L’ingénieur Jousselin

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L’ingénieur Jousselin,
Souvenirs
(1776 à 1858)
1889


L’Exposition Universelle de 1889 est ouverte et l’admiration des visiteurs se trouve immédiatement captivée par le spectacle de la Tour Eiffel, qui domine par les proportions gigantesques de son ossature le vaste Palais du Champ de Mars.
Cette construction hardie et féerique, qui résume dans l’ensemble de sa conception toutes les difficultés vaincues par la science de l’Ingénieur, donne la note caractéristique des travaux métalliques exécutés dans ces dernières années avec le plus entier succès par les Ingénieurs français, et elle constitue par excellence le monument élevé au centre de la capitale, à la gloire de la science et du génie civil.
C’est donc avec raison que sur la frise du monument ont été inscrits en lettres d’or les noms des savants et ingénieurs qui ont illustré la patrie française.
C’est avec raison qu’à côté des noms des Arago, des Cauchy, des Dumas, des Gay-Lussac et autres maîtres de la science, figurent les noms des ingénieurs tels que Navier, Coriolis, Poncelet, Fresnel, Polonceau et tant d’autres qui ont su imprimer aux travaux d’utilité publique une impulsion qui a placé si haut la France dans l’estime des peuples du monde. Parmi les noms de ces célébrités figure celui de l’ingénieur Jousselin, depuis longtemps disparu, et qui, par le rôle qu’il joua dans la défense de Hambourg, fut une des illustrations du Corps des Ponts et Chaussées.
Nous croyons devoir consacrer à sa mémoire quelques pages de biographie qui rappelleront les services que cet ingénieur éminent sut rendre à sa patrie.

Louis Didier Jousselin naquit à Blois le 1er avril 1776. Il appartenait à une vieille famille originaire du Limousin. Son père, avocat distingué, qui avait embrassé avec ardeur les idées du temps, fut élu en 1795 député à l’Assemblée nationale (Conseil des anciens) par la ville de Blois.
Jousselin était aussi le neveu de Samuel Dinochau, député de Blois aux Etats-généraux, qui prit part, le 4 mai 1789, au serment du Jeu de Paume.
Elevé dans une famille qui fut activement mêlée aux événements politiques de l’époque[1], il put traverser, non sans danger, la tourmente révolutionnaire et poursuivre au milieu de l’agitation du pays, de fortes études, qui devaient assurer le succès de sa carrière.

La loi du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794) avait décrété la création à Paris de l’Ecole Centrale des Travaux Publics qui, le 5 prairial suivant, devait prendre le nom définitif d’Ecole Polytechnique.
Jousselin subit brillamment les épreuves du concours et son admission lui fut notifiée dans une lettre officielle que nous croyons intéressant de reproduire in-extenso :

« Paris, le 3 frimaire de l’an III de la République française, Une et Indivisible,

« La commission des travaux publics au citoyen Louis Didier Jousselin, de la commune de Blois :
« La commission te prévient que, conformément aux dispositions de l’article XII de la loi du 7 vendémiaire relative à l’Ecole Centrale des Travaux Publics, tu es admis au nombre des élèves de cette Ecole, d’après le résultat de l’examen que tu as subi dans la commune de Tours, et d’après l’approbation des trois comités réunis de Salut Public, d’Instruction Publique et des Travaux Publics : Tu partiras en conséquence, sans délai, pour te rendre à Paris, où il est indispensable que tu arrives pour l’ouverture de l’Ecole.
« Des mesures ont été prises pour trouver des pères de famille sensibles et bons patriotes, qui recevront en pension plusieurs élèves de cette Ecole, moyennant neuf cents livres par an pour la nourriture et le logement, et qui auront à leur égard les mêmes soins et la même surveillance qu’ils ont pour leurs propres enfants.
« Cependant si, pour des convenances particulières, tes parents préféraient prendre des arrangements avec des amis pour te recevoir à Paris, et te donner les soins paternels dont tu auras besoin pendant tout le cours de ton instruction, ils en ont la liberté ; mais, dans ce cas, il faudra que tu sois muni de l’attestation formelle de leur volonté à cet égard.
« Quoiqu’il en soit, il est indispensable que tu en informes d’avance le Directeur de l’Ecole à qui tu annonceras en même temps et sans délai, le jour de ton départ et celui où tu comptes arriver ici.
« Aussitôt que tu seras rendu à Paris, tu te présenteras au Directeur de l’Ecole Centrale, Maison des Travaux Publics, rue de l’université, faubourg Saint-Germain, qui te fera inscrire et te donnera l’indication du père de famille qui devra te recevoir, ou prendre le nom de celui chez qui tes parents auront voulu te placer, et qui sera chargé de surveiller ta conduite. « D’après l’article XIII de la même loi du 7 vendémiaire, tu dois recevoir pour ton voyage le traitement des militaires isolés en route, comme canonnier de première classe, conformément au décret du 2 thermidor. La présente lettre te servira de titre pour toucher ce traitement. Ta route te sera délivrée par la Commission des Guerres, ou par le directeur du district de ton arrondissement, conformément aux articles X et XI du titre IV de ce décret.

« Salut et Fraternité,
« La Commission : Le Camus, Rondelet. »


Jousselin faisait donc partie de la première promotion de l’école polytechnique, promotion à laquelle appartenaient également des hommes qui marquèrent dans la science, les Travaux publics, l’Administration et l’Armée, notamment les Biot, Francoeur, Malus, Héron de Villefosse, Cavenne, Brisson, Chabrol de Volvic, Jomard, Walkenaer, Rohault de Fleury, Saint-Genis, Baupoil de Saint-Hilaire, Moline de Saint-Yvon et tant d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ici.

Après ses deux années réglementaires de séjour à l’école polytechnique, Jousselin était admis le 1er nivôse an V à l’Ecole des Ponts et Chaussées, et à la suite d’un brillant concours qui couronna ses études d’élève-ingénieur, il était nommé le 8 germinal an VII, au grade d’ingénieur ordinaire au corps des Ponts et Chaussées. Jousselin après avoir débuté au port de Dieppe fut successivement ingénieur à Vitry-le-François où il étudia un projet important de navigation de la Veyle, et à Orléans d’où par arrêté du conseiller d’Etat de Montalivet, directeur général des Ponts et Chaussées, en date du 6 mai 1808, il fut envoyé à Maastricht pour diriger les travaux du grand canal du Nord, dont la construction venait d’être décidée.

« J’avais besoin, Monsieur, lui écrit M. de Montalivet, d’un ingénieur actif et capable pour être employé au grand canal du Nord ; j’ai jeté les yeux sur vous, avec le désir de faire une chose qui vous soit agréable et de vous montrer ma satisfaction pour la part que vous avez prise au projet de navigation de la Veyle.
"La campagne s’ouvre, partez sur le champ pour vous rendre à Maastricht et prendre les ordres de M. le Préfet de la Meuse-Inférieure, etc. , etc. »
Après l’achèvement des travaux du canal du Nord, Jousselin était promu au grade d’Ingénieur ordinaire, faisant fonctions d’Ingénieur en chef du département des Bouches-du-Rhin, à Bois-le-Duc.
L’activité et l’énergie qu’il apporta dans la direction du service difficile des travaux de ce département devait attirer sur lui l’attention de l’Administration supérieure ; de là, la confiance qu’il sut inspirer et qui permit de lui confier la direction des travaux d’un des départements les plus importants du Nord, le département des Bouches de l’Elbe (chef-lieu, Hambourg), dont le territoire venait d’être annexé à l’Empire, ce qui nécessitait pour l’organisation des travaux publics, les fonctionnaires les plus énergiques et les plus expérimentés.

Jousselin est donc nommé Ingénieur en chef à Hambourg.
Le comte Molé, conseiller d’Etat, Directeur général des Ponts et Chaussées le lui annonce par la lettre suivante, écrite de sa propre main et datée du 11 janvier 1811 :
« J’ai décidé, monsieur, qu’à dater de ce jour, vous seriez chargé du service du département des Bouches-de-l’Elbe. Veuillez vous rendre sans délai à Hambourg. Vous n’avez pas un moment à perdre !... Il faut que vous vous mettiez en route dans vingt-quatre heures, je compte beaucoup dans la mission que je vous donne, sur votre zèle, votre activité et vos talents.
« J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

« Comte Molé ».


A Hambourg, l’ingénieur en chef Jousselin dirigea pendant deux ans les grands travaux entrepris pour l’organisation de cette place de guerre qui devenait avec Anvers le dépôt dans le Nord de l’immense approvisionnement créé pour les besoins de l’armée française. Dans les derniers jours de l’année 1812 à la suite de nos désastres en Allemagne un corps d’armée russe s’emparait par surprise et avec la complicité des habitants, de la place de Hambourg qui était reprise le 30 mars 1813 par un hardi coup de main du maréchal Davout, prince d’Eckmühl, qui s’y installa solidement avec un corps d’armée de quarante mille hommes, après y avoir réprimé énergiquement une tentative d’insurrection.
C’est à la défense de cette place que le maréchal Davout devait ensuite se couvrir de gloire, grâce en grande partie à la collaboration habile et courageuse de l’ingénieur Jousselin qui trouva dans ces circonstances difficiles le plus bel épisode de sa vie.
Au début de la campagne de 1813, qui devait aboutir à la désastreuse bataille de Leipzig, Napoléon se préoccupait de protéger les troupes françaises absolument isolées couvrant alors la Belgique et la Hollande, et il importait de conserver à tout prix les deux plus grandes places du Nord, Anvers et Hambourg.
Pendant que le général Maison cherchait à rallier autour de lui l’armée de Flandre, Napoléon confiait à l’illustre Carnot qui lui avait offert spontanément le secours de son épée, la mission d’organiser la défense d’Anvers qui constituait alors l’imposant boulevard de notre frontière sur l’Escaut.
En même temps, il adressait au maréchal Davout en vue de la défense de Hambourg, des instructions spéciales qui lui permettaient de parer aux premiers coups des armées coalisées : Par une lettre en date du 7 juin 1813, datée de Bunzlau [2], il lui écrit ce qui suit :
« Mon cousin, le Major Général a dû vous faire connaître mon système : c’est celui que j’ai adopté pour toutes les grandes villes. Une ville comme Hambourg ne pourrait être défendue que par une garnison de vingt-cinq mille hommes et un matériel immense ; il faudrait une place qui put se défendre au moins deux mois de tranchée ouverte. Or, pour donner à l’enceinte de Hambourg une résistance de deux mois de tranchée ouverte, il ne faut pas moins de dix ans et 30 à 40 millions de francs.
« Vous devez 1° faire abattre les maisons qui sont sur le rempart, impitoyablement, sauf l’évaluation de l’indemnité qui sera payée par la Ville ; 2° vous devez faire abattre toutes les maisons qui sont sur le glacis ; 3° toutes les maisons qui sont sur la citadelle, etc., etc., etc., ».
D’après ces termes mêmes de la lettre de Napoléon, la mission du Maréchal Davout était des plus difficiles ; il ne devait reculer devant aucun sacrifice, devant aucune dépense. L’écho lointain des revers de nos armes retentissait douloureusement jusqu’à Hambourg, et il était présumable qu’avant la mauvaise saison, les armées envahissantes se présenteraient sur les rives de l’Elbe.
Il fallait se hâter ; la place pouvait être investie de tous les côtés jusqu’au fleuve ; un seul point de ravitaillement et de salut était offert cependant par la place-forte de Harbourg occupée par nos troupes et située de l’autre côté de l’Elbe ; mais en cet endroit l’Elbe n’était pas une rivière, mais un bras de mer de cinq quarts de lieue.
On ne pouvait songer à y établir un pont de bateaux qui n’eût offert aucune sécurité ; l’armée était absolument dépourvue d’équipages de pontonniers. Le maréchal réunit alors son Conseil de guerre, et les officiers du génie qui en faisaient partie, déclarèrent à l’unanimité qu’il était impossible d’établir un pont fixe sur l’Elbe, l’armée manquant du matériel nécessaire et d’ailleurs le temps faisant défaut ; c’est alors que Davout songea à consulter l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département.
Après étude rapide de la question, Jousselin déclara au Maréchal que s’il voulait lui laisser toute liberté d’action, faire sur place toutes les réquisitions des bois et matériaux nécessaires et employer au besoin les soldats disponibles, il se faisait fort d’établir sur l’Elbe, dans un délai de trois mois, un pont en charpente de cinq quarts de lieue, qui réunirait Hambourg à Harbourg.
Malgré les doutes et l’opposition des officiers du génie, le Maréchal accepta cette offre, et Jousselin se mettait immédiatement à l’œuvre : par des prodiges d’activité et d’efforts, il construisit en deux mois et demi, sur l’Elbe, un immense pont en charpente qui détermina en effet le salut de la place, et, dans la première quinzaine d’octobre, ce hardi travail était terminé.
Le 2 octobre 1813, le Maréchal avait adressé à sa femme, qui était demeurée en France, une lettre dont nous extrayons ce qui suit :
« Je n’ai rien reçu de toi aujourd’hui, ma chère Aimée ; j’ai parcouru ici, les travaux de la place, le beau pont de M. Jousselin. J’ai été étonné de la quantité de travaux faits : Hambourg peut être considéré comme une place imprenable, la construction du pont, sa beauté, vu le peu de temps qu’on a mis à le construire, tient du prodige ! M. Jousselin a un mérite bien rare !! Je pars pour retourner à Ratzbourg. J’avais voulu te dire un mot d’ici… ».

Dès les premiers jours de novembre 1813, un corps d’armée russe et allemand, commandé par le général Bennigsen, investissait la place et commençait un siège en règle. L’ingénieur en chef Jousselin se plaisait à raconter, dans la suite de sa vie, le sentiment de fierté et de joie qu’il éprouvait, lorsqu’au cours du siège, monté sur le pont, il entendait le bruit de la canonnade, alors qu’il voyait se perdre dans les flots, les projectiles qui lui étaient destinés. (Telum imbelle sine ictu !)

A dater du commencement du siège, privé de toute communication avec la France, le maréchal Davout demeurait inébranlable, résolu à tenir, tant qu’il aurait des soldats, des munitions et des vivres.
Il supporta vaillamment les périls de la situation jusqu’au 28 avril 1814, date à laquelle, sur des instructions transmises par l’ennemi, au nom des Bourbons rentrés en France, il dut se résigner à rendre la place et à se retirer avec son corps d’armée avec tous les honneurs de la guerre.
« Le maréchal Davout, écrit Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, par cette défense mémorable de Hambourg, avait sauvé à la France, trente mille hommes de troupe, un immense matériel de guerre et l’honneur du drapeau !! ».

Pendant que le maréchal Davout, prince d’Eckmühl, rentrait en France où il se retirait à l’écart dans son château de Savigny sur Orge, l’ingénieur en chef Jousselin revenait à Paris, où il se mettait à la disposition du directeur général des Ponts et chaussées, pour reprendre un emploi de son grade.
On lui donna successivement le choix entre les départements des Landes, de la Nièvre, et du Loiret ; le 24 avril 1814, il était envoyé comme Ingénieur en chef à Orléans où il se trouvait encore le 20 mars 1815, lors du retour de Napoléon de l’Ile d’Elbe.
Il revient alors à Paris où il est rappelé par le maréchal Davout, qui venait de recevoir le portefeuille de la Guerre du nouveau gouvernement.
Le Maréchal est encore pénétré du souvenir des services éminents que l’ingénieur a rendus dans la défense de Hambourg, et il sollicite avec ardeur la récompense qu’il croit devoir à son collaborateur. Dans un rapport relatif au siège de Hambourg, il écrit :
« L’ingénieur Jousselin, le général Haxo, le général Jouffroy, officiers émérites du génie et de l’artillerie, firent de véritables miracles. »

Plus loin :
« C’est à quatre hommes supérieurs, le comte de Chaban, le général Jouffroy, le général de Ponthon, et surtout à l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Jousselin, que l’on doit attribuer en grande partie la conservation de la place et du corps d’armée ».
Il écrit au maréchal Macdonald, duc de Tarente, grand chancelier de la Légion d’Honneur, pour lui faire le récit de la défense de Hambourg, et il y indique le rôle joué par un pont admirable, jugé alors inexécutable, construit par l’Ingénieur Jousselin et qui seul a pu rendre possible la défense de la place.
Enfin, dans une lettre adressée le 18 avril 1815, à l’Empereur pour réclamer pour son collaborateur l’avancement si mérité, le Maréchal Davout écrit :
« C’est à l’ingénieur en chef Jousselin que je dois de n’avoir pas été traîné en Sibérie avec les 40 000 hommes que je commandais ». [3]

Justice lui est alors rendue : par décret du 4 mai 1815, signé par l’Empereur au palais de l’Elysée :
« L’ingénieur en chef des ponts et chaussées Jousselin (Louis-Didier) est nommé Inspecteur Divisionnaire du Corps impérial des Ponts et Chaussées ».

Au retour des Bourbons, tous les décrets ou promotions du gouvernement impérial pendant les Cent Jours sont annulés en bloc et Jousselin est renvoyé à Orléans comme Ingénieur en chef.
Il se remet au travail sans découragement comme sans faiblesse, car il se retrouve pour ainsi dire dans sa patrie d’adoption ; il signale son passage à Orléans par l’exécution des remarquables quais de la Loire, dont il avait étudié le projet de son propre mouvement. L’utilité irréfutable de ses quais a été démontrée depuis, lors des inondations de 1846,1856 et 1867, car ils protégèrent à ces moments difficiles le bas quartier de la ville. En reconnaissance de ce service, les habitants d’Orléans ont donné le nom de Jousselin à une des rues de leur cité.
En 1823, Jousselin était nommé Ingénieur en chef, directeur du département de la Nièvre ; c’est là qu’il dressa les études et projets du canal latéral à la Loire, ouvrage qui fut exécuté conformément à ses plans, sauf pour la traversée du Bec d’Allier, où l’on substitua plus tard à sa disposition de canal à point de partage, le pont-canal du Guétin, ouvrage remarquable à la construction duquel l’ingénieur Jullien devait commencer sa réputation. Enfin, le 25 janvier 1825, Jousselin était rappelé définitivement au Conseil général des Ponts et Chaussées comme inspecteur divisionnaire.

Le haut fonctionnaire avait laissé à Orléans les meilleurs souvenirs, et à la législature de 1831 à 1835, il fut envoyé par ses concitoyens à la Chambre des députés.
Député travailleur et souvent éloquent, il se distingua par le concours qu’il prêta à toutes les discussions de budget ou d’affaires concernant les travaux publics : sur le terrain politique, il se tourna bientôt vers les rangs de l’opposition et prit une part active à la campagne ardente qui était menée contre le Ministère de Casimir Périer fortement combattu.
Dans la séance du 5 novembre 1834, lors de la discussion de l’adresse, en réponse au discours du trône, dans une allocution virulente qui fut alors très remarquée :
« S’élevant avec énergie contre les humiliants traités de 1815, regardés alors comme faits accomplis, le député Jousselin fit remarquer que ces traités avaient été imposés par la violence, que la France ne les avait jamais acceptés, qu’il était important de protester sans cesse contre eux et dans cette vue, il proposait de relever immédiatement les fortifications d’Huningue[4] ».
Jousselin avait été admis à la retraite l’année précédente. Après la législature, il se retira sur sa terre de Vienne-en-Val, dans le canton de Jargeau qu’il représenta au Conseil général du Loiret, presque jusqu’à sa mort.
Dans sa retraite, il n’eût qu’un souci, qu’une préoccupation, c’était d’obliger tous ceux qui avaient recours à lui et d’être utile à ses concitoyens. Il dota son village de maisons d’écoles construites à ses frais et il fit connaître dans le pays le parti que l’agriculture pouvait tirer de la marne pour l’amendement des terres, en ouvrant de vastes marnières dans son canton.
C’est ainsi que les plaines ingrates de la Sologne, dans les environs de Vienne-en-Val, ont été pour ainsi dire transformées, par les opérations de marnage dont Jousselin fût un ardent promoteur.

L’ingénieur Jousselin est mort à Vienne-en-Val le 2 décembre 1858 à l’âge de 82 ans, entouré des siens et des amis dévoués qu’il avait su grouper autour de lui.

L’auteur de ces pages, qui a eu la douloureuse consolation de lui fermer les yeux, éprouve après les trente années qui se sont écoulées depuis, un juste sentiment de fierté de pouvoir, à l’occasion de l’apposition sur la frise d’un monument public d’un nom qui lui est demeuré cher, rappeler le souvenir de cette vie si brillamment remplie et si utile à la patrie.

Paris, le 15 mai 1889.


P. J.
Notes
  1. Après la séparation de la Constituante, Samuel Dinochau, son oncle se retira à Blois : « Il fut nommé premier juge criminel du département. Il s’acquitta de ces fonctions avec une grande distinction, de la noblesse et des talents : à l’élection suivante, il fut nommé Procureur de la Ville et s’entoura des plus honnêtes gens ; connaissant Garat, Gorsas et Tallien qu’il avait fréquentés à l’assemblé constituante, il plaida la cause des citoyens contre les Jacobins et par sa fermeté, il empêcha les clubs et les troupes révolutionnaires qui passaient constamment à Blois, allant en Vendée, de massacrer les meilleurs habitants. Cela suffit pour que dans l’assemblée tenue par le député Gimberteau, on décida d’incarcérer Dinochau, qui fut traîné de prison en prison, à Blois (aux Carmélites et aux Ursulines), puis à Orléans et à Pontlevoy, d’où il fut ramené aux Carmélites à Blois. Après thermidor, il fut rendu à la liberté ».
    Mémoires du comte de Cheverny, lieutenant général du Blaisois. Plon et Mourot, éditeurs (1886).
  2. Pour tout ce qui concerne Hambourg, on peut consulter l’intéressante correspondance du maréchal Davout publiée par la marquise de Blocqueville sa fille, dans son livre : Le Maréchal Davout raconté par les siens et par lui-même. Didier, éditeur (1880).
  3. Les paroles ont été inscrites sur la tombe de Jousselin.
  4. Au milieu des scènes tumultueuses de la Chambre dans la session de 1832, Jousselin eût un jour une altercation avec Casimir Périer ; mais c’est par erreur que Timon, dans sa biographie de Casimir Périer (Livre des Orateurs), rapporte en parlant des violences du célèbre ministre « il se collète à la tribune avec le député Jousselin ». Il n’y eut aucune voie de fait, des mots très vifs seulement furent échangés entre les deux interlocuteurs.
    Jousselin était d’une haute stature, sa figure respirait la franchise et l’énergie. Il savait imposer à un tel point par la fierté de son attitude que dans le corps des Ponts et Chaussées on le désignait sous le nom de Jousselin l’Effrayant, par opposition avec son frère, feu Alexandre-Louis Jousselin, ancien ingénieur en chef du département de Seine-et-Marne, qui était d’une nature maladive et timide et qu’on appelait Jousselin l’Effrayé.