L’histoire romaine à Rome (RDDM)/II
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 10 (p. 574-600).
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L’HISTOIRE ROMAINE
A ROME


IX.


D’ALEXANDRE SEVERE A CONSTANTIN.


Alexandre Sévère. — Douceur de son âme et de ses traits. — Santa Maria in Trastevere, le culte chrétien toléré. — Édifices réparés ou construits par Alexandre Sévère. — Le goût du colossal et le despotisme. — Les prétendus trophées de Marius. — L’opus Alexandrinum remonte à Héliogabale. — Mort et tombeau d’Alexandre Sévère et de Julie Mammée. — Gordien l’Ancien, un empereur malgré lui. — Villa des Gordiens. — Portraits de divers empereurs de la décadence. — Honte et crimes de Gallien, son arc de triomphe. — Bons empereurs venus trop tard. — Aurélien et Zénobie. — Temple du Soleil et murs de Rome construits par Aurélien. — Le Colisée au temps de Carin. — Dioclétien, ses thermes. — Constantin et sa famille, tombeau de sa mère et de sa fille. — Bataille livrée à Maxence près de Rome, tableau de Jules Romain. — Arc de triomphe de Constantin, persistance du paganisme, spoliation de l’arc de Trajan. — Basilique de Maxence dédiée a Constantin. — Abandon de Rome.


Après Héliogabale, il semble qu’on soit arrivé au dernier jour de l’empire. Alexandre Sévère le relève de cet extrême abaissement. Son règne est un de ces temps d’arrêt qui suspendent, le progrès de la décadence et prouvent combien ce progrès est irrésistible par leur impuissance à le supprimer. Si l’empire ne s’écroula pas soudain, a dit un historien, ce fut l’œuvre d’Alexandre ; il faut ajouter et de sa mère Mammée, qui dirigea ses premières années, car il fut appelé au trône à douze ans. Seule des quatre Julie, Mammée a laissé une réputation intacte. L’unique vice qu’on lui reprocha fut l’avarice. Cette avarice était peut-être de la prudence, peut-être était-elle ménagère pour son fils ; Mammée est moins belle que les autres princesses de sa famille, mais elle a l’air plus respectable : on découvre sur son visage quelque chose de mational et de maternel. Alexandre Sévère fut aussi dirigé par le célèbre jurisconsulte Ulpien, pour lequel il avait une grande vénération. Cette époque est celle des jurisconsultes, et c’est ce qui explique comment tout ne s’est pas abîmé plus tôt. La notion du droit s’était réfugiée chez eux, mais ils étaient hors d’état de le défendre contre l’omnipotence de la force, et quand Papinien avait gêné Caracalla, Caracalla l’avait fait tuer.

On aime à reporter ses yeux de la figure hébétée d’Héliogabale sur le front candide et le doux visage d’Alexandre Sévère. Sa physionomie respire cette simplicité qu’il fit paraître en toute circonstance, et qui contrastait si heureusement avec le faste insensé d’Héliogabale. On y lit la pureté, la bonté, la droiture de l’âme ; la sévérité dont il donna plusieurs exemples, et qui lui mérita son nom, ne s’y montre point, ce qui fait croire qu’elle n’était pas dans sa nature, mais lui fut inspirée par Mammée ou Ulpien. On retrouve bien plutôt dans cette figure ingénue la faiblesse qu’il montra toujours pour sa mère. Celle-ci a des traits assez mâles, un profil énergique et vraiment romain. C’était en effet une femme d’un caractère résolu. Dans une bataille, elle ranima l’ardeur des troupes qui pliaient. On croit voir l’épouse de Germanicus défendre le passage du Rhin contre les Barbares.

Alexandre n’était pas chrétien, mais le christianisme, déjà très répandu, avait effleuré son âme, et sa mère paraît avoir été chrétienne. Il avait voulu qu’on gravât dans le palais impérial cette maxime : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qui te fût fait à toi-même. » Il avait placé l’image du Christ dans sa chapelle domestique avec celles d’Orphée, d’Abraham et d’Apollonius de Thyane. Le premier il permit l’exercice public du christianisme : christianos esse passus est. Il donna de cette tolérance un exemple célèbre que rappelle un des plus remarquables monumens de la Rome chrétienne, la basilique de Santa-Maria in Trastevere. Dans le quartier au-delà du Tibre, habité surtout par les Juifs, auxquels s’étendit aussi la tolérance d’Alexandre Sévère, se trouvaient des chrétiens, ce qui était naturel, car les chrétiens devaient se recruter beaucoup parmi les Juifs et se confondaient encore avec eux. Une contestation s’étant élevée entre les chrétiens et quelques cabaretiers au sujet de certaines boutiques que ceux-ci réclamaient, et dont les humbles sectateurs de la foi nouvelle avaient fait un lieu d’oraison, Alexandre les adjugea à ces derniers, disant : « Il est préférable qu’elles soient employées à honorer Dieu, il n’importe de quelle manière. » Ce souvenir augmente encore l’intérêt qui s’attache à l’église de Santa-Maria in Trastevere. Les colonnes antiques de granit égyptien de cette basilique et les belles mosaïques qui la décorent me touchent moins que la tradition d’après laquelle elle fut élevée là où de pauvres chrétiens se rassemblaient dans un cabaret purifié par leur piété, pour y célébrer le culte qui devait un jour étaler ses magnificences sous le dôme resplendissant de Saint-Pierre.

Cependant le règne d’Alexandre Sévère vit le martyre de plusieurs chrétiens. Le plus célèbre est celui de sainte Cécile, dont la chambre sépulcrale a été retrouvée par la sagacité de M. de Rossi, qui a fait dans les catacombes tant de découvertes capitales. L’église dédiée à sainte Cécile et bâtie sur l’emplacement de son opulente demeure montre encore la chambre de bains où elle périt. Dans cette église, on admire la statue de la sainte par Maderne, qui la représente la tête à demi séparée du tronc, telle qu’elle a été trouvée dans son tombeau. Ces souvenirs accusent Alexandre Sévère ; ils étonnent, surtout quand on lit dans Lampride que les chrétiens pouvaient publier les noms des prêtres qui devaient être ordonnés, car ceci suppose une assez grande liberté. Ce n’est pas le lieu d’approfondir l’explication que peuvent fournir l’absence de Sévère et l’ascendant d’Ulpien : je le ferai plus tard ; ici, j’ai voulu seulement constater la tolérance incomplète peut-être, mais prouvée cependant par un fait incontestable, d’Alexandre Sévère.

Lampride a été jusqu’à dire que le fils de Mammée avait eu l’intention d’élever un temple au Christ et de l’admettre au rang des dieux. Il n’est pas impossible qu’Alexandre ait eu la pensée de placer en effet le Christ parmi les divinités romaines et orientales que sa piété éclectique honorait. On a dit avec moins de vraisemblance la même chose d’Adrien. En tout cas, il ne pouvait, dans l’une et l’autre circonstance, être question que d’une association avec les divinités païennes, et nul chrétien ne saurait regretter une apothéose qui aurait mis l’objet de son culte à côté d’Antinoüs.

Malgré ses égards pour le christianisme, Alexandre Sévère était païen et païen dévot. Le matin, il adressait une prière aux dieux, quand sa nuit avait été pure. Le septième jour de la semaine, il montait régulièrement au Capitole. J’en admire d’autant plus ce qu’il fit pour les chrétiens : ce fut l’œuvre d’une vraie tolérance, non d’une indifférence dédaigneuse pour tous les cultes ; il les respectait tous au contraire. Il embellit les temples d’Isis et de Sérapis. Sévère paraît avoir eu un respect sincère pour les diverses formes de la religion.

Alexandre continua, comme l’avait fait le premier Sévère, à réparer les édifices publics, entre autres le théâtre de Marcellus. La modestie qui lui fit refuser le titre d’auguste et de grand semble empreinte sur ses traits, et il en prouva la sincérité lorsque sur les ponts que Trajan avait commencés il inscrivit seul le nom de cet empereur, dont il achevait les monumens comme il continuait les vertus. Parmi ceux dont il fut l’auteur, il faut mentionner des entrepôts publics, les thermes qu’il construisit sur la rive droite du Tibre, d’autres encore qui touchaient à ceux de Néron, et pour lesquels il fit venir à Rome l’eau qui, de son nom, s’appela Alexandrine. On ne dit pas de Néron qu’il ait, comme Alexandre Sévère, acheté les maisons qui couvraient l’emplacement dont il avait besoin. Sévère avait l’intention de construire une gigantesque basilique qui aurait eu mille pieds de long, environ le double de Saint-Pierre. À mesure qu’on avance dans l’histoire de l’empire, on voit le goût du colossal dominer toujours davantage. J’ai dit que c’était un caractère de l’architecture sous le despotisme : les monumens de l’Orient, Versailles et l’arc de triomphe de l’Étoile sont là pour le prouver. La liberté vise moins au grand qu’au beau. Voyez les temples de la Grèce et les temples romains de la république : Auguste élève à Rome le premier grand temple, celui de Mars Vengeur ; Agrippine, le temple de Claude ; Adrien, le temple de Vénus et de Rome ; les Flaviens, leur immense amphithéâtre ; Caracalla, ses thermes énormes. Il en est à cet égard de la sculpture comme de l’architecture. L’Égypte, Ninive, l’Inde ont leurs colosses. À Rome, la première statue colossale est celle d’Apollon sous Auguste, la seconde celle de Néron. Alexandre Sévère, despote honnête, mais despote aussi bien que Néron, de même qu’il entreprenait de construire une basilique immense, remplissait Rome de statues colossales.

Il faut rapporter à ce règne deux trophées qui ornaient un château d’eau appelé le Nymphée d’Alexandre Sévère, et qui maintenant décorent la place du Capitole. Ils sont connus sous le nom de trophées de Marins ; mais leur provenance est certaine, le style de la sculpture est évidemment du IIIe siècle, et ils n’ont rien de commun que leur sobriquet populaire, soit avec les trophées de Marius, que César releva sur le Capitole, soit avec un autre monument de Marius qui se trouvait là où est aujourd’hui la place d’Espagne.

Il est un monument qui ne date point d’Alexandre Sévère, mais le rappelle doublement : c’est le forum de Nerva. Alexandre Sévère, qui accueillait tous les cultes, avait celui des grands hommes, touchant chez un jeune prince. Il fit rassembler dans le forum de Nerva et dans celui de Trajan les portraits des personnages célèbres. Peut-être devons-nous à ce soin la conservation de plusieurs de ceux que nous pouvons aujourd’hui contempler dans les musées de Rome. Ce fut aussi dans le forum de Nerva qu’Alexandre, se montrant jusqu’à la barbarie digne de son nom de Sévère, fit étouffer par la fumée un homme qui avait trafiqué d’une faveur prétendue et vendu de la fumée, jeu de mots encore plus révoltant que la rigueur immodérée de l’arrêt. À Rome, les plus doux étaient parfois cruels.

Alexandre Sévère, comme Adrien, connaissait et pratiquait les arts, mais il ne persécutait point les artistes supérieurs à lui, et ne se débarrassait point de ses rivaux par un arrêt de mort. Comme Néron, il aimait la musique, mais il ne chantait pas sur le théâtre, et réservait ce plaisir pour l’intérieur de sa famille. Alexandre Sévère passe pour avoir été l’inventeur de cette espèce de mosaïque formée d’un assortiment de porphyre et de marbre de différentes couleurs qu’on appelle opus Alexandrinum, dont il orna son palais, et qui plus tard fut employé si heureusement dans les basiliques chrétiennes ; mais Lampride, qui lui attribue cette invention, oublie qu’il en a déjà fait honneur à Heliogabale.

Alexandre Sévère, né en Syrie, était plus Grec que Romain ; ses traits ont la délicatesse d’un éphèbe. Il parla toujours mieux le grec que le latin, et se plaisait à lire Platon ; c’est un doux disciple de Socrate comme égaré parmi la barbarie romaine. Cependant ce prince si doux était guerrier, cette tête gracieuse, fuit venustule decorus, était portée par un corps grand et robuste. J’ai peine à croire, d’après ses bustes, dont l’expression est si tranquille, à la vivacité de son regard, dont parle Lampride ; peut-être était-ce pour le flatter qu’on feignait de n’en pouvoir supporter l’éclat. Sévère fit avec succès plusieurs campagnes importantes. Des fantaisies juvéniles se mêlaient à son goût sérieux pour les armes. Il poussait l’imitation d’Alexandre le Grand jusqu’à une rivalité frivole. On disait qu’Alexandre avait une légion formée de soldats qui portaient des boucliers d’argent ; Sévère en voulut avoir une composée de soldats aux boucliers d’or. En toute chose, il montra, à côté de qualités énergiques, je ne sais quoi d’enfantin qui se retrouve dans ses traits et dans ce qu’on sait de ses goûts. Il aimait les oiseaux, surtout les pigeons, et avait des volières pleines de paons, de faisans, de poules, de canards et de perdrix. Les soldats qui se mutinèrent contre lui l’appelaient un enfant, puer ; mais c’était un aimable et généreux enfant, qui dans l’occasion savait faire respecter la discipline comme un vieux guerrier.

Il eut toujours une tendre vénération pour sa mère, et construisit dans le palais des chambres auxquelles il donna son nom. Les soldats la massacrèrent avec son fils. On a cru reconnaître leurs deux statues sur un sarcophage qui est maintenant au Capitole, et qui était placé dans un grand tombeau romain qu’on appelle aujourd’hui monte del grano. On sait en effet que Sévère, tué en Gaule, eut à Rome un très vaste tombeau, sepulcrum amplissimum. Cette désignation conviendrait bien au monte del grano, tumulus en maçonnerie dont la base a deux cents pieds de diamètre ; mais d’autres assurent que le tombeau d’Alexandre Sévère n’était pas là, que les deux figures couchées ne sont pas la sienne et celle de Mammée. Il m’en coûterait de renoncer à cette illusion archéologique, de ne plus voir dans le sarcophage du Capitole un témoignage de l’union du fils respectueux et de la mère dévouée, union constante pendant la vie et se continuant dans la mort.

Après Alexandre Sévère, on voit se succéder un certain nombre d’empereurs qui règnent peu de temps et font peu de choses, qui n’élèvent guère de monumens, et dont les images sont rares et parfois douteuses. Rome possède cependant les portraits de plusieurs de ces empereurs. J’en dirai donc quelques mots rapides comme la durée de leur puissance.

Il y a au Capitole, dans un coin sombre de la salle des empereurs, un buste de Maximin. On le reconnaît d’abord à un air sauvage qui devait n’appartenir qu’à ce pâtre goth devenu empereur romain, et dont l’avènement fut un premier avènement de la barbarie. Ce Maximin, qui avait sept pieds de haut, dont le poing, disait-on, brisait les pierres et fendait les arbres, qui mangeait quarante ou, selon d’autres, soixante livres de viande par jour, forme le plus parfait contraste avec l’aimable Alexandre Sévère, dont la figure est presque celle d’une jeune fille. Des intrigues de femmes avaient fait monter sur le trône Alexandre Sévère ; Maximin y fut porté par les soldats : tout le monde pouvait donner un maître aux Romains, excepté les Romains eux-mêmes. Cet homme singulier, avec les appétits de la brute et le naturel de la bête féroce, eut aussi quelques instincts de grandeur. Celui dont les cruautés inspiraient une telle terreur, que les femmes priaient les dieux qu’il ne vînt jamais à Rome, comme on disait au moyen âge : Seigneur, délivrez-nous de la fureur des Tartares (à Tarlarorum furore libera nos, Domine), a prononcé ces paroles d’une noble ambition : Plus je serai grand, plus je travaillerai. Puis les soldats se dégoûtèrent du Barbare, et, pour changer, voulurent d’un sénateur. Ils forcèrent à la pointe de l’épée un vieux proconsul à recevoir l’empire. Gordien eut beau se récrier, se coucher par terre ; les prétoriens tinrent bon. Menacé par leurs armes, le fer sur la gorge, Gordien fut revêtu de la pourpre, et le monde vit la comédie de l’empereur malgré lui. On lui adjoignit son fils. Le sénat ratifia les deux choix de l’armée. Le jeune Gordien fut tué dans la guerre civile, et son père, craignant d’être défait par un général de Maximin, se donna la mort pour sortir d’embarras ; la dignité impériale était devenue une corvée qu’imposait la violence, et dont on s’affranchissait par le suicide.

Le sénat avait accepté les deux Gordiens, élus de l’armée ; eux morts, il voulut opposer à Maximin des empereurs à lui : il choisit dans ses rangs Pupien et Balbin, en leur adjoignant comme césar le fils du second Gordien, enfant de treize ans, que les acclamations des soldats réunis dans le Forum lui imposèrent. Pupien, fils d’un serrurier ou d’un carrossier, était un homme capable. Balbin était noble, riche, ami du plaisir, lettré, faisant des vers. Il a sur la figure toute la satisfaction d’un homme médiocre. Pupien a cet air grave et sévère dont parle Capitolin, — vultu gravissimus et retorridus. Pupien partit pour combattre Maximin, et Balbin resta à Rome avec les prétoriens, qui, ce semble, à cette époque, n’aimaient pas à la quitter. Ils se querellèrent avec le peuple, on eut presque une guerre civile. Le sang coula dans les rues, et une partie de Rome fut brûlée, comme au temps de Vitellius. Balbin, qui avait perdu la tête en présence de l’émeute, allait pressant la main à chacun, tandis qu’on lui jetait des pierres ; on assure même qu’il reçut des coups de bâton. Le peuple assiégea les prétoriens dans leur camp et coupa les tuyaux de plomb qui y conduisaient l’eau. On a trouvé un de ces tuyaux. Quand les soldats voulurent rentrer dans la ville, on leur jeta des tuiles du haut des toits, et tous les vases qui étaient dans les maisons, ce qui fait penser au nom que le grand Condé donnait à la guerre des rues. La ville souffrit beaucoup, car des bandits se mêlèrent aux soldats et les aidèrent à la piller. Telle était la physionomie de Rome sous les empereurs du sénat, qui n’étaient pas les plus mauvais. L’ordre qu’ils y font régner ressemble assez à l’anarchie tumultueuse de la Rome du moyen âge. Pupien était allé attaquer Maximin, qui assiégeait la ville d’Aquilée ; mais il n’eut pas à le vaincre : ses propres soldats se chargèrent de délivrer le sénat de cet ennemi. « Ces soldats, dit Capitolin, avaient leurs affections sur le mont Albain, » c’est-à-dire dans leur camp d’Albano. En d’autres termes, ils préféraient à la vie des camps la vie de garnison. À midi, pendant que Maximin et son fils faisaient la sieste dans leur tente, ils furent égorgés ; leurs têtes, plantées sur des piques, furent portées à Rome, à travers les populations ivres de joie à cet aspect. On s’attendrissait cependant sur la beauté du jeune Maximin, qui était en effet très beau. Les deux têtes n’en furent pas moins promenées dans Rome et brûlées dans le Champ-de-Mars, au milieu des insultes de la multitude.

Pupien et Balbin ayant péri à leur tour dans une émeute militaire, le troisième Gordien resta seul et fut empereur pendant six ans. C’était un jeune homme faible, mais bien intentionné. Son beaupère, Misithée, préfet du prétoire, paraît avoir joué auprès de lui le rôle d’un maire du palais. Dirigé par cet homme ferme et intelligent, Gordien III fit une campagne heureuse contre les Perses.

Cette famille des Gordiens se rattachait par son extraction aux plus beaux noms de la république et de l’empire, aux Scipions, aux Gracques, à Trajan. Elle se montra peu digne de cette origine doublement illustre. Les Gordiens, très grands personnages, furent de très petits empereurs. Ils montrent ce qu’était devenue l’aristocratie romaine dégénérée. Le premier, honnête et pusillanime, comme le prouvent son élection et sa mort, était un peu replet et avait dans l’air du visage quelque chose de solennel et de théâtral (pompali vultu). Il aimait et cultivait les lettres. Son fils également se fit quelque réputation en ce genre, grâce surtout à sa bibliothèque de soixante mille volumes ; mais il avait d’autres goûts encore que celui des livres : on lui donne jusqu’à vingt-deux concubines en titre, et de chacune d’elles il eut trois ou quatre enfans. Il menait une vie épicurienne dans ses jardins et sous des ombrages délicieux : c’étaient les jardins et les ombrages d’une villa magnifique que les Gordiens avaient sur la voie Prénestine, et dont Capitolin, au temps duquel elle existait encore, nous a laissé une description détaillée. Le péristyle était formé de deux cents colonnes des marbres les plus précieux, le cipollin, le pavonazetto, le jaune et le rouge antiques. La villa renfermait trois basiliques et des thermes que ceux de Rome surpassaient à peine. Telle était l’opulence d’une habitation privée vers le milieu du IIIe siècle de l’empire. Les particuliers avaient chez eux des thermes et des basiliques, mais les maîtres de ces magnifiques demeures étaient des hommes sans énergie qui se tuaient au premier revers, comme Gordien le père, qui vivaient dans un harem à l’orientale, comme Gordien le fils. Ce contraste entre le grandiose des existences romaines d’alors et la médiocrité morale de ceux qui en jouissaient nous est rappelé par les considérables débris de la villa des Gordiens, que l’on croit reconnaître dans l’amas de ruines connu sous le nom de torre dei schiavi, bien que l’on n’y puisse retrouver aucun des édifices dont il est parlé dans la description de Capitolin.

Le troisième Gordien avait projeté, probablement sous l’inspiration de son beau-père, un vaste ensemble de constructions, un square de mille pieds entouré de portiques, et attenant à une basilique de cinq cents pieds avec des thermes d’été et des thermes d’hiver ; mais un Arabe, le préfet du prétoire, Philippe, fit tuer d’abord Misithée, puis le dernier des Gordiens, avec lequel il dédaigna de partager l’empire. Le lâche Gordien demanda à être préfet du prétoire sous celui qui l’avait détrôné. Refusé par Philippe, il supplia celui-ci de le prendre pour général et de lui laisser la vie. Philippe le fit mettre à mort malgré ses cris et placer au rang des dieux.

Le nouvel empereur était fils d’un chef de brigands. Sa tête est bien aussi celle d’un bandit énergique. En voyant ce front dur, ridé, impitoyable, on comprend que Philippe n’ait pas eu pitié de Gordien ; en voyant ce regard sombre et faux, on comprend qu’il l’ait trompé avec cette astuce orientale dont parle Capitolin, peregrina calliditate. Les traits de son fils, qu’il avait associé à l’empire, sont moins romains : on le voit surtout dans un buste en basalte noir, matière qui semble avoir été choisie pour faire allusion à son origine. Il a plus que son père une tête arabe. En supposant chez les Philippes un sang mélangé, le type primitif aurait reparu plus marqué à la seconde génération, comme il arrive pour les ressemblances de famille.

Le règne, du reste assez obscur, de Philippe compte dans les fastes du Colisée, car pendant ce règne l’an 1000 de Rome fut célébré par des égorgemens d’une grande magnificence. Deux mille couples de gladiateurs y combattirent, on tua trente-deux éléphans, dix tigres, quarante lions apprivoisés, trente léopards, dix hyènes, dix girafes, un hippopotame, un rhinocéros, etc. On voit que le massacre des hommes et des animaux n’avait rien perdu de son ancienne splendeur. Il n’y avait point de décadence pour cet art-là.

Nous arrivons à un temps où l’obscurité qui s’étend sur les misérables héritiers de l’empire enveloppe leurs images. L’art, en se corrompant, rend de plus en plus difficile de démêler à quels personnages appartiennent les portraits que nous avons. Quelques-uns de ces personnages se font remarquer par un air de férocité. Le buste du Capitole donne à Décius la plus méchante figure qu’on puisse imaginer. Il fait une affreuse grimace, et semble apercevoir un objet effrayant. Je soupçonne un chrétien d’être l’auteur de ce portrait, et d’avoir ainsi représenté Décius en haine de la persécution. Ou bien peut-être on l’a choisi à dessein pour le mettre dans la collection parce qu’il était hideux, comme doit l’être aujourd’hui à Rome le persécuteur des chrétiens. Décius n’a point cet aspect sur les médailles, et l’histoire ne l’a pas si mal traité. Vopiscus, en énumérant une suite de mauvais empereurs, a soin de faire une exception pour les Décius, dignes d’être comparés aux anciens, dit-il, par leur vie et leur mort. Quant aux deux fils de Décius, ils paraissent avoir été de bien méchans garnemens, si l’on en juge par leurs bustes. L’un donne l’idée d’un petit serpent venimeux, l’autre d’un grossier et impudent drôle. Un peu plus loin, le jeune Soloninus, fils de Gallien, a une atroce figure d’enfant. Décius, comme la plupart des empereurs de ce temps, ne mourut point à Rome. Ils n’y mouraient guère plus souvent qu’ils n’y naissaient. Décius alla finir en Pannonie, au fond d’un marais. L’empire faisait comme lui, il se noyait dans la boue.

Ceci ne s’applique point en particulier au règne de Décius. Si Lactance l’appelle un exécrable animal, l’Epitome des Césars dit qu’il fut un souverain affable et un guerrier vaillant, et Zozime assure qu’il gouverna très bien. Il avait construit à Rome des thermes dont on ignore l’emplacement. Décius est le dernier empereur romain dont on ait trouvé le nom écrit en hiéroglyphes sur les monumens de l’Égypte. Encore un signe de la puissance romaine qui s’en va et du monde qui lui échappe.

Quand on considère les bustes des empereurs de cette triste époque, on remarque chez plusieurs une expression tout à la fois ferme et inquiète, bien sensible surtout chez Volusien. Ils semblent voir les Barbares venir, les légions s’apprêter à les immoler, et attendre avec une résolution triste la fin de l’empire et la leur.

Cette fin approchait. On peut dire que l’empire a été frappé à mort sous Gallien. Les Barbares y pénètrent de tous côtés, il se démembre pièce à pièce, et à chaque lambeau qu’ils emportent, Gallien fait une plaisanterie, ou dit : « Qu’aurons-nous demain à dîner ? » Pendant ce temps s’élèvent partout des chefs militaires qui prennent la pourpre, et qu’on appelle les trente tyrans. Ces tyrans, parmi lesquels on compte deux femmes, étaient en général des hommes énergiques qui, dans la défaillance du pouvoir impérial, prenaient en main, là où ils se trouvaient, la défense de l’empire, assertores romani nominis, tandis que l’empereur l’abandonnait, Galieno rempublicam deserente, comme dit Trebellius Pollion. La plupart ne firent que passer, et l’un d’eux régna trois jours. On ne peut s’étonner que Rome, qui ne vit pas leur pouvoir éphémère et lointain, n’ait pas conservé leurs images. On y trouve celle de Gallien, auquel l’expression de son visage donne l’air d’un aussi grand coquin que la ressemblance historique peut le faire désirer.

Gallien, comme tant d’autres mauvais empereurs, avait bien commencé, ce qui explique sans doute quelques lignes favorables de Zozime et de Zonaras ; mais bientôt, dit Eutrope avec une certaine éloquence, « s’abandonnant à tous les vices, il laissa aller les rênes de la république par lâcheté et par désespoir. » La biographie de Gallien dont Trebellius Pollion est l’auteur ne permet pas de douter qu’il ait été le plus misérable des hommes. Il gagna la multitude par des distributions de vivres, mais on n’achète pas l’histoire.

Il reste de cet homme, dont le règne fut plus que nul autre funeste à l’empire, et sous lequel Rome perdit le plus de provinces, un arc de triomphe. Ceux de Trajan et de Marc-Aurèle, qui allèrent vaincre chez eux les Barbares, ont péri ; celui de Gallien, qui les laissa entrer en Italie, subsiste encore !

Cet arc n’est pas mauvais pour l’époque. Il fut dédié à Gallien et à sa femme Salonine par un certain Aurélius Victor, qui était probablement un courtisan zélé de leurs majestés, auxquelles il se dit très dévoué. Ce ne peut être l’historien de ce nom, car celui-ci parle de Gallien avec le dernier mépris, et d’ailleurs a vécu plus tard. C’est heureux pour Aurélius Victor, car l’inscription qu’on lit sur l’arc de Gallien donnerait une impression peu favorable de sa véracité. Jamais l’adulation n’eut moins de pudeur. L’inscription contient ces mots : « À Gallien, prince très clément, dont le courage invincible n’est surpassé que par sa piété. » Voici maintenant le commentaire de l’inscription par les faits.

Il arrivait à Gallien de faire tuer trois ou quatre mille soldats en un jour, et il écrivait des lettres comme celle-ci, adressée à un de ses généraux : « Tu n’auras pas fait assez pour moi, si tu ne mets à mort que des hommes armés, car le sort de la guerre aurait pu les faire périr. Il faut tuer quiconque a eu une intention mauvaise, quiconque a mal parlé de moi. Déchire, tue, extermine ; lacera, occide, concide. » Entré dans Byzance en promettant leur pardon aux troupes qui avaient combattu contre lui, il les fit égorger, et ses soldats ravagèrent la ville au point qu’il n’y resta pas un habitant. Voilà pour la clémence. Tandis que Valérien, son père, était prisonnier du roi des Perses Sapor, qui pour monter à cheval se servait du dos du vieil empereur comme d’un marchepied, en attendant qu’il le fit empailler, l’indigne fils de Valérien vivait au sein des plus honteuses voluptés, et ne tentait pas un seul effort pour le délivrer. Voilà pour la vaillance et la piété.

Cet arc de triomphe fut très probablement élevé à Gallien après son lâche et parjure exploit contre Byzance, quand il revint à Rome à la suite de ce meurtre pour y triompher. On remarqua dans ce triomphe plusieurs détails ridicules, des chars remplis d’histrions, douze cents gladiateurs habillés en femmes. Le triomphe romain tournait à la mascarade, au carnaval. Dans celui-ci, un farceur allait par la foule, disant qu’il cherchait le père de l’empereur. Gallien le fit brûler vif. L’arc élevé à Gallien en cette circonstance, au moment où il revenait d’une boucherie, est une bouffonnerie de plus. Un arc de triomphe érigé à l’empereur sous lequel commença le démembrement de l’empire, c’est la plus grande dérision monumentale de Rome[1].

Le règne de Gallien est néfaste entre tous les règnes des empereurs que Rome a subis. Au moment où la puissance romaine est près de se dissoudre par l’ineptie et les vices d’un homme, la nature semble vouloir ajouter ses fléaux à ceux que le pouvoir qui régit la société avait attirés sur elle. La terre tremble et engloutit un grand nombre de maisons avec leurs habitans, des villes sont envahies et détruites par la mer, beaucoup d’hommes meurent d’effroi ; des éclipses répandent les ténèbres, une contagion terrible fait mourir jusqu’à cinq cents personnes en un jour. Il semble que la fin de Rome et du monde soit arrivée.

Du sein de ce temps lamentable allaient surgir quelques hommes dignes d’un temps meilleur : Claude le Gothique, Aurélien, Tacite, Probus. Ils venaient trop tard pour empêcher la chute de l’empire, ils ne purent que l’ajourner. Malheureusement leurs portraits sont rares et manquent dans la collection du Capitole. J’aurais aimé à y voir les traits de ce second Claude, qui montra autant de vigueur que le premier déploya de faiblesse. Je voudrais qu’on trouvât le bouclier d’or sur lequel le sénat avait fait graver son image, sa statue en argent, que l’on avait placée sur les rostres, enfin la statue en or que le peuple romain, hommage sans exemple, avait érigée à Claude devant le temple de Jupiter, parce que les livres sibyllins ayant annoncé que le premier qui parlerait dans le sénat mourrait, et par sa mort sauverait l’état, Claude avait réclamé cet honneur comme une prérogative de la dignité impériale.

Ce règne et celui d’Aurélien tirèrent Rome de l’avilissement où Gallien l’avait plongée. Aurélien fut dur, cruel même, mais brave, énergique, infatigable. Pendant un règne de quatre années, il reprit presque tout ce que Gallien avait perdu ; il avait le droit de consacrer, comme il le fit, une statue au génie du peuple romain, qu’il relevait. Ses traits n’ont rien d’un Romain, ce qui ne saurait étonner chez un Illyrien ; fils d’un paysan, d’une grande taille, d’une force remarquable, toujours sombre, trux omni tempore, dit Eutrope, Aurélien fut le paysan du Danube empereur. La victoire la plus célèbre d’Aurélien est celle qu’il remporta sur Zénobie, reine de Palmyre. Après la mort d’Odenat, son mari, Zénobie avait gouverné avec fermeté et avec gloire. Vaincue par Aurélien, elle orna son triomphe. On la laissa vivre, et elle alla terminer paisiblement ses jours en grande dame romaine, près de Tivoli ; dans le voisinage de la villa Adriana, où son souvenir s’est perpétué dans les noms de diverses localités. Le Vatican possède un buste qu’on donne pour celui de Zénobie, mais à tort évidemment. La sculpture est trop bonne pour être du temps d’Aurélien, et puis cette femme à l’air spirituel, mais assez laide, ne peut être celle que Trebellius Pollion dit avoir été d’une beauté incroyable, et qu’il appelle la plus belle femme de l’Orient.

Ce fut après son triomphe sur Zénobie qu’Aurélien éleva au Soleil un temple dont on croit reconnaître quelques restes dans le jardin Colonna ; mais il est bien difficile d’admettre que ces restes aient fait partie d’un temple bâti sous Aurélien : ils semblent appartenir à une époque plus ancienne. Les grandes dimensions de ces débris peuvent seules les rapprocher des ruines contemporaines de Palmyre, auxquelles ils sont très supérieurs par le style, et bien que l’art dût être plus parfait à Rome que dans le désert où Zénobie élevait comme par enchantement la cité des caravanes, on ne saurait comprendre comment il eût pu produire, à la fin du IIIe siècle, les fragmens du jardin Colonna, fragmens pour lesquels il est d’ailleurs très difficile de trouver une autre origine. C’est un des problèmes les plus embarrassans que présentent les antiquités de Rome, et je ne prends pas sur moi de le résoudre.

Aurélien entreprit un grand ouvrage qui caractérise bien son règne, ce règne qu’on peut considérer comme un effort contre la décadence. Il entoura Rome d’une enceinte fortifiée. Rome n’avait pas de murailles. Les anciens murs de l’époque des rois avaient depuis longtemps cessé d’être employés comme des moyens de défense, et avaient disparu au milieu des habitations privées. Les Romains pensèrent longtemps, comme le dit un ancien, que leur courage était une défense suffisante, et ne voulurent point d’autres remparts pour la ville éternelle ; mais un jour vint où cette sécurité superbe se troubla. Sous Gallien, les Barbares avaient pénétré en Italie. Sous Aurélien, ils avancèrent sur la voie Flaminia et la voie Aurélia, avec le dessein de prendre Rome. Rome comprit alors qu’elle allait avoir à se défendre chez elle, que le courage de ses légions était un rempart qui ne suffisait plus, et Aurélien éleva cette enceinte qui, refaite en partie par Honorius, réparée successivement de siècle en siècle par les papes, forme encore l’enceinte actuelle de Rome, et ne l’a pas mieux défendue dans les temps modernes qu’au temps des invasions barbares.

Après la mort d’Aurélien, le sénat choisit Tacite et le proposa dans le Champ-de-Mars aux soldats et aux citoyens. Faire l’élection d’un empereur en cet endroit et non dans la curie ou dans les temples, lieux ordinaires des assemblées du sénat, c’était un hommage au peuple et surtout aux soldats, que le sénateur par qui fut proposé Tacite appelait très saints et très sacrés, et auxquels Tacite lui-même adressa son premier remerciement. Au bout de six mois, il fut victime d’une conspiration militaire. C’est là qu’aboutissaient les triomphes du sénat. L’honnête vieillard mourut découragé et sans avoir rien fait. Cependant Vopiscus énumère quelques monumens commencés pendant ce règne si court ; malheureusement Tacite n’eut pas le temps de les achever. Ainsi rien ne s’est conservé, ni des thermes qu’il voulait faire construire sur l’emplacement de sa maison, détruite dans une vue d’utilité publique, ni du temple qu’il destinait à recevoir les bustes des bons empereurs, et qui n’avait pas besoin d’être très grand. Peut-être va-t-on retrouver dans les fouilles d’Ostie, savamment dirigées par M. Visconti, quelques-unes au moins des cent colonnes de marbre numidique que Tacite avait données à cette ville. Ce qui fait le plus regretter la brièveté de son règne, c’est qu’il avait ordonné qu’on copiât chaque année dix exemplaires des œuvres de son aïeul l’historien, et qu’on les plaçât dans les archives et les bibliothèques. S’il eût régné plus longtemps, nous aurions probablement aujourd’hui Tacite tout entier. Il ne reste de l’empereur Tacite ni monumens ni portraits, mais seulement une preuve de plus de l’impuissance du sénat et de la vertu sous l’empire.

Il ne reste rien, non plus de son successeur Probus, qui régna six ans avec gloire. Sans dire, comme Vopiscus, que par lui l’univers tout entier fut romain, qu’il allait, quand il mourut, abolir la guerre, établir une paix perpétuelle et ramener l’âge d’or sur la terre, il est certain que pour la valeur, l’énergie, l’intégrité, Probus peut être comparé aux meilleurs empereurs, à Trajan, à Marc-Aurèle. Il refoula l’invasion qui s’avançait, en Gaule, en Germanie, en Illyrie, en Orient.

Le souvenir des victoires de Probus est lié à l’histoire des monumens romains. Le Cirque vit alors une chasse mémorable. On y planta une forêt artificielle, dans laquelle furent lâchées mille autruches, mille cerfs, mille sangliers, mille daims, des gazelles, des brebis sauvages. Le peuple, lancé à leur suite, fit main basse sur le tout. Un autre jour, ce fut le tour de l’amphithéâtre. Cent lions à longues crinières parurent en même temps dans le Colisée, puis deux cents léopards, cent lionnes et trois cents ours ; mais le carnage fut froid, les animaux n’avaient pas ce jour-là d’entrain pour se faire tuer. Trois cents paires de gladiateurs vinrent réchauffer un peu la représentation.

Malgré ses succès militaires, malgré les fêtes somptueuses qu’il donnait au peuple, Probus périt comme Tacite : les vertus, la gloire, la popularité, ne pouvaient rien contre un mécontentement de l’armée. Un jour Probus voulut faire dessécher un marais par des soldats, et ces soldats l’égorgèrent.

Nous venons de voir que même aux époques les plus désastreuses les bons princes n’ont point manqué à l’empire. C’est, comme je l’ai déjà dit, l’empire qui a trahi les efforts de ces princes capables et bien intentionnés. Les Antonins du IIIe siècle[2], comme ceux du IIe montrent par leurs qualités mêmes combien était foncièrement mauvaise une institution que ces qualités n’ont pu améliorer, car de même qu’après Marc-Aurèle était venu Commode, après Probus ne tarda pas à paraître Carin, qui devait renouveler Héliogabale.

Si l’on en juge par son buste du Capitole, douteux il est vrai, ce scélérat était fort laid. Calpurnius dit bien, dans une de ses églogues, qu’en voyant Carin on croit voir Mars ou Apollon ; mais Calpurnius était un poète de cour, et d’après des témoignages moins suspects rapportés par Gibbon, nous savons que Carin était petit et laid. Lui aussi voulut donner des jeux extravagans faits pour passionner la multitude. Son père Carus et son frère Numérien, assez bons empereurs du reste, avaient fait en ce genre des exhibitions bizarres : ils avaient montré des hommes qui dansaient sur la corde avec des cothurnes, un tichobate, qui pour éviter un ours courait sur la crête d’un mur. Carin les surpassa. Le Colisée et le Cirque, ces monumens dont je fais toujours l’histoire, car ils ont remplacé le Forum et sont l’unique théâtre de la vie publique des Romains, le Colisée et le Cirque furent témoins de divertissemens extraordinaires, dont un poète du temps nous a conservé de curieux tableaux faits d’après nature.

Le pasteur Corydon, car Calpurnius se souvient de Virgile, revient de la ville et raconte à un autre berger ; Lycotas, ce qu’il a vu dans l’amphithéâtre. La poésie n’est pas bonne, mais les descriptions sont d’une minutieuse exactitude. Corydon a vu le velarium soutenu par des poutres, les gradins innombrables ; toutes les autres places étant occupées, il est monté au troisième étage, réservé pour les femmes et les gens du commun. Les femmes étaient assises, non sur des gradins, il n’en existait pas à cet étage, mais sur des chaises, comme nous l’apprennent ces vers :

Venimus ad sedes ubi pullâ sordida veste
Inter fœmineas spectabat turba cathedras.

Corydon compare l’ovale du Colysée à une vallée partout entourée de montagnes,

Sic tibi planitiem curvœ sinus ambit arenœ
Et geminis médium se molibus alligat ovum.

Dans ce qui suit, l’hyperbole est forte, mais il fallait bien flatter cet exécrable Carin en mettant tout ce qu’on avait pu admirer au-dessous des divertissemens qu’il venait de donner au peuple. Heureusement l’éloge emphatique de ces divertissemens contient de nombreux détails qui mettent pour ainsi dire sous nos yeux les magnificences de l’arène. Calpurnius nous promène dans toutes les parties du Colisée un jour de représentation. Déjà nous sommes montés avec lui au paradis ; il fait maintenant étinceler à nos regards le pourtour de l’arène, orné de pierreries, et les portiques dorés :

Baltheus en gemmis en illita porticus auro
Certatim radiant.


Puis il énumère tous les animaux rares et singuliers qu’il a vus paraître tour à tour : des lièvres blancs, des sangliers cornus, des élans venus des forêts de la Germanie, des bœufs bossus de l’Asie, des veaux marins combattant contre des ours, des hippopotames du Nil. Le poète fait décrire par Corydon l’apparition des bêtes féroces s’élançant du sein de la terre, qui semblait tout à coup s’ouvrir, et d’où sortait aussi une végétation soudaine ; c’était à qui se surpasserait, dans ces sanglans spectacles, par des coups de théâtre inattendus. Ainsi Septime-Sévère avait donné à l’arène la forme d’un navire. Dans un enfoncement, on avait placé quatre cents animaux qu’on avait lâchés pêle-mêle, ours, panthères, lions, autruches, onagres, et qu’on avait eu le plaisir de voir égorger dans une agréable confusion.

Après les empereurs aux traits hagards et inintelligens que nous a présentés la série du Capitole, l’œil rencontre un personnage d’un aspect tout différent, au front large, à la tête carrée, et dont l’air posé et réfléchi annonce l’attention et la capacité, un personnage qui rappelle un peu Vespasien, mais avec plus de sérénité, qui a le sourire froid plutôt qu’ironique ; c’est Dioclétien. En le voyant, on reconnaît tout d’abord la tranquillité d’un esprit qui se possède et sait ce qu’il veut, celui dont l’histoire a pu dire : « Homme remarquablement rusé, aux desseins profonds, quelquefois hardis, — toujours prudent, et comprimant par son extrême opiniâtreté les mouvemens inquiets de son cœur, »

Dioclétien fut loin d’être un sage sur le trône. En Égypte, il usa cruellement de sa victoire et la souilla par le carnage et les proscriptions. Les chrétiens trouvèrent en lui un atroce persécuteur. Il fut habile, très habile (solertissimus), qualité qu’il ne faut pas trop admirer quand nulle autre ne l’accompagne, car on peut dire de l’habileté ce qu’on a dit de l’esprit : elle sert à tout et ne suffit à rien. Dioclétien tenta de perfectionner la machine usée et détraquée de l’empire ; il eut la passion et la science de la classification administrative. Il fit tout ployer sous le niveau régulier du pouvoir absolu, les prétoriens comme le sénat. Par malheur, en nivelant, on écrase : truncatœ vires urbis (Aurélius Victor). Il essaya, non par vanité folle, comme Héliogabale, mais dans une intention politique, de donner au pouvoir impérial le caractère et la pompe des despotismes de l’Orient. Il s’acharna barbarement contre le christianisme, qui ne se révoltait pas, mais portait en lui un principe sous lequel cet odieux empire romain devait succomber. Tout cela fut inutile. Cet empereur, qui organisait plus systématiquement qu’on ne l’avait fait depuis Auguste l’unité d’administration dans l’état, la scinda lui-même, et l’état fut divisé entre quatre et bientôt entre six souverains. Dioclétien perdit ses efforts à ranimer le paganisme par la persécution ; il ne put tuer ce qui devait vivre, pas plus qu’il ne put faire vivre ce qui devait mourir. Lui et son collègue Maximien, vaincus dans cette lutte, abdiquèrent le même jour comme atteints et détruits par le sentiment de l’impossible.

Je me souviens d’avoir entendu Niebuhr donner dans ses cours un motif politique de l’abdication de Sylla, dont le célèbre dialogue de Montesquieu ne donnait guère, selon lui, que des motifs poétiques et oratoires. Niebuhr disait que Sylla, dont la pensée fut de réorganiser l’aristocratie romaine, ne trouvant plus sous sa main les élémens de cette réorganisation, désespéra de son œuvre, et déposa un pouvoir qu’il sentait impuissant à l’accomplir. De même, je pense, Dioclétien, qui voulait constituer dans l’empire l’unité et la hiérarchie administratives, y faire triompher la religion officielle, entourer le pouvoir impérial du prestige monarchique, comme Sylla désespéra de son œuvre, et abdiqua par le même motif que lui. La tentative dans laquelle Dioclétien avait échoué, l’assimilation du despotisme romain au despotisme pompeux de l’Orient et au despotisme administratif des grandes monarchies modernes, fut reprise à Constantinople. Là elle réussit, et produisit cette décrépitude séculaire qui a porté si justement le nom de Bas-Empire.

Bien que Dioclétien ait été presque toujours absent de Rome, Rome possède les ruines d’un vaste monument auquel il a donné son nom ; mais les thermes de Dioclétien furent dédiés par quatre augustes et deux césars. Une inscription trouvée dans ces thermes contient avec le nom de Dioclétien ceux de deux Maximien (le second est Galère), de Constance, de Sévère et de Maximien. On peut donc considérer l’édifice attribué à Dioclétien comme l’œuvre collective de tous ces princes, et par là il exprime assez bien l’état de morcellement où le pouvoir était tombé en dépit de la savante organisation de Dioclétien et de l’unité qu’il avait voulu imposer par elle à l’empire.

D’après les débris qui en subsistent, on peut reconnaître et mesurer l’étendue des thermes de Dioclétien. L’espace qu’ils couvraient est occupé aujourd’hui par une place, des jardins, un couvent, des magasins à foin, des maisons, un établissement d’utilité publique. Dans une partie de ces thermes, Michel-Ange a construit le plus grand cloître qui soit à Rome ; l’église de Sainte-Marie-des-Anges n’est, comme on sait, qu’une salle des thermes de Dioclétien. Une autre salle, à laquelle on n’a rien changé, est devenue la petite église de Saint-Bernard. Quant à Sainte-Marie-des-Anges, il y avait peu de chose à faire pour l’approprier à sa destination actuelle, et si après Michel-Ange on a introduit des changemens regrettables dans cette belle église, la faute n’en est point au majestueux et grandiose édifice de Dioclétien.

Ces thermes n’étaient pas tout à fait aussi considérables que ceux de Caracalla. Cependant nous savons qu’ils pouvaient recevoir trois mille baigneurs, ce qui est le double des sièges de marbre construits par le fils de Septime-Sévère ; mais peut-être ce nombre n’était-il pas égal à celui de tous ceux qui se baignaient dans les thermes de Caracalla, et puis il y avait dans ceux de Caracalla une seule piscine, et deux piscines dans ceux de Dioclétien. Les divertissemens de tous genres, qui à Rome, autant que les bains mêmes, faisaient partie intégrante des thermes, n’avaient pas non plus été oubliés. On voit encore dans le jardin du couvent de Saint-Bernard les gradins semi-circulaires d’où les oisifs regardaient les jeux de la palestre, et l’on sait que les livres de la bibliothèque ulpienne, fondée par Trajan, furent transportés dans les thermes de Dioclétien. Suivant une tradition qui n’a rien d’invraisemblable, beaucoup de chrétiens, pendant la persécution de Dioclétien, travaillèrent à élever ce vaste monument. Ce serait une belle revanche du christianisme que d’avoir converti en églises deux salles d’un monument bâti pour leur persécuteur par les labeurs des chrétiens opprimés.

L’excès de l’oppression touche quelquefois à l’affranchissement. Après les plus violentes persécutions, voici venir pour les chrétiens la délivrance et l’empire. Après Dioclétien, voici venir Constantin.

Son père, Constance Chlore, remarquable parmi ses collègues impériaux pour son humanité, a au Capitole une bonne grosse tête carrée, et, ce qui est assez rare depuis quelque temps chez les empereurs romains, l’air d’un honnête homme. Sainte Hélène, mère de Constantin, mourut probablement en Palestine, d’où son corps dut être rapporté à Rome, car on a trouvé près de cette ville son tombeau dans son mausolée. C’est un magnifique sarcophage en porphyre, conservé aujourd’hui au Vatican, ouvrage étonnant par la difficulté que présentait une matière aussi dure. Les figures en relief très saillant qui décorent le sarcophage, et qui représentent des guerriers à cheval et des prisonniers, font voir que si à cette époque le style de la sculpture avait dégénéré, l’art de travailler les matières les plus rebelles au ciseau et la patience ne manquaient pas aux sculpteurs. Plusieurs figures qui avaient été brisées ont été remplacées ; il a fallu pour cela le travail assidu, continué pendant neuf ans, de quarante-quatre ouvriers. Ce tombeau de sainte Hélène a été trouvé hors de Rome et non dans ses thermes, dont l’emplacement est déterminé par l’église de Sainte-Croix-de-Jérusalem, qu’elle y fit élever pour déposer les reliques du Calvaire. Ces thermes avaient été construits dans les jardins d’Héliogabale, souvenir infâme que purifie à peine le nom de la pieuse impératrice.

On a placé au Vatican, en face du tombeau de sainte Hélène, celui de la fille de Constantin, sainte Constance, trouvé pareillement dans son mausolée, qui est devenu son église. La matière est semblable, et par conséquent le mérite de la difficulté vaincue est le même, ce mérite que, dans les arts comme dans la poésie, on recherche lorsqu’on ne sait plus en avoir un autre ; mais le travail est déjà bien inférieur, l’intervalle si court de deux générations, qui sépare la grand’mère de la petite-fille, se marque dans la différence qui existe entre les sculptures des deux tombeaux. Quand l’heure de la décadence a sonné, l’art tombe vite.

Le portrait de Constantin ne se rencontre pas dans la série des empereurs romains au Capitole. Il semble qu’on ait pensé que ce lieu appartenait trop aux souvenirs de la Rome païenne pour y laisser Constantin ; mais sa statue, tirée de ses thermes, a été transportée sous le portique de Saint-Jean de Latran. Elle est très convenablement placée à la porte de la basilique, hélas ! trop renouvelée, que Constantin avait fondée. Il semble veiller sur le seuil de cette église qui s’intitule fièrement la mère et la tête de toutes les églises du monde, omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput. On a mis dans la main du premier empereur chrétien la croix, qu’il fit triompher. C’est ainsi qu’il voulut être représenté depuis qu’il eut embrassé le christianisme. Constantin n’est pas grand et majestueux comme l’affirme Eusèbe, son complaisant biographe, flatterie qu’a reproduite Gibbon et que dément la statue impériale. Son corps est court, ramassé, trapu, sa poitrine large, ses jambes grosses : il a une tournure de soldat. Constantin fut en effet un soldat qui se mit au service de la croix. Une chose est surtout remarquable en lui, c’est ce regard profond qui semble contempler un objet lointain. Constantin regarde en avant. Il dirige un œil ferme sur l’avenir, pour lequel il a pris parti. Historiquement ce fut là sa gloire ; il comprit où allait le monde, et en le précédant il le suivit. Du reste, celui qui fit monter le christianisme sur le trône se montra peu digne d’être chrétien. Meurtrier de son fils, de sa femme, de son beau-père Maximien, de son beau-frère Licinius, il put faire dire aux païens qu’il avait embrassé le christianisme parce que c’était le seul culte qui lui rendit possible l’expiation de tant de crimes ; de plus, Constantin vendit cher à l’église les services qu’il lui rendit, il fut pour elle un protecteur hautain, tracassier, tyrannique, et même un allié peu fidèle. Il allait faire triompher Arius quand la mort frappa l’hérétique, protégé par le persécuteur de saint Athanase. Sans nier sa foi, qui paraît avoir été sincère, sans méconnaître ce que lui doivent de reconnaissance le christianisme et la civilisation pour le grand acte qui ajustement immortalisé son règne, des voix éloquentes et non suspectes se sont élevées pour signaler par cet exemple les dangers de la protection que le despotisme fait toujours payer à l’église, et que presque toujours il finit par lui retirer. Rome rappelle une autre preuve de la même vérité. Elle a vu de nos jours un empereur d’abord restaurateur du culte et faisant bientôt du pape son prisonnier.

C’est près de Rome que la cause du christianisme fut gagnée dans la bataille livrée par Constantin à Maxence. Nous savons que cette bataille eut lieu sur la rive droite du Tibre, à neuf milles de la ville, dans un endroit appelé les Roches-Bouges (saxa rubra). Les tufs volcaniques dont sont composés les rochers qui de ce côté dominent le cours du Tibre ont une couleur grise qui tire çà et là sur le violet, et Vitruve donne à certains tufs le nom de pierres rouges.

Au-delà de l’endroit où la Cremera se jette dans le Tibre, on voit une plaine assez étendue, dans laquelle la cavalerie qui décida la victoire de Constantin a pu se déployer. C’est là qu’il faut placer le champ de bataille, non loin du lieu qui vit l’héroïque mort des Fabius. La guerre contre Veïes était aussi une guerre décisive, mais seulement pour Rome. Le monde n’était pas intéressé, au moins dans le présent, à ce que la grande nation étrusque écrasât ou non le petit peuple romain ; mais aux Roches-Rouges il y allait de tout le genre humain comme de tous les siècles.

Il y a longtemps que les environs de Rome ne nous ont rappelé une bataille célèbre. À l’époque des rois, aux premiers âges de la république, le théâtre de la guerre était renfermé dans l’horizon romain ; mais depuis lors il a été porté en Grèce, en Orient, en Gaule, en Germanie, dans des contrées qui étaient hors de la portée de ces études locales. Maintenant la guerre est revenue dans la campagne de Rome, l’histoire objet de nos méditations se rapproche encore une fois de nos yeux, et il semble qu’on voie dans cette campagne déserte, près de ces bords solitaires du Tibre, sur ces collines abandonnées, se dresser les fantômes du passé et de l’avenir, intéressés l’un et l’autre dans ce grand duel des deux champions qui les représentèrent ici. L’avenir, comme toujours, triompha.

L’élu de l’avenir battit le défenseur du passé ; la cavalerie de Constantin, emportée par un élan irrésistible, culbuta les troupes de Maxence ; elles s’enfuirent, vaincues par cette impétuosité. Elles voulurent atteindre, non comme on le dit quelquefois, le pont Milvius, trop éloigné du champ de bataille, mais un pont de bateaux que Maxence avait fait construire, et qui se trouva coupé au moment où il comptait le repasser. Tandis qu’il cherchait à gagner la partie du pont qui communiquait avec la rive gauche, il glissa de son cheval et enfonça dans le limon sous le poids de sa cuirasse. Le genre de mort que Maxence trouva dans sa défaite, Fiesque longtemps après devait le rencontrer dans son triomphe[3]. Ce fut la déroute et la débâcle du paganisme englouti dans les flots du Tibre avec Maxence.

On peut voir au Vatican cette grande bataille retracée avec beaucoup de vigueur par le pinceau de Jules Romain. Constantin à cheval y poursuit les fuyards, qu’il pousse dans le Tibre ; la figure du vainqueur semble avoir été inspirée par un bas-relief de l’arc de Constantin.

Cet arc se rattache, aussi bien que la bataille de Saxa rubra, au grand événement qui a changé le monde. Ce fut le jour où il fut dédié à Constantin que l’empereur, faisant acte de chrétien, ne voulut pas permettre aux soldats de monter au Capitole, où ils devaient, selon l’usage, offrir un sacrifice à Jupiter et l’implorer pour le bonheur de l’empire. À défaut d’autre témoignage, cet arc prouverait combien le christianisme de Constantin était imparfait. Dans ce monument, dont il accepta la dédicace, sont encastrés des bas-reliefs empruntés à un arc de Trajan, et parmi les sujets que ces bas-reliefs représentent, il y a des hommages adressés à des divinités païennes ; on y voit Trajan sacrifiant à Mars, à Apollon, au dieu Sylvain. Constantin, qui ne permettait plus à ses soldats l’immolation solennelle du Capitole, n’en était pas encore à se scandaliser des représentations idolâtriques qui figuraient sur son arc de triomphe.

Du reste, ce n’est pas la seule trace qui reste des concessions du premier empereur chrétien au culte qu’il abandonnait, mais n’interdisait point et même ne répudiait pas absolument. On sait qu’il conserva toujours le titre de grand-pontife, lié si étroitement au culte païen, et dans ses rapports avec l’église Constantin ne montra que trop qu’il se considérait toujours comme le chef de la religion. La prétention qu’il eut constamment de faire prévaloir, en matière de foi, sa volonté et sa sagesse impériales était un reste de cette idée toute païenne, — bien qu’on la retrouve chez des souverains qui se disaient chrétiens, soit dans les pays catholiques, soit surtout dans les états protestans, — qu’à l’autorité civile il appartient de régler la croyance. L’inscription gravée sur l’arc de Constantin est curieuse par le vague de l’expression en ce qui touche aux idées religieuses, par l’indécision calculée des termes dont se servait un sénat qui voulait éviter de se compromettre dans un sens comme dans l’autre. L’inscription porte que cet arc a été dédié à l’empereur parce qu’il a délivré la république d’un tyran (on dit encore la république !) par la grandeur de son âme et une inspiration de la Divinité, instinctu Divinitatis. Il parait même que ces mots ont été ajoutés après coup pour remplacer une formule peut-être plus explicitement païenne. Ce monument, qui célèbre le triomphe de Constantin, ne proclame donc pas encore nettement le triomphe du christianisme. Comment s’en étonner, quand sur les monnaies de cet empereur on voit d’un côté le monogramme du Christ et de l’autre l’effigie de Rome, qui était une divinité pour les païens ? Constantin prescrivit de célébrer le repos religieux du dimanche, et publia un édit sur la manière de consulter les aruspices ; à Constantinople, il faisait promener dans l’hippodrome sa propre statue, portant une image de la Fortune dans la main. Il tenait donc à cette idolâtrie, la plus impie de toutes, qui consacrait l’apothéose de sa fortune.

Le paganisme, dont l’arc de Constantin porte l’empreinte, se continua longtemps après lui. Quand Théodose vint à Rome, il la trouva opiniâtrement païenne. Après qu’il eut ordonné de fermer les temples, les images des dieux y demeurèrent, et même ces temples se rouvraient quelquefois. Un préfet de Rome sacrifiait à Cérès ; un autre champion obstiné du paganisme érigeait des autels aux douze dieux consentes. On a reconnu les débris d’un temple de ces dieux au pied du Capitole. Les vieilles superstitions étrusques n’étaient pas abandonnées ; le témoignage d’un poète païen, Claudien, et celui d’un évêque chrétien, Maxime de Turin, font voir également que les aruspices étaient consultés de leur temps, et lorsque Alaric menaçait la ville, le préfet Pompeianus fit appeler, pour la défendre, des prêtres étrusques qui promirent de diriger le feu du ciel sur les ennemis de Rome. Enfin le fanatisme païen fut encore assez puissant pour faire étrangler une princesse chrétienne, Serena, veuve de Stilicon, et dont la fille avait épousé Honorius, parce qu’elle avait enlevé le collier d’une déesse et avait osé s’en parer[4]. De tels faits, qui montrent les résistances obstinées du paganisme vaincu, ses retours momentanés et les hésitations du genre humain dans la voie nouvelle où il était entré, font comprendre la présence de sujets païens dans l’arc de Constantin et l’ambiguïté de l’inscription qui l’accompagne.

Entre les bas-reliefs qui proviennent d’un arc de triomphe élevé en l’honneur de Trajan et ceux qui sont du temps de Constantin, la différence sous le rapport de l’art est manifeste. Les morceaux d’emprunt sont de la belle sculpture romaine, ceux qui appartiennent à l’époque de Constantin sont pitoyables. Il y a là des Victoires qui posent le pied sur des bonshommes grotesques. Ceux-ci représentent des Barbares agenouillés. Le pied d’une de ces Victoires couvre toute la jambe du Barbare[5].

Constantin n’est pas le premier qui ait ainsi dépouillé le passé pour décorer le présent ; bien longtemps avant lui, Sylla avait enlevé d’Athènes les colonnes du temple de Jupiter Olympien pour en orner le Capitole. Ces spoliations se sont reproduites à toutes les époques, et c’est à peine si de nos jours on commence à reconnaître que les monumens appartiennent à l’histoire, et que les siècles aussi ont leur droit de propriété.

Quand on a dépassé le Forum, en s’avançant vers le Colisée, on aperçoit, à sa gauche, trois grands arceaux : dans celui du milieu est une vaste crevasse par où l’œil se plaît à voir tomber la lumière du soleil, se glisser la clarté de la lune, ou briller l’azur du ciel. Au sommet se dressent les arrachemens d’une voûte qui n’existe plus, à terre gisent des masses pareilles à des rochers précipités par une avalanche. Cette vaste ruine, la plus imposante qui soit à Rome après le Colisée et les thermes de Caracalla, c’est un tiers seulement de la basilique élevée par Maxence avant sa défaite et dédiée par le sénat et le peuple à Constantin victorieux. Ce monument se lie donc, par la succession de ses deux destinations diverses, à la grande transformation qui s’accomplit alors. Comme l’empire, il passa en quelques années du paganisme au christianisme, et son histoire est celle de la plus grande révolution morale que les sociétés humaines aient vu s’accomplir. La métamorphose de ce monument correspond à la métamorphose que subit l’esprit des hommes. Celle-ci est en quelque sorte rendue visible par le changement de direction qu’éprouva la basilique païenne de Maxence, quand elle devint la basilique chrétienne de Constantin. Elle était d’abord dirigée dans le sens du Forum, du sud-est au nord-ouest, comme le prouve un portique que l’on a découvert à l’une de ses extrémités ; en plaçant l’entrée principale sur un des côtés du monument, on en changea le sens en même temps que la destination, et il se trouva dirigé du sud-ouest au nord-est, c’est-à-dire à peu près de l’ouest à l’est, selon l’orientation ordinaire des anciennes basiliques chrétiennes ; celle-ci se tourna donc vers le soleil levant, comme les âmes se tournaient vers la lumière naissante du christianisme.

C’est surtout ici que l’on est frappé de la persistance des Romains à élever jusqu’à la fin de grands monumens, même quand ils ne savaient plus faire de grandes choses. La basilique de Maxence avait trois cent trente pieds de long sur deux cent vingt pieds de large. Ainsi, la veille du jour où Constantin allait abandonner la vieille Rome pour fonder une Rome nouvelle sur les rives du Bosphore, son compétiteur Maxence construisait cette immense basilique, qui probablement serait encore debout, si un tremblement de terre ne l’eût en partie renversée au XIVe siècle. Maxence, ce dernier empereur de la Rome païenne, pendant un règne agité de six années, a eu le temps de bâtir deux monumens considérables, la basilique dont je viens de parler et un cirque.

Ce cirque est en dehors de Rome, près de la tombe de Cécilia Metella et de ruines qui ont probablement appartenu à quelque villa impériale dont il faisait partie. C’était l’usage, nous l’avons vu à propos d’Héliogabale et des Gordiens, que les grandes villes continssent des basiliques, des thermes et des cirques. Le cirque bâti par Maxence fut dédié par lui à son fils, qu’il avait appelé Romulus. La Rome païenne devait commencer et finir par ce nom fatal, comme l’empire d’Occident devait commencer et finir par celui d’Auguste, dont Augustule est un diminutif, l’empire d’Orient par celui de Constantin, la vieille monarchie française par celui de Louis, le même que Clovis ; ainsi il est arrivé plusieurs fois que le fondateur d’un empire s’est appelé comme le dernier héritier de cet empire. Le jeune Romulus, étant mort, fut placé au rang des dieux, dans cet olympe qui s’écroulait. Son père lui éleva un temple dont la partie inférieure se voit encore, et le cirque lui-même fut peut-être une dépendance de ce temple funèbre, car les courses de chars étaient un des honneurs que l’antiquité rendait aux morts, et sont souvent pour cela représentées sur les tombeaux. Ce cirque a environ seize cents pieds de long, et dans la vallée où il s’étend, au pied de la tour crénelée qui fut la sépulture de l’épouse de Crassus, dominé à l’horizon par les montagnes d’Albano, il se présente avec un certain air de grandeur. C’était pourtant un diminutif de cirque, si on le compare au circus maximus, car il pouvait contenir quinze mille spectateurs, et le circus maximus en contint jusqu’à trois cent quatre-vingt mille. La construction du cirque de Maxence est misérable comme le temps auquel elle appartient ; mais il est intact, et du grand cirque il ne reste que peu de débris. Le seul intérêt qu’il offre, c’est de montrer presque entièrement conservées toutes les parties dont se composait un cirque, et au dernier jour de la Rome païenne la présence d’un de ces monumens, dont le plus ancien remontait aux premiers temps de la Rome des rois. Tout avait changé dans cet intervalle de mille ans, excepté la passion pour le même divertissement. Cette passion était tellement inhérente au génie des Romains, qu’ils devaient l’emporter à Constantinople et y construire un hippodrome célèbre par les agitations, futiles dans leur motif, souvent sanglantes dans leurs résultats, qu’y produisirent les factions des bleus et des verts, hippodrome dont le nom, traduit en turc, subsiste encore dans celui de l’at-meidan.

Maxence répara le temple de Vénus et de Rome, qui alors ne s’appelait plus que le temple de Rome, fanum urbis. Le paganisme des derniers temps oubliait la fabuleuse mère d’Énée ; mais Rome était une divinité à laquelle on croyait encore, bien que sa puissance fût près de passer dans le domaine des fables.

Constantin, qui vécut peu à Rome, y fit pourtant construire des thermes sur le Quirinal. Ainsi les thermes, cette expression gigantesque de tous les besoins et de toutes les habitudes de la civilisation impériale de Rome, paraissent depuis le siècle d’Auguste jusqu’à l’époque de Constantin. Tant que l’empire y est resté, ils n’ont jamais fait défaut à l’empire.

Constantin eut la gloire d’en finir avec les prétoriens que Septime-Sévère avait tenté vainement de détruire. Leur camp fut démantelé. Ce lieu, dont l’enceinte existe en grande partie, perdit son importance dans l’histoire romaine, où depuis Tibère il avait joué un si grand rôle, et dut prendre dès-lors quelque chose de l’air abandonné qu’il a aujourd’hui. La formidable forteresse où se firent et se défirent tant d’empereurs est maintenant une paisible vigne des jésuites, retraite rurale destinée à la récréation de leurs élèves, et où l’on ne voit, au lieu de prétoriens farouches, que de tranquilles néophytes qui s’ébattent discrètement, tandis qu’un religieux se promène au milieu d’eux en lisant son bréviaire. Constantin, qui devait transporter Rome à Byzance, ne voulut pas laisser derrière lui ce fort de la soldatesque, si longtemps redoutable aux empereurs même présens. De plus, les prétoriens avaient proclamé et soutenu son rival Maxence. Constantin vengea donc sa propre injure en vengeant tous les empereurs que les prétoriens avaient massacrés.

Je dois parler d’un grand fait de la vie de Constantin, qui est lié à l’histoire de la Rome antique, car on peut le considérer comme une des principales causes de sa fin : c’est la translation du siège de l’empire en Orient. Le jour où Constantin prit ce grand parti, l’arrêt de mort de Rome fut prononcé. Dans un empire où la centralisation politique était ce qu’elle fut toujours dans l’empire romain, ce qu’elle était devenue, surtout depuis Dioclétien et sous Constantin lui-même, la présence de l’empereur pouvait seule défendre la capitale contre les Barbares, et on peut croire qu’elle l’eût défendue. Il tint à peu de chose que Rome ne les empêchât d’entrer dans ses murs. Alaric s’y prit à trois fois pour y pénétrer. Bélisaire en repoussa Vitigès. Les papes protégèrent la cité de saint Pierre contre les Lombards, qui pendant trente ans en menacèrent les murailles sans pouvoir les franchir, et plus tard contre les Sarrasins. Constantinople, qui vit de très bonne heure les Barbares à ses portes, entre autres les Russes, résista huit cents ans à l’invasion. Rome eût fait de même, et au XVe siècle il ne se serait pas trouvé là des Turcs pour la prendre. Constantin, qu’une inscription gravée sur son arc de triomphe appelle le libérateur de Rome, en fut le premier destructeur. Dès ce moment, l’histoire monumentale de Rome est presque terminée, et je n’aurai plus guère à raconter que l’histoire de ses ruines.

Une seule chose excuse Constantin. La pensée de transporter en Orient le siège de l’empire n’était pas nouvelle. On l’avait attribuée à César. Il existait une affinité naturelle entre l’Orient et le despotisme. L’Orient avait attiré plusieurs empereurs. Adrien y avait beaucoup voyagé. Caracalla y avait passé douze ans et y était mort. Dioclétien préférait à Rome, où il ne fit que paraître, le séjour de Nicomédie. Il se sentait là plus à l’aise pour son essai de monarchie orientale. Constantin, qui reprit l’œuvre de Dioclétien, voulut aller la continuer dans un milieu qui était fait pour elle, loin de cette Rome où un sénat bien dégradé sans doute faisait vivre un souvenir de la république, et où l’empire n’avait jamais pu devenir la royauté. Il y fut sans doute encouragé par la situation de Byzance, situation qu’il avait eu l’occasion d’admirer pendant le siège qu’il avait fait de sa future capitale. Je crois qu’il fut décidé surtout par l’idée qu’une nouvelle religion s’établirait mieux dans une ville nouvelle. Rome était l’asile du vieux paganisme, il s’y retranchait dans les débris du vieux patriciat. La foi qui remuait le monde semblait ne pouvoir ébranler l’immobile rocher du Capitole, et cependant c’est là que cette foi devait s’asseoir et se fonder. Constantin ne comprit pas cet avenir du christianisme. Il céda à la papauté l’honneur de maintenir Rome à la tête du monde. En présence du paganisme qui se cramponnait à Rome, il eut peur d’un fantôme. S’il eût regardé en face ce patriciat décrépit, il en aurait compris la faiblesse, et par sa présence il lui eût imposé sa foi. Il devait planter bravement son labarum sur le Capitole et défier le monde de venir l’en arracher. Ses successeurs, toujours à Ravenne et à Milan, quand ils n’étaient pas à Constantinople, livrèrent aux Goths le Capitole, que la république avait défendu contre les Gaulois. Cette plainte n’est pas d’hier. Claudien s’écriait déjà : « Pourquoi le pouvoir s’est-il exilé loin de ses foyers ? Pourquoi l’empire est-il errant ? »

… Laribus sejuncta potestas
Exulat, imperiumque suis a sedibus errat.

Et un poète du moyen âge disait tristement : « O Rome, si tu es esclave, c’est que tes maîtres t’ont abandonnée. »

Aujourd’hui celui qui écrit au milieu des ruines de Rome ne peut se défendre de quelque colère contre l’impolitique abandon qui a fait les plus anciennes de ces ruines. Et encore ici il admire les sévères justices de la Providence. Rome s’était livrée pieds et poings liés à l’empire, elle s’était rendue sans condition au despotisme. D’abord le vainqueur traita bien sa captive, puis il lui fit éprouver les rigueurs de ses cruautés et l’ignominie de ses caprices ; enfin, las de cette vieille esclave, il la quitta pour une plus jeune et la livra… L’empire a successivement asservi, opprimé, enfin déserté Rome. Les Barbares n’auront pas beaucoup à faire pour l’achever.


J.-J. AMPERE.

  1. Cet arc est sur le mont Esquilin, où Gallien avait ordonné qu’on lui dressât une statue colossale tenant une lance dans laquelle un enfant put entrer : puérilité gigantesque. Dans le voisinage de l’arc et de la statue de Gallien devaient se trouver les jardins Liciniens, c’est-à-dire les jardins dont parle son historien et qui portaient son nom, il s’appelait Licinius. L’on voit en effet sur l’Esquilin, à peu de distance de l’arc de Gallien, des conserves d’eau et un bâtiment voûté qu’on appelle sottement temple de Minerva medica, qui ne fut jamais un temple, mais offre très probablement un reste de la villa de Gallien.
  2. Il est à remarquer que Claude le Gothique, Aurélien et Probus venaient tous trois de la région du Danube ; aussi leur voit-on sur les médailles un profil barbare qui rappelle celui des prisonniers daces du temps de Trajan. Les Barbares, par qui devait se retremper l’énergie du monde romain, communiquaient seuls quelque énergie à l’empire.
  3. Au moment où Fiesque venait de s’emparer à main armée du pouvoir souverain, il voulut monter sur une galère qui était dans le port de Gênes. En passant sur une planche, le pied lui glissa, il tomba et enfonça dans la vase, d’où le poids de son armure ne lui permit pas de se dégager. C’était la nuit, personne ne s’en aperçut. Il petit ainsi, étouffé sans bruit dans le succès de son usurpation : dénoûment plus vraiment poétique et plus moral que le dénoûment inventé par Schiller.
  4. On trouvera ces faits cités dans le bel ouvrage d’Ozanam sur la Civilisation au cinquième siècle, auquel l’Académie française a décerné l’hommage extraordinaire d’une récompense posthume, et qui vient d’être traduit en italien sous les auspices d’un des plus généreux citoyens de la péninsule, Gino Capponi.
  5. Ces Victoires écrivant sur des boucliers sont tout à fait analogues à l’admirable statue en bronze de Brescia, l’une des merveilles de la statuaire antique, sauf la différence qui existe entre un chef-d’œuvre et une monstruosité. Il est curieux de voir la même donnée reproduite par l’art dans sa perfection et par l’art déchu. Je saisis cette occasion de complimenter le conseil municipal de Brescia sur la belle disposition du musée national qu’il a établi dans les ruines du temple où la Victoire a été trouvée, et sur le bon goût qu’il a montré en laissant croître l’herbe, les fleurs, et une riante végétation entre les colonnes du temple. Cet exemple serait bon à suivre au Colisée.