L’honneur de souffrir/XCIII. Des arènes de fleurs brillant auprès des portes

Librairie Grasset (p. 143-144).

XCIII


Des arènes de fleurs brillant auprès des portes.
Les puissants coloris dédiés au trépas.
Le silence baignant ces bouquets qu’on apporte
Languissamment à ceux qui ne le sauront pas.
— Renouvelant en moi les tristesses subies,
Tenant les yeux baissés, j’ai gravi pas à pas
Le roc doré montant vers la chaude Arabie,
Où, sous l’infinité jubilante des cieux,
Les palmiers et les pins filtrent le vent soyeux.
Dans la gracilité des arbres funéraires
L’aigle abattu des morts a suspendu son aire.

En ces lieux où le songe est par la paix surpris,
Tout est plaintif, penché, insistant et contrit.
Sol hanté ! Sous la blanche et la basse nuée
Des calmes monuments, l’on sent diminuée
La forme sans contour qui contenait l’esprit.
Quel que soit notre effort, les morts sont les proscrits.
Je le sens en mon cœur qui connaît tant d’usure !
Mon rêve, malgré moi, lucidement mesure
La place resserrée où l’on vous fit ce tort
Inexpiable, et que jamais rien ne répare,
De déposer la grâce exigeante du corps
Dans le lit dédaigneux que le froid accapare.
Quel humain peut ici se sentir sans remords ?
Le peuple retiré et réduit est farouche.
Inanité des yeux, des gestes, de la bouche…
Le muet entretien est sombre et décevant.
Mais si fort est en moi le souvenir vivant,
― Même devant la pierre offensante où tu couches,
Que quelque chose encor de ton parfum me touche !