiers veulent emprunter et celles pour lesquelles les deuxièmes économisent, alors évidemment l’intérêt, par l’effet de la concurrence des capitaux offerts, tombera à peu près à rien. Il tombera à peu près à rien même si les capitaux offerts s’élèvent seulement à M, car selon toute vraisemblance il y aura une dégradation des intérêts que les demandeurs de capitaux seraient disposés à payer, et les moins empressés de ces demandeurs ne voudront donner qu’un intérêt à peu près nul.

146. Quel est donc le rapport réel des capitaux que la variation des besoins et celle des ressources font demander et de ceux qu’elles mettent à la disposition des demandeurs même sans intérêts ? Il est bien difficile de le dire avec précision ; l’on est contraint de se contenter ici approximations et de probabilités.

Pour ce qui est des besoins des individus, il semble qu’ils aillent plus souvent en augmentant qu’en diminuant, si du moins l’on considère le cours normal des choses. L’homme qui commence à avoir des biens à lui verra ses besoins grandir régulièrement, avec le mariage, la venue des enfants et leur croissance, pendant 25 ou 30 ans. Prétendra-t-on que, cette période passée, les besoins diminueront ? Sans doute les enfants seront partis ; et l’on pourrait ajouter que des goûts de jeunesse auront disparu ; mais la santé exigera des soins qu’elle ne réclamait pas jusque-là ; les goûts rassasiés et amortis seront remplacés par des goûts plus coûteux, parce que, plus raffinés ; le besoin du luxe, de l’ostentation se sera développé ; et enfin il sera malaisé à la plupart de restreindre leur train de maison, même après que la réduction de la famille aura justifié cette mesure : ayant habité par exemple un appartement d’un certain loyer alors que les enfants étaient là, on ne se résignera pas à en prendre un plus petit quand ils n’y seront plus.

Mais à vrai dire la variation des besoins n’influe pas beaucoup sur la capitalisation, en tant que cette variation résulte d’événements normaux et prévisibles. On ne voit guère les gens économiser des sommes d’argent quand leurs besoins sont petits pour consommer ces sommes quand ils se seront mariés ou qu’ils auront eu des enfants[7] ; on ne voit guère les gens emprunter des sommes à intérêts pour les rembourser dans leur vieillesse. Ce sont surtout les variations accidentelles des besoins qui ont de l’influence sur ce qui nous occupe.

Ces variations accidentelles ont pour effet principal de faire emprunter. Il y a dans nos besoins une certaine régularité ; lorsque cette régularité vient à être dérangée, c’est par des accroissements de besoins, non par des diminutions. Rarement il arrivera que je puisse réduire ma dépense de moitié pendant un temps, m’éviter telle grosse dépense habituelle ; mais il arrivera assez souvent qu’une maladie, ou quelque autre événement de ce genre, me forcera de dépenser d’un coup des sommes considérables : et alors je devrai peut-être emprunter. Si mes ressources annuelles, par exemple, sont de 15.000 francs, et mes dépenses aussi, qu’une maladie survienne qui me coûte 20.000 francs, il me faudra de toute nécessité emprunter au moins une partie de cette somme. Mes ressources et mes dépenses habituelles étant les mêmes, la maladie me coûte-t-elle seulement 10.000 francs ? je pourrai prendre cette somme sur mes revenus de l’année ; mais alors mes dépenses habituelles seraient réduites à 5.000 francs cette année, pour remonter à 15.000 francs l’an prochain ; mieux vaudra pour moi emprunter à intérêts les 10.000 francs et rendre ces 10.000 francs en un certain nombre d’années, en sorte que les dépenses habituelles de cette année-ci et celles des années suivantes subissent la même réduction.

Ainsi les variations accidentelles des besoins poussent à emprunter. Ne font-elles pas économiser aussi ? Pour être imprévisibles quant au moment où elles se produiront, ces variations accidentelles n’en sont pas moins telles que chacun de nous sait qu’il est exposé à les subir. Ne prendrons-nous pas nos précautions à l’avance, et plutôt que de risquer d’être obligés quelque jour d’emprunter à intérêts, ne ferons-nous pas des économies ? Par là des capitaux seraient constitués qui pourraient être prêtés — si l’’emprunteur est par exemple une banque, faisant beaucoup d’emprunts semblables, et capable par suite de rembourser à vue, en cas de besoin, les sommes à elle avancées —, et qui n’exigeraient pas d’intérêts[8]. Effectivement la prévoyance existe chez les hommes ; mais cependant, par rapport aux accidents dont je viens de parler on ne peut pas dire qu’elle soit très développée.

147. Au total, la variation des besoins pousse probablement plus à emprunter qu’elle ne fait capitaliser ; mais elle ne pousse pas beaucoup plus à emprunter. qu’elle ne fait capitaliser. Telle est du moins la conclusion à laquelle on arrive en considérant les particuliers. Cette conclusion ne sera-t-elle pas modifiée si on considère, en même temps que les particuliers, les États ? On ne voit guère que les États prêtent des capitaux ; et on les voit qui empruntent beaucoup ; les emprunts des États absorbent une part importante des capitaux disponibles. Or pourquoi les États empruntent-ils ? c’est souvent pour faire des dépenses d’ordre productif, pour construire des chemins de fer, pour creuser des canaux[9] ; souvent aussi c’est pour parer à des besoins soudains et très grands, comme ceux auxquels ils ont à faire face dans le moment d’une guerre. Ainsi les États sont conduits par les variations de leurs besoins à emprunter beaucoup ; et d’autre part cette même cause ne fait jamais d’eux des prêteurs. Dès lors, combinant ce que nous constatons ici des États à ce que je disais tantôt des particuliers, n’arriverons-nous pas, touchant l’influence de la variation des besoins sur l’intérêt, à des vues qui seront différentes de celles où nous nous étions arrêtés tout d’abord ?

Mais le raisonnement que je viens d’indiquer au sujet des États n’est pas juste. Un État est amené par des besoins imprévus et soudains à emprunter : il absorbe par là une partie des capitaux disponibles. Que ferait-il donc s’il n’avait pas la possibilité d’emprunter ? Il demanderait aux particuliers de fournir, non pas à titre de prêt, mais à titre de contribution, les sommes qui lui sont nécessaires : les particuliers, appauvris, économiseraient moins ; les capitaux disponibles seraient réduits, à peu de chose près, dans la même proportion qu’ils le sont par l’emprunt. Tout au plus pourrait-on dire que la levée d’une contribution n’est pas une opération aussi aisée qu’un emprunt, que par le moyen de la contribution on ne peut pas avoir d’un coup les sommes que l’emprunt est capable de donner, que la possibilité d’emprunter permet donc aux États de satisfaire des besoins qui sans cela ne seraient pas satisfaits, les pousse à se croire et à se créer des besoins qui sans cela n’existeraient pas, ou seraient moins vifs.

Il y a donc lieu de maintenir la conclusion déjà formulée tantôt : si l’on estime à M la quantité des capitaux qui, du fait de la variation des besoins, peuvent être avancés même sans intérêts, il faudra estimer à M’, plus grand que M, mais point de beaucoup, la quantité des capitaux pour lesquels, du fait de cette même variation des besoins, il se trouverait des emprunteurs disposés à payer des intérêts.

148. Tels seront les effets de la variation des besoins, pour qui veut connaître les effets virtuels en même temps que les réels. Recherche-t-on les seuls effets réels ? Alors on arrivera à des résultats différents. La somme des capitaux que la variation des besoins fait offrir sur le marché est bien égale à  ; mais la somme des capitaux que cette variation des besoins fera emprunter ne sera pas de , elle sera de m seulement : l’intérêt s’établissant par exemple à 4 %, tous ces emprunteurs qui par suite d’une variation qu’ils prévoient dans leurs besoins seraient disposés à donner des intérêts, mais des intérêts inférieurs à 4 %, seront exclus du marché. Bien mieux, ces demandeurs virtuels deviendront des offrants réels : car celui qui consentirait à emprunter 10 francs pour un an en promettant d’en rembourser 103, et qui ne voudrait pas rembourser davantage, celui-là trouvera son avantage à prêter 100 francs pour retirer 104 francs après un an. Ainsi, tandis que l’on avait vraisemblablement l’inégalité , on aura bien vraisemblablement aussi cette autre inégalité : , et l’on aura, à plus forte raison, l’inégalité à laquelle je veux en arriver :

.

La variation des besoins, dans la réalité, fera capitaliser plus qu’elle ne fera emprunter.

J’ajoute d’ailleurs que ni , ni ne sont, par rapport à l’ensemble des opérations capitalistiques, des quantités très grandes. La variation des besoins, dans quelque sens qu’on veuille qu’elle agisse sur l’intérêt, n’influe sans doute pas puissamment sur le taux de cet intérêt : ce facteur viendrait à disparaître que le taux de l’intérêt n’en serait pas modifié d’une manière notable.

149. Que convient-il de penser, maintenant, de l’influence de la variation des ressources[10] ? Si dans les ressources on fait entrer tout l’avoir, il est clair que la variation des ressources fait offrir beaucoup plus de capitaux qu’elle n’en fait demander[11]. Et en même temps c’est à coup sûr l’un des facteurs les plus considérables de la capitalisation et de l’intérêt que le degré de richesse où une société est parvenue, je veux dire que la quantité des biens que cette société est en état, sans consommer moins dans la période présente que dans les précédentes, de consacrer à préparer la satisfaction des besoins futurs.

Je ne m’arrêterai donc pas sur ces vérités trop évidentes ; et je me demanderai quelles sont les conséquences, pour la détermination du taux de l’intérêt, de la variation des ressources, ces ressources étant réduites à ce que l’on appelle communément les revenus.

M’attachant à ce point particulier, je prends tout d’abord ces variations des revenus qui résultent d’événements exceptionnels et imprévisibles. Il est des gens dont les revenus subissent des variations accidentelles très importantes, ou même dont les revenus sont tout à fait irréguliers : tels, par exemple, les entrepreneurs. Ceux-là ne s’exposeront pas, si leurs revenus — il faut dire ici leurs bénéfices — tombent à rien, à être obligés d’emprunter ; car ils ne trouveraient pas, le plus souvent, à emprunter, et ce serait pour eux la déconfiture. Ils se constitueront des fonds de réserve, lesquels fonds pourront être prêtés sans intérêts, ou pour un intérêt infime, à l’emprunteur qui s’engagera à les rembourser à vue. Et les accroissements accidentels des revenus — il y en aura de tels, à la différence de ce que nous constations pour les besoins — permettront d’accroître ces fonds de réserve, mettront à la disposition des gens qui en bénéficieront des capitaux qu’ils garderont en prévision d’accidents contraires, et qu’ils pourront prêter sans intérêts.

Quant à ces variations qui résultent d’événements prévisibles, j’entends d’événements qu’on peut prévoir avec certitude et dont la date est connue à l’avance, d’événements encore dont la date n’est pas connue à l’avance, mais qui doivent se produire, ou qui ont toutes chances de se produire, ces variations agiront dans un sens et dans l’autre, On peut citer parmi les gens dont les ressources sont destinées à s’accroître — ils sont poussés par là à emprunter à intérêts — : les fonctionnaires, les employés qui attendent des améliorations de leur traitement — mais ces améliorations : ne sont d’ordinaire pas très importantes — ; on peut citer encore les fils de famille qui attendent la succession de leurs parents, pour autant que les emprunts qu’ils font seront remboursés avec les revenus qu’ils auront plus tard, et qu’il ne leur sera pas nécessaire d’ébrécher ce qu’on appelle communément leur « capital ». D’un autre côté, il y a des gens qui doivent s’attendre à voir leurs revenus diminuer un jour : ce sont par exemple les pères de famille qui ont la jouissance des biens de leurs enfants mineurs ; c’est encore la catégorie si importante de ceux qui, arrivés à un certain âge, seront mis à la retraite, ou, ne trouvant plus de travail, verront se tarir la source dé leurs revenus ; et la façon ordinaire de se prémunir contre la diminution ou l’extinction prévue des revenus est la capitalisation[12].

Dans l’ensemble, si l’on remarque que les diminutions de revenus prévues par les uns dépassent les augmentations de revenus prévues par les autres, ou du moins que la pensée des diminutions futures de revenus est plus efficiente que celle des augmentations de revenus[13], on se convaincra que les variations prévues des revenus, tout comme les variations imprévisibles, poussent à économiser plus de capitaux qu’elles n’en feraient demander, à l’inverse de ce qui avait été noté pour la variation des besoins.

Mais il convient d’envisager spécialement les effets réels des facteurs que nous étudions ici. Dans la réalité donc, la conclusion ci-dessus, relative aux variations de revenus, se trouvera renforcée : qu’on se rappelle ce qui a été dit plus haut, à savoir que les capitaux que leurs possesseurs peuvent prêter sans intérêts sont tous prêtés, que les capitaux, au contraire, pour lesquels il y aurait des emprunteurs disposés à payer des intérêts sont en partie seulement réellement demandés, et qu’en partie ils sont réellement offerts. Ainsi, comme il arrivait déjà pour la variation des besoins, la variation des revenus fait dans la réalité prêter plus de capitaux qu’elle n’en fait emprunter. Les effets réels des deux facteurs s’ajoutent, si leurs effets envisagés dans leur totalité se contrariaient. Et toutefois, même additionnés, je ne pense pas que ces effets représentent rien de très notable.


150. Comme la variation des besoins, comme la variation des ressources, la dépréciation systématique des biens futurs a ce double effet : d’une part, de faire que l’on ne prête ou que l’on n’avance des capitaux qu’à la condition d’en retirer des intérêts, et d’autre part, de faire que l’on consente à emprunter à intérêts. Seulement, tandis que de la variation des besoins et de la variation des ressources il résultait en outre que certains formaient des capitaux qu’ils pouvaient prêter ou avancer sans intérêts, avec la dépréciation systématique du futur il ne se présente rien de tel. Et ainsi cette dépréciation du futur agira uniquement dans le sens de la production de l’intérêt, en poussant les gens à exiger des intérêts de leurs capitaux, en les poussant aussi à emprunter — ils avanceront ou ils emprunteront selon le taux d’intérêt qui s’établira — ; elle n’exercera aucune influence contraire à cette action.

Cette action est-elle très marquée ? là-dessus il est impossible de formuler des assertions générales.

Considérons un individu dans un moment donné de son existence : la dépréciation qu’il fera subir aux biens futurs pourra varier selon l’éloignement de ces biens futurs, sans être le moins du monde proportionnelle à cet éloignement. Si vous offrez à notre individu de choisir entre 1.000 francs qui seraient mis à sa disposition immédiatement et 1.020 francs qui lui seraient donnés au bout d’un an — je fais abstraction, bien entendu, de l’intérêt que les capitaux obtiennent sur le marché —, il choisira les 1.000 francs immédiatement consommables : et ceci représente pour la dépréciation que notre individu fait subir aux biens futurs, pour l’intérêt à moins duquel il ne prêterait pas ses capitaux, un taux de plus de 2 % ; est-ce à dire que le même individu préférera 1.000 francs immédiatement disponibles à 1.100 francs disponibles dans 5 ans ? non pas. Le taux de la dépréciation qu’il fait subir aux biens futurs, ce taux, résultant pour une partie d’impressions et de sentiments irréfléchis, et pour une partie d’une pensée raisonnable, la pensée de la mort, laquelle ne saurait faire ce taux proportionnel au temps, sera très irrégulier : il sera sans doute relativement élevé pour les biens futurs prochains, relativement plus faible pour les biens futurs moyennement éloignés, et élevé de nouveau pour les biens futurs très éloignés. Je ferai une différence sensible entre le bien présent et le bien qui ne sera à ma disposition que dans un an ; car il y a comme une différence de nature entre l’un et l’autre ; 1.000 francs présents équivaudront donc pour moi à 1.025 francs, par exemple, disponibles dans un an. Les mêmes 1.000 francs présents équivaudront à 1.100 francs disponibles dans 10 ans : car lorsqu’on a fait tant que de renoncer à une jouissance immédiate, ce n’est plus une si grande chose d’attendre un an ou d’attendre 10 ans. Enfin, les 1.000 francs présents équivaudront à 3.000 francs disponibles dans 40 ans, parce que j’ai grandement lieu de craindre de ne plus vivre dans 40 ans ; parce que 40 ans représentent, même pour celui qui ne pense pas à la mort ou qui a autant de souci des intérêts de ses héritiers que de ses intérêts propres, un intervalle où ne s’étendent pas, en général, les prévisions et les calculs des hommes.

Veut-on comparer ce qu’est la dépréciation du futur chez un même individu aux différents moments de sa vie, on verra la même irrégularité : les exemples sont fréquents de prodigues qui se rangent et qui deviennent d’excellents administrateurs de leur patrimoine. Ce que l’on peut dire, en général, c’est que le sentiment et la pratique de la prévoyance se développent chez l’homme avec l’âge. Avec l’âge, l’économie devient une habitude que combattent de moins en moins les tendances contraires ; les désirs de jouissances réelles et immédiates s’amortissent, donnant plus d’importance et de force au désir de posséder.

Compare-t-on les différents individus entre eux ? cette comparaison conduira à des résultats identiques, Tandis que certaines gens font preuve d’une extrême prévoyance, et égalent exactement la jouissance future à la jouissance présente, l’acquisition future à l’acquisition présente, d’autres semblent ne se préoccuper nullement de l’avenir et sacrifient complètement celui-ci au présent.

Enfin, on voit certaines époques, certaines races, être moins prévoyantes que d’autres : ce sont bien entendu les moins civilisées, la prévoyance étant à la fois l’indice d’une conduite plus raisonnable et la condition de l’amélioration progressive de l’état économique[14].

151. En somme, il ne paraît pas que la dépréciation du futur, en supposant qu’elle fût la seule cause de l’intérêt, dût établir un intérêt très élevé. Chez la plupart des hommes cette particularité psychologique ne se manifeste qu’assez faiblement. Je ne vois guère que deux catégories d’hommes dont la conduite soit modifiée par elle d’une façon importante. D’une part, il y a les prodigues, ceux-là par exemple — ce sont les plus nombreux — qui, dans une certaine période de leur jeunesse, par insouciance et par légèreté, par l’effet encore de quelque passion, ou bien souvent pour suivre une mode et se faire remarquer, se laissent aller, ou même s’appliquent à dissiper tout ou partie de leur patrimoine, alors que leur intérêt bien compris s’y opposerait. D’un autre côté, il y a ceux qui, voyant La mort venir et préférant leur bien-être à celui de leurs héritiers, vendent, pour en consommer la valeur avant leur mort, transforment en une sorte de rente viagère, ou échangent contre une rente viagère véritable des biens qui ne sont pas consommables, qui consomment encore des biens provenant de l’amortissement de capitaux anciens[15]. Par le fait des uns et des autres, il y a perpétuellement une certaine quantité de capitaux qui sont détruits, qui sont consommés improductivement. Mais cette destruction de capitaux n’est tout de même pas très importante ; elle n’est pas telle, autant qu’on en peut juger, qu’il dût résulter de la dépréciation du futur, considérée à part des autres causes, un intérêt élevé. Si la dépréciation des biens futurs agit d’une manière un peu notable sur le taux de l’intérêt — et peut-être bien en est-il tout de même ainsi, le phénomène étant très général —, ce sera en tant que l’action de ce phénomène s’ajoute à l’action pareille d’autres facteurs.



152. Je viens maintenant à ces phénomènes dont l’influence sur l’intérêt est non seulement unilatérale, mais encore simple, et non plus double. Et en premier lieu je rencontre le fait que la capitalisation diminue par elle-même le bien-être, lorsqu’elle détruit l’équilibre de la consommation ou qu’elle accroît au détriment du présent l’inégalité de la consommation présente et de la future.

La signification de ce fait, nous la connaissons déjà. Il n’empêche pas le degré capitalistique de l’économie de se maintenir ; il ne tend pas à diminuer la quantité des capitaux, à faire rétrograder l’économie, mais il met obstacle à l’accroissement des capitaux, à l’inverse de la variation des ressources, laquelle — si l’on prend le mot ressources dans le sens le plus large — empêche le non renouvellement des capitaux. La variation des ressources et cette gêne que par elle-même entraîne la capitalisation sont les deux facteurs qui tendent à rendre la capitalisation stationnaire. Mais dans l’influence de la dernière il y a quelque chose de propre : supprimez cette influence par la pensée, et alors presque toutes ces opérations capitalistiques devront s’effectuer, qui peuvent donner une plus-value.

Veut-on voir cependant les choses de plus près ? il semble qu’on puisse hasarder les lois suivantes.

La gêne qu’on s’impose en économisant sur ses revenus croît à la fois en grandeur absolue et en grandeur relative à mesure qu’on veut économiser davantage. Il n’en coûte après tout pas tellement d’économiser 5.000 francs sur 20.000 francs ; s’agit-il d’économiser 10.000 francs ? vous retranchez sur votre bien-être présent, au lieu de a, non pas , mais peut-être  ; vous ajoutez à votre bien-être futur, au lieu de — qui est plus petit que — non pas , mais peut-être  ; le déficit de l’opération, au lieu d’être de , est, non pas de , mais de  : il a plus que doublé. Si l’on devait économiser dans une période donnée tous ses revenus, la gêne qu’on s’imposerait serait en quelque sorte infinie, puisqu’on se priverait de l’indispensable ; la gêne sera infinie, même avant qu’on n’ait tout économisé, puisqu’aussi bien l’indispensable correspond non pas à une partie infiniment petite de nos revenus, mais à une partie qui a une grandeur, et une grandeur assez importante.

Je noterai que pour la plupart des individus qui économisent, la courbe de la gêne qui correspond aux différentes économies possibles, non seulement monte de plus en plus vite, mais encore ne monte pas d’une manière continue : il est un point où tout d’un coup elle s’élève considérablement. Ici, bien entendu, je parle non pas de la gêne réelle, laquelle devrait croître suivant une courbe continue, mais de la gêne que l’on croit sentir ; mais peut-être n’est-il pas permis, en une pareille matière, de séparer l’intérêt véritable de l’individu de l’appréciation qu’il fait de ses intérêts[16] ; et en tout cas c’est une chose importante à considérer — la seule importante quand il s’agit de chercher comment se détermine le taux de l’intérêt — que le sentiment des individus sur la gêne que leur cause la capitalisation. Or on sait que la plupart de ceux qui épargnent suivent à cet égard une règle qu’ils se sont tracée[17] : ils s’astreignent à épargner chaque année une certaine somme, toujours la même, ou bien ils s’astreignent à épargner toujours une certaine fraction de leur revenu, etc. Tant qu’il s’agira de suivre la règle qu’ils se sont fixée, l’épargne leur semblera relativement aisée ; quelque circonstance les incite-t-elle à épargner davantage, cela leur paraîtra sensiblement plus pénible, de si peu qu’il s’agisse de dépasser la norme choisie.

Toutefois la loi que j’ai cru devoir formuler appelle de certaines réserves. J’ai parlé de règles que les individus se traçaient pour leur épargne, et qu’ils s’imposaient de suivre. Ces règles sont ainsi faites très souvent que la capitalisation, qui devrait devenir plus malaisée quand les sommes à épargner s’accroissent, paraît en quelque sorte devenir plus aisée par là, ceci du moins lorsque le taux de l’intérêt vient à baisser. Que l’on voie bien ce qui devrait résulter de la loi de tantôt : cette loi devrait produire cet effet que, l’intérêt s’élevant, on épargnât davantage, et inversement. S’agit-il pour moi d’économiser 5.000 francs ? je ne le ferai pas si ces 5.000 francs ne doivent pas me rapporter 3 % par an ; s’agit-il d’économiser 10.000 francs ? c’est 4 % que je réclamerai. Ainsi, l’intérêt étant à 3 %, j’épargnerai 5.000 francs, j’épargnerai 10.000 francs s’il monte à 4 %, j’épargnerai 2.000 francs seulement s’il tombe à 2 %. Et de fait on constate dans l’expérience que souvent les choses vont ainsi. Mais, par un phénomène au premier abord étrange, et qui contredit notre loi, c’est souvent aussi le contraire qui a lieu : une baisse de l’intérêt, par exemple, fait que l’on épargne plus. C’est que les gens ne se préoccupent pas précisément de calculer ce qui est avantageux pour eux-mêmes et pour leurs héritiers — je veux voir dans ceux-ci les continuateurs de nos gens — ; au lieu de chercher à égaliser leur consommation présente avec leur consommation future, ou celle de leurs héritiers[18], ils suivent une de ces règles qu’indique Böhm-Bawerk : ils font le nécessaire pour libérer dans un certain espace de temps leurs biens des dettes qui les chargeaient, ou pour laisser à chacun de leurs enfants un bien d’une certaine importance, ou pour porter leur fortune à un certain chiffre, etc. Et alors qu’arrive-t-il ? que, l’intérêt baissant, le résultat poursuivi exige pour être atteint une épargne plus forte, qu’on fait, en conséquence, le contraire de ce que d’autres font, de ce qui, rationnellement, devrait être fait.


153. 2° Il y aurait une deuxième loi à donner, que voici : l’épargne exige une rémunération d’autant plus faible que les ressources du capitaliste sont plus élevées.

Cette loi se déduit de la loi qui veut que la décroissance de l’utilité aille toujours se ralentissant. On connaît le fait de la décroissance de l’utilité : l’observation montre que d’une manière générale — il ne s’agit pas ici de quelque chose d’absolu — cette décroissance a lieu ainsi que je viens d’indiquer. Ajoutez à une consommation de 10.000 francs une consommation supplémentaire de 5.000 francs, et vous aurez une certaine augmentation de bien-être ; 5.000 francs venant en surplus vous procureront une augmentation moindre, qui sera, mettons, de au lieu d’être de  ; si vous ajoutez encore 5.000 francs, l’augmentation du bien-être ne sera plus que de quantité plus petite que  ; mais on aura le plus souvent :

.

Par exemple, si la différence est grande du bien-être que vous apportent 5.000 francs qui s’ajoutent à 10.000 francs et du bien-être que vous apportent 5.000 francs s’ajoutant à 15.000 francs, la différence sera infime du bien-être que vous apporteront 5.000 francs s’ajoutant à 50.000 francs et de celui que vous apporteront 5.000 francs s’ajoutant à 55.000 francs.

Considérons donc un individu qui sur 20.000 francs de revenu épargne 5.000 francs ; il diminue par là son bien-être de a, et cette diminution ne sera compensée que si elle a pour conséquence d’accroître par la suite le revenu annuel de notre individu de 200 francs, c’est-à-dire d’accroître son bien-être de chaque année de  ; et est à dans un certain rapport, à la vérité plus petit que . Si le revenu annuel de notre individu était de 40.000 francs, alors les 5.000 francs représenteraient non un bien-être , mais un bien-être , inférieur à  ; de même, les 200 francs représenteraient non plus un bien-être , mais un bien-être , plus petit que . Quant au rapport , qui est-ce qui importe, il serait plus grand que le rapport  ; en effet la distance serait moindre entre l’utilité des 5.000 francs épargnés et celle des 200 francs qui viennent en surplus ; cette distance serait moindre en vertu de la loi que la décroissance de l’utilité se ralentit de plus en plus, quand les 5.000 francs et les 200 francs considérés se trouvent s’ajouter à un revenu plus grand. Mais si est plus grand que , il apparaît que pour celui qui a 40.000 francs de revenus, un rendement régulier de 200 francs suffira plus facilement à rémunérer une épargne de 5.000 francs que pour celui qui a des revenus moindres ; celui qui a 40.000 francs de revenus épargnera plus facilement que l’autre, il se contentera d’un intérêt moindre.

Essayons de tirer de ceci des conséquences, quant à l’effet de la distribution des richesses sur la capitalisation. De ce qui vient d’être dit, il résulte immédiatement qu’un pays riche — toutes choses égales d’ailleurs — épargnera plus qu’un pays pauvre. Mais deux pays étant également riches, lequel épargnera le plus, de celui où la richesse est distribuée également, et de celui où elle est inégalement distribuée ?

Cette question, qui est d’une grande importance pratique, ne paraît pas pouvoir être tranchée par une réponse générale, Imaginons un pays pauvre, tel que les habitants, si la richesse était répartie également entre tous, auraient à peine un peu plus que ce qui est strictement indispensable : dans ce pays, je pense, la richesse étant répartie également, il ne serait presque pas épargné ; si au contraire, la masse de la population étant réduite à une extrême misère, une partie des habitants jouissent de revenus assez élevés, ceux-ci pourront et voudront certainement épargner : l’inégalité des conditions, fâcheuse à de certains égards, aura du moins cet heureux résultat de donner à l’économie un caractère progressif.

Prenons maintenant un pays très riche : si la richesse en est également distribuée, alors tout le monde épargnera, et il sera épargné beaucoup ; si au contraire beaucoup sont dans une situation petite et que quelques-uns aient des richesses prodigieuses, alors peut-être ni les uns ni les autres ne verront beaucoup d’avantage à épargner.

En somme, la quantité des épargnes dépendant et de la richesse moyenne, et de la distribution de cette richesse, il faudrait, pour prévoir quelle sera cette quantité, combiner l’action des deux facteurs. Si on classe les revenus dans l’ordre de grandeur croissante, à chaque catégorie de revenus correspond la possibilité d’épargner, moyennant un certain taux d’intérêt, une certaine fraction du revenu, moyennant un taux plus élevé, une fraction plus forte, etc. : ceux qui ont 5.000 francs de revenu par exemple épargneront 1.000 francs si l’intérêt est de 5 %, 2.000 francs si l’intérêt est de 10 %, etc. ; ceux qui ont 10.000 francs de revenu épargneront 1.000 francs si l’intérêt est de 3 %, 2.000 francs si l’intérêt est de 4 %, etc. Dès lors, pour savoir laquelle de deux sociétés données épargnera le plus, il sera nécessaire de connaître combien il existe, dans chacune de ces sociétés, de revenus de 5.000 francs, combien de revenus de 10.000 francs, etc. : avec ces données, on pourra déterminer quelles sommes chacune des sociétés est en état d’épargner si l’intérêt est de 3 %, quelles sommes si l’intérêt est de 4 %, etc. Mais les résultats d’une telle comparaison ne se laissent pas résumer en une formule Annie qui vaille pour tous les cas[19].

Telles sont les principales conséquences que l’on peut tirer de notre deuxième loi. On ne manquera pas de remarquer que cette loi exprime ce qui devrait être, plutôt que ce qui est. Dans la réalité, comme je l’ai indiqué à propos de la loi précédente, on voit les individus se diriger moins par une estimation rigoureuse de l’utile que par des règles quelque peu arbitraires qu’ils se sont données. Il faut tenir compte aussi de ce grand fait que l’homme, souvent, au : lieu d’aimer la richesse pour les biens qu’elle procure, l’aime pour elle-même, qu’il trouve une joie immédiate à s’enrichir ; s’il est vrai, comme il semble, que cette passion du gain, ce désir d’accroître sa fortune est plus ardent chez ceux dont la situation est médiocre que chez ceux qui ont une grande abondance de biens, alors il faudra peut-être apporter une correction à notre loi, et sans doute rectifier les conséquences que j’en ai déduites : il faudra estimer plus haut que je n’ai indiqué la capitalisation des pays où il y a beaucoup de fortunes médiocres.



154. Il me reste à parler de la productivité du capital et l’existence de biens durables de jouissance plus utiles que les biens de consommation immédiate du même coût. On sait déjà dans quel sens ces faits agissent, qu’ils provoquent la capitalisation en promettant aux capitaux des intérêts[20]. Et l’on s’aperçoit sans peine que ces faits représentent des facteurs de l’intérêt de toute première importance, que la plus grande partie des capitaux que l’on dépense servent à monter, à faire marcher des entreprises productives ; et à acquérir des biens durables de jouissance. Aussi y a-t-il lieu d’examiner les variations qui affectent les emplois productifs des capitaux et la création des biens durables, et de rechercher l’effet de ces variations sur l’intérêt.

Les variations que nous devons examiner peuvent affecter les emplois productifs des capitaux et la création des biens durables de deux façons : tantôt, les emplois productifs que l’on connaît restant les mêmes, et les biens durables que l’on peut créer aussi, les conditions où se font ces emplois productifs, où se créent ces biens durables seront modifiées ; tantôt de nouveaux emplois productifs seront découverts, de nouveaux biens durables pourront être créés.


Les changements dans les conditions où les capitaux peuvent être employés productivement, où les biens durables peuvent être créés, sont eux-mêmes de deux sortes : ils peuvent se rapporter à l’appréciation que l’on fait des marchandises produites capitalistiquement, des biens durables ; ils peuvent aussi se rapporter aux frais de la production de ces marchandises, de la création de ces biens durables.

Imaginons que l’on vienne à apprécier davantage un bien qui demande des capitaux pour être produit : selon que cet accroissement de son utilité pourra avoir pour effet d’augmenter la quantité que l’on produit de ce bien, ou que, la production du bien étant nécessairement limitée, l’accroissement de l’utilité ne devra pas avoir d’autre conséquence qu’une élévation du prix, on verra ou bien ces emplois possibles de capitaux se multiplier qui donnent un certain revenu, ou bien au contraire la quantité du capital pouvant obtenir un certain intérêt diminuer, cependant qu’augmentera d’autant celle du capital donnant un certain intérêt supérieur au premier. Que si l’appréciation d’un bien, au lieu de monter, vient au contraire à baisser, des conséquences opposées aux précédentes auront lieu.

Du moins les choses se passeront-elles ainsi si le changement qui survient dans l’appréciation d’un bien ne modifie en rien l’appréciation que l’on fait des autres biens[21]. Mais très souvent un bien plus apprécié ou moins apprécié fait qu’on apprécie moins, ou plus, d’autres biens : car la spécificité des biens n’est pas absolue, les besoins que les biens satisfont se hiérarchisent en genres, en familles, en telle sorte que le besoin d’un bien diminuant ou augmentant d’importance fait augmenter ou diminuer d’importance le besoin, le désir qu’on a d’autres biens[22]. Et de là résulte la nécessité de corriger — d’une manière qu’il est aisé de concevoir — les indications données ci-dessus.

Considérons d’autre part les variations qui affectent les frais de production des marchandises — biens de consommation immédiate ou biens durables — obtenues avec des capitaux. Ces variations peuvent être telles qu’elles modifient le rapport, dans les dépenses capitalistiques, des dépenses consistant en main-d’œuvre, et des dépenses consistant en matières premières, en matériaux, etc. — lesquelles dépenses, si elles sont encore pour partie, en fin de compte, des dépenses en main-d’œuvre, pour partie aussi représentent des dépenses d’autre sorte —. Que par exemple an appauvrissement du sol, l’apparition de maladies nouvelles, un changement dans les conditions climatériques vienne à réduire la production de certaines matières premières, à les rendre plus coûteuses, à faire que la même quantité de ces matières ne puisse plus être obtenue que sur une surface plus grande : de certaines industries capitalistiques — celles-là qui emploient ces matières premières — se trouveront devenir moins lucratives, si même elles doivent l’être encore, et l’échelle des emplois ouverts aux capitaux sera changée dans un sens favorable aux productions qui paient surtout de la main-d’œuvre[23].

Qu’elles modifient ou non le rapport des dépenses en main-d’œuvre et des dépenses d’autre sorte, les variations qui ont lieu dans les frais des productions capitalistiques modifient toujours l’échelle des rendements que les capitaux peuvent obtenir, et on aperçoit tout de suite dans quel sens. Les frais des productions capitalistiques augmentent-ils ? la quantité des capitaux pouvant donner certains rendements relativement élevés se trouvera réduite au profit de la quantité des capitaux pouvant donner certains autres rendements, moindres que les précédents. Que si les frais des productions capitalistiques diminuent, on aura l’effet inverse. Dans un cas il y aura des chances pour que l’intérêt baisse, dans l’autre il y aura des chances pour que l’intérêt monte[24].


155. J’arrive maintenant à ces variations dans l’échelle des rendements des capitaux qui résultent de ce que de nouveaux emplois s’offrent aux capitaux. Et à ce sujet je note tout d’abord que c’est de façons très diverses que peut se faire l’accroissement du nombre des emplois ouverts aux capitaux dans l’ordre de la productivité ou de la création des biens durables.

En premier lieu, des méthodes nouvelles peuvent être inventées qui permettront d’obtenir des produits déjà connus, de réaliser des services déjà recherchés à moins de frais, ou encore d’obtenir des produits de meilleure qualité, d’effectuer certains services d’une manière plus satisfaisante. C’est là un fait économique qu’on ne confondra pas avec celui que j’ai mentionné plus haut des productions dont les frais se trouvent réduits par une baisse des prix, soit des matières premières, soit de la main-d’œuvre employée : autre chose est que dans une entreprise productive le coût des matières premières vienne à baisser, sans que rien soit changé à l’organisation et à la conduite de l’entreprise, autre chose que dans une industrie on trouve moyen de réduire les frais par la substitution aux matières premières précédemment employées de matières premières nouvelles, ou encore par l’emploi d’un outillage nouveau, bref, en apportant quelque changement dans le mode de la production : ici l’application du mode nouveau pourra être considérée comme un emploi nouveau — aussi bien, on n’en avait jusque-là aucune idée — qui s’offrira au capital.

Ces inventions ne sont pas les seules à ouvrir des emplois aux capitaux, qui portent sur la façon de produire des biens déjà connus et déjà appréciés. Il est des inventions qui ont pour effet de faire connaître aux hommes des biens nouveaux, et de les leur faire désirer, qui, encore — ceci revient à ce que je viens de dire — font naître chez l’homme des besoins nouveaux, font sortir du moins davantage les besoins des hommes de l’indétermination primitive, créent des spécifications nouvelles de nos besoins généraux.

Au vrai, la démarcation n’est pas toujours facile à établir de ces inventions et de celles de la classe précédente : dans cette dernière, je plaçais les inventions qui permettent d’avoir des produits de meilleure qualité ; mais ne peut-on pas dire que, du moment que la qualité d’un produit varie, c’est un bien nouveau que l’on a, qui satisfait un besoin également nouveau ? que, à parler rigoureusement, un même besoin ne peut être satisfait par plusieurs objets qu’autant que ceux-ci sont parfaitement identiques, ce qui sans doute n’arrivera jamais ? On invente un mode nouveau de transport pour les voyageurs, le transport par chemin de fer ; le voyage par chemin de fer, outre qu’il sera moins coûteux que le voyage en diligence, s’effectue dans des conditions de confort, d’agrément, différentes de celles du voyage en diligence : l’industrie du transport par chemin de fer ne sera donc pas regardée comme une transformation des formes précédentes de l’industrie des transports, on dira plutôt que l’invention du mode nouveau de transport a créé un besoin qui n’existait pas auparavant, qu’elle a créé une industrie véritablement nouvelle, Mais d’autres cas que l’on peut imaginer seront plus embarrassants.

On ne s’arrêtera pas à la considération que je viens d’indiquer, on acceptera, malgré l’impossibilité d’établir une démarcation nette, la distinction que j’ai établie. Et alors, séparant les inventions de biens nouveaux des inventions qui permettent d’avoir dans de meilleures conditions des biens déjà connus, on remarquera la grande importance de ces inventions de biens nouveaux. Dans une époque progressive comme la nôtre, c’est très fréquemment qu’il est fait de telles inventions : et à chaque fois des débouchés nouveaux sont créés pour les capitaux.

Reste à mentionner une troisième cause qui sollicite les capitaux, dans l’ordre de choses qui nous occupe présentement. Des débouchés peuvent apparaître pour les capitaux, par la simple extension d’industries déjà existantes : des terres nouvelles seront découvertes, par exemple, dont on entreprendra l’exploitation des mines seront découvertes de même ; ou bien encore l’établissement de moyens de communication qui n’existaient pas, l’amélioration de l’état politique et social dans un pays donné auront cette conséquence que des entreprises seront en état de donner des rendements aux capitaux qu’on y engagera, qui jusque-là ne figuraient pas dans l’échelle des entreprises capitalistiques lucratives[25].

156. Qu’arrivera-t-il donc, quant à l’échelle des rendements des capitaux, quand on apercevra la possibilité d’opérer, dans la production, des placements capitalistiques qui précédemment n’étaient pas soupçonnés, ou qui n’étaient pas possibles ? Je ne veux pas m’occuper ici de la répartition nouvelle qui pourra se faire des dépenses capitalistiques entre les dépenses en main-d’œuvre et les dépenses d’autre sorte[26]. Je constaterai simplement que l’effet d’un tel fait sera, nécessairement, d’accroître la quantité des capitaux pouvant donner un certain revenu.

Tel sera du moins l’effet immédiat, l’effet premier. Mais c’est une question de savoir si en fin de compte les choses se présenteront comme je viens de dire. Un changement qui modifie par lui-même l’échelle des rendement des capitaux a presque toujours des répercussions ; presque toujours il entraîne avec lui toute une série de modifications de cette échelle[27].

Il y a ici deux cas à distinguer.

Le premier cas est celui de l’invention d’une méthode productive nouvelle permettant d’avoir à meilleur compte des produits déjà connus ; et c’est aussi celui de l’ouverture de débouchés nouveaux, de l’extension de productions déjà existantes. Dans ce cas, il arrivera sans doute que la quantité des capitaux pouvant obtenir un certain rendement — relativement élevé — sera accrue ; mais il pourra arriver en même temps que la quantité totale des capitaux à qui une rémunération sera assurée soit réduite.

On invente une méthode nouvelle, et moins coûteuse, pour la production d’une certaine marchandise : cette méthode nouvelle ne manquera pas de prendre la place de l’ancienne. Et alors les capitaux dont on se servira pour l’appliquer rapporteront plus, à quantité égale, que ceux que l’on employait précédemment. Mais dans l’industrie transformée, y aura-t-il plus de capitaux employés, ou moins ? cela dépendra de la nature du besoin satisfait par notre industrie, de la plus ou moins grande élasticité de ce besoin. L’abaissement du prix d’une marchandise — cet abaissement ne peut manquer d’avoir lieu, si la production de la marchandise n’est pas monopolisée, et qu’elle ne soit pas non plus limitée d’une manière nécessaire — étend plus ou moins la consommation, et par suite la production. Il est des marchandises dont les prix peuvent baisser sans que la consommation s’en accroisse sensiblement. Il en est d’autres dont la consommation prend une grande extension quand les prix s’abaissent, soit que les mêmes individus qui usaient déjà de cette marchandise en usent maintenant davantage, soit que la baisse des prix mette la marchandise à la portée de gens qui jusque-là ne pouvaient prétendre en acheter. Que la consommation, donc, s’étende en même temps que la production devient moins coûteuse : alors, le même capital servant à obtenir une plus grande quantité de produit, on pourra voir néanmoins, on verra souvent s’accroître la quantité du capital employée dans l’industrie transformée. Mais on pourra aussi constater, et on constatera souvent le phénomène inverse.

L’ouverture de débouchés nouveaux pour les capitaux, dans des industries déjà connues et pratiquées, pourra aussi avoir pour effet de réduire la quantité des capitaux donnant un certain rendement, tout en augmentant, bien entendu, la quantité des capitaux donnant un certain autre rendement, supérieur au premier. Que l’on découvre par exemple de nouvelles mines d’un métal déjà connu : il n’est pas inconcevable, si les nouvelles mines sont extrêmement abondantes et extrêmement faciles à exploiter, que par suite de la découverte de ces mines, le prix du métal subissant une forte baisse, l’exploitation des anciennes mines cesse de donner aucun rendement, et qu’en définitive on ait, au lieu de la possibilité d’employer un capital A avec un rendement m, la possibilité d’employer un capital B, inférieur à A, avec un rendement n, supérieur à m : ainsi, comme je le disais, la quantité des capitaux donnant n comme rendement serait accrue, mais la quantité des capitaux donnant m, où donnant un rendement quel qu’il soit, serait diminuée. On remarquera toutefois que pour qu’un tel fait ait lieu, il faut un ensemble de conditions qui se trouveront rarement réunies : à la différence de ce que nous avons vu au sujet de la découverte de méthodes productives moins coûteuses, ces considérations sur l’extension simple d’industries déjà pratiquées n’ont guère qu’un intérêt théorique.

157. Voici maintenant le deuxième cas que j’annonçais tantôt : c’est le cas de l’invention d’une méthode nouvelle donnant pour le même coût des produits de qualité supérieure, et c’est le cas encore de la création, par suite de quelque découverte, d’un bien, et d’un besoin nouveau[28]. Dans ce cas, on verra s’accroître, en règle générale, la quantité des capitaux pouvant donner un rendement. On réussit à obtenir pour le même coût des produits de meilleure qualité ? ces produits étant plus désirés que ceux que l’on avait auparavant, on en fera, en général, plus qu’il n’était fait de ceux-là : on emploiera donc dans l’industrie transformée plus de capitaux qu’il n’en était employé auparavant. Un bien nouveau est-il inventé, créant un besoin nouveau ? on ne verra pas immédiatement et nécessairement des entreprises anciennes disparaître comme on voit, lorsqu’une méthode moins coûteuse est introduite dans une industrie, la méthode ancienne céder la place à l’autre et toute une série d’emplois précédemment ouverts aux capitaux cesser de donner aucun rendement.

Toutefois les choses ne se passeront pas toujours comme je viens de dire. Quand un produit devient meilleur, il peut arriver qu’une quantité moindre de ce produit suffise à rendre le même service où il fallait auparavant une quantité plus grande : un produit alimentaire dont le goût aura été rendu meilleur ne sera pas consommé en moindre quantité ; mais il en sera autrement pour un produit alimentaire que l’on aura rendu plus nourrissant, ou encore pour certains biens durables qu’on aura rendus plus durables. D’autre part un produit nouveau que l’on invente fait délaisser un produit ancien, la bicyclette supplante le canot — c’est à cause de cette parenté des besoins entre eux que je notais il y a un instant[29] — ; et la conséquence finale pourra être, si le bien nouveau exige pour être obtenu beaucoup moins de capitaux que l’ancien, et si en outre la demande de ce bien nouveau doit diminuer d’une façon très notable la demande de l’autre, une diminution de la quantité des capitaux donnant un rendement.



158. J’arrêterai ici mes considérations sur l’intérêt du capital. En terminant, est-il besoin de dire qu’une théorie comme celle que j’ai développée, si on veut s’en servir pour comprendre et pour expliquer les faits que nous présente l’expérience, est d’une application fort délicate ? Procédant par abstraction — cela est nécessaire dans une question telle que celle de l’intérêt —, examinant toujours les hypothèses les plus simples, me bornant à rechercher les lois les plus élémentaires et les plus générales qui régissent la matière de mon étude, j’ai dû cependant donner de l’intérêt une explication bilatérale, reconnaître à l’intérêt une multiplicité de causes qui s’agencent et se combinent en des modes nombreux et divers. Quelle difficulté dès lors dans l’interprétation des faits concrets de l’expérience ! Un même fait que l’on constatera pourra avoir plusieurs raisons, et présenter ainsi des significations très différentes : la baisse de l’intérêt, par exemple, pourra provenir d’une grande abondance de capitaux, comme on dit, et être un indice d’un accroissement de la richesse générale ; elle pourra aussi bien résulter d’un rétrécissement des débouchés du capital, et marquer un ralentissement fâcheux dans les progrès de l’économie ; elle pourra avoir l’une et l’autre cause, signifier l’une et l’autre chose, et d’autres encore.

Mais il est sans doute inutile de conseiller ici la prudence : la complexité de la théorie que j’ai présentée n’a pas pu manquer de frapper le lecteur, et elle l’aura mis en garde contre la tendance à donner aux faits de l’expérience des explications trop simples. Puisse du moins ma théorie constituer pour la compréhension de ces faits le guide sûr qui a manqué jusqu’à présent !



    tromper, et de vous tromper d’une manière très préjudiciable, régler votre consommation de telle sorte que voire avoir dure jusqu’à votre mort, et seulement jusque là.
    — Une remarque encore, qui est provoquée par les considérations ci-dessus. On dit que l’économie politique, si elle veut — comme il est nécessaire pour arriver à des lois générales — simplifier la réalité, négliger les exceptions, doit supposer que les hommes sont guidés en toute chose par le souci de leur intérêt, et de leur intérêt bien compris. Ceci peut être vrai des autres parties de l’économique ; c’est assez loin d’être vrai de celle partie de l’économique qui traite de la capitalisation La dépréciation du futur, en tant qu’elle ne résulte pas de la pensée de la mort — cette dépréciation qui joue ici un rôle malgré tout assez notable — est un oubli ou une méconnaissance par l’individu de ses vrais intérêts. Et d’autre part, si l’individu était attaché à ses seuls intérêts, qu’arriverait-il ? que chacun consommerait avant de mourir tout son avoir ; on consommerait tous les capitaux qu’on aurait créés, on consommerait tout ce qu’on pourrait obtenir par la vente de ces biens non consommables qui produisent des revenus : l’intérêt serait formidablement élevé, le progrès économique n’existerait pas, ou plutôt même on retournerait très vite à l’état pré capitalistique, à la barbarie. En fait, sur ce point tout à fait important on voit l’intérêt individuel, l’intérêt bien entendu, s’effacer le plus souvent derrière d’autres sentiments : l’amour de la famille, sentiment altruiste ; puis des sentiments égoïstes irrationnels, si l’on peut ainsi parler, comme le désir de ne pas voir son bien diminuer de son vivant, le sentiment qu’en disposant de ce bien pour après sa mort on fait que quelque chose survive de vous ; enfin la soumission à la coutume. Mais je reviendrai sur celle remarque dans l’appendice I, § 5.

    la production. Les Anglais, les Américains du nord économisent moins que les Français : mais cette cause d’infériorité est compensée chez eux par leur plus grande initiative.

    exposée ci-dessus, laquelle est aussi bien la conception commune, et les vues de George ? Pour George, les salaires et l’intérêt doivent monter et baisser en même temps. Mais on ne saurait accepter les arguments par lesquels George prétend démontrer son assertion. Ici, George déclare qu’il faut que la récompense du capital et la récompense d'un travail soient égales — je ne conçois guère cette égalité —, que le capital et le travail obtiennent un résultat également attrayant par rapport à l’effort ou au sacrifice consenti : sans quoi « le travail n’accepterait pas l’emploi du capital, ou le capital ne serait pas mis à la disposition du travail » (Progrès et pauvreté, III, 5, p. 190) ! Ailleurs, George raisonne ainsi : la baisse de l’intérêt doit être proportionnelle à celle des salaires ; sinon « il deviendrait plus profitable de transformer le capital en travail que de l’appliquer autrement » (p. 191) : les salaires doivent baisser proportionnellement à l’intérêt : « autrement l’accroissement du capital serait enrayé » (p. 191) ; or ce capital doit être formé que demande la production, étant donné l’avancement des connaissances, la densité de la population, l’extension et la rapidité des échanges, etc. (pp. 192-193) ! Dégageons-nous de ces raisonnements tendancieux, et faux, et parfois inintelligibles, que voyons-nous ? que la hausse des salaires tend à faire baisser l’intérêt, la baisse des salaires à le faire monter. Il faut dire il est vrai, d’autre part, que la hausse ou la baisse de l’intérêt à son tour fait rechercher ou rend moins lucratif l’emploi de la main-d’œuvre, et qu’ainsi le premier phénomène est limité par ses propres conséquences.
    — Une remarque enfin sur la théorie du « capital constant » et du « capital variable » que l’on trouve chez Marx. Pour Marx (Le capital, liv. I, chap. 25, § 2, pp. 273-296 de la trad, fr. ; voir encore liv. III, chap. 13 et passim), l’accroissement relatif du capital constant, c’est-à-dire de cette partie du capital qui ne sert as à payer de la main-d’œuvre, entraîne une baisse du « profit », Marx se fonde, pour l’affirmer, sur celle conception que le revenu du capital provient exclusivement de l’exploitation du travailleur, que c’est une plus-value engendrée par le travail. Malheureusement cet conception est radicalement fausse. En réalité, on doit admettre que l’augmentation relative du capital constant diminue tout d’abord, et en elle-même, le revenu du capital pour autant qu’elle implique une augmentation relative du capital fixe ; mais cette proposition n’est plus identique à celle de Marx ; et elle se fonde sur une raison tout autre que la raison donnée par Marx à l’appui de sa proposition : elle se fonde sur cette raison que l’augmentation relative du capital fixe représente un allongement de la durée moyenne de la production, un allongement du temps pour lequel les avances capitalistiques sont consenties.

  1. La concurrence n’existe qu’entre les capitaux disponibles, Il est cependant des capitaux anciens qui dans le moment présent continuent à donner des rendements : notre principe s’applique à ces capitaux anciens, pour autant qu’on a la possibilité de les reconstituer. Un capitaliste a dépensé 100.000 fr. dans une entreprise ; l’outillage qu’il à acquis, les matières premières qu’il a achetées vaudraient aujourd’hui, s’il les vendait, 20.000 fr. seulement ; il faut que son entreprise donne à notre capitaliste, le taux de l’intérêt étant de 5 %, 1.000 fr. par an ; sans quoi il aura avantage à tout vendre, et à placer ailleurs les 20.000 fr. qu’il réaliserait.
  2. Cf Böhm-Bawerk, II, pp. 297-298. On sait cependant que la dépréciation du futur, que la variation des besoins ou des ressources agissent en telle sorte qu’elles tendent à créer un revenu du capital non proportionnel au temps ; que ce que j’ai appelé le sacrifice capitalistique tend à empêcher la capitalisation en telle sorte que le capitaliste se trouve être indifférent à la durée de l’attente du surplus qu’il exige, Comment donc la proportionnalité s’établit-elle ? car on ne voit pas dans l’expérience que des arbitrages aient lieu d’être pratiqués.
    Considérons d’abord l’influence de ce facteur que représente le sacrifice capitalistique : par rapport à ce facteur, il est indifférent que 4.000 fr. que j’économise aujourd’hui me rapportent un surplus de 100 fr. dans un an ou dans 10 ? Oui, mais à cette raison que je considère, laquelle tend à m’empêcher d’économiser 1.000 fr. pour avoir un surplus de 100 fr., d’autres raisons s’ajoutent — la dépréciation du futur par exemple —, lesquelles me font désirer percevoir le surplus de 100 fr, le plus tôt possible, Et puis ce surplus de 100 fr, que je percevrai, quand je l’aurai perçu, je pourrai en faire un placement, pour qu’il me rapporte à son tour un autre surplus ; si donc je le perçois après un an au lieu de le percevoir après 10 ans, je pourrai gagner ce que rapporte de surplus, en 9 ans, une somme de 100 fr.
    Passons à la dépréciation du futur et à la variation des besoins ou des ressources ; la réponse à notre question de tantôt sera également simple, Ces causes font que je suis disposé à emprunter 1.000 fr, pour 5 ans à 5 %, et pour 10 ans à 8 % ? que je ne puis prêter ou avancer 1.000 fr. pour 5 ans qu’à 5 + ε %, et pour 10 ans qu’à 8 + ε % ? Dans la série des emplois ouverts aux capitaux on mettra qu’une somme de 1.000 fr. serait empruntée pour 10 ans à 8 %, et dans la série des capitaux disponibles, que 1.000 fr. sont disponibles pour 5 ans à 5 + ε % : car si je dois emprunter les 1.000 fr., ne pouvant pas les emprunter à la fois pour 5 ans et pour 10 ans, il y a plus de chances que je les emprunte pour cette durée à laquelle correspondra l’intérêt le plus fort — je trouverai plus facilement à emprunter moyennant cet intérêt —, et si je dois les prêter ou les avancer, je le ferai plus facilement pour cette durée qui donnera l’intérêt le plus faible — c’est cet intérêt là qu’on est le plus disposé à me payer —.
  3. Si un capital, employé par son propriétaire, doit obtenir plus que l’intérêt, est-il besoin, pour que ce capital soit effectivement employé, que l’intérêt courant le rémunère ? oui sans doute. L’intérêt étant de 5 %, je puis obtenir 7 % sur mon fonds avec un capital qu’un rendement de 6 % seulement rémunérerait : je n’emploierai pas ce capital ; il me sera plus avantageux d’emprunter, à raison de 5 %, à un capitaliste quelconque.
  4. Cette limite absolue de la capitalisation qui dépend des capitalistes, on voit aisément où elle est : on ne peut pas capitaliser plus qu’il n’est produit ; et même on ne verra pas les gens capitaliser ce qui est indispensable à leur subsistance. Il serait plus difficile de dire quelle somme de capitaux on pourrait employer sans qu’aucun manquât à donner un surplus.
  5. Qu’ils peuvent assurer, dis-je : c’est qu’en effet, une fois l’intérêt déterminé, le rendement de tous les capitaux prêtés se réduira à cet intérêt.
  6. Supposons que l’intérêt étant de 3 %, le rendement d’un certain capital s’élève de 4 % à 6 % : il est clair que l’intérêt ne sera pas modifié par là ; de même si la rémunération exigée par un certain capital tombe de 2 % à 1 % ; l’intérêt restera encore au taux de 3 % si, en même temps que le rendement de certains capitaux s’élève de 2 % à 4 %, la rémunération exigée par certains capitaux — par une certaine quantité de capitaux, égale exactement à la précédente — tombe de 3,5 % à 2,5 %.
  7. Ils placeront des sommes d’argent pour consommer plus tard les intérêts de ces sommes.
  8. On fait aussi des versements à des sociétés de secours mutuels, à des assureurs : ces assureurs, ces sociétés capitalisent en partie les primes qu’elles reçoivent.
  9. Ces dépenses productives peuvent ne pas donner l’intérêt courant : l’exploitation d’un chemin de fer construit par l’État ne rémunère pas les capitaux qui y ont été dépensés ; une route rend des services qui, s’ils étaient payés — car sauf exception l’usage des routes nationales est gratuit —, ne représenteraient pas l’intérêt des sommes qu’elle a coûté. Les États commettent de ces fautes économiques : outre que la fin économique n’est pas la seule dont ils aient à se préoccuper, on sait que les États peuvent se permettre des gaspillages, leurs ressources n’étant pas limitées comme celles des particuliers.
    Lorsqu’un État avec de l’argent emprunté acquiert ou crée des biens durables, forteresses, armements, etc., ce qu’il fait, en définitive, c’est de prendre ces biens en location de ses préteurs, lesquels sont comme s’ils les avaient fait construire.
  10. Notons qu’à propos de la variation des ressources il n’y a pas à examiner, ainsi que j’ai fait pour la variation des besoins, comment se comportent les États : les États, en effet, à la différence de ce que font les particuliers, sont pour ainsi dire maîtres de déterminer leurs ressources à leur gré.
  11. Elle en fait demander cependant : c’est le cas lorsqu’un fils de famille contracte des emprunts qu’il remboursera après être entré en possession de l’héritage paternel, et en cédant une partie de cet héritage. Dans un cas pareil d’ailleurs la dépréciation des biens futurs souvent concourra avec la variation des ressources pour provoquer l’emprunt.
  12. L’assurance contre la vieillesse peut être pratiquée par le moyen de versements réguliers à des sociétés de secours mutuels, à des caisses nationales de retraites. Mais ces sociétés, ces caisses capitaliseront en partie les sommes versées à titre de primes d’assurance.
  13. C’est ici une vérité psychologique curieuse à noter. Mes revenus vont être portés de 10.000 fr, à 20.000. fr. ? il me semble que mon bien-être va être doublé : peu de gens, dans un pareil cas, se rendront compte de l’avantage réel qu’il y aurait peur eux à égaliser leur consommation présente et leur consommation future au moyen d’un emprunt, même contracté à intérêts. Au contraire, sachant que ses revenus vont tomber de 20.000 à 10.000 fr., on fait des économies. Et ce n’est pas là — contrairement à ce qui résultait des considérations un peu trop rigoureuses, et à tendances un peu trop objectivistes que j’ai exposées à diverses reprises — une pure inconséquence : il faut tenir compte de ce fait qu’on jouit par avance d’un accroissement de ses revenus, que cette jouissance anticipée opère jusqu’à un certain point l’égalisation du bien-être dont j’ai parlé. La pensée d’une diminution future des revenus opère une égalisation analogue : seulement cette égalisation se fait par la diminution du bien-être de la période la plus heureuse, au lieu que tout à l’heure elle se faisait par l’accroissement du bien-être de la période la moins bien partagée ; et ainsi, tandis que la première égalisation dispensait de contracter ces emprunts que je déclarais avantageux, la deuxième pousse davantage à faire les économies que je disais.
    Ces remarques sur les variations des ressources vaudraient aussi bien, mutatis mutandis, pour les variations des besoins.
  14. Il ne faudrait pas cependant établir un rapport trop rigoureux entre l’esprit d’économie et la civilisation ou le caractère progressif de
  15. L’individu qui vend, pour en consommer improductivement le prix pendant sa vie, une terre, une maison, cet individu détruit vraiment des capitaux, Celui qui achète la terre, par exemple, est un capitaliste qui cherche un placement pour ses capitaux ; si vous ne lui offrez pas votre terre, il trouvera un autre placement ; lui offrant votre terre, vous empêchez un placement capitalistique d’être opéré, vous absorbez, pour les consommer, des capitaux qui eussent reçu une destination d’un autre genre. Le fait de donner ensuite le prix de la terre à une société qui vous assurera une rente viagère ne change rien à l’affaire. Si vous confiez vos fonds à une société, à un individu, c’est parce que, nul ne sachant à quel moment au juste il mourra, vous ne sauriez pas vous-même, sans être quasiment certain de vous
  16. Il y a ici une question délicate. Dans certains cas, il est manifeste que l’individu peut se tromper sur ses intérêts : par exemple, s’il lui arrive de faire des fautes de calcul dans les prévisions relatives à quelque opération. J’estime qu’on peut encore parler d’une erreur de l’individu dans le cas de la dépréciation du futur : la certitude étant égale, les risques, encore, étant couverts, nous ne devrions pas préférer — pour autant du moins qu’on ne fait pas intervenir la pensée de la mort — les biens présents aux biens futurs, les biens prochains aux biens éloignés. Dans le cas exposé plus haut, il ne s’agit plus de comparer ensemble le gain prévu avec le gain réalisé, un plaisir ou une peine, tels qu’on se les représente à l’avance, avec ce même plaisir ou cette même peine, tels qu’on les sent le moment veau, mais un sentiment présentement et réellement éprouvé avec ce que ce sentiment devrait être si on voyait les choses d’une manière purement rationnelle : le cas est autre, et ce cas est embarrassant.
  17. Voir Böhm-Bawerk, II, pp. 447-448.
  18. Encore une complication qui se présente ici : si on regarde les héritiers comme les parfaits continuateurs de ceux dont ils héritent, il faudra, pour que l’égalité dans la consommation soit établie, que chaque héritier ait, après l’héritage, des revenus égaux aux revenus de celui dont il hérite. Je dis : après l’héritage ; car si en général on tient autant à laisser un bien à ses héritiers qu’on tient à le conserver pour soi-même, si encore on égale le bien-être dont nos héritiers jouiront après notre mort à celui dont nous jouissons nous-mêmes de notre vivant, cependant on n’égale pas le bien-être dont ces héritiers jouissent de notre vivant à notre bien-être propre.
  19. Les pays qui ont le plus de facilité pour épargner paraissent être ceux qui sont riches, et où en outre la distribution des richesses est inégale, sans l’être cependant extrêmement.
  20. Comment se calcule l’intérêt obtenu par un capital ? C’est ici le lieu de l’indiquer, puisque nous sommes en présence des facteurs qui n’agissent que pour permettre aux capitaux d’obtenir des intérêts, et que des facteurs qui agissent dans ce sens ce sont sans doute les plus importants.
    Si l’on veut connaître le revenu que donne un capital, il faut considérer le rapport du rendement aux avances, en tenant compte en outre du temps pour lequel ces avances ont été consenties.
    Dans certains cas, le calcul sera on ne peut plus simple. J’ai dépensé d’un seul coup 10.000 francs ; après 2 ans d’attente, il me revient, toujours d’un seul coup, 12.000 francs : mon capital m’aura donné un revenu annuel de francs, soit un taux de 10 %.
    Mais il peut se faire que le rendement ne soit pas perçu d’un coup, que par exemple les 10.000 francs avancés rapportent 1.000 francs au bout d’un an, 1.000 francs encore au bout de 3 ans, et ainsi de suite pendant 15 ans. Quel aura été le revenu annuel ? Si nous appelons x le taux de ce revenu, considérant que le rendement total dépasse les avances de 5.000 francs, que d’autre part la somme totale avancée a été pendant un an de 10.000 francs, pendant un an — après la perception de la première fraction du rendement — de 9.000 francs, etc., on pourra poser l’équation suivante :
    ,

    d’où l’on tire :

    .

    Si non seulement le rendement, mais encore l’avance se distribuait sur un certain temps, le calcul serait un peu plus compliqué. Mettons que j’aie dépensé à un moment donné 5.000 francs, un an après 5, 000 francs encore, que le rendement ait commencé à être perçu — de la même manière que tantôt — un an après la deuxième avance : l’équation deviendrait :

    ,

    et l’on aurait :

    .

    Je n’ai pas tenu compte dans ces calculs de la possibilité qu’on a de composer les intérêts.

  21. Que l’on comprenne bien ceci : l’appréciation d’un bien est chose relative ; qui dit appréciation, dit mesure, et qui dit mesure, dit établissement d’un rapport. La distinction que je veux faire est donc la suivante : tantôt le changement survenu dans l’appréciation d’un bien n’altère en rien les relations qui existent entre les autres biens ; tantôt ce changement entraîne un changement dans les relations d’un autre bien, ou de plusieurs autres avec la généralité des biens.
  22. Voir sur toute cette question mon livre L’utilité sociale de la propriété individuelle, §§ 30, 46, 111-112, 267.
  23. Dans mon livre L’utilité sociale de la propriété individuelle, j’ai étudié l’influence sur la quantité de main-d’œuvre occupée, et par suite sur la population, des changements qui affectent les conditions de la production ; voir §§ 309-313.
  24. Je dis : il y aura des chances. Imaginons en effet que la somme des capitaux pouvant donner un rendement de 10 % diminue au profit de la somme des capitaux pouvant donner 8 %, l’intérêt, s’il était de 4 %, restera de 4 % ; l’intérêt ne changerait que si, par suite des variations survenues dans les frais de certaines productions capitalistiques, la somme des capitaux donnant 4 % ou plus de 4 % était réduite.
    Si les variations dans les frais des productions capitalistiques doivent entraîner une baisse ou une hausse de l’intérêt, cette baisse ou cette hausse s’accompagneront toujours, d’après Böhm-Bawerk, d’un allongement ou d’un abrègement de la durée moyenne de la production, résulteront même, en un certain sens, de cet allongement ou de cet abrègement. J’ai dit au chapitre précédent ce qu’il fallait penser de cette théorie de Böhm-Bawerk.
    — Remarquerai-je la contradiction qui existe entre la conception
  25. Je n’ai parlé dans tout ce passage que de la multiplication qui peut avoir lieu des emplois productifs des capitaux, je n’ai pas parlé de la diminution de ces mêmes emplois. C’est qu’en fait à la plupart des augmentations possibles il n’y a pas de diminution qui corresponde : un besoin nouveau est-il créé ? il pourra s’affaiblir — j’ai envisagé celle hypothèse au § 154 —, il ne disparaîtra jamais complétement, à moins de supposer qu’on vienne à perdre un jour le souvenir du bien qui le satisfaisait ; une méthode nouvelle est-elle inventée pour produire un bien ? les emplois nouveaux qu’elle représente pour les capitaux subsisteront toujours comme emplois possibles — sauf les conséquences qui résulteraient de l’invention de méthodes plus perfectionnées, conséquences que j’indiquerai bientôt —. Il y a cependant des augmentations des emplois possibles des capitaux auxquelles correspondent des diminutions : ce sont celles que j’ai mentionnées en dernier lieu ; si des terres nouvelles sont découvertes, on voit aussi des terres anciennes englouties par suite de quelque cataclysme géologique : les mines qu’on découvre s’épuisent, etc.
  26. Je rappelle que cette question est traitée dans mon livre sur L’utilité sociale de la propriété individuelle, §§ 309-313.
  27. La remarque eût pu être faite tout à l’heure déjà, à propos de ces variations de la productivité des capitaux qui ne consistent pas en la découverte d’emplois nouveaux pour le capital. Toutefois elle sera mieux à sa place ici.
  28. On conçoit sans peine que ces hypothèses, dans la réalité, peuvent se combiner avec les hypothèses précédentes : ainsi on inventera des méthodes productives qui seront moins coûteuses et qui en même temps donneront des produits meilleurs.
  29. Ce n’est pas seulement la parenté des besoins qu’il faut considérer pour savoir si le bien satisfaisant tel besoin supplantera plus ou moins le bien satisfaisant tel autre besoin ; d’autres considérations doivent intervenir ici : ainsi un bien supplantera un autre bien, fera rechercher beaucoup moins celui-ci, si les deux biens en question sont tels que pour en jouir l’homme doive dépenser du temps ; car le temps dont vous disposons est limité.
    — Les répercussions indirectes dont je parle ci-dessus ont lieu même dans le premier de nos deux cas. Si l’on trouve le moyen de produire à moins de frais une certaine marchandise, pour voir les conséquences de ce fait il ne faut pas seulement rechercher combien la consommation de cette marchandise s’étendra, il faut aussi se demander si cette extension de la consommation de notre marchandise, si l’abaissement du prix de celle-ci ne fera pas rechercher moins telle ou telle autre marchandise.