L’entrée d’Espagne/Introduction

Anonyme
Texte établi par Antoine Thomas (1p. v-cxxxvi).
INTRODUCTION


Le texte de l’Entrée d’Espagne qui est publié ici pour la première fois tel que nous l’a transmis le seul manuscrit qui soit parvenu jusqu’à nous, est d’une étendue considérable, et la langue dont s’est servi l’auteur n’est pas toujours facile à entendre. Il nous paraît donc nécessaire de placer tout d’abord sous les yeux du lecteur une analyse détaillée qui lui permette d’embrasser facilement tout le développement du récit. Cette analyse elle-même, vu ses dimensions, sera utilement précédée d’un Sommaire divisé en sections correspondantes à celles que nous avons cru devoir établir dans l’Analyse pour la commodité du lecteur.


SOMMAIRE DE L’ENTRÉE D’ESPAGNE


Tome premier. — 1. Prologue de l’auteur. — 2. Conseil tenu par Charlemagne à Aix-la-Chapelle : l’expédition d’Espagne est décidée, et chacun s’y prépare ; Oger est chargé de surveiller la frontière. — 3. Marsile réunit un conseil à Saragosse, envoie inutilement une ambassade à Charlemagne, réunit un second conseil et prend des mesures défensives en faisant occuper Nájera par une garnison de 10.000 hommes commandée par son neveu Ferragu, lequel commence les hostilités. — 4. Charlemagne établit comme régent Anseïs de Pontieu et se met en route pour l’Espagne ; arrivée de l’armée française devant Nájera. — 5. Après avoir fait prisonniers Oger et les onze Pairs, Ferragu combat pendant trois jours avec Roland qui le tue et remercie Dieu. — 6. Reddition de Nájera, délivrance des Pairs, baptême des habitants, départ pour le siège de Pampelune. — 7. Premiers combats autour de Pampelune, défendue par Malgeris et son fils Isoré : échange d’Estout et d’Isoré faits prisonniers de part et d’autre. — 8. Sortie de la garnison de Noble ; établissement de retranchements devant Pampelune ; révolte des Allemands, cruellement châtiée ; construction de machines de siège qui sont détruites par les Païens ; Marsile envoie des renforts que Roland ne réussit pas à empêcher d’entrer dans Pampelune ; reproches de Charlemagne à Roland.

Tome second. — 9. Conseil des Païens de Pampelune ; sortie et mêlée générale où la victoire des Français est un instant compromise par la nouvelle du départ de Roland. — 10. Expédition de Roland à Noble à l’insu de Charlemagne ; prise de la ville ; retour au camp de Pampelune. — 11. Apostrophe de l’auteur. — 12. Colère de Charlemagne, qui frappe Roland au visage ; départ secret de celui-ci. — 13. Roland à la cour du soudan de Perse : défaite de Pélias, fuite de Malcuidant : Roland, créé bailli de Perse, visite le pays et prépare la résistance contre un retour offensif de Malcuidant ; Anseïs de Blois épouse Dionés et est créé roi de Jérusalem ; Roland part pour l’Espagne avec Hugues de Blois, Sanson, fils du soudan, et le « convers » Aquilant. — 14. Débarquement ; mort d’Aquilant épisode de l’ermite ; Roland et ses compagnons arrivent au camp de Pampelune et sont accueillis avec des transports de joie. — 15. Appendice ; début de la continuation de Nicolas de Vérone.


I


ANALYSE DE L’ENTRÉE D’ESPAGNE


1. — En l’honneur de Jésus-Christ et de l’apôtre saint Jacques, l’auteur veut chanter l’entrée en Espagne de Charlemagne et des barons de France et la conquête de tout le pays, interrompue par la trahison de Ganelon qui seule empêchera le couronnement de Roland, le meilleur chevalier qui fût jamais (1-19). Cette chanson est faite pour exalter les vertus chrétiennes et chevaleresques. Charlemagne avait juré jadis de conquérir le chemin de Saint-Jacques de Compostelle et de couronner Roland comme roi d’Espagne, mais il avait oublié son serment, lorsque saint Jacques en personne vient le lui rappeler (-34). L’archevêque Turpin a écrit lui-même cette histoire en latin ; il est apparu en songe à l’auteur pour lui ordonner de la mettre en vers français (-56).

2. — Charlemagne tient sa cour à Aix-la-Chapelle. Il informe ses barons que saint Jacques lui est apparu à trois reprises pour lui rappeler la promesse qu’il avait faite sous les murs de Vienne, après les fiançailles de Roland et d’Aude, de conquérir l’Espagne ; il est résolu à la tenir (-95). Les barons, amollis par un long repos, paraissent peu disposés à le suivre. Gales de Vermandois expose les difficultés de l’entreprise (-131). Roland leur fait honte de leur hésitation ; il rappelle les griefs de Charlemagne contre Marsile, et annonce qu’il accompagnera l’empereur à la tête des 20.000 hommes dont le pape lui a donné le commandement (-175). Richard de Normandie parle dans le même sens (-214). Ganelon déclare qu’il faut d’abord envoyer un message à Marsile pour le sommer de se rendre à discrétion (-237). Salomon de Bretagne croit cette démarche inutile, et même dangereuse, et opine pour une entrée immédiate en campagne (-285). Naime de Bavière l’appuie, et tous les barons tombent d’accord : l’expédition est décidée, et c’est à qui se fera inscrire pour y prendre part (-337). La cour se sépare ; chaque baron va recruter son contingent, mais en laissant croire qu’on se prépare à une expédition navale en Terre-Sainte (-353). Roland et Olivier se rendent à Rome et en ramènent les 20.000 soldats du pape (-367). Oger le Danois est dépêché sur la frontière de Navarre pour garder les passages des Pyrénées (-378).

3. — Le roi Marsile, averti par des espions de ce qui se prépare, réunit son conseil à Saragosse. La divination par l’eau l’ayant convaincu que Charlemagne va l’attaquer, il envoie à Paris deux chevaliers porteurs d’une lettre pour l’empereur (-431). Charlemagne reçoit les ambassadeurs et se fait lire la lettre ; texte de ce document, où Marsile feint la surprise et demande s’il doit compter sur la guerre ou sur la paix (-516). L’empereur fait une réponse ambiguë : « Que tous ceux qui m’ont méfait prennent garde ! » (-537). Les ambassadeurs font leur rapport à Marsile, qui comprend qu’il va être attaqué et réunit de nouveau son conseil (-567). Son oncle l’Augalie lui conseille de fortifier Nájera pour arrêter le premier élan des Français (-593). Ferragu d’Orient, neveu de Marsile, va, par son ordre, s’établir à Nájera avec 10.000 hommes ; malgré la défense de son oncle, il envoie 4.000 hommes ravager les terres de France. Oger presse Charlemagne de se mettre en route (-640).

4. — Avant de partir, Charlemagne établit comme régent un neveu de Ganelon, Anseïs de Pontieu ; allusion la trahison dont se rendit coupable plus tard Anseïs, qui était sur le point d’épouser la reine lorsque Charlemagne, revenu précipitamment d’Espagne, en tira une vengeance éclatante (-654). Ordres donnés par l’empereur aux rois de Hongrie (Florent), de Lombardie (Didier) et d’Angleterre de bien garder leurs royaumes ; le pape fait armer des navires pour tenir les Sarrasins en échec (-678). Adieux de Charlemagne et de la reine. Roland, créé maréchal, organise le départ de l’armée qui quitte Paris et défile en bel ordre sous le regard des dames (-722). L’armée, forte de 100.000 hommes, marche à petites journées. À Blaye, on rencontre Oger, qui parle à Roland de Ferragu (-763) ; Charlemagne lui confie l’oriflamme. Une fois la frontière franchie, la discipline est rigoureuse ; on adopte un mot de ralliement ; Roland est à l’avant-garde ; on arrive en vue de Nájera (-805).

5. — Ferragu brûle de combattre ; il a vingt ans, douze coudées de haut, et possède toutes les vertus chevaleresques ; de plus, il n’est vulnérable qu’au nombril (-873). Description de son armure ; il porte à la main une massue au bout de laquelle sont suspendues trois boules de cuivre (-895). Il sort de Nájera et envoie proposer à Charlemagne un combat singulier avec un de ses barons ; Olivier, puis Roland s’offrent à combattre, mais l’empereur le leur défend et met l’affaire en délibération (-1097). Oger conseille de former les rangs, de faire tirer les arbalétriers pour obliger l’ennemi à rentrer, et de s’éloigner (-1112). Estout veut que les douze pairs à la fois se mesurent contre Ferragu, dont, dit-il, Oger a eu si grand peur qu’il s’est enfui ; colère d’Oger qu’on empêche de se jeter sur Estout et qui, profitant de ce que l’empereur va délibérer à l’écart avec quelques barons d’élite, monte à cheval et franchit le pont, au delà duquel est resté Ferragu, pour se mesurer avec lui. D’un coup de poing Ferragu le jette à terre, et il l’envoie dans la prison de Nájera (-1167) ; puis il fait successivement prisonniers Oton, Bérenger, Anseïs, Engelier, Sanson, deux fils de Naime [Ivon et Ivoire], l’archevêque Turpin, le duc Girard [de Roussillon], Olivier et le duc de Langres (Estout), qui s’était d’abord enfui et que les reproches sanglants de Roland, son cousin, décident à aller se rendre (-1521). Ferragu interroge Estout et se fait montrer Roland, avec lequel il désire passionnément se mesurer. Son désir est enfin réalisé, malgré l’attendrissement de Charlemagne qui propose d’abord à Roland de revenir en France plutôt que de le laisser combattre, mais qui finit par autoriser le duel (-1629).

Combat de Roland et de Ferragu, qui ne dure pas moins de trois journées.

Première journée. — Prière de Roland (1632-1665) ; prière de Ferragu (1679-1686). Roland porte les premiers coups (1687 et ss.) ; pour éviter la massue du Païen, il fait cabrer son cheval, qui est tué ; il tombe à terre et s’évanouit (1711-1734). Ferragu le croit mort et l’emporte en travers de sa selle ; désolation de Charlemagne et des Français (1741 et ss.). Revenu à lui, Roland prie Jésus et saint Jacques, étourdit Ferragu d’un coup de poing, saute à terre et reprend son épée (-1809) ; apostrophe de l’auteur aux auditeurs (1810 et ss.) ; considérations morales sur l’orgueil qui a mis Ferragu en défaut (1818 et ss.). Le Païen félicite Roland de son énergie, mais déclare que c’est folie à lui de vouloir conquérir l’Espagne (1845 et ss.) Roland affirme sa confiance en Dieu et dans le serment qu’a fait Charlemagne (1860 et ss.). Ferragu sollicite la remise du combat au lendemain ; Roland y consent, à condition qu’on ne fasse pas de mal aux prisonniers, ce que Ferragu accorde volontiers pourvu que les Français ne franchissent pas le pont ; les combattants se séparent (1870 et ss.). Joie de Charlemagne, qui voudrait cependant que l’on reprît le chemin de la France ; Roland jure qu’il délivrera les prisonniers ou ira leur tenir compagnie (1923 et ss.). Sa libéralité vis-à-vis d’un jongleur d’Avignon (1960 et ss.). Souper dans la tente de Salomon qui interroge Roland sur Ferragu : Roland fait l’éloge de son adversaire et déclare que, s’il le tue, l’Espagne sera conquise du coup (1970 et ss.). Retour de Ferragu à Nájera ; sa courtoisie vis-à-vis des prisonniers, devant qui il fait l’éloge de Roland (2914 et ss.).

Deuxième journée. — Roland, armé par Thierri, entend la messe et prie Charlemagne de le laisser retourner au combat (2087-2133 ; lacune d’un feuillet). Ferragu se fait armer, recommande à ses gens de ne pas intervenir et d’avoir soin des prisonniers, puis marche à la rencontre de Roland, qui fait une courte prière (2317 et ss.). Roland frappe un coup terrible, puis se résout à combattre à pied pour éviter plus facilement la massue de son adversaire (2208 et ss.) ; il pare avec sa targe, tombe sur les genoux, mais se relève rapidement ; Charlemagne se pâme d’angoisse (2374 et ss.). Attitude des prisonniers : Estout raille et se prend de querelle avec Girard de Roussillon et Oger ; Olivier et Turpin mettent la paix entre eux (2307 et ss.). Suite du combat : Roland se moque de Mahomet, et Ferragu de Jésus (2436 et ss.). D’un coup d’épée Roland coupe en deux la massue de Ferragu, qui lance contre lui le tronçon qui lui reste ; Roland chancelle et invoque saint Michel (2472 et ss.). Voyant qu’il ne peut entamer la chair de Ferragu, Roland se dérobe (2521 et ss.). Charlemagne implore la sainte Vierge (2574 et ss.). Ferragu poursuit Roland et lui reproche de fuir ; Roland lui fait honte d’être à cheval, et, comme le Païen n’en a cure, il tue le cheval d’un coup de pierre (2600 et ss.). Charlemagne reprend courage (2689 et ss.). Fureur de Ferragu ; Roland le frappe et s’étonne de ne jamais voir jaillir de sang ; les adversaires se battent à coups de grosses pierres (2716 et ss.). Apostrophe de l’auteur aux auditeurs : il déclare suivre, outre le récit de Turpin, ceux de deux bons clercs, Jean de Navarre et Gautier d’Aragon, et se moque des « faibles jongleurs » qui ne connaissent pas la vraie histoire (2763-2829). Ferragu sollicite une nouvelle remise au lendemain et déclare qu’il viendra à pied ; Roland lui offre ironiquement son cheval et le charge de ses compliments pour les prisonniers (2832 et ss.). Retour de Roland au camp français ; joie de Charlemagne mêlée d’appréhension pour le lendemain ; Roland proteste qu’il continuera (2879-2915). Souper dans la tente de Roland ; Ganelon fait bonne mine à son beau-fils ; Roland ne dit que du bien de son adversaire ; témoignage de Jean de Navarre sur la perfection de Roland (2933). Ferragu rentre à Nájera, où ses gens l’invitent en vain à ne pas poursuivre le combat ; railleries d’Estout, que Ferragu rabroue (2965).

Troisième journée. — Description de l’été (2966 et ss.) ; prière de Roland qui s’arme et résiste de nouveau aux supplications de Charlemagne ; celui-ci le coiffe alors de son propre heaume ; Roland part à pied et franchit le pont (2987 et ss.). Ferragu s’arme et fait à ses gens les mêmes recommandations que la veille en ajoutant que, s’il est tué, ils doivent rendre la ville à Charlemagne (3086 et ss.). Reprise du combat. Ferragu lance un dard que Roland évite ; lutte à l’épée ; Roland ne peut entamer la chair de son adversaire ; éloge de son maître d’escrime ; citation de Turpin (3214). Le heaume de Roland résiste aux coups qui lui sont portés, mais le héros s’étonne de plus en plus de ne pouvoir entamer la chair de son adversaire ; il invoque Dieu et la Vierge ; Ferragu se moque de lui et de son dieu. Après avoir asséné un coup terrible qui brise le heaume de Ferragu, Roland se décide à reculer jusqu’à une montée d’où il décharge un nouveau coup merveilleux qui fait tomber Ferragu (3224 et ss.). Joie de Charlemagne et des Français du camp ; les Païens prennent peur ; Estout fait des bravades et se réconcilie avec Oger (3377). Suite du combat : Ferragu met l’épée au fourreau et lance des blocs de pierre contre Roland qui, recourant à la ruse, se met à fuir dans la direction de Nájera ; Ferragu se moque de lui ; Roland, à son tour, lance des pierres à son adversaire qui commence à faiblir et demande une trêve (3378 et ss.). Roland boit et prie pendant la trêve ; Ferragu s’endort, et Roland vient lui mettre une pierre sous la tête pour qu’il dorme plus commodément (3497 et ss.). À son réveil, le Païen admire la courtoisie du chrétien avant de reprendre le combat, il l’engage à adorer Mahomet et lui offre la main de sa sœur ; Roland, de son côté, cherche à le gagner au culte du vrai Dieu (3562 et ss.) ; longue discussion théologique entre les deux adversaires, qui ne peuvent arriver à s’entendre (3579-3984). Roland ayant traité Ferragu de diable, celui-ci proteste et lui révèle que, par suite de la conjonction astrale sous laquelle il est né, il est invulnérable partout, sauf au nombril (3985 et ss.). Les adversaires se défient de nouveau, et le combat recommence (4047 et ss.). Charlemagne n’a plus la force de supporter ce spectacle (4053 et ss.). Ferragu se repent, trop tard, de la confidence qu’il a faite à Roland : ce dernier le fatigue par une escrime savante, et il réussit enfin à lui plonger son épée dans le nombril (4123 et ss.) ; après avoir remercié Dieu, il appelle les Français, qui passent le pont et le félicitent de sa victoire (4140 et ss.).

6. — Une partie de la garnison de Nájera bat en retraite vers l’Aragon (4205 et ss.). Les habitants, décidés à rendre la ville à Charlemagne, consultent les prisonniers : Girard de Roussillon leur conseille de se faire baptiser, ce à quoi ils consentent (4296 ; lacune d’un feuillet). Olivier, envoyé auprès de Charlemagne, demande grâce pour eux ; Charlemagne s’en remet à Roland, lequel accueille favorablement la requête et remet aux habitants trois drapeaux, celui du roi, celui de l’Église et le sien, qui sont arborés à Nájera à la place de celui de Marsile (4297 et ss.). Les clefs de la ville sont apportées à Charlemagne, qui y fait son entrée et la donne à Roland ; il voudrait dès maintenant couronner son neveu comme roi d’Espagne, mais ce dernier déclare qu’il n’acceptera la couronne que quand la conquête du pays sera terminée (4410-4464). Baptême des païens de Nájera ; après quelques jours de repos et de fêtes, Charlemagne annonce à Roland qu’il faut aller assiéger Pampelune, où réside Malgeris ; Roland répond qu’il est prêt à partir (4536).

7. — Charlemagne envoie Roland avec 16.000 hommes prendre position devant Pampelune, lui défendant de combattre tant qu’il ne l’aura pas rejoint (4557). Roland part, guidé par trois marchands convertis (4608). Arrivé près de la ville, il ordonne à Estout de s’avancer en éclaireur ; refus de celui-ci ; Turpin se propose pour le remplacer (4609-4680). Les éclaireurs taillent en pièces les vachers, lesquels rentrent précipitamment dans la ville et donnent l’alarme (-4710). Malgeris décide Corsabrin, qui devait amener du renfort à Nájera, à rester à Pampelune pour défendre la ville (-4738). Un Païen échappé de Nájera raconte ce qui s’est passé (-4769). Éloge d’Isoré, fils de Malgeris (-4788). Les Païens font une sortie ; Turpin et les éclaireurs se replient sur le corps d’armée de Roland ; les Païens les poursuivent. Roland détache contre eux Girard de Roussillon avec 3.000 hommes (-4910). Girard tue le frère de Corsabrin ; Estout vient la rescousse avec 3.000 hommes, et Isoré avec 4.000 ; Estout tue Corsabrin (-4957). Combat d’Isoré et de Turpin ; vaillance d’Isoré ; Malgeris vient au secours de son fils, combat avec Estout et le fait prisonnier (-5115). Roland prend lui-même part à la mêlée (-5151 ; lacune). Les archers sortent de Pampelune, dégageant Malgeris et jetant le désarroi parmi les Français, lorsque Ganelon survient avec 10.000 hommes et rétablit le combat (-5339). Olivier désarme Isoré qu’Anseïs veut faire prisonnier, mais qui se défend vaillamment et ne rend son épée qu’à Roland lui-même, pour lequel il est plein d’admiration (-5500). Celui-ci l’envoie prisonnier à Charlemagne (-5555). Malgeris, en apprenant la prise de son fils, fait rentrer ses gens, fermer les portes et lever les ponts-levis (-5588). Désespoir de la reine, mère d’Isoré (-5626).

Arrivée de Charlemagne ; Roland fait son rapport. L’empereur veut faire pendre Isoré ; colère de Roland, à qui Isoré demande sa protection contre l’empereur, et qui déclare qu’il quittera l’armée si la vie du prisonnier n’est pas respectée. Charlemagne, déférant au désir de son neveu, envoie proposer à Malgeris de se faire chrétien, ou sinon d’échanger Estout contre son fils (-5830). Gautier d’Orlin est chargé du message, et, en attendant, Isoré est traité honorablement (-5893). Entretien de Malgeris avec Estout, qui décline ses titres : le roi de Pampelune lui déclare spontanément que, s’il dit la vérité, il l’échangera volontiers contre son fils (-5982).

Arrivée de Gautier à Pampelune ; il n’expose d’abord que la première partie de son message (-6085) ; refus hautain de Malgeris, qui propose l’échange des prisonniers (-6139) ; par politique, Gautier déclare que le prisonnier chrétien n’est pas Estout, mais un Français de lui inconnu et qui s’est vanté (-6168) ; colère d’Estout, qui donne des preuves de son identité et confond le messager (-6185). Celui-ci assure alors que Charlemagne accepte l’échange, et il retourne au camp français, où il raconte plaisamment ce qu’il a fait (-6224). Charlemagne s’en remet à Roland du soin de terminer l’affaire (-6278). Roland rend la liberté à Isoré, confiant dans sa parole pour faire délivrer Estout, et il l’accompagne jusque près de Pampelune (-6329). Joie de Malgeris, qui veut d’abord garder Estout, malgré la promesse faite par Isoré (-6389) ; Isoré menace de retourner avec les Français et de combattre son propre père (-6407). Indignation et menaces de Géophanais, mère d’Isoré (-6453). Malgeris feint d’avoir voulu plaisanter ; Estout est mis en liberté ; Isoré l’accompagne dans la direction du camp français et lui donne un cheval dont il veut faire présent à Roland (-6576). Retour d’Estout au camp français ; remise du cheval à Roland ; souper chez Hugues du Mans (-6681).

8. — Charlemagne apprend avec colère que la garnison de Noble a fait une sortie contre son avant-garde et se préoccupe des mesures à prendre (6703). Conseil : conformément à l’avis d’Ernaud de Beslandé, oncle d’Olivier, une partie de l’armée ira assiéger Noble, mais auparavant on établira des retranchements solides devant Pampelune pour que ceux qui resteront soient l’abri de toute surprise (-6767). Les Allemands ou Tiois sont chargés de porter le bois nécessaire (-6788) ; humiliés de cette corvée, ils se mutinent et veulent déserter (-6840) : Charlemagne, averti secrètement (6848), envoie contre eux, pendant la nuit, Salomon de Bretagne en lui faisant croire que c’est un corps de Sarrasins qu’il aura à combattre et qu’il ne faut pas leur faire quartier (-6881). Les Allemands, conduits par le duc Herbert (-6977), sont enveloppés, et le massacre commence, quand soudain Salomon s’aperçoit de sa méprise et s’arrête (-7012) ; on fait honte à Charlemagne de sa conduite, et on obtient de lui qu’il pardonne aux mutins (-7153). Les retranchements sont établis et les engins du siège dressés (-7167). Roland envoie Bernard de Meaux épier la forteresse de Noble (-7191).

Le maître des œuvres de Charlemagne construit un château mobile, à l’aide duquel on doit donner l’assaut à Pampelune (-7269). Une troupe de 6.000 « garçons », à l’insu de Charlemagne, conduit le château au pied des murs. Les Païens font une sortie contre eux et brûlent le château (-7397). Douleur de Charlemagne. Joie de Malgeris, qui apprend en outre que Marsile lui envoie Baligand avec une armée de secours considérable, laquelle est déjà arrivée à La Stelle (-7491). Charlemagne est mis au courant par un espion, qui a rencontré 7.000 hommes commandés par Turquin de Tortelose ; il envoie Roland avec 8.000 hommes à la rencontre de Turquin. Départ de l’expédition, laquelle se trouve en présence, non de Turquin seul, mais de 80.000 hommes commandés par Malgeris qui a déjà rallié les secours annoncés (-7671). Roland se décide à combattre, après avoir réclamé du renfort à Charlemagne. Mêlée générale ; Roland reçoit vingt coups d’épée ; les Français battent en retraite et les Païens rentrent triomphalement à Pampelune (-7905). Arrivée tardive du renfort conduit par Charlemagne lui-même, lequel fait de vifs reproches à Roland ; rancune de celui-ci (-7976 ; fin du tome 1).

9. — Rentré au camp, Charlemagne s’applique à atténuer l’effet de ses reproches ; boutades d’Estout (-8006). Conseil des Païens à Pampelune ; discours de Baligand, de l’Augalie, de Falseron ; une sortie générale est décidée et on en règle le détail (-8207). Les Français se préparent, de leur côté, à combattre ; nouvelles boutades d’Estout (-8328). Roland refuse le bâton de maréchal et déclare qu’il ne se charge que de son contingent personnel ; Charlemagne le confine à l’arrière-garde et assigne des rangs aux différents corps (-8345). Description de la bataille ; allusion à Vaubeton et à Val Betie (-8373). Prouesses des principaux guerriers français et païens. Ganelon est fait prisonnier ; Charlemagne le délivre et décide de la victoire (-8775). Isoré blessé se désole et fait des reproches à Falseron (-8825). Exploits de Falseron et de l’Augalie ; entrée en scène de Baligand. Exploits de Charlemagne ; les Païens prennent la fuite et rentrent précipitamment (-8975). Retour de l’espion Bernard : il décide Roland à partir pour Noble sans prévenir son oncle et en cachant à tous le but de son expédition. Tous les pairs et Oger le suivent ; on laisse un corps de 500 hommes pour garder l’oriflamme (-9034). Un Allemand, remarquant ce départ, s’écrie que Roland abandonne son oncle pour rentrer en France ; panique générale et débandade de l’armée ; colère de l’empereur, qui déclare qu’il fera pendre son neveu. Les Païens commencent un retour offensif, puis ils se retirent, craignant un piège : les Français rentrent dans les lices (-9295). Pour sauver les apparences, Charlemagne lance un détachement qui s’avance jusqu’aux portes de Pampelune ; les Païens font une nouvelle sortie ; après s’être tâtés, sans avantage marqué de part ni d’autre, les adversaires battent définitivement en retraite (-9409).

10. — Expédition de Roland à Noble. Bernard organise l’attaque et partage les 20.000 hommes en quatre détachements : le premier, sous Olivier, placé près de la porte Paris ; le deuxième, sous Oger et Turpin, près de la porte Clause ; le troisième, sous Girard et Estout, près de la porte Vals ; le quatrième, sous les ordres de Roland, près de la porte Lice (9410-9625). Olivier entre le premier dans la ville ; Oger y pénètre de son côté, ainsi que Girard et Estout du leur ; Bernard est tué devant la porte Lice ; Roland ne peut la forcer, mais entre par la porte Vals et, prenant à revers les défenseurs de la porte Lice, se rend maître de celle-ci (-9804). Sous le commandement de leur seigneur Gilarus et du sénéchal Dardanus, les Païens se fortifient sur la place et en défendent les abords ; Filidès fait front à Roland dans la grande rue, Dardanus à Olivier dans une rue plus étroite ; les soldats d’Estout se débandent pour piller, mais Roland les ramène à leur devoir (-9945), et il a recours au feu grégeois (-9953) ; effrayés, les bourgeois se rendent à merci. Estout enlève une barricade en la faisant incendier. Prouesses de Girard, de Roland (qui tue Gilarus), de Turpin, d’Oger, d’Olivier (qui tue Dardanus) ; Girard, blessé par Filidès est mis hors de combat (10192) ; Engelier entre dans le palais, où les Païens l’enferment avec 50 de ses soldats (10236). Filidès se rend à Engelier et fait ouvrir la porte ; Roland fait don de la ville à Olivier, qui cède ses droits à Filidès, dont le père avait été dépouillé par Marsile, à condition qu’il se convertisse (10332). La bannière de Charlemagne est arborée sur la tour du palais à côté de celle de Roland (10356) ; Girard est installé dans le palais et confié aux médecins (10405). Description de la salle, où est peinte l’histoire d’Alexandre le Grand (-10434). Arrivée en vue de la ville d’un corps d’armée des Païens conduit par Folquenor ; baptême de Filidès, qui est fait comte de Noble (-10499). Sortie et combat contre les troupes de Folquenor : touchante amitié de Folquenor pour son compagnon Landras, qui refuse de se séparer de lui (10603). Filidès tue Nobliant, fils de Gilarus, mais est grièvement blessé (-10659) ; Roland le confie à ses médecins (10665) et se lance dans la mêlée, où il tue Landras (-10787). Les Païens reçoivent un renfort conduit par Chalaste et Melias ; Melias est tué par Anseïs (10831), Chalaste par Estout (-10845), Folquenor par Olivier (-10873). Les chrétiens ont ville gagnée ; après quinze jours de repos, quand Girard est en état de remonter à cheval, Roland part pour rejoindre Charlemagne en laissant 1.000 chevaliers à Filidès (-10938).

11. — Apostrophe de l’auteur aux auditeurs : il annonce les événements qui vont suivre, la brutalité de Charlemagne vis-à-vis de son neveu, le départ de celui-ci pour l’Orient, les exploits qu’il y accomplit et son retour auprès de son oncle. L’auteur fait connaître sa patrie (Padoue), mais cache son nom ; il déclare qu’il a trouvé à Milan la chronique latine de Turpin (-10996).

12. — Retour de Roland : au camp désolation des Païens de Pampelune à la nouvelle de la prise de Noble ; colère de Charlemagne, qui ordonne à ses fidèles de tuer Roland quand il paraîtra. Entrevue de l’oncle et du neveu : Charlemagne frappe Roland au visage ; ce dernier, se souvenant de ce qu’il doit à son oncle, maîtrise sa colère, mais monte à cheval et disparaît (-11137).

13. — Roland, après avoir erré à travers la campagne, descend de cheval dans un bocage et exhale ses plaintes (-11171). Émoi des Français quand ils apprennent son départ : Estout, Girard, Olivier menacent d’abandonner l’empereur ; Salomon les retient et rétablit l’accord (-11336). Charlemagne se justifie et donne ordre qu’on cherche son neveu, déclarant qu’il est prêt à lui faire amende honorable. Les recherches n’aboutissent pas (-11384).

Roland passe la nuit près d’une fontaine monumentale, œuvre du maître Clarïel (-11428). Après trois jours de cheval, il atteint le rivage de la mer, tue deux brigands et s’embarque sur le bateau du patron Baudor qui, plein de reconnaissance pour le service qu’il lui a rendu en tuant les brigands, lui offre, sans succès, la main de sa fille Salomé (-11690). Prière de Roland (-11764). Arrivée en Syrie ; en remontant le Jourdain, on atteint un lac sur les bords duquel se trouve La Mecque. Roland déclare s’appeler Bacharuf et débarque sous le prétexte d’aller faire ses dévotions à Mahomet (-11913). On le conduit à la tente du soudan de Perse, où se tenait un conseil tumultueux, le soudan ayant promis sa fille Dionès au roi Malcuidant, lequel le sommait de tenir sa promesse malgré le refus de la fille (-11994). Excuses du soudan au roi Malcuidant (-12012). Pélias, neveu de Malcuidant, demande que Dionès soit brûlée et se déclare prêt à combattre quiconque s’y opposera (-12041). Présentation de Roland au soudan, à qui il déclare qu’il est païen, qu’il s’est échappé de Noble, après que la ville a été prise par Roland, et qu’il désire entrer à son service (-12123). Sur une question du soudan, il ajoute qu’il s’appelle Lionés, qu’il est fils de marchand, mais qu’il a été fait chevalier (-12150). Le soudan ajourne sa réponse et s’efforce de calmer Malcuidant en lui offrant derechef sa fille, malgré la résistance qu’il trouve chez elle ; Pélias insiste de nouveau pour qu’elle soit brûlée (-12201). Mis au courant de l’affaire par Sanson, frère de Dionès, Roland fait honte aux Persans de leur pusillanimité et demande à combattre Pélias ; le combat est décidé (12432). Description des armes et du cheval de Pélias (-12520). Préparatifs de Roland : Dionès veut l’armer elle-même, mais il n’accepte qu’un écu, une lance et un cheval. La princesse lui lace son heaume ; sa beauté trouble Roland, qui pense à Aude (12564) ; elle lui fait présent d’une casaque, et on lui amène un cheval richement harnaché ; description de l’écu et de la lance que Dionès lui donne (-12635). Un espion dit au soudan que le prétendu Lionés n’est autre que Roland, mais Sanson le rabroue (-12676). Longue description du duel ; prière de Dionès (12816-12867). Roland tranche la tête du cheval de Pélias ; joie des Persans ; nouvelle remarque de l’espion, qui est chassé (-12918). Roland met pied à terre pour n’avoir pas d’avantage sur son adversaire ; un coup terrible l’oblige à reculer, mais il reprend vite le dessus (-12080). Pélias demande une trêve et conjure son adversaire de lui dire son vrai nom ; Roland se fait connaître et abat Pélias qui cherchait son salut dans la fuite (-13171).

On fait fête à Roland. Dionès lui délace son heaume et lui exprime sa reconnaissance ; Sanson lui voue une amitié qui ne se démentira jamais (-13204). Douleur et menaces de Malcuidant, qui emporte le cadavre de son neveu dans ses États et convoque tous ses vassaux pour une prochaine revanche (-13279). Inquiétude du soudan, que Roland réconforte. Conseil réuni pour décider de la récompense qu’on accordera au vainqueur de Pélias : on lui offre la main de Dionès, qu’il refuse, puis la charge de bailli de Perse, qu’il accepte (-13522). Festin au palais du soudan, où Roland est logé (-13547). Dionès, qui se mêle d’astrologie, prédit à son père que le chevalier étranger lui donnera la victoire, et que la guerre finira à Jérusalem même, d’où tous reviendront baignés d’une eau salutaire. La reine insiste pour que sa fille épouse le prétendu Lionès ; le soudan promet de reprendre la question du mariage après la guerre contre Malcuidant (-13594). Il donne des ordres pour que Roland soit installé dans un palais particulier. Prière de Roland au temple de Mahomet (-13643). Description de ses qualités physiques ; Dionès s’éprend d’amour pour lui (-13676). Mais lui ne songe qu’à développer chez Sanson et chez les jeunes Persans le culte de la chevalerie (-13727). Pour se rendre compte des forces que le soudan peut opposer à Malcuidant, Roland, accompagné de Sanson, fait une tournée dans le royaume de Perse, visite Momir, Carsidoine, le puy de Gog et Magog (près duquel se trouve un monument élevé par Alexandre le Grand après sa victoire sur Darius), et évite Sidoigne, dont les habitants ne songent qu’à la bonne chère et offrent leurs femmes aux visiteurs (-13886). Retour à La Mecque. Roland annonce que le soudan peut mettre en ligne une armée d’élite de 100.000 hommes. Banquet, où Roland introduit les usages courtois en donnant une assiette à chaque convive (-13991 ; lacune considérable dans le manuscrit[1]).

Réjouissances à l’occasion du mariage d’Anseïs de Blois, proclamé roi de Jérusalem, avec Dionès ; baptême d’Aquilant, qui est décidé à accompagner Roland en Occident (-14022). Roland annonce son intention de partir, et le soudan autorise son fils Sanson, qui le désire vivement, à partir avec lui (-14103). Roland fait de sages recommandations au roi Anseïs et donne à Hugues l’ordre de préparer le départ ; il résiste aux instances qui lui sont faites pour le garder encore, mais promet de revenir quand l’Espagne sera conquise ; il refuse d’emmener avec lui tous ceux qui s’offrent, sauf Hugues, Sanson et Aquilant (-14161) ; il fait ses dévotions aux saints lieux de Jérusalem et soupe pour la dernière fois avec les barons d’Orient (-14179). Aquilant confirme son intention de partir avec Roland (-14204). Hugues annonce que tout est prêt pour l’embarquement ; scènes d’adieux attendrissantes ; la mère de Sanson fait, sans succès, une tentative suprême pour garder son fils auprès d’elle (-14293).

14. — Embarquement de Roland et de ses trois compagnons au port de Beyrouth ; après quinze jours de navigation favorable, la tempête pousse le vaisseau entre le Maroc et l’Espagne (-14362). Roland et ses compagnons, ne pouvant plus supporter la mer, se font débarquer, eux et leurs chevaux, sur la côte d’Espagne, et poussent hardiment devant eux (-14427). Ils longent d’abord la côte, puis s’enfoncent dans des forêts où de nombreux cadavres frappent leurs yeux : Roland croit deviner qu’il y a là des coups de Charlemagne et des pairs, et que le camp français est proche (-14483). Rencontre de trois brigands sarrasins : Roland les salue en Mahomet et leur demande le chemin de Pampelune ; les brigands réclamant les chevaux et les armes, un combat s’ensuit, où Aquilant est tué et où ses compagnons le vengent en tuant à leur tour les trois brigands (-14606). Après avoir « regretté » et enseveli Aquilant, Roland, Sanson et Hugues continuent leur route ; Roland laisse ses compagnons dans une vallée verdoyante pour aller seul à la découverte (-14647).

Roland découvre un ermitage et réussit, non sans peine, à se faire ouvrir par l’ermite, qui ne se rend qu’à un miracle, lorsque sa clochette sonne d’elle-même (-14748). Roland se fait connaître, indique brièvement dans quelle situation il se trouve, lui et ses deux compagnons, et interroge à son tour l’ermite sur sa famille et sa patrie (-14799). Histoire de l’ermite Sanson de Rome : entraîné par de mauvaises fréquentations, il a tué son père, sa mère et son jeune frère ; plein de repentir, il s’est présenté à Orvieto, devant le pape, qui lui a laissé le choix de sa pénitence ; résolu à faire à quatre pattes le pèlerinage de Saint-Jacques, il s’égare et arrive à l’ermitage, alors occupé par l’ermite Soibaut, qui le garde auprès de lui pendant quatorze ans, jusqu’à sa mort (-14888) ; depuis lors, il vit seul, nourri miraculeusement par la Providence, qui lui a fait découvrir une épée avec laquelle il se défend contre les Païens : les cadavres que Roland a rencontrés sont sa dernière prouesse (-14731). La clochette tinte, et l’ermite laisse Roland pour aller recevoir la nourriture journalière que lui apporte un ange ; Roland désire connaître combien il a encore de temps à vivre ; il prie Dieu pour qu’il n’arrive rien de fâcheux à ses deux compagnons (-14972). Miracle que fait Dieu en sa faveur : un ange prend la figure de Roland, revient vers Sanson et Hugues et leur annonce qu’ils verront dès le lendemain le camp de Charlemagne ; un pommier sauvage leur fournit des fruits d’une saveur incomparable, et ils dorment jusqu’au jour (-15024). L’ange apporte à l’ermite le double de sa ration journalière ; il lui annonce que Roland ne vivra que sept ans après la prise de la ville assiégée actuellement, et qu’il sera trahi par un des siens ; l’ermite lui-même mourra, à l’aube du jour, et c’est Roland qui lui donnera la sépulture (-15057). Frayeur, puis résignation de l’ermite : il soupe avec Roland, d’un pain et de deux pommes auxquels Roland trouve miraculeusement une saveur divine (-15109). Informé par l’ermite de ce que l’ange lui a révélé, Roland, d’abord bouleversé, se résigne à la volonté divine en songeant aux prouesses qu’il pourra encore faire contre les Païens (-15164). Mort et inhumation de l’ermite ; Roland rejoint ses compagnons et les réveille (-15250). Hugues et Sanson veulent encore manger des fruits du pommier, mais ils les trouvent amers ; le miracle a cessé, mais un autre se produit, et dans la forêt sauvage qui est devant eux s’ouvre une large voie ; Roland leur explique alors ce qui s’est passé et ce qui lui est arrivé à l’ermitage, sauf la prédiction relative à sa mort ; bientôt ils aperçoivent Pampelune et le camp de Charlemagne, et mettent pied à terre sous un sapin (-15332).

Rainier de Nantes, sorti du camp pour chasser au faucon, reconnaît Roland et retourne précipitamment annoncer à Charlemagne ce qu’il a vu (-15333). C’était le moment où plus de deux cents barons signifiaient à l’empereur que, puisque Roland n’était pas là, ils allaient rentrer en France et l’abandonner ; douleur de Charlemagne, qui déplore sa conduite brutale vis-à-vis de son neveu ; Olivier proteste qu’il ne quittera pas l’empereur, mais il le supplie de donner de lui-même l’ordre du retour et de lui confier le commandement de l’arrière-garde (-15403). Fière réponse de Charlemagne : « S’en aille qui voudra ! Je mourrai ici plutôt que de faire porter en arrière la bannière de l’Empire ! » (-15407). Rainier annonce qu’il a vu Roland et Hugues de Blois ; incrédulité de Charlemagne et d’Olivier ; Estout ne peut résister au désir d’aller s’assurer par lui-même de ce qui se passe ; Rainier entraîne la plupart des barons, et Charlemagne lui-même se décide à monter à cheval (-15473). Entrevue de Roland avec Rainier (-15504), avec Olivier (-15605), avec Salomon (-15614). Allégresse de toute l’armée française ; enthousiasme de Sanson, fils du roi de Perse, à cette vue (-15657). Arrivée d’Estout, dont la joie se manifeste avec l’expression railleuse qui lui est ordinaire, et à qui Roland fait affectueusement la leçon (-15736). Arrivée de Charlemagne, flanqué de Naime et d’Oger ; son émotion ; il est sur le point de s’agenouiller devant son neveu pour lui demander pardon, mais celui-ci le devance, s’agenouille et présente son épée à l’empereur pour que celui-ci fasse justice de lui, car il reconnaît que sa faute est impardonnable. L’empereur le relève, le serre dans ses bras et lui adresse les paroles les plus affectueuses et les plus flatteuses qu’il peut trouver. Tous les Français pleurent à ce spectacle (-15805).

15. — Appendice[2]. Suite de la scène précédente. Charlemagne offre sa couronne à Roland, qui la refuse (-18) ; Roland raconte à son oncle ce qu’il a fait en Orient et lui recommande Sanson, fils du soudan de Perse ; l’empereur admet ce dernier au nombre des pairs à la place de Sanson de Gascogne, tué récemment sous les murs de Pampelune (-73). Retour au camp français ; manifestations joyeuses à l’occasion du retour de Roland (-124). L’auteur, Nicolas, annonce qu’il va rimer la fin de l’Entrée d’Espagne telle qu’il l’a lue en latin (-132).



II


LE MANUSCRIT


Un seul manuscrit nous a transmis le texte de l’Entrée d’Espagne. Il porte le n° XXI dans le fonds français de la Bibliothèque de Saint-Marc de Venise, et il est ainsi indiqué dans le catalogue publié en 1741 par Zanetti : « La Conquista della Spagna fatta da Carlo Magno [di Nicolais [3]] ». L’infatigable La Curne de Sainte-Palaye en a eu connaissance, et il lui a consacré une de ses « Notices des manuscrits d’Italie », restées inédites, celle qui porte le n° 2083 : comme Zanetti, il attribue à Nicolais notre poème, auquel il donne le titre, peu exact, de « Roman de Charlemagne ». Après avoir copié quelques vers du début et les vingt et un derniers, La Curne termine par cette remarque : « Je ne trouve pas ce Roman parmi ceux dont j’ai des Notices[4]. »

Ce manuscrit est entré à la Bibliothèque de Saint-Marc par suite d’un legs du savant Recanati, mort en 1734[5]. Des documents publiés par la Romania, en octobre 1880, nous apprennent qu’il fit anciennement partie de la bibliothèque princière des Gonzague, à Mantoue. Dans l’inventaire qui fut rédigé en 1407, après la mort de Francesco Gonzaga (17 mars), l’article 53 s’applique, sans le moindre doute, à notre manuscrit[6]. La bibliothèque de Francesco Gonzaga contenait deux autres manuscrits de notre poème ; nous en parlerons plus loin[7]. Pour l’instant, attachons-nous à la description du manuscrit XXI, en résumant et en précisant les détails qui ont été donnés par Paul Lacroix[8], par Léon Gautier[9], par nous-même[10] et par MM. Domenico Ciàmpoli[11] et Pietro Toesca[12].

Le manuscrit, auquel le notaire de 1407 attribuait 308 feuillets, n’en possède que 304. Les cahiers sont de 8 feuillets, avec réclame au verso du huitième, sauf les irrégularités suivantes : les feuillets 159-162 constituent un cahier de 4 feuillets, disposition rendue nécessaire par le souci de ne pas couper en deux la grande miniature qui chevauche sur les feuillets 160 v° et 161 r° ; les feuillets 219-221 constituent un cahier isolé ; le feuillet 294 n’appartient à aucun cahier ; les deux derniers feuillets (303 et 304) ont été ajoutés à la suite d’un cahier de 8 feuillets. Il est manifeste que deux feuillets ont disparu depuis l’inventaire de 1407 : un entre les feuillets numérotés actuellement 41 et 42, un autre entre 81 et 82. Sauf ces deux mutilations, il semble que le manuscrit devait être en 1407 tel qu’il est aujourd’hui ; le notaire a dû se tromper dans son compte des feuillets, et écrire 308 au lieu de 306. Malheureusement, le relieur a oublié d’insérer après le feuillet actuel 269 un certain nombre de cahiers dont l’absence crée une lacune considérable dans le récit, lacune dont il sera question plus loin.

Plusieurs scribes ont collaboré à la copie du texte, qui n’est pas distribué en colonnes, et les changements de main, qui se produisent soit d’un cahier à l’autre, soit au milieu d’une page, ont souvent comme conséquence des modifications dans l’orthographe[13]. Il y a généralement 32 vers par page, sauf sur les pages (et elles sont nombreuses) où les miniatures ont réduit plus ou moins la place de l’écriture. L’exécution du manuscrit peut être surement rapportée au xive siècle. Tous les scribes qui y ont collaboré sont des Italiens. Je n’ai pas de connaissances assez sérieuses dans le domaine de l’histoire de l’art pour discuter les opinions émises par MM. Ciàmpioli et Toesca au sujet des miniatures : d’après le premier, il faudrait attribuer à l’école française l’illustration des feuillets 29-83, tandis que les autres miniatures, dont beaucoup constituent de véritables tableaux à personnages multiples, appartiendraient à l’école italienne ; d’après le second, trois artistes différents ont dû collaborer à l’illustration, faite probablement à Mantoue, mais ces trois artistes appartiennent également à l’Italie.

Des nombreux changements de main qui se remarquent dans le manuscrit, un seul a de l’importance pour l’histoire littéraire, celui qui se produit en haut du folio 303 r°, après le huitième vers. Dans son état primitif, le texte s’arrêtait avec ce huitième vers, exactement comme le manuscrit, aujourd’hui perdu, que le notaire de 1407 a inventorié sous le n° 57 :

En plure[re]nt environ tuit François.

C’est le dernier vers qui soit sorti de la plume du premier auteur de l’Entrée d’Espagne. Les cinq tirades qui suivent et le premier hémistiche d’une sixième, en tout 131 vers et demi, ont été ajoutés par une main postérieure, et forment le début de la continuation du poème par Nicolas de Vérone. De cette continuation, la plus grande partie est perdue ; la fin seule (6113 vers) nous a été conservée par le ms. V du fonds français de la Bibliothèque de Saint-Marc (n° 58 de l’inventaire de 1407), dont Mussafia a publié le texte, en 1864, sous le titre peu satisfaisant de La Prise de Pampelune[14].

Les premiers feuillets du manuscrit XXI ont été l’objet, de la part d’une main autre que celle du copiste, mais à peu près contemporaine, d’une révision dont j’ai noté tous les détails dans les variantes, quand je n’ai pas cru devoir accueillir les corrections dans mon texte. Le réviseur semble s’être lassé assez vite de cette tâche ingrate, à laquelle il n’a apporté ni beaucoup de méthode ni beaucoup d’attention ; mais on retrouve, à de longs intervalles, des traces d’interventions, analogues jusqu’au fol. 235b, v. 12090, et des additions ou observations utiles sont parfois faites en marge, auxquelles j’ai toujours donné place dans les variantes.

Mon texte reproduit le manuscrit avec toutes ses inconséquences graphiques, sauf les réserves suivantes :

1o  J’ai remplacé par l’e français l’a latin et italien qui s’est parfois glissé sous la plume des différents scribes dans les désinences féminines : carta 51, una 62, barba 74, parola 104, etc. ;

2o  J’ai supprimé l’o final de même origine qui se présente çà et là et qui fausse la mesure du vers : dormando 50, demando 86, etc. ;

3o  J’ai rejeté dans les variantes les formes par trop monstrueuses d’un des scribes qui prodigue la lettre h au delà de toute mesure, écrivant par exemple deshgayrhnhyhs (pour desgarnis) 12656, schianche (pour sciance), haraibbyhs (pour arabis) 12762, henhnohyhs (pour engenoïs) 12764, etc.

4o  J’ai distingué régulièrement l’u du v et l’i du j, et fait usage des signes complémentaires de l’orthographe moderne (ponctuation, apostrophe, accent, tréma) dans la mesure qui m’a paru légitime, et comme le font généralement les éditeurs d’anciens textes.

Les scribes employant souvent le ç, forme de la lettre z à peu près inconnue dans les manuscrits d’origine française, je les ai suivis aveuglément, sans employer de mon chef la même forme de lettre pour distinguer les cas où le c des scribes a la valeur d’une explosive de ceux où il a celle d’une fricative. Je n’ai pas cru devoir faire appel à l’accent grave : tout e surmonté d’un accent aigu est tonique, mais la question de savoir s’il a le son ouvert ou fermé reste en dehors. Tout nom propre est pourvu à l’initiale d’une majuscule, même quand il est employé comme adjectif.

Il va de soi que j’ai considéré comme de mon devoir de corriger toutes les leçons qui portent atteinte au sens ; malheureusement, le manque d’attention ou d’intelligence des scribes qui nous ont transmis le texte de l’Entrée d’Espagne est tel qu’il reste encore beaucoup à faire à ce point de vue ; trop souvent, je n’ai pu que signaler le mal, sans trouver le remède.



III


LES MANUSCRITS PERDUS


La collection de manuscrits que possédait Francesco Gonzaga, et dont il fut fait un inventaire détaillé après sa mort (1407), est la seule où l’on ait remarqué jusqu’ici la présence de l’Entrée d’Espagne. Six articles consécutifs de l’inventaire sont consacrés à ce poème : ce sont les nos 53 à 58. Voici les termes mêmes dans lesquels il en est fait mention[15] :

53. — Liber Introitus Yspanie. Incipit : En onor et em bien et in gran remembra[n]ce. Et finit : chasa vie disponue. Continet cart[as] 308.
54. — Liber Introitus Ispanie. Incipit : Molt fu loco illuc datons li milon oir. Et finit : ne sognent cum linfrange. Continet cart[as] 284.
55. — Liber Introitus Yspanie. Incipit : Grant fu la prese entor le duc d’Anglent. Et finit : tu nola respondus. Continet cart[as] 154.
56. — Liber Introitus Yspanie secundum Minochium. Incipit : En onor en bien in gran reverenza. Et finit : non trovera falanza. Continet cart[as] 246.
57. — Liber Introitus Yspanie. Ut supra incipit. Et finit : En virum tuti franzosis. Continet cart[as] 116.
58. — Liber secondus ystoriarum Ispanie. Incipit : Con fu la sbare auerte le valaynt roy lombard. Et finit : e de strinte e man misse. Continet cart[as] 101.

Comme nous l’avons déjà dit, deux de ces six volumes font aujourd’hui partie de la Bibliothèque de Saint-Marc. La coïncidence des incipit, des finit, du nombre des feuillets ne laisse aucun doute à ce sujet : le n° 53 est identique au ms. XXI, le n° 58 au ms. V du fonds français. Les quatre autres volumes ont disparu ; mais il n’est pas impossible de préciser, mieux que n’a su le faire l’auteur de l’inventaire, ce que chacun d’eux contenait.

Le n° 57 se terminait par l’hémistiche environ tuit François et avait le même incipit que les nos 53 et 56 : donc son contenu était identique à celui de notre manuscrit XXI dans son état primitif, c’est-à-dire avant qu’on y eût transcrit le début de la continuation dont il a été question.

Le n° 56 avait le même incipit et s’arrêtait à l’hémistiche non trovera falance, lequel termine notre laisse DLXII et se lit au folio 254 v° du ms. XXI. Comme le ms. XXI a perdu deux feuillets avant le folio 254, on peut évaluer le contenu du n° 56 à quelque 13325 vers, soit environ 27 vers par page.

Le n° 55 faisait suite au n° 56, puisque son incipit coïncide précisément avec le premier vers de notre laisse DLXIII. Comme il avait 154 feuillets, et qu’il est naturel de lui attribuer le même nombre de vers à la page, il devait contenir environ 8315 vers, c’est-à-dire poursuivre le récit jusqu’au vers 21640. Son finit ne se retrouve pas dans le ms. XXI. Il n’est pas vraisemblable que ce finit tombât précisément dans la grande lacune qui s’ouvre entre les vers 13991 et 13992, après le folio 269 ; tout porte à croire que le n° 55 contenait, outre la fin du texte du ms. XXI, une bonne partie de la continuation qui y a été amorcée.

L’enchaînement bien établi des nos 56 et 55 constitue une forte présomption que le n° 54 fût la continuation du n° 55 et le n° 58 (ms. V du fonds français de la Bibliothèque de Saint-Marc) la continuation du n° 54. En fait, nous ne pouvons que constater que l’incipit du n° 54 (qui, très probablement, doit être lu ainsi : Molt fu bien acoilluç da tous li Milon oir) manque dans le ms. XXI et dans le ms. V, aussi bien que le finit. Mais ce finit est suggestif. En effet, le ms. V (= n° 58) débute par les vers suivants :

Cum fu la sbare overte, le vailant roy Lombart
S’en isi primerain sour un detrier liart,
La lance paomoiant con un vis de liopart,
E consui duc Herbert, que n’estoit mie coart...[16].

Didier (Desirier), roi des Lombards, après avoir conquis le palais de Pampelune, avait fait barricader la place, comme il le rappelle un peu plus loin :

Quand le palés fu pris, je n’alai ja à dormir,
Ains me fis sour la place sbarier et enfortir
Pour qu’il ne me poüst nul Païn sourvenir ;
E quand je me cuidoie auquant en peis tenir,
Bien dis mil Alemans me vindrent à asailir[17].

Il est infiniment probable que les derniers vers du n° 54 étaient relatifs à cet épisode. En se voyant attaqués par les Allemands, les Lombards renoncent d’eux-mêmes à la protection que leur offrait la barricade et l’ouvrent sans attendre qu’on la force : ne sognent c’um l’infrange.

En résumé, Francesco Gonzaga possédait l’Entrée d’Espagne en triple exemplaire :

1o  Exemplaire en un seul volume, se terminant exactement avec le dernier vers composé par le premier auteur (n° 57, aujourd’hui disparu) ;

2o  Autre exemplaire, en un seul volume, se terminant dans son état primitif comme le précédent, mais à la fin duquel on avait transcrit 131 vers et demi pour amorcer, en quelque sorte, la continuation due à un second auteur (n° 53, aujourd’hui ms. XXI de Venise) ;

3o  Autre exemplaire, en quatre volumes, contenant à la fois l’œuvre du premier auteur et celle du continuateur (nos 56, 53, 54, 58, disparus sauf le dernier, aujourd’hui ms. V de Venise).

Le lecteur aura sans doute remarqué l’indication secundum Minochium, que donne seul le n° 56. Il en sera tenu compte plus loin, p. xxxv, dans le chapitre iv, consacré à l’auteur de notre chanson de geste.



IV


L’AUTEUR ET L’ŒUVRE


Le catalogue de Zanetti attribue l’Entrée d’Espagne à un certain « Nicolais » mentionné au folio 304 r° du ms. XXI. La Curne de Sainte-Palaye a reproduit passivement cette indication. Léon Gautier a cru que ce Nicolas ne formait qu’une seule personne avec le « Patavian » qui se met en scène au folio 214 r° ; et, de 1838 à 1882, presque tout le monde a admis l’existence effective de Nicolas de Padoue comme auteur de l’Entrée d’Espagne[18]. En réalité, comme je l’ai démontré dans mes Nouvelles recherches nous avons affaire à deux poètes bien distincts : un Padouan qui n’a pas voulu dire son nom, et un Nicolas qui n’a pas indiqué sa patrie, mais que nous avons les meilleures raisons de considérer comme Véronais. Au Padouan revient l’honneur d’avoir conçu l’Entrée d’Espagne et de l’avoir rimée jusqu’au vers 15803 :

En pleurèrent environ tuit François.


Le Véronais a continué l’œuvre du Padouan, interrompue par suite de circonstances que nous ignorons. De cette continuation nous ne possédons que deux fragments, le début (les 131 vers et demi de notre Appendice) et la fin (les 6113 vers publiés par Mussafia sous le titre, aujourd’hui consacré, de La Prise de Pampelune). Assurément, il est légitime d’appliquer à l’ensemble de l’œuvre des deux poètes le titre d’Entrée d’Espagne ; mais en vertu des habitudes prises, et pour ne pas compliquer notre tâche, nous devons ici faire abstraction de la partie du poème qui a pour auteur Nicolas de Vérone et qui ne nous est parvenue qu’à l’état fragmentaire. Pour nous, l’Entrée d’Espagne se limite aux 15805 vers que nous avons publiés, c’est-à-dire à l’œuvre propre du Padouan. Nicolas de Vérone nous a laissé plus d’un monument de son activité littéraire[19]. Il n’en est pas de même du Padouan : nous ne le connaissons que par l’Entrée d’Espagne. C’est de l’œuvre qu’il nous faut tirer tout ce que nous voudrions savoir de l’auteur, de sa personne, de sa culture, de ses procédés littéraires, de ses sources d’information. Les résultats de cette enquête nous permettront de fixer tout de suite le caractère de l’œuvre elle-même et d’en marquer la place dans l’ambiance littéraire qui l’a faite éclore. Nous verrons plus tard s’il est possible de lui assigner une date rigoureusement précise, et quelle action elle a exercée sur l’évolution de la littérature chevaleresque de l’Italie.

Je qe sui mis a dir del neveu Charleman
Mon nom vos non dirai, mai sui Patavian,
De la citez qe fist Antenor le Troian[20].

Ainsi s’exprime notre auteur en ce qui concerne sa personnalité. Ce nom qu’il n’a pas voulu dire, pouvons-nous nous le procurer par ailleurs ? M. Stengel[21] est porté à attribuer à notre Padouan le nom de Minochio qui figure dans l’inventaire de Francesco Gonzaga, où le n° 56 est ainsi intitulé : Liber Introitus Yspanie secundum Minochium. Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce n° 56 est le premier volume d’un exemplaire de l’Entrée d’Espagne qui en formait quatre et qui comprenait à la fois l’œuvre du Padouan et celle de son continuateur, Nicolas de Vérone. Or les deux exemplaires qui ne contenaient que la partie composée par le Padouan (nos 53 et 57) sont enregistrés comme anonymes. Il est peu vraisemblable que ce nom ignoré, d’après la volonté même de celui qui le portait, ait pu arriver à la connaissance soit du scribe qui a exécuté le n° 56, soit du notaire qui l’a inventorié. On pourrait tout aussi bien, et avec plus de raison, voir dans Minochio, mot dont on n’a pas trouvé trace ailleurs et qui semble peu propre à jouer le rôle de prénom, le nom de famille du continuateur, lequel aurait pu s’appeler Nicolas Minochio de Vérone. Dans ces conditions, il est sage de le laisser de côté et de s’en tenir, pour désigner le premier auteur de l’Entrée d’Espagne, au terme vague de Padouan dont l’authenticité nous est seule garantie.

C’est avec une pensée de pieuse édification que le Padouan a pris la plume, car, dès ses premiers mots, il dédie son œuvre à Jésus-Christ et à l’apôtre saint Jacques. Roland sera son héros, moins à cause de ses grands coups d’épée que par sa perfection morale qui apprendra à chacun des auditeurs

cum hom se doit pener
D’esamplir la loy Deu et as povres aider
Et li chevalers pobres an besoing visiter,
Les orfanes et les veves mantenir et saucer[22].

Le poète se réclame avant tout de la Chronique de Turpin[23], et il est assuré de faire son salut éternel en la versifiant en français pour la mettre à la portée de ceux qui ne savent pas le latin, car Turpin lui-même le lui a promis :

Savez por quoi vos ai l’estorie comencee ?
L’arcivesque Trepins, qi tant feri de spee,

En scrit mist de sa man l’istorie croniquee :
N’estoit bien entendue fors qe da gient letree.
Une noit en dormant me vint en avisee
L’arcevesque meïme, cum la carte aprestee :
Comanda moi et dist, avant sa desevree,
Que por l’amor saint Jaqes fus l’estorie rimee,
Car ma arme en seroit sempres secorue et aidee[24].

Cette « histoire chroniquée », il l’a vue autrement qu’en songe, comme bien on pense, dans une bibliothèque de Milan :

En croniqe letree, qe escrist da sa man
L’arcivesque Trepins, atrovai en Millan
L’estorie e la conquise dou regne Castellan
Qe fist le neveu Carles por coroner Audan,
La seror Oliver, q’il plevi soz Vian[25].


Mais il y a bien d’autres choses dans l’Entrée d’Espagne que la substance de la Chronique de Turpin. Que d’aventures dont le bon archevêque ne peut mais ! Le Padouan le sait bien, et il sait aussi que « la gient letree », qui a lu Turpin dans le texte original, ne manquera pas de lui chercher noise. Sa défense est toute prête, et il la produit au milieu du duel de Roland et de Ferragu, à un moment où il tient cependant son imagination en bride et où il n’a que des péchés véniels à se reprocher vis-à-vis de Turpin, dont il ne s’écarte pas trop. Les lettrés connaissent Turpin, mais ils ne connaissent pas tout. Deux autres clercs, dont personne n’a entendu parler, savent tout ce qui s’est passé depuis le moment où Charlemagne a franchi les Pyrénées jusqu’à celui où la trahison de Ganelon prépare la tragédie de Roncevaux : ce sont Jean de Navarre et Gautier d’Aragon, ce dernier surtout, qui en dit « plus de nus autre on »[26]. Il y a aussi les jongleurs qui « cantent d’Espaigne » à leur fantaisie. Le Padouan les méprise, « les foibles jogleor »[27] ; il les hait violemment, il voudrait les voir « snarer come parjureor ». Ils ne se doutent pas de l’existence de Jean de Navarre et de Gautier d’Aragon, ces pauvres jongleurs ! Et notre poète reprend son récit

Si com nos monstre Trepin nostre doctor[28].

Pour qui sait ce que parler veut dire, il est inutile d’insister. Nous voilà fixés sur la mentalité du Padouan : Jean et Gautier sont de pures chimères[29], et Turpin a bon dos. Quand notre poète aura définitivement assuré sa marche, quand il se sentira maître de ses auditeurs, il se décidera enfin à lever le masque, à affirmer sa propre autorité, à proclamer sa patrie, sinon son nom, après avoir annoncé sommairement les merveilles que Roland va accomplir en Orient de par la volonté de celui qui le chante :

Homeis efforce ystorie et sermons bien rimié...
Se vos vorois entendre, je vos dirai ancor
Cum Rollant pasa mer en tere alienor
E com dou roi de Perse fu loial servitor...
E si vos canterai com il fu avoheor
Don grant regne de Persse par son sotil labor...
Tot ce vos savrai dir, ch’en sui estez houtor.
Por voloir castoier li coarz et li van
E fer en cortoisie retorner li villan
E les retors de tere encroire en consoil san
Me sui mis a trover dou meilor Cristian
C’onque seüst canter jogleors en roman...
Se por loër devroie totes ses huevres dir,
Il vos anoieroit, je le sai sans fallir ;
Neporquant il devroit a tote gient ploisir,
Car la bontié Rollant ne feit bien a tesir.
Pués qe de ses bontez sui mis à descovrir,
Dou tot les canterai ; ne m’en pois retenir[30].

Le ton a changé et le cadre s’est élargi. Les pieuses préoccupations du début sont laissées dans l’ombre et saint Jacques a disparu. Roland seul reste le héros du poète, personnifiant de plus en plus en lui la chevalerie, de source religieuse sans doute, mais dont l’idéal embrasse maintenant toutes les nobles préoccupations de l’humanité. Nous sommes bien loin de la chronique de Turpin. Et pourtant le poète ne se dégage pas tout à fait de l’attitude qu’il a adoptée dans la première partie de son œuvre : même sur la terre d’Orient, il éprouve le besoin d’invoquer son « docteur », et quand il introduit le roi de Perse dans la chambre de la reine, il note gravement qu’il le fait « si cun Trepins latine [31] ». Mais personne ne peut être dupe de cet innocent subterfuge.

Assurément, la Chronique de Turpin a été utilisée par le Padouan ; mais il va sans dire que l’influence de ce texte célèbre ne dépasse pas la première partie de l’Entrée d’Espagne, où elle se fait d’ailleurs beaucoup moins sentir qu’on ne serait porté à le croire. La triple apparition de saint Jacques à Charlemagne ouvre l’Entrée d’Espagne comme la Chronique, et le duel de Roland avec Ferragu, auquel le Padouan consacre environ 2500 vers, est l’objet, dans la Chronique, d’un chapitre spécial (ch. 17), qui est le plus étendu de tout l’ouvrage et où le Padouan a largement puisé. Mais que de différences dans l’ensemble et dans les détails ! Turpin mentionne trois expéditions successives de Charlemagne en Espagne, et fait jouer un grand rôle, dans la dernière, au roi païen Agoland : l’Entrée ne connaît qu’une seule expédition et ignore absolument cet Agoland. Turpin représente Ferragu comme envoyé en Espagne par l’émir de Babylone, et raconte le combat de Nájera comme un épisode sans aucun lien avec les autres événements : l’Entrée fait du géant le fils de Falseron, frère de Marsile, dont Turpin ignore l’existence, et du combat de Nájera le prélude nécessaire de la conquête de l’Espagne par Charlemagne. Ce combat ne dure que deux jours dans Turpin : il en dure trois dans l’Entrée. La massue de Ferragu, qui donne au duel une originalité attrayante dans l’Entrée, est inconnue de Turpin. Et je ne parle pas du caractère même de l’adversaire de Roland, que le Padouan s’est appliqué à parer de hautes qualités morales, comme pour personnifier en lui, malgré sa monstruosité physique, un type idéal de chevalier sarrasin et le rendre plus digne de se mesurer avec le modèle achevé du chevalier chrétien : il y a là chez notre auteur un souci d’artiste qu’il ne faut pas demander à la compilation indigeste placée sous le nom de l’archevêque Turpin[32].

Après la mort de Ferragu et la prise de Nájera, le Padouan conduit l’armée de Charlemagne devant Pampelune, cité du roi Malgeris, beau-père de Marsile, dont le siège, dure encore quand il écrit son dernier vers. Dans Turpin (ch. 2), Pampelune est la première ville d’Espagne qu’assiège Charlemagne : il reste trois mois devant ses murailles qui s’écroulent miraculeusement, et la ville est conquise du coup. Au début de la troisième expédition, Pampelune, retombée, comme toute l’Espagne, au pouvoir des Sarrasins, est le centre de la résistance d’Agoland (ch. 11 à 14) : après de longues discussions théologiques et morales, et une série de passes d’armes, Agoland est tué par Arnaud de Beaulande, et Pampelune reconquise. Les récits de Turpin n’ont aucun rapport avec ceux de l’Entrée d’Espagne : il n’y a que les noms de Pampelune et de Charlemagne de communs. Enfin, l’expédition de Noble et la prise de cette ville par Roland, d’où doit sortir comme conséquence le départ du héros pour l’Orient, n’ont absolument rien à voir avec Turpin, lequel ne souffle mot de cet épisode dont les racines plongent cependant dans les légendes les plus anciennes de l’épopée française.

Ainsi, en face de l’œuvre poétique qu’il a réalisée, les déclarations réitérées du Padouan, se posant comme un simple versificateur de la Chronique de Turpin, prennent de plus en plus le caractère d’une attitude conventionnelle dont la critique est à même de faire justice.

Une autre source d’inspiration, et beaucoup plus intime, lui vient d’ailleurs. Elle a son point de départ dans la Chanson de Roland. Il est manifeste que notre auteur s’est proposé de satisfaire le sentiment de curiosité que devait éveiller chez les auditeurs d’outre monts ces premiers vers de la vieille chanson française, si souvent répétés par les jongleurs :

Charles li reis, nostre emperere magnes,
Set anz tuz plein ad estet en Espaigne...

L’Entrée d’Espagne est le prologue de la Chanson de Roland, prologue disproportionné et disparate, mais dont l’auteur, épris également de son modèle et de son sujet, a dû avoir l’illusion qu’il restait fidèle, sinon au cadre, du moins à l’esprit de l’épopée traditionnelle. Illusion heureuse, après tout. L’effort présomptueux du poète de Padoue n’a abouti, dira-t-on, qu’à une œuvre composite et bâtarde, plus faite, semble-t-il, pour piquer la curiosité de quelques érudits que pour réveiller l’enthousiasme populaire excité par les premières chansons de geste. Ses nombreuses lectures, sa culture générale, plus étendue que celle des antiques trouvères de la France, sa connaissance imparfaite de la langue qu’ils avaient maniée, l’état même de la civilisation au milieu de laquelle il vivait, le préparaient mal à la tâche qu’il s’était donnée. Mais telle qu’elle a été réalisée par lui, l’Entrée d’Espagne a donné une nouvelle vie à l’épopée française qui se mourait et dont les anciens monuments s’entassaient sans écho dans la nécropole des bibliothèques princières. Sans le Padouan, nous n’aurions peut-être ni la Spagna, ni le Morgante, ni l’Orlandi innamorato, ni l’Orlando Furioso, ni, en un mot, toute cette poésie chevaleresque italienne dont la floraison luxuriante met tant de joie, tant de grâce, tant d’aimable folie dans la fête littéraire et artistique qu’on nomme la Renaissance.

Le Padouan ne nous dit rien de sa condition sociale. Mais c’est un clerc assurément, et à qui il ne déplaît pas de faire parade de son latin[33] : il a beaucoup pratiqué les Distiques de Dionysius Cato, et il lui arrive de les citer dans le texte original[34]. Il est légèrement frotté d’arabe, comme en témoigne la mention de Kibir[35] et d’Alakibir[36] et des planètes ou étoiles Chavachabas[37] et Çeli[38]. Il est plus familier avec l’histoire des anciens Romains que nos trouvères épiques, qui ne citent pas, comme lui, Enée[39], Horace et Curiace[40], Annibal[41], Scipion l’Africain[42], Crassus[43], Pompée[44], Sénèque[45], Trajan[46], et qui ont des idées plus vagues que les siennes sur le compte de Jules César[47]. Mais cette culture « classique » est surtout de surface. Ce qui l’a pénétré jusque dans la moelle des os, c’est la littérature française, particulièrement les œuvres narratives en vers, l’épopée française au sens le plus large.

Dans le cycle antique, les poèmes relatifs à Alexandre le Grand lui sont particulièrement chers, à en juger par les nombreuses allusions qu’il y fait et par l’idée qui lui a pris de placer dans le palais de Noble, donc chez les Sarrasins, et de décrire en détail des peintures représentant, d’après les romans français, les principales scènes de l’histoire du célèbre conquérant[48].

Les noms des héros et héroïnes du roman de Troie reviennent aussi très fréquemment sous sa plume Jason, Thésée, Laomédon, Priam, Ménélas, Achille, Paris, Troïlus, Hélène, Polyxène, et surtout, on le devine, l’incomparable Hector[49].

En face des récits du cycle d’Arthur, notre auteur se pose résolument en adversaire quand, dès ses premiers vers, il oppose la « glorieuse chanson » qu’il a composée aux « flabes d’Artu[50] ». Mais ces récits, il les connaît bien et il ne peut s’abstenir d’en évoquer çà et là le souvenir chez ses auditeurs (pour leur plaisir, sans doute, mais peut-être aussi pour le sien), puisqu’il mentionne le célèbre combat de Tristan contre le Morot, imaginant même que l’épée du fils de Méliadus a passé depuis lors entre les mains d’Oger le Danois[51], la quête du saint Graal par Galaad et autres vaillants chevaliers de la Table Ronde[52], les exploits tardifs, et d’autant plus populaires alors, de Fébus le Fort[53].

Mais puisque l’Entrée d’Espagne, dans la pensée de son auteur, est une chanson de geste, il va de soi qu’il a dû chercher ses modèles dans le cycle national qui a produit les premiers monuments de ce genre. La Chanson de Roland occupe une place à part parmi ces modèles. Le Padouan ne l’a probablement pas connue sous la forme la plus ancienne, mais sous la forme amplifiée et interpolée qu’elle a prise de bonne heure en pénétrant en Italie. Dans la mesure où son plan le lui permettait, il a greffé son Entrée d’Espagne sur le tronc traditionnel, mais en gardant ses coudées franches vis-à-vis de la vieille chanson, comme vis-à-vis de la Chronique de Turpin. L’épisode de la prise de Noble, auquel il a donné une si grande place, et dont la conséquence est le départ de Roland pour l’Orient, peut être sorti d’une allusion qui se trouve au v. 1775 de la Chanson de Roland :

Ja prist il Noples seinz le vostre cumant.

Le Padouan a négligé les autres détails que donne le vieux poème, ce qui n’a rien de bien extraordinaire. Mais par quelle coïncidence singulière se trouve-t-il d’accord avec la première branche de la Karlamagnus Saga, qui rapporte précisément à cette prise de Noble le coup de gant appliqué par Charlemagne sur le nez de son neveu ? Il est difficile de le dire. L’hypothèse d’une chanson de geste perdue, qu’auraient connue concurremment l’auteur de la Karlamagnus Saga et celui de l’Entrée d’Espagne, se heurte à bien des invraisemblances. Notons d’ailleurs que la Karlamagnus Saga contient, dans la branche V, un second récit de la prise de Noble qui ne concorde pas de tout point avec le premier[54].

Le nom de Pampelune ne figure pas dans la Chanson de Roland. On peut admettre que le Padouan a puisé dans la chronique de Turpin l’idée de donner à cette ville un rôle important dans son poème, tout en négligeant les détails que lui fournissait le récit latin. Dans l’énumération des renforts que Marsile envoie à Pampelune (vv. 7437 et ss.), on reconnaît d’autant plus facilement l’influence de la Chanson de Roland que beaucoup des chefs Sarrazins mentionnés par le Padouan sont ceux mêmes qui doivent jouer un rôle dans le combat de Roncevaux. Quant au roi Malgeris, que notre auteur fait régner à Pampelune, on peut croire — et la supposition a déjà été faite[55] — que c’est un des chefs païens de la Chanson de Roland sur qui il a jeté son dévolu, à savoir « Margariz de Sibilie ». En revanche, Isoré, fils du roi de Pampelune, qu’il a paré de si touchantes qualités, paraît avoir été inventé de toutes pièces, et c’est une de ses plus heureuses créations, rappelant, par plus d’un trait, le fils du roi Agoland, Eaumont, sorti de l’imagination de l’auteur d’Aspremont.

Cette chanson d’Aspremont, à laquelle nous venons de faire allusion, a joui, comme on sait, de beaucoup de vogue en Italie. On dirait qu’elle est sans cesse présente à l’esprit de l’auteur de Entrée d’Espagne. Isoré fait-il cadeau d’un cheval à Roland, aussitôt, en admirant la noble bête, le duc Naime dit à Charlemagne :

Sire, ce est rice dons :
Cil, che menai de Balant l’Esclavons
Ne fu si beus, voire croi, ne si bons[56].

Outre les mentions expresses que fait le Padouan du roi Agoland et de son fils Eaumont[57], il faut noter que sa mise en train de l’expédition d’Espagne s’inspire manifestement — bien qu’il n’y ait pas d’imitation servile — de la façon dont l’auteur d’Aspremont a décrit le départ de Charlemagne pour l’expédition de Pouille et de Calabre. D’ailleurs, Aspremont inspira tardivement une suite consacrée à la guerre de Charlemagne contre Girard de Fraite, et dans laquelle Roland tuait Claire, neveu de Girard[58]. Cette suite, fort dramatique, est aussi familière au Padouan que l’Aspremont proprement dit[59].

La légende de Mainet, qui raconte les « enfances » de Charlemagne, a aussi trouvé un accueil favorable en Italie, où on en a rédigé une version en vers connue sous le nom de Karleto et que nous a seul conservé le n° XIII des manuscrits français de Venise[60] ; quant au texte primitif de la chanson de geste française, il ne nous est parvenu qu’à l’état fragmentaire[61]. L’Entrée d’Espagne contient trois allusions aux « enfances » de Charlemagne : l’une, assez développée, mentionne son duel contre Braibant et contre Gallion et son couronnement à Rome en la compagnie du fidèle Morand (vv. 11303 et ss.) ; les trois autres rappellent son exil de France et son retour (vv. 93-4), son duel contre Braibant (v. 1938) et ses amours avec Galiaine (11806). La forme Braibant est d’accord avec celle qu’emploie le Karleto (dans le fragment publié par G. Paris et ailleurs, le païen s’appelle Braimant) ; mais le nom de Galiaine, fille de Galafre, ne figure pas dans le Karleto, qui le remplace par celui de Belissant. Quant à Gallion, neveu de Braibant tué par Charlemagne, d’après notre auteur, son nom ne se retrouve dans aucun autre récit conservé. Le Karleto mentionne bien la mort de deux neveux de Braibant tués par le futur empereur, mais il ne leur donne pas de noms (éd. Chichmaref, vv. 864 et 1257) ; il raconte aussi un duel entre Karleto et Floriant ou Florial, autre neveu de Braibant, mais ce neveu est blessé et non tué (ibid., vv. 888-934). En revanche, l’auteur du roman franco-italien d’Aquilon de Bavière a connu un récit analogue à celui que vise l’Entrée d’Espagne ; Voir Romania, XI, 563.

Plus encore que Mainet, les Quatre Fils Aimon et spécialement l’aîné d’entre eux, Renaud de Montauban, ont conquis la faveur des Italiens[62]. Non seulement le Padouan les connaît bien, mais le souvenir de leurs tragiques aventures a été fort heureusement utilisé par lui dans une apostrophe virulente à l’adresse de Charlemagne, qu’il met dans la bouche de Girard de Roussillon après que Roland, frappé par son oncle, a quitté pour longtemps le camp de Pampelune (vv. 11218 et ss.). Dans un autre passage, moins explicite (vv. 13273-6), la mention d’une guerre entre le même Girard et l’empereur paraît viser quelque épisode se rattachant indirectement au même groupe de récits épiques. Ici comme là, les chansons de geste que nous possédons sont insuffisantes à expliquer les termes précis qu’emploie le Padouan, ce qui témoigne d’un développement de la légende plus riche que celui dont les monuments nous sont parvenus[63].

Nous possédons sur Girard de Vienne une chanson de geste, qui a pour auteur Bertrand de Bar-sur-Aube, et le résumé d’une chanson antérieure, dont la Karlamagnus Saga nous a transmis la substance. Le Padouan nous présente, dès les premiers vers de l’Entrée d’Espagne, l’expédition au delà des Pyrénées comme l’accomplissement de la promesse faite par Charlemagne au moment des fiançailles de Roland et d’Aude qui termine Girard de Vienne :

Jel jurai soz Viene, en mé la praerie,
Quand de moi e Gerard fu la guerre finie
E fu la pulcelle Aude par Roland creantie[64].

Ailleurs, une allusion à Girard et à ses « Vïenois », qu’on a vu fuir « come bàtus borgois » (v. 5970) évoque le souvenir d’une guerre dont le dénouement ne concorde pas avec ce que nous apprend Girard de Vienne, et se rapporte vraisemblablement à la légende de Girard de Fraite. Il est probable qu’il en est de même pour l’allusion à « l’orgueilleux Girard » des vers 13273-76.

D’ailleurs, il serait merveilleux qu’aucune confusion ne se fût jamais produite dans les vastes lectures de l’auteur de l’Entrée d’Espagne, ou que son imagination n’eût jamais altéré ses souvenirs. Il a certainement lu Girart de Roussillon, cette rare perle de notre ancienne épopée, dont le manuscrit le plus fidèle faisait partie de la bibliothèque de Francesco Gonzaga (n° 48 de l’inventaire), et cette lecture lui a laissé une forte impression, témoin la vigoureuse évocation de la bataille de Valbeton qui se présente sous sa plume :

En Valbeton, ou fu l’asemblemant
Des Berguegnons e de la Franche gent...
N’i fo ester si greu ne si pesant
Com vos oirois, s’un petit plu vos çant[65].

Et pourtant il s’est laissé aller, comme d’autres, à confondre le héros de ce poème avec le Girard de Roussillon qui prend part aux guerres de Charlemagne et qu’il met souvent en scène lui-même dans l’Entrée d’Espagne[66].

D’autres chansons de geste encore ont laissé des traces, mais plus fugitives, dans l’œuvre du Padouan : par exemple, la présence auprès de Charlemagne de Léger de Touraine décèle la connaissance des Saisnes, et la Reine Sibile a inspiré un épisode singulier et énigmatique, celui d’Anseïs de Pontieu, amorcé à la laisse XXX, mais non réalisé, et qui mérite de nous arrêter.

Nommé régent pendant l’expédition d’Espagne, cet Anseïs, neveu de Ganelon, voudra un jour usurper le trône de France et épouser la propre femme de son souverain ; il faudra que Charlemagne revienne d’Espagne pour punir sa trahison avant qu’elle soit consommée. Les témoignages concordants, par le fond sinon par les détails, de la Spagna en vers et des textes en prose italienne qui lui sont apparentés, prouvent jusqu’à l’évidence que Nicolas de Vérone s’est fait un devoir de raconter cet épisode dont le Padouan avait réglé, longtemps d’avance, la mise en scène, mais qu’il n’avait pas encore traité au moment où il a posé la plume.

Cette audacieuse mainmise sur le thème de la Reine Sibille, inspirée par le désir de corser sa matière, achève de nous éclairer sur les procédés du Padouan et sur sa prétendue fidélité à Turpin, à Jean de Navarre et à Gautier d’Aragon. Il ne faut pas trop nous étonner, après cela, que fantaisie lui ait pris d’entraîner Roland en Orient, au mépris de toute la tradition relative au fiancé de la belle Aude. J’imagine même que quand cette fantaisie lui est venue, il a perdu un peu de vue l’épisode promis d’Anseïs de Pontieu, jugeant qu’il n’y avait pas péril en la demeure, et qu’il serait temps d’y penser quand il aurait ramené Roland au camp de Pampelune. À son défaut, son continuateur y a pourvu. Mais nous n’avons pas à nous occuper ici de l’œuvre du Véronais.

Que dire enfin de cette expédition de Roland en Orient, qui remplit toute la fin de l’Entrée d’Espagne (plus de 4.000 vers) et dont une notable partie s’est perdue ? Les déclarations que fait l’auteur à ce sujet, et sur lesquelles j’ai insisté ci-dessus (p. xxxix), me paraissent prouver qu’il voyait là son plus beau titre de gloire. Et je ne suis pas éloigné de penser qu’il avait raison. On ne saurait trop admirer l’ingéniosité avec laquelle il a soudé cet épisode de son invention aux données traditionnelles que lui fournissait l’épilogue brutal du siège de Noble. Et une fois le point de départ admis, une fois Roland évadé du camp de Charlemagne, il faut reconnaître que le héros a désormais devant lui un champ d’action plus grandiose que l’espace restreint dans lequel il pouvait se mouvoir autour de Pampelune, s’épuisant en marches et contremarches, en coups d’épées monotones et stériles, sans approcher sensiblement du tombeau de saint Jacques, sans atteindre cette couronne d’Espagne que le lecteur sait bien qui ne doit jamais ceindre son front. En somme, si Malgeris tenait encore en échec les armes des Français, Noble était prise, Ferragu était tué, et les nouveaux adversaires que l’Espagne pouvait offrir à Roland, il avait bien le temps de les retrouver sur le champ de bataille et de mort de Roncevaux, dont le Padouan n’avait pas l’intention de redire les heures tragiques.

Donc, pourquoi lui reprocher d’avoir fait prendre à son héros ce chemin d’Orient que les trouvères français, avec des intentions moins élevées et moins édifiantes, sinon moins amusantes, avaient ouvert depuis longtemps à Charlemagne, à Huon de Bordeaux, à Renaud de Montauban ? Ce coup d’État n’a rien de bien criminel, et le succès qu’il a obtenu dans la littérature chevaleresque de l’Italie suffirait au besoin à le justifier.

On peut trouver que la conduite de Roland après le sanglant affront qu’il reçoit de Charlemagne, au retour de la prise de Noble, est en contradiction avec le caractère éminemment religieux que lui a donné l’auteur. Mais cette contradiction s’explique dans une certaine mesure par l’explosion du sentiment d’orgueil chevaleresque dont il ne nous a pas laissé ignorer la puissance chez son héros[67]. Ce sentiment s’est déjà heurté plus d’une fois chez Roland au sentiment de subordination vis-à-vis de l’empereur que lui imposait son devoir féodal : son orgueil a plié jusqu’au moment où la brutalité de son souverain, dépassant toute mesure, rend pour ainsi dire impossible tout nouvel effort moral pour le contenir. Le ressentiment personnel, arrivé au paroxysme, ne supporte plus aucune contrainte. Roland s’évade des obligations qu’il a contractées vis-à-vis de son roi et de son dieu, pour s’élancer dans un monde nouveau où, fier de la valeur de son bras, il libère momentanément sa conscience de tout ce qui n’est pas honneur chevaleresque. Son patriotisme et sa foi se trouvent également paralysés. Il n’a aucun scrupule à se faire passer pour Sarrasin, et il semble s’accommoder fort bien de cette nouvelle situation. Après sa victoire sur Pélias, l’auteur nous le dépeint accompagnant le soudan de Perse et sa suite « au grant tenple Apollin », où les Païens

Davant Mahons orent et font enclin[68].

Le seul sentiment qu’il lui attribue alors est le regret de n’avoir pas, comme les autres, de riches offrandes à placer sur l’autel de Mahomet :

Je n’ai que ofrir, si me teing a farin[69].

Mais bientôt dans ce nouvel horizon se montre Jérusalem, et le sépulcre du Christ apparaît comme but au guerrier chrétien emporté par son ressentiment loin du chemin qui menait au tombeau de saint Jacques. Dès lors, ce voyage en Perse, qui ne nous a été présenté d’abord que comme le résultat d’un coup de tête, et qui ne semblait qu’un hors-d’œuvre sans rapport avec la première partie de l’Entrée d’Espagne, prend un autre caractère ; l’auteur en a si bien distribué et gradué les péripéties qu’il devient comme un pendant plus éclatant de cette première partie elle-même. Quand le Roland de l’Entrée d’Espagne revient à Pampelune faire amende honorable à Charlemagne, il est plus grand et plus saint que jamais il n’a pu l’être dans l’épopée française proprement dite : il a été le champion du Christ en Orient comme en Occident, et il laisse derrière lui le succès et la gloire pour rentrer dans le rang et marcher à la défaite et au martyre.

Ce rapide coup d’œil sur la composition de l’Entrée d’Espagne suffit pour montrer que l’auteur n’est pas un simple « rhapsode », mais qu’il possède une véritable faculté créatrice ; cette faculté s’est particulièrement donné carrière dans la dernière partie de son œuvre, mais elle se manifeste aussi dans l’ordonnance générale et dans maint détail de la première partie. Léon Gautier me paraît s’être tout à fait trompé quand il a écrit, en parlant de celui qu’il appelait Nicolas de Padoue : « Ce n’était guère qu’un compilateur, et il avait composé son œuvre, ainsi qu’une mosaïque, avec certains débris considérables de poèmes antérieurs, de poèmes français du xiiie siècle. Ces poèmes, que nous n’avons plus, devaient être intitulés : Roland et Ferragus, la Prise de Nobles, Roland en Perse, la Guerre d’Espagne[70], etc. » Mieux inspiré, Gaston Paris a reconnu « la très large part que l’imagination a eue dans la composition » de l’Entrée d’Espagne[71] ; la publication intégrale du poème, sans qu’il soit besoin d’insister davantage, confirme pleinement la justesse de ce jugement.

Il reste enfin à faire connaître en quoi le Padouan s’est conformé au ton général de l’épopée française et en quoi il s’en est écarté. Il possède à un haut degré cet esprit religieux qui, sans être celui de toute l’épopée française, domine cependant dans le groupe des chansons de geste qui célèbrent les luttes de Charlemagne contre les Sarrasins. À ce point de vue, on peut dire que, chez lui, la Chronique de Turpin s’est superposée aux récits épiques proprement dits et les a plus fortement marqués de cette empreinte : l’Entrée d’Espagne est une véritable apologie du christianisme, et son principal héros, Roland, en est à la fois le porte-parole et le champion. Il suffit de rappeler les longues et nombreuses prières que l’auteur met dans la bouche du « campion de la Crestïenté[72] » soit au moment du combat, soit dans les situations variées qu’amène la suite de ses aventures, et les efforts théologiques qu’il lui prête pour convertir ses adversaires à la religion du Christ. Le combat avec Ferragu est particulièrement imprégné de cette piété et de ce prosélytisme débordants : Roland prie et prêche inlassablement avant, pendant et après (vv. 1632-65, 1780-90, 2134, 2416-7, 2578-91, 2986-3013, 3251-4, 3261-70, 3406-12, 3415-6, 3487-92, 3504-19, 3613-26, 3636-42, 3666-86, 3697-3725, 3734-55, 3760-2, 3770-92, 3809-16, 3819-22, 3826-45, 3862-78, 3890-3901, 3904-27, 3932-54, 3967-75, 4034-39, 4137-44).

Sans doute ici le Padouan s’inspire en partie du Pseudo-Turpin, et, d’autre part, les effusions pieuses de Roland rappellent celles d’Olivier aux prises avec Fierabras, d’Oger aux prises avec Brehier, et d’autres analogues ; mais la complaisance démesurée avec laquelle notre poète développe ce motif témoigne de l’intérêt qu’il y prend. Roland prie encore, et longuement, sur le bateau sarrasin qui l’emmène en Orient (vv. 11717-64), comme chez l’ermite Sanson (vv. 14951-72), et, par sympathie pour lui, la belle Dionès, fille du soudan de Perse, s’épanche aussi en une longue prière où le poète a cherché curieusement à fondre la religion de Mahomet dans celle de Jésus (vv. 12817-67). La conquête de Jérusalem et la conversion de la Perse au christianisme font de Roland non seulement le précurseur des héros de la première croisade, mais une manière d’apôtre, de saint, à qui Dieu donne dès lors, par des miracles, des marques particulières de sa protection : un ange prend sa forme pour tenir compagnie à Huon de Blois et à Sansonnet pendant qu’il est chez l’ermite (vv. 14975 et ss.) ; il reçoit une nourriture céleste (vv. 15079 et ss.), et ses compagnons sont l’objet d’une faveur analogue (vv. 14906 et ss.) ; il apprend par révélation indirecte la date de sa mort, qui sera un martyre, et la trahison qui fera de lui comme un autre Jésus (vv. 15043 et ss., 15327 et ss.) ; une large route s’ouvre devant lui au milieu d’une forêt impraticable (vv. 15283 et ss.).

Les préoccupations religieuses de l’auteur de l’Entrée d’Espagne, si profondes qu’elles soient, n’étouffent pas cependant le caractère guerrier et chevaleresque de son œuvre ; la croix ne fait pas tort à l’épée. Quand Roland apprend de l’ermite que ses jours sont comptés et qu’il doit mourir « martyr » au service de Dieu, il se console en pensant aux prouesses guerrières qu’il a encore le temps d’accomplir :

Un penser valoreus e plain de vigorie
I monta tel ou cors qe par pué qu’il n’escrie :
« Or vo je tote oncir la pute gent ahie,
« Or voi destrur Espagne e la grant Aumarie
« E Sibilie e Granate, Moroch e Barbarie.

« Se je tant vivre dei, se Deu me benehie,
« Ja n’avra grant repois cels q’a Deu ne sorplie[73]. »

L’auteur n’est pas moins familier avec l’art de la guerre qu’avec les mystères de la religion chrétienne, et l’art de la guerre nous apparaît chez lui plus varié, plus raffiné que dans nos anciennes chansons de geste. Sans doute, il nous offre beaucoup de ces combats singuliers dont la description ne tranche guère sur la monotonie ordinaire d’un genre cher à nos anciens trouvères, mais il est plus habile qu’eux à faire mouvoir les corps d’armée et il a des préoccupations stratégiques qui leur sont inconnues. Aux cris de guerre qui éclatent dans la mêlée, toujours les mêmes pour chaque groupe de combattants, il joint le mot d’ordre, variant au jour le jour, qui assure la cohésion plus intime des effectifs engagés dans l’action, soit parmi les chrétiens, soit parmi leurs adversaires[74]. Il est particulièrement curieux d’enseignes et d’armoiries, et l’on pourrait puiser dans son œuvre les éléments d’un traité héraldique[75]. Il n’accorde pas moins d’attention aux travaux du génie qu’aux combats proprement dits ; il décrit la fortification d’un camp[76], les machines d’un siège[77] ; il connaît les effets du terrible feu grégeois[78]. La prise de Noble par Roland, dont tous les détails sont soigneusement réglés d’avance et dont les épisodes se développent avec un enchaînement logique, est un modèle achevé de récit militaire où l’intérêt ne languit pas un instant[79]. Dans un genre différent, la façon dont Roland comprend son rôle de bailli de Perse et prépare la résistance contre un retour offensif du roi Malcuidant offre peut-être encore plus d’originalité[80]. Et ici se fait jour plus qu’ailleurs une tendance de l’auteur, dont j’ai déjà dit un mot, et qui est quelque chose de nouveau, si je ne me trompe : l’exaltation d’un état de civilisation courtoise qui forme pour ainsi dire l’arrière-plan des scènes religieuses ou guerrières empruntées au vieux cadre de l’épopée française, et l’attribution à Roland d’un rôle civilisateur qui tempère l’outrance de son caractère traditionnel par une compréhension plus large, plus humaine, des nécessités de la vie sociale.

Roland est par excellence le héros de l’Entrée d’Espagne, qui est comme une seconde « chanson de Roland ». Aussi les autres personnages se trouvent-ils par cela même rejetés dans l’ombre ; la peinture de leur caractère, le récit de leurs exploits n’ont pas toujours la vigueur de touche qu’on pourrait désirer. L’auteur a cependant su donner à Charlemagne, dans certaines circonstances, une attitude conforme à son rôle officiel de chef de l’empire et de la chrétienté. Il est peu de scènes épiques plus grandioses que celle où le vieil empereur, abandonné par son neveu, et pressé par ses barons de donner l’ordre de retourner en France, s’écrie fièrement :

Qui veult, aler s’en puet, qe ci vuel definir
Ains que por moi s’en fue le signal de l’anpir[81].

Son âge ne l’empêche pas, à l’occasion, de payer de sa personne et d’accomplir des prouesses :

Le rois vient apoignant, irez toz come graine,
A XXm François dont il fu cavetaine,
Qu’encui ferunt sanglant lor brant en carn humaine.
Carles fu devant toz si cler come funtaine ;
Son destrer fu covert d’un paile d’Aquitaine
A flor de lis d’or fin qe reluit por l’araine.
Si flamboie le roi come estoile diaine
De rices sorensaignes et d’armes d’uevre straine.
Loing et gros fu le rois sor tote gient autaine.
Le buen destrer l’emporte corant a mult grant paine.
En la prese se fiert come en foreste daine...
Veit ferir Cariuns, le rois de Sadremaine...
Parmi le cor i mist l’ensaigne soveraine ;
Dou cheval l’abat mort sens suns et sens alaine.
Ausi depart la presse come saiete vaine ;
Tot les plus furios de Saracins refraine ;
Cui il consuet un colp, mervoile ert s’il nel daine :
En breu en abati de morz une quinçaine
Qe mais en Pampelune ne laverunt a çaine[82].

Mais ces belles scènes sont rares. Pendant tout le combat de Roland contre Ferragu, le rôle de l’empereur est sacrifié et réduit à avoir de multiples accès d’un lâche et sénile attendrissement, qui se reproduisent plus tard et alternent fâcheusement avec des crises d’une cruauté à la fois astucieuse et brutale.

Il y a peu de chose à dire d’Olivier, le fidèle compagnon de Roland, toujours brave, dévoué et affectueux, un peu terne dans sa perfection même, malgré quelques scènes touchantes assez heureusement ménagées, mais sans grande originalité. En revanche, il faut faire honneur au Padouan de son personnage d’Estout, Estout le rampogneor, le railleur perpétuel, qui met une note de gaieté humoristique dans la trame sévère de l’Entrée d’Espagne, et qui plus tard, sous le nom d’Astolfo, tiendra une si grande place dans la poésie chevaleresque italienne[83]. C’est une heureuse création, d’autant plus méritoire que notre auteur n’a guère trouvé de modèles dans l’épopée française, où la caractéristique des personnages est d’une particulière faiblesse. Le Padouan s’est efforcé aussi de créer un peu de vie individuelle dans le monde païen, et il faut lui en savoir gré : si les trois frères qui se partagent l’Espagne, Marsile, Balegant et Falseron, n’ont rien de captivant, si Ferragu nous touche peu à cause de sa semi-monstruosité, Malgeris de Pampelune et son fils Isoré forment un pendant heureux en face de Charlemagne et de Roland. Dans la masse des personnages épisodiques, Folquenor de Noble et Landras de Combres sont particulièrement touchants : avant de les faire mourir devant Noble, le poète s’est complu à peindre l’amitié qui les lie en termes qui font penser à Virgile et qui évoquent le souvenir de Nisus et d’Euryale. Enfin le séjour de Roland en Orient a fait jaillir de l’imagination du Padouan tout un monde nouveau, où le soudan de Perse et sa femme, le roi Malcuidant et son neveu Pélias, sont des personnages conventionnels peu intéressants, mais où le jeune Sanson et sa sœur Dionés (rivale éphémère de la belle Aude) sont peints sous d’agréables couleurs.


V


LA DATE


Dans son mémoire sur l’Entrée d’Espagne, Léon Gautier, s’appuyant sur des considérations générales, a attribué la composition de notre poème au xive siècle[84]. Plus tard, dans la deuxième édition de ses Épopées françaises[85], il a précisé la date : pour lui, « l’Entrée en Espagne est une compilation des premières années du xive siècle », et la continuation, désignée sous le nom de Prise de Pampelune, « appartient au premier quart du xive siècle[86] ». Bien que Léon Gautier n’indique pas formellement la raison qui lui fait ainsi dater la Prise de Pampelune, il me paraît évident qu’il s’appuie sur une intéressante remarque faite par M. Pio Rajna au sujet du poème de Nicolas de Vérone.

M. Pio Rajna a étudié avec sa perspicacité ordinaire le Liber de generatione aliquorum civium urbis Paduae de Giovanni de Nono[87].Dans cet opuscule, composé entre 1325 et 1328, il est question, à propos de la famille « de Runchis Campanilium », du concours prêté par le roi Desirier (ou Didier) à Charlemagne, pour la conquête de l’Espagne et de la prise de Pampelune. Voici les propres termes du chroniqueur généalogiste :

Hii domini coram quocumque imperatore possunt suum ensem cinctum portare, causa regis Dysirerii, qui civitatem Pampelune, magno imperatore Karulo Francorum rege septem annis obsessam, in prima die qua ad illius pervenit exercitum, cepit cum Antonio Paduano et auxilio regis. Et tunc rex Karulus concessit ei et omnibus de domo sua ut coram quocumque imperatore possint ensem cinctum portare et quod quilibet Ytalicus cujuscumque condicionis, dum liber sit, possit ornari militia.

Ces lignes se réfèrent manifestement à un récit dont le début se trouvait dans la partie perdue de la continuation de l’Entrée d’Espagne par Nicolas de Vérone et dont la partie conservée nous fournit la suite :

« Sire, dist Dexirier, quand vetre cors se plie
« A fer moi tant d’onour, je ne le refu mie.
« Le don que je vous quier, oiant la baronie,
« Est que frans soient sempre tous ceus de Lombardie :
« Chi en comprast aucun, tantost perde la vie ;
« E che cescun Lombard, bien ch’il n’ait gentilie
« Che remise li soit de sa ancesorie,
« Puise etre civaler, s’il a pur manantie
« Qu’il puise mantenir à honour civalerie ;
« E si veul che cescun Lombard sens vilenie
« Puise sempre portier çainte la spee forbie
« Davant les empereres... »
Quand l’emperer l’oï, si dist con ciere lie :
« Sire roi Dexirier, qui que s’en plaigne ou rie,
« Tot cist don vos otroi...[88] »

M. Pio Rajna a conclu de ce rapprochement que la continuation de l’Entrée d’Espagne, ayant été connue de Giovanni de Nono, doit être antérieure à 1328. On s’étonne, il est vrai, que le personnage d’Antoine de Padoue, que cet auteur donne comme compagnon au roi Didier, ne figure pas au nombre des guerriers italiens que Nicolas de Vérone a groupés autour du roi lombard :

Bertram le Jenoois e Ranbert e Riçart,
Rainer e Aimeri, Floran, Fouche e Guiçart,
Bovon, Garnier e Gui e Baud e dom Aichart,
Aoberis e Johans, ond nul ni estoit coart[89].

Quelle que soit la cause de cette discordance[90], le rapport signalé par M. Pio Rajna me paraît incontestable. Toutefois nous possédons aujourd’hui sur l’activité littéraire de Nicolas de Vérone un témoignage chronologique assuré qui rend assez peu vraisemblable qu’il ait continué l’Entrée d’Espagne avant 1328. Il est, en effet, l’auteur d’une Pharsale française en laisses monorimes, dédiée à Nicolas Ier d’Este et datée formellement de 1333[91]. Et dans la continuation de l’Entrée d’Espagne, il se trouve une allusion très explicite à un épisode de la lutte entre, César et Pompée :

Onques meis Cesaron ne fu en tiel esfrois
Ao Duras, quand Pompiu li venqui siens belfrois
E ch’il se vit cazier dou camp à grand esplois,
Com fu Zarlle quand vit sa gient à tiel despois[92].

Il semble y avoir là une raison sérieuse, sinon inéluctable, de placer la continuation de l’Entrée d’Espagne, après 1343, date de la Pharsale. Cette continuation, d’ailleurs, n’est pas achevée : il est manifeste, comme l’a bien vu Mussafia[93], que les derniers vers terminent une tirade, mais non le récit de la prise d’Astorga.

L’absence, dans l’inventaire de la bibliothèque de Francesco Gonzaga, de tout manuscrit fournissant la suite de ce récit autorise à penser que cette suite ne s’est pas perdue, mais n’a jamais été écrite. C’est le même cas que pour l’Entrée d’Espagne proprement dite ; le Véronais a continué le Padouan, mais il n’a pas trouvé lui-même de continuateur, au moins en langue française. Est-ce par lassitude qu’il s’est arrêté, et la composition de la Pharsale et de la Passion (œuvre non datée expressément, mais qui appartient à la fin de sa carrière[94]) a-t-elle été pour lui une manière de délassement ? Il serait pourtant plus naturel de considérer la continuation de l’Entrée d’Espagne comme son dernier ouvrage et de supposer que c’est la mort qui lui a fait tomber la plume des mains. Notons d’ailleurs que nous manquons également de documents sur la date de la mort de Nicolas de Vérone[95] et sur le nombre d’années qui s’est écoulé entre le moment où le Padouan s’est tu et celui où le Véronais a pris la parole à sa place. Enfin, si la date de 1325-1328, assignée par M. Pio Rajna au Liber de generatione de Giovanni de Nono, paraît bien certaine, il n’est pas impossible que l’allusion au siège de Pampelune soit due à une interpolation postérieure[96]. J’avoue que j’inclinerais à faire descendre jusque vers 1350 la continuation de l’Entrée d’Espagne plutôt qu’à la faire remonter avant 1328 ; mais, dans l’état de la question, il me paraît impossible d’avoir, à ce sujet, une opinion solidement assise.

Ce qui est tout à fait certain, c’est que l’Entrée d’Espagne du Padouan a été composée avant le milieu du xive siècle. Rien ne s’oppose à ce qu’on la fasse remonter aux premières années de ce siècle, comme le veut Léon Gautier ; mais il va de soi qu’il n’existe pas plus de raisons de s’arrêter aux premières années du xive siècle que de remonter aux dernières années du xiiie. Si notre terminus ad quem n’a pas toute la précision désirable, nous n’avons aucun terminus a quo : en effet, la compilation poétique contenue dans le ms. XIII de Venise[97], œuvre dont l’antériorité par rapport à l’Entrée d’Espagne ne fait doute aux yeux de personne, ne saurait être rigoureusement datée, et l’étude de la langue du Padouan ne peut nous fournir que d’assez vagues données chronologiques.


VI


LE SUCCÈS


§ 1. — Période franco-italienne.


L’Entrée d’Espagne n’a pas été connue en France ; elle est restée absolument étrangère à l’évolution de la matière épique dans notre pays aux xive et xve siècles. Composée dans l’Italie du Nord, elle ne s’est répandue, sous sa forme originale, que dans la région qui l’a vue naître. La bibliothèque de Francesco Gonzaga en contenait deux exemplaires où l’œuvre du Padouan n’avait pas reçu la continuation de Nicolas de Vérone : l’un des deux (n° 57) s’est perdu ; l’autre nous est parvenu déjà augmenté du début de la continuation (n° 53). Quel sort aurait eu l’œuvre sans cette continuation ? On ne saurait le dire. Mais il est évident que cette continuation n’a pu qu’être favorable à son expansion et a dû lui donner une nouvelle vitalité. Nous avons déjà dit que la bibliothèque de Francesco Gonzaga possédait un exemplaire en quatre volumes, où l’œuvre de Nicolas de Vérone faisait suite à celle du Padouan (nos 56, 55, 54, 58).

C’est de cet exemplaire, ou d’un exemplaire analogue, que découlent les imitations en langue italienne dont nous aurons bientôt à parler, et dont le récit s’étend bien au delà des limites que s’était imposées le Padouan, puisqu’il va jusqu’à la fin de la Chanson de Roland et de ses remaniements. Sous cette nouvelle forme, ce n’est plus une « Entrée d’Espagne », mais une « Espagne » qui prend rang dans la littérature chevaleresque de l’Italie ; mais il a dû s’écouler un certain temps avant que les littérateurs italiens aient pris à tâche de souder l’Entrée d’Espagne à la Chanson de Roland.

Une découverte imprévue, qu’il m’a été donné de faire à Rome en 1881, a jeté un jour nouveau sur l’évolution de la matière épique dans le nord de l’Italie à la fin du xive siècle : le roman carolingien d’Aquilon de Bavière, écrit en prose française, de 1379 à 1407, par un auteur véronais, Raphaël Marmora, prolonge d’un demi-siècle environ la carrière de la littérature franco-italienne, qu’on était généralement porté à arrêter aux alentours de 1350. Il n’y a pas lieu de répéter ici ce que j’ai dit ailleurs de cette œuvre singulière, enfouie aujourd’hui comme alors dans un unique manuscrit, l’Urbinas 381 de la Bibliothèque du Vatican[98]. Je veux seulement fournir la preuve que Marmora a connu la substance de l’Entrée d’Espagne sous sa forme originale, c’est-à-dire avant qu’elle ait pris un corps nouveau sous la plume des conteurs en vers et en prose qui en ont enrichi la langue italienne. L’auteur d’Aquilon de Bavière a inventé de toutes pièces la longue fable de son récit, tout en se donnant, comme notre Padouan et avec plus d’impudence encore, pour un simple traducteur de ce que « li arcivescheve Trepin mist in cronice por lettres[99] ». Il a situé chronologiquement son récit entre la guerre de Charlemagne contre Girard de Vienne et le début de l’expédition d’Espagne : ce n’est donc que par allusions et par échappées sur l’avenir qu’il est amené à parler des récits qui forment la trame de l’Entrée d’Espagne, tels qu’ils étaient sortis de l’imagination du Padouan et de son continuateur Nicolas de Vérone. L’Entrée d’Espagne, c’est pour lui « li contes de la Spagne[100] », ou, avec plus de netteté et de précision, « la Conquixe de Spagne[101] ». C’est de ce poème qu’il a tiré ce qu’il dit en passant du combat de Roland et de Ferragu[102], des exploits de Roland à la cour de Perse et à Jérusalem[103], de la vaillance de Guron pendant la guerre d’Espagne[104], de la loyale conversion du jeune « Ixorés, fil a li rois Malzeris de Pampelune[105] ». Que son information provienne du texte français et non des versions italiennes dont nous allons bientôt parler, c’est ce que prouve le parfait accord du roman d’Aquilon de Bavière avec l’Entrée d’Espagne sur différents détails que les versions italiennes ont arbitrairement altérés : Roland commande à une troupe de 20.000 hommes et non de 20.600 ou 20.666 ; les deux frères qui vont à sa recherche en Orient appartiennent à la famille de Blois et non à celle de Brava (c’est-à-dire Blaye) comme dans la Spagna en vers, à celle de Floriville comme dans le Viaggio, à celle de Roussillon comme dans la Spagna en prose, etc. Ces indications suffisent, Aquilon de Bavière étant une œuvre insipide qui ne pouvait guère avoir d’influence sur l’évolution du roman chevaleresque[106].

En revanche, il nous faut accorder une attention plus soutenue aux trois formes distinctes qu’a prises la matière de notre poème dans la littérature italienne proprement dite, où elle constitue la première partie des récits désignés sous le nom de Spagna : la Spagna en vers, la Spagna en prose, et le Viaggio di Carlo Magni in Ispagna. Le lecteur voudra bien nous concéder le droit de nous restreindre, dans l’examen auquel nous allons procéder, à la partie de l’Entrée d’Espagne que nous éditons, c’est-à-dire à l’œuvre du Padouan.


§ 2. — Période italienne.


A. — La spagna en vers.


La Spagna en vers a été imprimée pour la première fois à Bologne, en 1487, et a eu depuis d’assez nombreuses éditions. Elle a été souvent analysée et appréciée, mais on n’en possède pas encore d’édition critique[107].Le mémoire de M. Pio Rajna intitulé La Rotta di Roncisvalle nella letteratura cavalleresca italiana[108] renferme sur cet ancien poème de précieuses indications dont nous ferons notre profit.

L’auteur est inconnu : l’attribution à Sostegno di Zanobi, longtemps admise, est sans autorité sérieuse. L’œuvre émane d’un poète populaire appartenant à la Toscane ; elle semble avoir été composée entre 1350 et 1380[109]. Des trois manuscrits étudiés par M. Pio Rajna, le manuscrit de la Laurenziana (XC inf., 39) est celui qui reproduit le plus fidèlement le poème tel qu’il est sorti de la plume de l’auteur[110] ; les deux autres (Riccardiana 2829 et Bibl. de Ferrare) offrent un texte remanié, surtout pour la partie du récit qui fait suite à l’Entrée d’Espagne. La Bibliothèque nationale possède deux autres manuscrits, que j’ai décrits en 1885 et d’après lesquels j’ai publié le texte du premier chant[111]. De ces deux manuscrits, l’un (ital. 567) est de la même famille que le laurentien[112], l’autre (ital. 395) de la même famille que le riccardien. C’est le ms. ital. 567 qui forme la base de la comparaison que je vais établir entre l’Entrée d’Espagne du Padouan et la première moitié de la Spagna[113].

Dans ses grandes lignes, l’affabulation est la même : Charlemagne tient un conseil où l’expédition d’Espagne est décidée ; Roland va à Rome chercher les soldats de l’Église ; pris de peur, Marsile envoie un ambassadeur à Charlemagne, après avoir eu recours à la divination par l’eau (chant 1) ; Ferragu (Ferraú) occupe Nájera (Laçera) avec 10.000 hommes, fait prisonnier les principaux barons français, et se mesure enfin avec Roland qui le tue après un duel de trois jours (ch. 2-5) ; une fois maître de Nájera, Charlemagne va camper sous les murs de Pampelune, défendue par Malgeris (Maçarigi) et son fils Isoré (Isolieri) (ch. 6-8) ; les Allemands veulent déserter et sont cruellement punis ; pardonnés, ils collaborent la confection d’une machine de siège (ch. 9-10) ; la machine est brûlée par les assiégeants et, dans la mêlée qui s’ensuit, Astolfo et Isolieri sont faits prisonniers et échangés l’un contre l’autre (ch. 11-12) ; Roland s’empare de Noble (Nobile) et revient au camp affronter la colère de Charlemagne, qui le frappe au visage (ch. 12-14) ; il quitte secrètement le camp, erre à l’aventure, trouve une fontaine merveilleuse, puis des mariniers qui l’emmènent à La Mecque (ch. 14-15) ; entré au service du soudan de Perse, il tue le neveu du roi Malcuidant (Marchidante) et se fait nommer capitaine général (ch. 15-17). Ici s’ouvre la grande lacune du manuscrit de l’Entrée d’Espagne, si bien que nous manquons de base pour la comparaison du récit de la Spagna (fin du chant 17, chants 18 et 19, début du chant 20) avec celui du Padouan. À la fin du chant 20, Roland quitte l’Orient avec trois compagnons et est jeté par la tempête sur la côte d’Espagne ; après plusieurs miracles, l’un de ses compagnons est tué par un géant, et Roland abandonne momentanément Hugues et Sansonet pour se rendre à un ermitage qu’il aperçoit sur une colline. L’ermite le reçoit, après l’avoir éprouvé, lui fait part de la nourriture qui lui est apportée miraculeusement et des révélations que lui fait un ange à son sujet, se confesse, meurt et est enterré par lui ; Roland rejoint alors ses compagnons, et ils ne tardent pas à arriver en vue du camp de Pampelune, où leur présence est signalée par un fauconnier (ch. 21).

Tout en se renfermant dans le cadre tracé par l’auteur de l’Entrée d’Espagne, le poète toscan ne s’est pas astreint à une imitation servile des détails : il modifie, abrège et interpole au gré de sa fantaisie. Notons tout de suite qu’il est loin d’avoir l’esprit religieux de son modèle, et qu’il déboute saint Jacques de tout rôle dans l’expédition d’Espagne : si Charlemagne se décide à franchir les Pyrénées, c’est uniquement pour tenir la promesse qu’il a faite de placer la couronne d’Espagne sur la tête de son neveu. Les questions héraldiques le préoccupent plus encore que le Padouan : dans le chant 2, il blasonne sans se lasser les écus des principaux barons français qui entourent l’empereur. Il met en scène des personnages nouveaux : telle la mère de Ferragu, véritable Furie qui veille jalousement sur son fils et se réjouit sauvagement la pensée qu’elle pourra dépecer de ses propres mains le cadavre de Roland et lui manger le cœur (ch. 2-6) ; tels ces deux ambassadeurs français, Anselmo, comte de Flandre, et Alorino, envoyés par Charlemagne à Saragosse après la prise de Nájera, que Marsile fait tuer et dont les cadavres sont pendus au balcon de son palais (ch. 7). Il modifie sans scrupule, et contre toute vraisemblance, le caractère de Ferragu à ses derniers moments : le géant demande le baptême, que Roland lui confère avec de l’eau qu’il va puiser dans son heaume, et il lui conseille de revêtir sa propre armure, quand il aura rendu le dernier soupir, afin de tromper sa mère et de la tuer plus sûrement (ch. 5). Le poète raconte sérieusement que l’armée de Charlemagne resta sept ans sous les murs de Pampelune, cherchant à prendre la ville par la famine, avant d’en tenter l’assaut (ch. 9). Il laisse de côté toute une série de combats entre chrétiens et païens autour de Pampelune, et réduit à la plus simple expression les longs détails donnés par le Padouan sur la prise de Noble et le rôle de Bernard de Meaux : ce dernier est en partie remplacé par un « valletto » sans relief, et c’est l’un des pairs, Sanson de Picardie, qui est tué à sa place par la chute d’un bloc de pierre du palais de Noble (ch. 13). Les personnages secondaires sont souvent débaptisés ou perdent tout nom propre : le neveu de Ganelon à qui Charlemagne confie la régence devient Maccario (ch. 2), Gautier d’Orlin, un baron anonyme (ch. 12), le duc Herbert, chef des Allemands mutinés, Guglielmo di Cologna (ch. 9-10), le neveu du roi Malcuidant, Pélias, l’Amostante (ch. 16), Hugues de Blois, Ugone di Brava (ch. 18), le « convers » Aquilant, Pepagi (ch. 18-21) ; Dionès, fille du soudan de Perse, et l’ermite Sanson restent anonymes. Bien d’autres différences de détail pourraient être relevées, mais il n’importe. Le rôle de Roland, noblement humanisé par le Padouan, perd souvent de son prestige sous la plume du poète toscan qui cherche à divertir son auditoire populaire en peignant un héros qui prête à rire à l’occasion. Tandis que le Padouan fait un titre de gloire à son Roland d’avoir introduit les bonnes manières dans les festins, le Toscan ne craint pas de présenter le sien comme un condottiere famélique qui évoque, chez le lecteur moderne, le souvenir de Gargantua :

Tanto mangiò che fe’ maravigliare
Quanti pagani n’avieno il pensieri,
Tutti dicendo : « Maccone, che’l mondo guidi,
« Cosi mangiare mai niuno non vidi !
« Se fosse in arme tanto presto e dotto

« Quanto a mangiare par ch’abbia potere,
« E’ metterebbe Carlo Mano al disotto. »
(Ch. 15.)

Mangiava il conte per riempier suo casso
Come un villano sança alcun costume ;
Di bere e di mangiare fa tal fracasso
Che parea la sua gola pure un fiume ;
A più vivande havea dato lo scasso :
Ancor per fame non vedea lume.
(Ch. 16.)


B. — La spagna en prose.


Ce texte est inédit. On a cru pendant longtemps qu’un seul manuscrit en existait, celui de la collection Albani, engloutie dans un naufrage. H. Michelant a publié, en 1871, les rubriques que portaient les chapitres dans ce manuscrit[114]. Heureusement, M. Pio Rajna a découvert, à la Laurenziana de Florence (Medic. Palat., CI), un second manuscrit dont il a donné quelques extraits[115] : j’ai sous les yeux la copie textuelle des quatre premiers chapitres et une analyse développée, due au même savant, qui ont été mises à ma disposition par A. Mussafia. L’auteur ne s’est pas fait connaître ; certains détails prouvent qu’il était Toscan, mais il est difficile de fixer avec précision la date à laquelle il a rédigé sa compilation. En tout cas, M.Pio Rajna a démontré lumineusement que la rédaction en est postérieure à celle de la Spagna en vers : en effet l’auteur critique souvent le récit du poème italien auquel il se plaît à opposer celui du Turpino francioso, et il n’est pas douteux que sous ce nom il ait précisément en vue notre Entrée d’Espagne. Mais M. Pio Rajna a fait voir en même temps que les dires de la Spagna en prose sont sujets à caution, et que l’auteur s’est parfois laissé influencer par la Spagna en vers tout en prétendant, d’une façon générale, rester fidèle à l’Entrée d’Espagne[116]. Il y a plus : certains détails ne proviennent ni de l’une ni de l’autre de ces deux sources, mais sont dus à sa seule imagination, et au désir de charger de traits nouveaux les tableaux tracés par ses devanciers. Citons quelques exemples. Après avoir mentionné la triple apparition de saint Jacques à Charlemagne, l’auteur assure que Charlemagne laisse écouler six années, pendant lesquelles il réunit peu à peu un immense trésor de guerre, avant de se décider à entreprendre l’expédition d’Espagne (chap. 4 du ms. Albani).

L’avant-garde de l’armée de Charlemagne, commandée par Salomon de Bretagne, arrive en vue de Nájera (Lazera), laissant en arrière l’empereur et son neveu, et inflige un échec aux troupes de Ferragu (chap. 13) : ni l’Entrée d’Espagne ni la Spagna en vers ne connaissent cet épisode.

Après avoir fait Astolfo prisonnier, Ferragu regagne son palais, se désarme et fait amener devant lui tous les paladins qu’il a en son pouvoir ; puis il les renvoie, en prison, gardant seulement Astolfo pour s’entretenir avec lui. Sur sa demande, Astolfo lui nomme les bannières de l’armée française et lui fait voir Roland : à cette vue, Ferragu ne peut se contenir ; il demande ses armes, les revêt de nouveau, sort de la ville et envoie un écuyer défier Roland et lui dire que, s’il n’accepte pas le combat, il fera pendre tous les prisonniers (chap. 14-15). Dans l’Entrée, tout se passe plus simplement : c’est sur le champ de bataille même, avant de l’envoyer à la prison de Nájera, que Ferragu s’entretient avec Estout, et Roland n’a pas besoin que le païen lui envoie une sommation pour se mesurer avec lui (tir. 69 et ss.).

Dans la première journée du fameux duel, Ferragu, ayant tué le cheval de Roland, descend du sien pour combattre à pied, et Roland admire en lui-même « la gran gentilezza » de son ennemi ; presque aussitôt le païen le terrasse d’un coup terrible, et, le croyant mort, le charge sur ses épaules pour l’emportera Nájera (chap. 23). Ferragu n’a pas la même « gentilezza » dans l’Entrée d’Espagne : il abat de sa massue et le cheval, qu’il tue, et le cavalier, qui s’évanouit ; puis, sans mettre pied à terre, il charge en travers de sa selle son adversaire inanimé (tir. 78).

L’auteur de la Spagna en prose est pointilleux en ce qui touche les noms propres, jusqu’à faire la remarque suivante à propos du nom du fils du roi de Pampelune : « In lo libro de la Ispangnia iscritto in rima lo chiama Issolieri lo biondo ; ma nel libro francioso dice che egli aveva nome Issarres, ed io chosì lo chiamerò perchè sicondo che dice lo libro iscritto in franciosso iscrivo questa Istoria[117]. » Et pourtant il cède parfois au désir d’innover soit en altérant, soit en modifiant quelques noms : Gautier d’Orlin devient Gualtieri di Parigi (chap. 41) ; Bernard de Meaux, Bernardo lo Tapino (chap. 51) ; Dionès, fille du roi de Perse, Diana « benchè alquni la chiamino Dianesa » (chap. 70, fol. 110 r° du ms. de la Laurenziana) ; le duc Herbert, chef des Allemands déserteurs, est remplacé par Gualtieri della Magna (chap. 44) ; les deux frères qui vont en Orient à la recherche de Roland, et que l’auteur de l’Entrée d’Espagne nomme Hugues et Anseïs de Blois, sont présentés par la Spagna en prose comme étant les fils de « Gherardo da Rossiglione » (chap. 110) ; le premier Français qui, sorti du camp de Pampelune, reconnaît Roland, à son retour d’Orient, est, d’après l’Entrée, Rainier, sire de Nantes, et, d’après la Spagna en prose, Rinieri di Parigi (chap. 119[118]).

En somme, comme l’auteur de la Spagna en vers, l’auteur de la Spagna en prose en a pris assez à son aise vis-à-vis du « Turpino francioso » ; mais, dans l’ensemble, il faut reconnaître que son récit a un degré de fidélité notablement supérieur et a mieux conservé l’agencement et les proportions de l’Entrée d’Espagne.


C. — le viaggio di carlo magno in ispagna


Le Viaggio paraît être resté absolument inconnu jusqu’en 1871, date où M. Antonio Ceruti en a publié le texte d’après un manuscrit de l’Université de Pavie, le seul qui paraisse nous l’avoir conservé. La « lunga diceria » dont l’édition a fait précéder le Viaggio (pp. vii-lxvii) a à peine effleuré les questions que doit se poser la critique à son sujet, et l’éditeur a mis la critique en mauvaise posture par le sans-gêne avec lequel il a publié le manuscrit de Pavie[119]. M. Ceruti attribue ce manuscrit à un scribe milanais, mais il estime que l’auteur du Viaggio lui-même devait être toscan[120]. Je ne vois pas sur quoi il fonde son opinion en ce qui concerne la patrie de l’auteur, que je chercherais plutôt soit en Lombardie, soit dans la vallée inférieure du Pô, c’est-à-dire à proximité de la région où l’Entrée d’Espagne a été composée. Quant à la date, le terminus ad quem nous est fourni par le manuscrit, lequel, d’après M. Ceruti, a été exécuté au milieu du xve siècle[121] ; le terminus a quo est la date de la Spagna en vers, car (comme j’essaierai d’en fournir la preuve tout à l’heure) le Viaggio ne saurait être antérieur au poème italien.

Le Viaggio est divisé en 56 chapitres d’étendue inégale, dont les 39 premiers correspondent à l’Entrée d’Espagne du Padouan. Comme Léon Gautier l’a déjà remarqué, le début est une traduction pure et simple, si littérale que nous avons pu nous en servir quelquefois pour l’établissement de notre texte. Cette fidélité se poursuit pendant les 19 premiers chapitres. Au chap. 20, il y a une sorte de reprise du récit qui fait en partie double emploi avec ce qui précède, voire un détail qui constitue une contradiction flagrante : tandis que, dans le chap. 16, p. 29, Uggiere déclare n’avoir jamais vu Ferragu, nous lisons dans le chap. 20 (pp. 41 et 42) qu’il s’était déjà mesuré avec lui ; et bientôt l’on remarque que l’auteur du Viaggio ne se fait pas faute d’abréger et d’interpoler son modèle. Il introduit un personnage inconnu de l’Entrée d’Espagne, un certain Sinagon, qui assiste Ferragu, dont il est le gouverneur (qualifié nutricatore, p. 40 ; bailone, p. 47) ; les guerriers chrétiens qui se mesurent d’abord avec Ferragu ne sont pas exactement les mêmes, et on y voit figurer notamment « Riccardo, duca di Normandia », avec des détails de fantaisie sur ce personnage (p. 43) ; le caractère humoristique d’Astolfo est poussé à la charge, et l’auteur en fait une manière de bouffon ; qui divertit Ferragu, mais que le païen n’admet pas à sa table comme les autres pairs : « ma tutta ora mangiava Astolfo in terra davante alle tavole come giocolardo » (p. 63) ; Roland fait allusion à un épisode surnaturel de la légende d’Aspremont qui manque dans l’Entrée (pp. 76-77) ; comme dans la Spagna en vers, Ferragu demande le baptême à ses derniers moments et conseille à Roland de revêtir ses armes pour tromper et tuer plus facilement non sa mère, il est vrai, mais sa sœur (pp. 80-82). Ce dernier épisode me persuade que l’auteur de Viaggio a connu la Spagna en vers et l’a imitée en la démarquant légèrement. Entre la prise de possession de Nàjera et le siège de Pampelune, notre auteur place le siège d’un château qu’il ne nomme pas, devant lequel l’armée reste sept jours, et où Astolfo combat victorieusement contre un géant (pp. 83-84).

Je ne poursuivrai pas plus loin la comparaison détaillée du Viaggio et de l’Entrée : je noterai seulement que notre auteur abrège fréquemment, qu’il supprime complètement l’épisode des Allemands déserteurs, qu’il introduit volontiers des personnages nouveaux (notamment le père d’Astolfo, Ottone d’Inghilterra, pp. 57 et 102) et qu’il débaptise de temps en temps ceux qu’il emprunte à l’Entrée d’Espagne (par exemple, Alarise di Chiarmonte, qui réunit en lui les deux rôles d’Aimon de Paris et de Bernard de Meaux ; Bernardo di Monpesliere, qui remplace Gautier d’Orlin ; Durmione, roi de Noble, qui remplace Gilarus, etc., etc.). En somme, plus il avance, plus il devient indépendant de son modèle. Léon Gautier a déjà noté le fait, et il suffit de rappeler (pour que le lecteur soit édifié sur ce point) que vers la fin, l’auteur a imaginé d’utiliser la connaissance qu’il avait du Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem et de ses dérivés pour donner un rôle dans la bataille de Roncevaux à Galeant (Galien), fils d’Olivier[122].

Comme je l’ai dit, je crois le Viaggio postérieur à la Spagna en vers. Il me semble tout à fait indépendant de la Spagna en prose, mais il n’est pas facile de décider lequel des deux récits en prose est antérieur à l’autre. Un détail me porte cependant à croire que le Viaggio doit être plus récent que la Spagna en prose. Dans l’Entrée d’Espagne, Roland commande à 20.000 chevaliers fournis par le pape ; la Spagna en vers porte le chiffre à 20.600 et la Spagna en prose suit le poème : dans le Viaggio (p. 16 et passim), il s’agit toujours de 20.666. Si je ne me trompe, il y a là un raffinement pédantesque d’exactitude qui trahit une assez basse époque.

L’existence des trois versions italiennes que je viens de passer rapidement en revue, toutes trois complètes, fait naître l’espoir que leur comparaison pourrait nous offrir un moyen assuré de combler la lacune de notre manuscrit unique de l’Entrée d’Espagne, entre le moment où Roland, vainqueur de Pélias et bailli de Perse, va repousser le retour offensif du roi Malcuidant et celui où Anseïs de Blois épouse la belle Dionès et est fait roi de Jérusalem[123]. Il n’en est rien malheureusement. D’accord sur quelques faits essentiels, nos trois récits diffèrent profondément dans les détails. Or, aucun des trois auteurs ne peut revendiquer à son profit exclusif un brevet de fidélité absolue vis-à-vis du texte dont nous déplorons la perte. Tout au plus est-il permis d’incliner vers la Spagna en prose en tenant compte d’un détail. Les trois récits sont d’accord sur le fait que Roland emmène avec lui, à son retour d’Orient, un « convers » qui périt en Espagne avant d’arriver en vue du camp de Charlemagne devant Pampelune : dans la Spagna en vers, ce « convers » s’appelle Pepagi[124] et est fils de Marchidante ; dans le Viaggio, il porte le nom de Liadrax (t. II, pp. 10 et ss.), et il est aussi fils de « Machidante » ; dans la Spagna en prose, il s’appelle Aquilante et il est frère de « Piliagi » et de « Polinoro », c’est-à-dire neveu, et non fils, de « Machidante » ; or, dans la dernière partie de l’Entrée d’Espagne, le « convers » nous apparaît effectivement sous le nom d’Aquilant, encore que la lacune de notre manuscrit nous laisse ignorer son degré de parenté avec le roi Malcuidant.

Mais il serait hasardeux de conclure absolument du fait que l’auteur de la Spagna en prose a respecté ce nom à sa fidélité absolue à la trame de tout le récit imaginé par l’auteur de l’Entrée d’Espagne. Dans l’évolution de la matière épique française à travers l’imagination féconde des auteurs italiens, il y a trop d’éléments impondérables pour que la critique ne soit pas mise en défaut. Il est sage de se résoudre à ignorer quand on manque de documents pour asseoir solidement une opinion.


VII
LA LANGUE

Le nombre des Italiens qui ont écrit en français, au moyen-âge, est relativement considérable[125], et les raisons qui les ont portés à préférer notre langue à leur idiome propre sont diverses. Bien qu’il ne soit pas absolument impossible de retrouver quelques traits généraux communs aux différents textes français de provenance italienne qui sont arrivés jusqu’à nous, on peut cependant affirmer, que chacun de ces textes a une physionomie propre et n’offre pas exactement les mêmes caractères linguistiques que le texte voisin. Et cela se comprend. Selon le degré de culture française que possède chaque auteur, il écrit plus ou moins correctement, il échappe plus ou moins à l’influence de sa langue maternelle.

Comment le Padouan à qui nous devons, l’Entrée d’Espagne s’est-il initié à la connaissance de notre langue ? Nul ne le sait. Mais il est probable que la lecture de nos chansons de geste a été un facteur important de sa culture française. Il a pu avoir sous les yeux et des manuscrits exécutés en France et des manuscrits exécutés en Italie, ces derniers déjà plus ou moins infectés d’italianismes. Dans un cas comme dans l’autre, le français qu’il avait sous les yeux ne pouvait être qu’une langue composite, car les scribes, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, respectent rarement leurs modèles, et y laissent, en les transcrivant, bien des particularités de leur idiome ou de leur graphie propres. D’autre part, l’unique manuscrit conservé de l’Entrée d’Espagne émane, comme il a été dit[126], de scribes différents. Dans ces conditions, il est très difficile de dégager sûrement la forme linguistique que l’auteur a entendu donner à son œuvre de celle sous laquelle elle nous est parvenue. Tenter une restitution critique est à peu près impossible : la seule base sur laquelle s’appuient d’ordinaire les éditeurs d’anciens poèmes français qui se flattent de reconstituer le texte primitif, à savoir l’étude des rimes, nous fait défaut dans l’espèce, car c’est précisément en vue d’obtenir la rime que notre auteur se laisse aller aux licences phonétiques les moins justifiables.

C’est pourquoi nous nous proposons simplement de relever dans le manuscrit de Venise certains faits graphiques ou linguistiques qui nous ont paru curieux soit par leur rapport, soit par leur contraste avec ceux qu’on observe ordinairement dans les manuscrits exécutés en France de chansons de geste composées par les auteurs français. Cette tâche modeste ne sera pas sans utilité pour le lecteur de l’Entrée d’Espagne ; il est même permis de penser qu’elle contribuera à jeter quelques rayons sur la langue propre de l’auteur, en attendant que la découverte de quelque autre manuscrit permette de faire plus de lumière sur ce sujet que l’état de notre information laisse encore plongé dans une trop profonde

obscurité.
PHONÉTIQUE[127]
VOYELLES TONIQUES
A

En syllabe ouverte, l’a est parfois conservé, comme en italien : par (lat. par) 5604 ; par, part (lat. paret), 68, 3245 ; sa (lat. sapit) 11496 ; sas (lat. sapis) 1659 ; sas (lat. satis) 10440.

L’auteur ne se rend pas compte de la loi qui détermine en français l’alternance des sons é et - (influence d’un élément palatal) : aider 23, aidee 54, areisné 1052, chalonçee 41, comencee 46, conseillé 1069, corocés 135, moitez 111, etc., d’une part ; alier 301, bier, estier 293, clief 4418, clier 4034, confessié 15114, demostriés 15308, pier 365, trief 798 etc., de l’autre. Même quand la diphtongue est légitime, l’auteur la fait rimer avec é pur : aprochier 2601, chalongier 327, mangier 2633, noisier 2621, saciés 135, uchier 2504. La désinence -ee, soustraite à l’influence palatale, est assez fréquemment transformée en -ie[128] : agrie 4888, ancontrie 11934, blie 14659, cellie 13300, cercelie 851, contrie 13296, creantie 83, dorie 8497, endurie 3994, ensenglentie 1853, esgardie 8510, espie1210, estrouie 12874, fondie 2144, lie 846, Pantasilie 8499, pensie 5790, randonie 4681, serie 12334, etc.

La graphie dialectale ei est particulièrement fréquente pour qeil et teil ; on la trouve aussi dans quelques autres mots (aleir 685, armeis 4979, bontei 5547, citei 5363, cleire 15298, leveirent 7884, etc.), même après un élément palatal (ceir 428, cheit 1229). Devant les groupes latins tr, dr, on trouve parfois, mais seulement à la rime, le traitement provençal ai : tir. lii, maire, enperaire ; tir. cxliv, pecaire, quaire, rementaire, emperaire, maire, tir. ccxi, maire, emperaire, pecaire ; tir. ccclxii, paire[129] ; tir. cccxxxvi, quaire, etc. C’est par l’analogie, probablement, qu’il faut expliquer rait (tir. lix et cxxvii), d’après l’infinitif provençal raire.

Devant les nasales, sans palatalisation, il y a flottement entre les formes françaises normales (avec ai ou ei) et les formes italiennes et latines (avec a non diphtongué) : les tirades en -an (lx, xcvi, etc.) et -ans (xviii, clxxvii, etc.) abondent, et si toutes les tirades féminines sont en -aine (xx, ccxxv, etc.), on peut noter mainte forme isolée comme ame 1031, 5026, clame 1035, clament 5449, humane 533, rame 4959, sane 3199, vane 4509 ; cf. fam 7935, remant 3694, 3723, 4589, etc., et la réduction de -ain à -en dans escriven 8633, mens 8470, villens 10916. Après un élément palatal, la bigarrure est encore plus marquée, car on trouve non seulement -ien et -ian, -iane et -iaine, chan 3232, à côté de chien 5192, mais des formes contractées comme Orlins 5842, Païn 887, Païne 3409, etc.[130].

En syllabe fermée, le fait le plus saillant est le remplacement fréquent de l’a par ai devant s, dont les sept tirades en -ais (xlvi, cxliii, ccxxxv, cclxx, cccxxii, ccclxxiv, cccclxix) offrent de nombreux exemples, auxquels on peut ajouter aispre 12943, gais 13092, et les imparfaits du subjonctif comme desfiais 967, lasaise 6446, quidaise 6443, trovaist 7740. Cet ai est même quelquefois réduit à un e simple : fés 15203, marestre 5279, trencescent 14511. La diphtongue se présente aussi quelquefois ailleurs, surtout devant les nasales et les liquides : ahaine 5353, aimbes 5329, avaint 9166, baire 10056, daine 8766, Flaindre 8698, Frains 9759, mainçe 2397, naire 10055, Navaire 469 (et Navere 386), paille 4185, saing 8614, spaine 4847. En revanche, la diphtongue française normale ai, quelle que soit son origine, perd souvent son second élément[131] : Biauvas 10442, complandre 2970, eslas 1668, fa 2057, fas 10443, lasse 9433, malvas 1653, mant 1871, mas 10445, nastre 3754, palas 10449, pas 119, retrare 3241, sa 1112 var., sant 33, var 2206, veras 1634. La réduction est à peu près constante pour la 1re p. sg. ind. pr. du verbe avoir devant le pron. je, d’où elle passe naturellement au futur : a je 529, fera je 1406.

Plus rarement, ai passe à oi : deloie 4980, feroie 12007, irois 6463, oit 4563, ploit 1611, voit 4340, etc. Il semble que sero je 6305 soit pour seroi je (= serai je), à moins qu’on n’y voie une immixtion du futur italien en ò.

En syllabe demi fermée, il n’y a à considérer que le suff. -arius sous sa forme populaire : il est indifféremment rendu par -ier et -er au masculin, -iere et -ere au féminin, et, à la rime, le poète l’associe (quelle que soit la forme adoptée) aux désinences qui proviennent d’un a latin non soumis à une influence palatale. C’est ainsi que dans la tirade xi, où dominent les infinitifs en -er, on trouva Baiver 286, primer 290, confaloner 295, gioner 298, Oger 310, soudoier 313, diner 320, Oliver 324, chevaler 325, et dans la tirade xxxvii, où dominent les représentants du suffixe -aria, écrits -ere et iere, on trouve clere 766, emperere 768, mere 780 et Asclere 784. À noter quelques formes avec la graphie ei, surtout au féminin : baneires 7514, cleveire 9289, legeir 10727, pleneire 6712, riveires 699 ; exceptionnellement, la contraction apparaît dans banire 9659.

Ě

En syllabe ouverte, à côté des formes régulièrement diphtonguées (arier 197, bien 1, mielz 832, piece 1980, piez 286, riens 135, tient 57, 90, vient 100), on trouve une infinité de cas où l’e subsiste intact : arere 1719, ben 96, brens 420, derere 787, ert 87, fer 30, fere 785, fert 2536, greu 2764, 7401, mel 6615, mels 421 (et meus, 6804), (= niés) 1064, perres 13039, pece 1820, sege 62, segle 758, vent 8784, etc. Parfois les éléments de la diphtongue sont intervertis : dereire 9256, eis 5096, leit 453 (cf. liet 518), mein 10517, neis 1055, reins 1253, seigles 12032, seize (= siège) 12859, teint 1054, veinent 4791. Parfois il y contraction en i, spécialement dans la 2e p. sg. ind. pr. du verbe estre, qui est is 969, 1379, 1663, etc. Autres exemples : live 2240, pires 9992 (et, à la rime, pir 1167), reliu 654, sige 12098, tint 2413, vin 8331, vinent 7301.

En syllabe fermée, il faut noter la grande variété qu’offre le suffixe -ellus : beaus 856, beus 387, bias 1116, biaus 1513, biax 243, biel 4477, çaelz 390 capius 9055, castels 8897, chamels 5233, estorniels 8551, penoncias 8705, pensonciaus 10118, quarius 9771, reveus 9925, seieus 444 etc. L’a épenthétique expulse parfois complètement l’e latin : de là des formes comme bidaus 9316, jovençaus 14829, quaraus 9311 (cf. aume 3318, maudre 11429), qui entraînent le poète à risquer çeremal 11031. Pour la forme féminine -ella, on s’étonne de trouver cerveile 1727 : il faut probablement voir là une faute de scribe pour cerviele, désinence wallonne analogue à biel et estorniel cités ci-dessus. L’e passe directement à a devant r dans desart 7863, 13264 (les deux fois à la rime).

Devant un élément palatal qui, en français propre, fait aboutir l’e latin à un i, on trouve parfois ei (eisent 2507, leit 7480), parfois e (esent 909, avec nasalisation ensent 8120).

Devant n, les graphies en et an se font concurrence, et le poète ne distingue pas, dans ses rimes, le son an remontant a + n de celui qui remonte à e + n. L’altération de an en ain n’est pas seulement le fait du scribe (arpaint 15784), puisque c’est à la rime que nous devons oufaindre 8697, raindre 8695 et serpaint 8711. Et c’est aussi en vue de la rime que le poète altère dent en din 2699.

En syllabe demi fermée, mĕdius est représenté non seulement par mi, comme en français propre, mais par 81, par mei 4841 et par mié 1024, 1033, 3168, etc. ; impĕrium donne enpier 1336 et enpir 6575 ; ministĕrium, mester 552 et mestier 398. Consuet 2730, 8144 etc., de *consĕquit, est une mauvaise graphie pour conseut 8888 : l’ĕ n’est pas diphtongué, et l’u est fourni par le latin.

Ē (Ǐ)

En syllabe ouverte, la diphtongaison en ei (primitive en français et conservée par les dialectes de l’Ouest) est assez fréquente, quelle qu’en soit la raison : aveir 7705, aveis 11271, aveit 6037, borgeis 9949, corteis 1503, defeis 9957, deit 6041, demaneis 9948, Espaneis 9947, feible 1536, 8266, Jeneveis 9958, meis 9960, paveis 10201, reis 7664, seit 6038, veit 8925. Mais oi l’emporte de beaucoup, comme il est naturel, encore que devant la nasale il lutte avec ei et surtout avec ai : amaine 5887, amoine 9058, araine 8731, avoine 9053, demaine 438, estroine 9063, Elaine 15237, enchaaine 6984, frain 2877, laine 5347, Madelaine 12814, Madeloine 9062, maine 5340, meins 10036, moinent 787, paine 2654, poine 101, etc.[132]. Il n’y a que quelques exemples de oe et ouie pour oi (avoer 2175, croer 4340, dissouie 12903, voloer 274, vouie 12913), mais il arrive assez souvent que la diphtongue se réduise, devant r et s, à un simple o : avor 11809, Blos 8667, covotos 8666, Danos 310, Franços 1600, Herupos 1600, Manssos 8682, savor 15713, seor 12132, veor 10893, volor 12410, vor 1430. À la rime, oi est remplacé trois fois par ou : Blous 5134, gabous 13023, Pampelonous 5135. Sous l’influence de l’ital. via, on trouve très fréquemment vie (pour voie) 80, 8368, 9337, 9840, etc. Une influence analogue explique l’absence de la diphtongaison dans creent 71, esper 11280, mens 8472, et, d’autre part, l’alternance des graphies en et an en français peut rendre raison de la substitution de an à en dans des formes non étymologiques comme alian 11606, eban 13596, fran 2258, 6539, 7817, etc., plan 2231, plans 402.

Cēra donne toujours cire (407 etc.), mais à côté de merci on trouve souvent mercé (2, 1808, etc.), et cēna a n’est représenté que par cene (14177) ou çaine (5892). À côté de la forme régulière marchis (336, 1227 etc.) on trouve une fois marcois 115, où le suffixe -ois a été introduit par analogie. Les formes verbales apercuet 8547, aperçuit 9489, duit 15180, percuet 9208, reçuit 4437 seront expliquées dans l’étude de la conjugaison.

En syllabe fermée, des formes diphtonguées apparaissent dans Ardaine 6989, 11449, Ardoine 9059, chevoiz 1745, cleires 4473, espois 8769, zavoil 13211, 13661. Devant la nasale, le passage de en à an (dans 409, dedanz 408, range 1496, sanble 914) entraîne l’emploi abusif de ain pour en dans comaince 7912, dainz 9477, dedainz 446. Devant un élément palatal résolu en i, on trouve indifféremment ai, ei, oi, a, i : çaint 2091, çandre 7576, cinte 6925, dreit 6039, ençointe 3855, estrindre 1135, vancre 2164, etc. Les formes verbales comme balie 8495, desplie 8396, drice 4439, 6313, etc., et les substantifs comme otri 13427, otrie 8504, torni 13427 sont amenés par l’analogie morphologique.

En syllabe demi fermée, c’est-à-dire devant l mouillé (quelle qu’en soit l’origine), on trouve pêle-mêle aparelle 67 (admis, avec mervelle, dans une tirade en l non mouillé), aparille 521, aparoile 354, consoil 139, consil 4425, cousaus 14814, mervelle 63, mervoille 1792, soulau 12608, etc.

Ī

L’ī est partout conservé sous forme d’i, excepté dans les représentants de prīnceps, où l’on trouve souvent un e : prence 6073, 12131, prences 12362, 14001, prençes 15458.

Ŏ

En syllabe ouverte, la diphtongaison régulière est fréquente sous les formes variées ue, oe, eu. Exceptionnellement, on trouve au, ei, oi, ou, uei, ui, uo, uoi : auvres 3215, boine 12739, 12943, etc., duol 5289, escoile 2270, estoit 1285, estueit 5612, 5866, estuit 12882, joune 5159, 5290, muit 9479, 15166, muçeil 3704, ouvre 12029, pluit 9486, 15178, rosignois 9560, suoir 6440. Parfois il n’y a pas trace de diphtongaison : avogle 3914, chavriol 13161, chevriol 5210, cor 218, dol 1743, iloc 58, 305, ovres 292, prove 6239 ; parfois, sous une influence labiale, elle se réduit à u : murent 12991, mut 1297, puble 5659 ; après v, l’u peut disparaître : velt 13702.

En syllabe fermée. Il faut citer quelques exemples de oi pour o : coilp 1364, galiois 9557, moit 15756, troi (trop) 11414, troit 15749. Il est probable que loing 8754, 13495, 13650, est dû à une confusion entre longus et longe, comme point 9769 entre pons et punctum. Trou, (trop), constant dans la Prise de Pampelune, est rare dans notre poème (417, 950). Quand l’ŏ se combine avec un i ou une palatale pour produire, en français normal, la diphtongue ui, nous trouvons parfois oi, ue, parfois réduction aux sons simples o ou u : ampués 45, aprosme 13311, depois 130, nuet 68, poisse 6431 etc., puese 2044, pus 934, puse 2045, pusent 312, etc.

En syllabe demi fermée, la combinaison de l’ŏ avec un un i ou un élément palatal donne lieu à des formes variées analogues : ancuei 5661 (encué 1070), anoi 11999, apoie 1298, apue 1802, enoie 2383, foile 10174, huei 6143 (oi 5302), moire 9225, poi 789, pué 735, puei 5238. Après v, la diphtongue peut se réduire à e : velle 316, yvere 8447.

Ō (Ŭ)

En syllabe ouverte, la diphtongaison en eu est relativement rare, bien que neveu soit très fréquent (1312, 2301, etc.) et qu’on trouve des formes isolées comme andeuz 1162, eur 405, feloneus 5152, honteus 11127, paüreus 2304, preu 6091, preus 5136, etc. Ce qui domine, c’est le maintien du son simple, noté le plus souvent par o (37 tirades en -or et 3 en -os ; cf. hore et ore 10609, 12333 etc.), plus rarement par ou (2 tirades en -ous ; cf. oure 10509). Devant s, on trouve de temps en temps oi pour o, surtout à la rime : angosoise 10633, espinoise 14492, gloriois 6830, 7967, 15801, orgolois (orguelois) 5971, 15795, pietois 15788, prois 8178, respoise 555, 15162. Rescuir 6110, 6361, rescuit 6266 dépendent d’influences morphologiques qui seront étudiées dans la conjugaison.

En syllabe fermée et demi fermée, la graphie par u est assez fréquente devant la nasale : c’est ainsi que dans les rimes de la tirade cccxiii, il y a 14 -unt contre 2 -ont ; cf. cuife 13067. L’i dégagé par un élément palatal est souvent négligé : angose 1731, conostre 6562 ; cros 1399, 8672, pont (lat. punctum) 166, pont (lat. pungit) 5069, ponte (lat. puncta) 11, 4120 etc., pos 8680, vos 8671. L’o passe à u dans cute 8387 (coite 8324) ; mais il est probable que conuit 7435 est dû à une réaction morphologique, ce qui est sûrement le cas pour rescuis 7925. L’i est aussi adventice dans trois (tronçon) 10184 et dans trestoit 834, 7124 (d’après le nomin. plur. trestuit). dans sorage (anc. franç. serorge) il y a intrusion du suffixe -age.

Ū

La diphtongue issue de la combinaison de l’ū avec un i ou un élément palatal est parfois écrite ue (cuet 10001, du lat. vulg. *cūgito pour cōgito), plus souvent réduite à u : celu 1030, 2295, cestu 3162, condur 7641, 8139, etc., frus 4240, hus 4234, 10013 (lat. vulg. *ūstium, pour ōstium[133], lu 1022, 3825, 3159 etc., tut 923 etc. (lat. vulg. *tūtti, pour toti). En revanche, dans cluit 5603, à côté de clut 13455 (lat. vulg. clūdit, pour claudit, ital. chiude) et puite 7630, il y a insertion d’un i.

DIPHTONGUES TONIQUES
AU

À côté du traitement normal (réduction à o), la diphtongue est maintenue, peut-être sous l’influence du provençal, dans quelques formes : auses 2620, ausent 2625, galaus 9310, repausent 7270. On trouve plus fréquemment la diphtongue affaiblie en ou : couse 4199, 5092, 10088, 10166, 10912, etc., lous 13016, ouse 12969, ousent 9302, 9700, paroulle 12205, peroule 12683, 12694, 12699, poubres 13835, repous 13010, roube 13602. Un i vient renforcer l’o dans d’autres cas : Anjoi 3037, cloi 12457, coise 9592, descloit 8606, enclois 11368, galois 11367, oi 3928, repois 96, 144, 4576, 7916, 8029, 8187, soir 5055. etc. ; en revanche on a un u dans repusent 14650, et oi se réduit à o dans nose 795. Les représentations du lat. paucum sont très variées : peu 14341, poé 2685, poi 19, 64, etc., poué 3585, pué 1162, etc., pui 8444.

EU

Leuga est représenté par leigue 11440, liege 14910, lieue 8857 et leue 9495.

VOYELLES ET DIPHTONGUES ATONES

Dans la syllabe finale, l’a latin est toujours rendu par e, sauf dans un nombre infime de cas où les scribes ont été entraînés par l’usage italien et ont mis un a. Voici le relevé complet de ces cas pour les 2000 premiers vers : carta 51 (corrigé en -e par une seconde main), una 62 (même remarque), barba 74, spea 92 (même remarque), parola 103, conqisa 129, remagna 262, nostra 309, milia 371, comança 382, comanda 1166, peça 1613, dona 1688, dreca 1711, barba 1758, dreca 1784, clama 1842.

Le démonstratif féminin ceste a une forme abrégée sta, qui s’oppose au masculin ste, et où le maintien de l’a s’explique comme dans l’article la et le possessif ma, ta, sa.

L’e final est parfois supprimé, surtout en vue de la rime : auror 7574, barch 7800, carte et zart 472, 13268, pir 1167, 6201. D’autres exemples seront cités dans l’étude de la conjugaison et de la syntaxe.

Les lois d’après lesquelles les voyelles autres que l’a tombent ou sont représentées par e sont souvent méconnues. De là deux séries de barbarismes : d’une part, des formes où l’e manque (ais 980, anperer 337, 345, cont 547, 1083, derier 710, frer 2062, heum 6353, hor 10136, legnaz 760, lichier 4043, nier 2040, mesais 994, minist 2429, per 7, 2040, prevoir 2989, quinz 14815, servis 660, etc.), de l’autre, des formes où l’e est ajouté (Anjoie 8813, cinque 4405, 9032, etc., clerge 440, 444, croises 4606, deloie 2395, pere 4595, recoie 6859, sange, 12010, sbanoie 4995, soldaine 12801, storme (et estorme) 13, 1058, 8475, etc. On trouvera d’autres exemples dans l’étude de la conjugaison.

L’ī est parfois maintenu, sous l’influence des formes italiennes correspondantes : nostri 4415, vinti 4539.

Dans les mots savants ou demi-savants, l’i en hiatus conserve souvent sa place au lieu de passer, comme en français normal, dans la syllabe précédente : aiutorie 3645, var., Blavie 204, contrarie 4530, estorie, istorie 46, 48, 2814, glorie 9202, luxurie 15040, orieflame 760, orieflor 3317, ostie 2985, etc. Il en est parfois de même dans des mots franchement populaires : brunie 3196, cofie, cufie 1966, 4941, glesie 11458, malvaisie 8788.

Un assez grand nombre de proparoxytons conservent les deux syllabes qui suivent la syllabe accentuée, mais ces deux syllabes ne comptent généralement que pour une dans la mesure du vers : aneme 54 var., 315, anime 292, autissime 2691 var., fortissime 9821 var., grandissime 5255 var., ingraititudine 13365, jovenes 9352, Naçare 4740, novissime 3098 var., santisime 71 (santissime 3009 var.), vergene 3505. Quand une seule de ces deux syllabes est écrite, c’est parfois la pénultième : carcer 1167, coubes 845, estorçer 6827, joven 4405, princeps 436, 451, termen 196, verjen 7244.

Avant l’accent tonique, les lois qui régissent la chute ou le maintien de la protonique non initiale en français propre sont assez fidèlement observées. Signalons cependant quelques e irréguliers : anbellil 871, fraisenor 1419, etc., frasenine 6958, jovedis 554, oferir 333 (cf. oferance 13196 ; oferande 8470, 10215, offerant 2), renderoie 6123, viverois 2249. Et surtout, un grand nombre de cas où l’a est maintenu au lieu de se changer en e (abitamant 199, apertamant 527, atardaront 548, comandament 186, esforçamant 606, fablaor 1571, orfanés 146, sagrament 30, saudarie 590, etc.), et quelques autres où l’i du suffixe -ationem disparaît (mostrasons 8382, semenason 257, venjason 270). Par contre, le mot latin savant senator est parfois francisé arbitrairement en senetor 4567.

D’une façon générale, dans les syllabes maintenues, le traitement que subit la voyelle atone rappelle celui de la tonique correspondante. Sans entrer dans le détail, il suffit de mentionner, sous chaque voyelle, les formes les plus hétéroclites.

A. — achaverais 969, achiver 11373, asele 3242, bellote 893, blaismez 3965, bleismer 15174, blesmast 2928, capirons 6558, chamin 11450, chaminer 301, cleveire 9289, daumaje 4955, daumaçer 7248, etc., Dainos 1191, etc. Denois 768, etc., Donois 1150, etc., escaintellee 2525, esembler 585, esoté 1553, estrologie 577, fasoit 8246, firai 120 (de faire), freïn (pour frarin) 914, irescu 2300, leri 797, leriz 9767, leron (pour larron) 11068, mainere 774 (et presque toujours), maitin 339, maselle 64, masnee 8324, nescus 3989, pasible 8084, perler 13311, perole 13467, plaera 228, ploisir 10315, raisor 5694, sevoir 558, etc., terin 10417, tremist 656, ubers (pour haubers) 2139, varon 10037.

E (ē, ĭ, ĕ). — amage 14920 (cf. emage 15633, enmaziner 4074), arcivesque 47, avoire (ivoire) 6520, benoïr 7944, 14378, bidel 7186, 8419, bistiale 9650, convota 4085, convoitise 9454, covotus 9932, crinel 7209, 10361, dimie 850, diners 105 etc., desmisuré 6792, disdisist 303, disdist 1076, domainder 11884 etc., domain 2835, domaine 6979 (cf. domené 1395), enbonil 4088 (cf. enboreil 4126 etc.), escrimir 1159, firir 10208 ; gineral 10227, in 261 etc., infern 13024, ingrés 15200 etc., inpaloïs 13926, pitit 196, intre 174, naüne 3991, nimi 7996, onist (hennit) 2151, painsés 13379 (cf. peinsé 13083), pitrinee 9898, prisant (présent) 6586, raimpli 7977, raïne (reine) 681, rapanti 3513, regritiez 10193, romant 6968 (cf. romenront 1109), scrinir 1168, sintiz 99, siroient 1122, songlue 8781, tinir 1342 (cf. tinant 1264), retindron 5677, continement 1673 etc., tintir 1158, vinist 10879 (cf. vinre 564), viaje 429, vinin 10416, vooir 5288, Vormendois 5957.

I. — rebaut 2468, rubaldie 3276, rubaut 11480.

O (ō, ŭ, ŏ). — bouçue 4816, burçel 5460, bislire 7047, coisin, coisine 8876, 9709 (cf. cusins 1452, quoisin 7026), conosance 8791 (cf. conosanz 162, conoscez 141), estoivront 4679, estuper 200, frosié 442, humage 7554, luitan 2615, 8144, luntan 2245, milsaudor 10738, oliofant 806 (cf. olinfant 12489), ondor 14734, oufrir 12414, plurer 11794, pustel 11425, saudarie 590, sillong 12678, super 11672, toiset 2507, troiter 8986, Uliver 5991.

U. — amonir 8212, argoment 14389, broisir 10021, bronis 5332, 12617 (cf. enbroniz 1872), cutois 6466, estrimant 8060, muisel 6121, plesur 2742, ploisor 1180 etc., poncelle 13644, 13676 etc. (cf. puncelle 12816, 13048 etc.), puitaines 4414, puitan 11547.

AU. —  aucis 14830, ausel 7208 (cf. ousel 10708), austor 7521 (cf. astor 4257, hestor 6142), bausdie 7640, caussi 15505, dauré 4376, houni (uni), 12518, Jufroi 6853, olsast (osât) 6564, outroi 12179, pansé 8238 (cf. repuisa 9623, repouser 4528), pouvris 13927, restaurer 6745.

Les cas d’aphérèse sont assez fréquents et correspondent à l’usage ordinaire des textes italiens : bandont 15181, benoi 13356, caison 925 etc., contance 6985, cubes 428, defiz 7292, fant 6351, glise, glixe 168 etc., laine 5345, lie 2675, molus 5377, moniere 14417, nemi 351 etc., neslepas 11630, raçe 387 N, 2240, rance 13181, riol 2967, sorer 5710, sue 1767 (cf. sua 2593), vaine (avoine) 11645, vantage 2758, vers (hiver) 4192.

Une métathèse vocalique se produit dans espoerir (pour espeorir) 8622, estorin (pour osterin), 899.

CONSONNES

Explosives. Labiales. — P maintenu : capdelle 60, doplentin 8240, sapor 4460 ; affaibli en b : cobre 893, obre 13514, pobre 24, 146 etc., recobrer 8368, sabor 15000, 15091, saborous 15104 ; disparu : pore 4829.

B maintenu : trebuz 242, coubes 845, febre 6639 ; changé en v : lavorer 7953, forme inconnue au français propre ; vocalisé dans escriu 644. Le groupe -bj- est rendu quelquefois par ç (au lieu du français propre g, j) : cançer 11712, loçeron 8120.

Dentales. — T intervocalique est parfois maintenu : ahité (lat. aetatem) 7413, cuiter (cuter, quiter) 4276, 4753, etc., devité 3778, eiter 7012 ; affaibli en d : crider 6740, enperedor 4609, feridor 4622, podoir 6302, rodon 14934 ; remplacé par i : roie 3700, roieler 1132, 5949.

Appuyé devant i en hiatus, le t est ordinairement représenté, comme en français propre, pour c sibilant, mais on trouve aussi, comme en picard, ch (drechier 12057, dreche 12363, frichon 8118, 12869, froncher 12462, proeche 14130) et, comme en italien, ç, z (celebrançe 2, comanze 17, creançe 6, dotançe 16, Maganze 15, pesanze 13, sianze 18, etc.). Dans tiçon 4709, estiçon 13387, la graphie témoigne que le son sibilant n’est pas sonore comme dans le fr. tison, mais sourd comme dans l’ital. tizzone ; mais le t non appuyé donne normalement le son de s sonore, qui est assez souvent écrit par x conformément à l’usage de la Vénétie : covotixe 14441, desprixe 3420, finixon 11690, garantixe 14429, garixon 5218, justixe 1835, oraixon 11715, raixon 11670, raxon 8087, valerixe 4517, Venixe 14438. — Final en latin, ou devenu final en français, t peut disparaître, surtout en vue de la rime : acuel 1293, Antecris 2122, contramon 1182, derump 1296, envoi 930, garpis 3353, insis 2732, perdon 1441, plor 2824, pois 111, pon 2781, pris 440, promis 158, requis 555, serf 6374, son 1180, 2798, tramis 2119, Trivigan 2233, val 2707, vivan 2256.

D intervocalique est maintenu exceptionnellement dans adasté 7162, adorner 2701, benedie 2656, credans 410, judis 10111, predichier 3880, sudaire 10057, sudor 4453, traditor 12245. Appuyé, il devient n dans pernis 7721 (cf. ital. pernice). Devant i en hiatus, il est parfois rendu par c sibilant ou ç : muceil 3704, verguncer 11760. Devenu final en français, il peut disparaître, surtout en vue de la rime : don 201, mon 1765, 1978, etc., Raymon 1960, perſon 285, reon 1966.

Palatales. — C est traité d’une façon très variable. Initial ou appuyé devant a, conserve fréquemment, comme en picard et en italien, le son explosif au lieu de passer, comme en français propre, au son chuintant : caenes 891, campions 931, cançons 20 etc., canter 9, 17, 56 etc., Carles, Carlemaine 10, 27, 30 etc., cars 44, carte 51, coisi 798, forqueüre 846, etc. C’est le son explosif qu’il faut reconnaître dans la notation c, familière au picard, devant e ou ie issus d’un a latin : blance 848, cef 865, ceir 428, cief 398, cier 127, cevaucerent 361, ceveleüre 851, guenci 8003, pecez 147, rices 808, vaces 626, etc. D’autre part, le son chuintant, que le français propre note par ch, est assez souvent noté par ç ou z : çaelz 390, çalans 492, çanbre 8016, Çarlon 391, etc., merzeans 13376, peçable 563, teze 13347, trenza 45 etc., trizerie 12906, zait 12891, zaitis 12775, zaminer 13566, zantent 11808, zars 13034., zauce 11775, zavetaine 12794, zavoil 13211, zief 13389, zouse 12687, uzant 11787. Devant e, i, on trouve concurremment c, ç, z et ch : achier 3579, alache 12551, çelle 68, çelu 1030, cha 13234, chaint 11901, chercle 12989, chil 2618, façomes 270, Galiçe 88, ichi 9437, menaçant 192, menechoit 11968, perçoie 263, porzeüst 13372, tronchons 2482, za 13404. La graphie sc se trouve exceptionnellement dans scerp 10129. Il faut remarquer que le groupe ch est souvent employé, non pour marquer le son chuintant, mais pour figurer le son explosif plus ou moins aspiré : chi (pour cui) 17 etc., choardie 8075, choulor 12978, chouraize12924, chunplie 12909, chunquys 12660, chuntradison 2117, chuse 2525, eschu 12750, fauchon 5130, gaschon 6019, Maschon 7058, ouschure 12853, trevaches 356, venchus 8082 ; de même à la finale dans lach 11829 et laich 11831, 11857. Dans les représentants du latin collocare, l’appui roman n’empêche pas la sonorisation du c intérieur, noté par g ou z : cholger 5191, chouger 11471, chouzer 13542, 13608, couger 6926, cougier 11485. De même, initial ou appuyé en latin, c est représenté par g dans englume 11423, engombrer 34, etc., gardinal 13895.

Remarquons encore quelques formes curieuses à divers titres : acus 9754, asegurans 1414, aseiure 8475, estroie 4985, fabregier 3870, lugor 15033, proger 2944, recuser 8538, sagramant 30, etc.

Q initial est souvent rendu par la graphie ch, même devant e, i ; chant (lat. quando) 11875, chant (lat. quantus) 11742, chi 3, etc., chi 6927, etc. Quand le q latin est conservé, l’u disparaît fréquemment devant e, i, o : enqisiçon 265, qe 56, etc., qeil 571, qi 5, etc., qiert 666, qoi 571. L’appui roman n’empêche pas la sonorisation dans algun 11084 (mais aucun 4958, etc.) ; et d’autre part, même intervocalique, le q peut rester à l’étape g (comme il arrive dans certains dialectes français) : aigaine 11803, aige 10474, segira 2463, seguirent 1481, etc.

Initial, le g se conserve souvent devant a : gal 8059, 11044, galcanter 11250, ganbe 846, ganbieres 859, gante 3704, gaus 11631. Il faut voir là l’influence de l’italien, plutôt que celle du picard. Initial ou appuyé devant e, il passe au son chuintant, souvent indiqué soit par le groupe gi (giantils 3234, gient ou giant), 49, 190, 1119, etc.), soit par les lettres c, ç ou z (arçant 1549, arzant 187, çenulon 7049, encendraüre 2093, verçelle 62). Médial, il disparaît dans negliance 1526 ; en revanche, il est maintenu ailleurs, sous l’influence du latin ou de l’italien : agust 257, liger 11426, Maganza 15, Pagaine 6986 (cf. Pagenor 10141, Pagier 6207) Paganie 77 (mais Paianie 90), pegrece 13437, peregrins 32, plage 15382, renoges 9186.

Le renforcement en c dans pelacre 14316 est curieux ; cf. palacre dans le prologue d’un poème perdu sur Philippe-Auguste[134].

Devenu final en français, il peut disparaître pour la rime : bor 4454, 4625, 5705.

Continues. Labiale. — V devenu final en français peut se vocaliser en u : bailliu 645, breus 422, 656, greu 4963, malesiu 650, pensiu 649, reliu 654, sotiu 647. Après r, il passe à p dans scerp 10129. Servientem est représenté par sarçant 11706.

Dentales. — S initial devant consonne est quelquefois précédé d’un a : Asclé 1040, asterent 5460. Plus souvent, il se passe de voyelle, comme en italien : spaine 4847, spandre 7370, stablir 11830 (voir le Glossaire sous sp- et st-). Devant e, i, on trouve parfois sc : enscemble 4929, scenblant 4427, scere 2923, scire 2959. En revanche, s premier élément d’un groupe intérieur (ou devenu tel), qu’il représente s ou x du latin classique, peut tomber, mais beaucoup plus rarement que dans la Prise de Pampelune : apre 15261, aproumant 8353, efrahee 13046, eleise 12637, eleüs 4246, epleus 7658, etal 3444, eveille 3546, matre 11812, motre 13791, moutrés 13052, vetre 15589.

Le son sonore peut être représenté par s double (causse 5489, conquisse 15770, remisse 15771, requisse 15764), et le son sourd par s simple (desevree 52, laserent 13, leisié 14, maselle 64, mesager 193, puese 677, trapaseis 68, veïsé 7759) ou par x (laxei 11662, xeromes 11809, xon 11813) ; mais le plus souvent le x est employé pour désigner le son sonore du s : bixe 14432, caixon 11671, dexiroit 4775, falixe 14435, Frixe 9468, Jexu 1614, glixe 168, maixon 4436, prixe 1833, prixon 5675, rixe 1838.

Final, ou devenu final, s tombe assez fréquemment, surtout en vue de la rime : acouté 7745, alé 7599, asé 4553, atendissé 7738, enver 5727, Erchullé 1563, Espainoi, Espanoi 935, 1813, etc., as fenestre 4483, 1064, Pari 1941, plu 1031, remandré 7588, socor 12241, su 5430, vené 7587, ver 6449, veroi (verrez) 5368. D’ailleurs, dans les formes de pluriel des noms, même écrit, le s final ne fait pas toujours obstacle à l’élision de la voyelle qui le précède : as arme(s), as armes 4701, les renge(s) isnelement 8346, de guivre(s) et de fausars 9948.

Signalons enfin deux exemples de ç pour s final doç (deux) 6526 orç (ours) 6984.

Palatale. — J initial est assez souvent rendu par ç ou z : çeisir 4567, çeté 6369, çubleor 4463, ziter 13154. Médial, il tombe dans maor 955[135], et devient z dans pezor 13008.

Aspirée. — L’aspiration germanique initiale h tombe fréquemment : aire 6593, aïst 2424, astoier 8817, aubergee 13476, aubergement 4417, aubergeront 542, aubers 9246, obers 860, ontance 15519, onte 4269, onter 2236 (cf. aonté 1579), ustin 4751 ; par suite, elle manque aussi, dans les représentants du latin altus : altisme 3141, alture 2082, aute 62, autis 7513. En revanche, au lieu du h français, on trouve f dans afan 99 (prov. afan, ital. affanno) et dans magagner 4903 (franco-prov. magagnier, ital. magagnare).

Liquides. — L échappe souvent à la vocalisation : alques 181, altretel 133, crualté 11569, elmes 8381, escultés 8372, fealté 159, mielz 154, molt 39, oltraje 163, pulcelle 66, valt 154, veult 21, etc. Il tombe dans amosne 14274 et atrui 8048. D’autre part, la vocalisation est notée assez capricieusement : ao 9570, aobor 7339, aou 5740, cault 110, eome 6993, obers 860. L mouillé est très instable : tantôt l’auteur le confond dans les rimes avec l non mouillé (voir le chapitre de la versification), tantôt le scribe ne garde que l’élément palatal (écrit i ou g) : començaie 2784 var., desmaier 7761, gaiard 11209, mervoi 924, orgoi 1814, 2657, orgoios 6388 var., recoge 15028, veiars 11959, vermoi 8497, vermoie 1294, vïer 6861. Par dissimilation, l peut être remplacé par r (çeremal 11031, cortel 2494, enboreil 4126), par n (enbonil 4088, poncelle, puncelle 12816, 13664, etc.), par ç (çiu 652 ; cf. ital. giglio). Le passage à r dans armansor 12447 et capitoir 8013 est plus surprenant.

R se dissimile en l (alberçerais 6407, albor 9844, belfroi 6757, etc.), qui peut se vocaliser en u, parfois écrit o (auberger 8290 etc., aobert 14450, aubor 1315, etc., aubre 7911, aobrosel 7198, maubre 11497). Il disparaît dans derean 1541, mabrin 7288, 11420, prestes 4473, 10390, traïtes 7092, etc., par dissimilation ; ailleurs, sans raison phonétique, surtout en vue de la rime : arbalistrés 1105, Asclé 1040, borclé 2752, etc., daré 1555, destrés 355, minist 2429, silveste 5077. La métathèse est relativement fréquente : Bertaigne 1140, Bertons 59, bragagne 4905, bragaigner 1881, bresement 7692, breser 7889, corler 3493, corpun 1772, dormendaire 10063, dormoncel 407, dormons 11510, dreoner 10251, fergonde 10535, geerdon 1790, terlis 1378, Ternité 1626, Tirnité 3691, Trepins 47, Tripin 3358, Trivegant 812, etc.

Nasales. — Le groupe latin -mn- se simplifie en n dans sonoilés 6140. M et n peuvent se maintenir à la finale après r, comme en provençal : carn 9911, 10361, corn 8227, jorn 6988, 13720, storm 5046. À noter un phénomène de dénasalisation dans dojon (donjon) 4417 et dans luitan 2615 (cf. lutan, lutano dans divers textes italiens du nord)[136]. D’autre part, n remplace m dans estornie 9726, estornirent 8244 N.

Phénomènes généraux. Épenthèse. — L s’insère dans esclumé 4109, esplé (épieu) 709, mesclin 902, resploiter 2711 ; r dans ajostrer 6754, balestre 2165, borcle 1263, borcler 1351, borclette 2752, celestre 1672, 2163, costral 2210, jostre 1021, jostrer 7730, poestaris 3342, robestre 2156 ; n dans ancir 4960, ensement 5311, ensir, insir 712, 817, etc., oncir 165, oncison 2407.

MORPHOLOGIE

Article masculin. — Au cas suj. sing., à côté de la forme normale li 8, 18, 33, etc., on trouve aussi le 64, 151, 166, etc., lo 17, 961, el 108, les 7973. Le peut garder son e devant voyelle, le antrer 219, le uns 858 ; en revanche, il peut le perdre en se combinant avec la conjonction et : el 10, 516, 1277, etc., eu 5074, 6577. Au cas rég. sing., on trouve parfois li 198, 275, 1150, etc., les 9779 et el 430. Le perd son e en s’appuyant sur la conjonction et ou sur une préposition : el 518, 2112, 10103 etc., contrel 5735, outrel 12047. Au lieu de au, on trouve parfois ou 995, 1066, eu 6028, o 2215, etc. ; mais la graphie aou, ordinaire dans la Prise de Pampelune, ne figure que dans une interpolation, 5740. Il faut noter pourtant deux exemples de ou (comme dans la Prise de Pampelune) pour le appuyé sur la finale d’un verbe précédent, 14299 le per castoie ou fil, 15074 le hermite segne ou pan. Au pluriel, li est fréquent comme cas régime, 196, 313, 426, 1142, etc., et les 147, 148, 451, etc., plus rarement le 318, comme cas sujet. Notons que les formes non contractées sont assez fréquentes aux deux nombres : a le 342, 4868, de le 4502, de li 7119, en (an) le 311, 420, en les 9890.

Article féminin. — La forme picarde le fait concurrence à la, 121, 256, 5495, etc. ; on trouve aussi li même au cas rég., 4783. La et le peuvent rester intacts devant voyelle, soit seulement dans l’écriture, la enfernal poissance 4, soit même dans la prononciation, le ost 256. La graphie le pour les se présente quelquefois, 1300, 11753. À noter aussi de les, pour des 367, 1071.

Substantif. — Sans entrer dans un détail minutieux, il suffira de citer un certain nombre d’exemples caractéristiques pour montrer que l’auteur de l’Entrée d’Espagne a une idée extrêmement confuse des lois délicates qui régissent la déclinaison des substantifs en ancien français.

Suj. sing. : Spirt 7, barons Saint Jaqes 8, bernage 10, 338, Gaenelonz 15, canter 17, sant 33, sagramant 37, Feragu 42, arcivesque 47, 51, Carlemaine 57, Carlons 61, travail 96, roi 115, terme 166, pont 166, Rollant 176, 217, Normant 177, enfant 178, traitor 213, Grifons 215, cor 218, blasme 231, Salamon 237, Gaenellon 238, Aragon 246, Falsiron 264, don 276, confaloner 295, gioner 298, contradit 302, empereor 635, neveu 644.

Rég. sing. : Jaqes 12, bontez 21, chemins 29, 73, 80, peregrins 32, veritez 35, cars 44, mains 64, barons 79, rois 103, frois 110, destrois 116, bofois 128, voluntés 133, 164, rien 135, onors 138, seignors 138, 350, Carlons 142, vanités 144, malvaistés 153, prés 158, Cristinités 161, Deus 167, 271, firmités 171, Carles 184, Aragons 191, honors 207, jors 207, 256, 257, rois 223, 271, seignors 228, contes Gaines 237, los 254, hon 259, thesors 295, cont 322, escriveins 330, 420, anz 347, Rollanz li cons 432, cartes 483, destrés 1290.

Suj. plur. : segnors 66, 96, 114, 155, etc., barons, 74, 155, 173, etc. corois 107, Catallains 125, pecez 147, sajes 235, pors 307, Paiens 312, princepz 332, dux 332, Bergognons 368, marcheanz 374, çaelz 390, los 529, confenons 718, baçalers 730, chevalers 731, tambors et timbres 807.

Rég. plur. : nuet 68, 75, aing 108, dant 196, seison 232, soudoier 313, diner 320, tref 356, breü 356, estaje 425, cart 472, tot les gient 473, pastor 623, boef 626, car 633, bal 720, home 752, enfanz e dame 9957, enfanz e moilier 10258, fames et efant 10272, tote le profecie 11753, mes parole 11765.

Adjectif : — Même confusion que pour le substantif sans que le voisinage entraîne forcément l’accord, fût-ce pour violer les règles :

Suj. sing. : barons saint Jaqes 8, li bon sant il meïme 33, l’arcevesque meïme 51, le primer 151, loé et desloés 175, sage et entendant 180, proveant 198, sermonant 208, traitors recreant 213, biax et bon 243, saje 287, proz et saje 350, paille et vans 413, rois nobille 520, freïn 914, orible 985, lent 1136, l’arcivesque valant 1253, obers fort et tinant 1264, mout fu grant li afant 9872, ardiz et saje et pront 10336.

Rég. sing. : li melors 18, plains 144, le tenz trapassés 157, dou meillors 174, senez 236, mendre 353, verger folus et verdeians 401, vasel plans 402, chetis 1222, au buens cons 1367, meldre 2026, le proz Bernars mort 9803, trou cruaus reveus 9925.

Suj. plur. : li meilors 95, enruçunés herent lor acerez corois 107, li criminaus pecez 147, le boen 318, deus fellons Saracins 888.

Rég. plur. : destré crenu 355, ceir drais 428, des miaudres 1218, des mortel enimis 1359, maint pieres poignant et grant perons 9772, a buen darz 9947.

Contrairement à l’usage du français propre, les adjectifs suivants peuvent garder au féminin la même forme qu’au masculin : dous 2577, etc. (voir le Glossaire), sanglant 10631, 10643 ; par suite, on trouve l’adv. doumant 15501, pour doucemant.

En revanche, la forme féminine est employée au masculin dans coie 6850, noire 5065, 5112, etc., vaire 8483.

Pronoms personnels. — 1er pers. sing. : je (ge), placé après le verbe, reçoit l’accent tonique sans diphtongaison : 19, 55, etc. ; il est employé pour moi dans la construction por je (ou  ?) perdre Clormon 5681. Il a comme concurrent eu, qui peut être atone, 600, 5219, et tonique, 6088. — plur. : nos atone se réduit exceptionnellement à ne, 4734 ; comme réfléchi, il est assez souvent remplacé par la forme de la 3e pers., se, si, s’ : nos s’en retorneront 4665, — si s’en irons 6828, pois se tendrons 8037, nos sirendron 8108, nos ne s’an parcevron 8122, de qoi s’entremeton 11314.

2e pers. plur. : vos atone se réduit à vo 7128, et, beaucoup plus fréquemment, à ve, v’, 6373, 6604, 7604, 7745, etc.

3e pers. sing. masc. : il s’emploie comme rég. tonique, il asés pobre voi 13354, ver il 6621, a il 13733 ; il cède parfois la place à el suj., 117, 383, 1008, etc., et rég., 1441. Comme rég. dir. atone, on trouve lo 397, 11760, li 759, 1437, lui 1262 ; la voyelle tombe dans les formes appuyées lal (là le) 1953, mel (me le) 7027. Le rég. indir. atone est exprimé par les formes les plus variables (sans parler de la forme normale li) : le 1926, 2383, etc., lui 1486, 1618, etc., i 224, 1370, etc., il 232, 6621, ge (g’) 3916, les 6333. — fém. : suj. la 452, 2999, le 12033. — plur. masc. : suj. el, 8172, 9267 : rég. tonique lor 453, 1944 etc. ; rég. dir. atone l’ 111, le 4815, li 4326, i 7822, los 2423, lor 6887 ; rég. indir. atone les 5725, lui 11336. — plur. fém. : suj. les 3695. — Le refléchi se, si peut être enclitique et perdre la voyelle : nos (ne se) porcace 391. Dans les mêmes conditions les se réduit aussi à s (ce qui ne laisse pas de créer des confusions) : nos (ne les) leirons pasier 818. Le peut aussi être enclitique : sil (si le) 8579.

Démonstratif. — Cil et cist sont très souvent employés comme rég. sing. masc. : a cil consoil 593, a cist roi 158 etc. On trouve même au fém. sing. cilles 2095 au masc. plur. acil 8019 et cils 8069, et au neutre cil 6646 et cist 6648. Les formes en -or ne sont pas rares : cellor 616, 3080, etc., cestor 145, cestors 11602. Le fém. ceste trouve au lieu du masc. : ceste regnon 15641. À remarquer les formes tronquées sta (cette) 10467 et ste (ce) 7483.

Possessif. —  La distinction des genres, des sujets et des régimes, des formes toniques et des formes atones n’est pas observée. Quelques exemples suffiront à caractériser cette confusion, qui se complique encore, du fait de l’intrusion de formes plutôt italiennes que françaises : ma arme 55, le son partire 676, son (ses) braiz 1063, li tes enemis 1231, al so vivant 1275, son (leur) segnor 1318, en si bras 2303, li ton averser 2605, le mon 2707, mi garnison 3021, par si sans 4305, si nief (son neveu) 4315, por si amis aider 5513, un ton per 6192, se dui frere 6386, ses (leur) guierdon 7061, as ses (aux siens) 7571, sa orïeflor 8160, ma enquerelle 9446, li mes nom 11622, cist mes chevaus 11627, a suens devis 11842, sue saintisme image 12932. Vostre est ordinairement affaibli en vestre 137, 138, etc., et même vetre 6357, quand il est atone ; exceptionnellement, la forme affaiblie est employée en position tonique, en vue de la rime, la vestre 10466.

Indéfini. — Il règne une confusion analogue de cas et de genre, spécialement pour tout : tot cestor 145, tot les gient 473, les nos amis trestut 496-7, tot sa gient 546, tuit les pendron 1610, toz les bestes 1765, etc., tote bien 14709 ; cf. a nus hon 259, nus home 508, nulle toner 8356, nulle si pesant fés 15199, aucune profit 14698.

Relatif. — La graphie flotte entre qu-, q- et ch- ; que, qe, che est fréquent comme sujet, 3, 18, 21, etc. Le rég. cui, souvent écrit qi 8, chi 17, etc., est parfois remplacé par che 2637. À remarquer qué cose 3687, 3688, qué travaille 4057, où qué reflète l’ital. che, et non le franç. quel.

Numéral. — Toujours la même incohérence, phonétique et morphologique : troi nuet 68, 75, a troi mois 256, troi conquises 270, a do milie 371, envers li troi 952, dui a du 1016 (rime), a doe mil 1279, o tri o quatre 2805, plus de dui cent 4688, plu de si (six) 6335, a sei (six) 6855, do leue 6935, une sol home 7926, une guant 8000, une esplié 10178, une si grant secors 14540, un pome 14720, 15083, 15238, une brans 14901, etc. À remarquer le s qui s’ajoute parfois aux pluriels invariables : doçes 943, 1114, 1240, etc., quatorces 1319, quatres 1238, 9978, 9988, 11723, quinçes 9481, quinces 4758, 4795, treçes 9707, 9717. Naturellement, les régimes ambesdos, andos, etc., font souvent fonction de sujets, 2137, 2246, 3376, 4789, etc.

Verbe. accidents généraux. — L’influence de l’accent tonique latin par rapport à la conservation ou à la chute de certaines syllabes, à la modification ou à la non modification de certaines voyelles, est souvent méconnue, et les formes normales font place à des formes analogiques, notamment au futur et au conditionnel : aleiron 7481, amoinase 7552, desoivree 14472, doives 14096, ensireç 4823, entoisés 14415, feriront 14632, mainçe 2397, maniuer 13721, mesleiron 8112, oïrez 648, quirerai 12278, quireroit 6351, remaniroiz 9021, 9502, etc., tenirunt 7317, tienrent 9272, venirés 14017, veniront 130, vienrent 8863.

Le s (ou z) et le t qui, en français normal, terminent les deuxièmes et troisièmes pers., sont souvent sacrifiés, surtout en vue de la rime : abellis 11835, afi (2e p. sg. sbj. pr. de afier) 6479, atendé 1543, atendrum 8528, avé 1042, etc., demandé 1544, deschanfis 13294, desis 401, doné 1402, é (est) 1535, enqis 12633, faïs (fît) 8151, fi fit 8006, firé 1055, fun (fond) 8538, gardé 1384, mené 1573, monstré 1061, mur (meurt) 8444, plois (plaît) 9578, 12374, plor (3e p. sg. sbj. pr. de plorer) 8321, ramain 14264, reblanchys 11849, resenblé 12293, retorné 1056, son 273, tremblé 1558, venis (vînt) 12267, veul (veut) 8033.

La désinence des premières personnes plur. oscille entre -ons 210, etc., -on 255, etc., et -omes 136, etc. Celle des deuxièmes pers. plur. est parfois en eis, -ois, mais seulement à l’indic. prés., 162, 12271, 13381, au futur, 100, 9509 etc., à l’impératif, 8192, 12366, 14523, et au subj. prés., 5803. Toutes les troisièmes pers. plur. en -ent peuvent recevoir l’accent tonique sur la dernière syllabe, 354, 594, 634, etc., voir notamment les assonances en -ent.

Infinitif. — La distinction entre les finales -r et -re est souvent méconnue, surtout à la rime. Tantôt l’e normal est supprimé : boir 8009, 15463, conduir 9265, condur 4579, contradir 8620, contredir 10022, croir 5047, 8015, 15449, desconfir 7914, destruir 161, destrur 11220, dir 9, 3133, 3611, etc., escrir 8633, 13772, feir 6, 353, etc., far 2816, maudir 5884, mescroir 15462, retrair 873, rir 6, 82, scondir 6183, sorir, sorrir, 3140, 3610, etc., trair, trer, 4, 5260 ; tantôt un e illégitime est ajouté : asaelire 670, avoire 9201, buslire 7047, chunplire 13242, colire 7043, contenire 671, covrire 13231, devenire 13235, dormire 13254, esbaïre 675, estovoire 9193, falire 13250, fornire 13259, fremire 13252, garire 13247, geïre 13255, gerpire 7040 guencire 13241, infuïre 13249, manoire 9197, morire 7039, ofrire 7045, partire 676, peoire, pooire 3637, 9196, querire 7035, 7046, recoulire 13237, remanoire 9200, revenire 13243, savoire 3636, servire 13248, sostenire 7033, taisire 13240, 13257, tenire 13236, tolire, tollire 669, 7042, 13239, venire 13234, veoire 3640, voloire 3638 ; parfois même nous sommes en présence d’altérations morphologiques plus considérables : braïr (pour braire) 7379, conevoir (pour conoistre, d’après le thème du passé défini) 5058, conqueir 9005, conquir 4575 et conquire (pour conquerre, conquerir) 678, destruïr (pour destruire) 6202, esillire (pour essilier) 13244, recevire (pour receivre ou recevoir) 7046, remanir (pour remanoir) 15395, reschuir, rescuir (pour rescoure) 5838, 6110, etc.

Indicatif présent. — La 1re p. sg. de la 1re conjug. reçoit rarement l’e analogique : envoie 1307, oblie 86, à côté de nombreuses formes régulières comme comant 608, demand 86, pri 174, etc. ; dans reneu 6092, l’u semble représenter l’o latin de *renego ; dans don (pour doins) 600, repros (pour reproche) 536, trov (pour truis) 1575, 8316, il y a reformation analogique, ainsi que dans voul (pour vueil) 3940.

L’e étymologique disparaît quelquefois à la 2e et à la 3e p. sg. de la 1re conjug. : agré 3667, aport 10178, atart 13442, enbraz 15586, esgart 13664, flanboit 8608, man 13688, plois (plies) 3383, redoit (redoute) 15043. En revanche, il est ajouté par analogie dans atainge (en fonction de pluriel) 8098, perdes 9014, pleste 12578 (d’où plestre 9241), rendes 5402, respondes 984, sentes 986, taise 5693. Il est possible qu’il faille expliquer par là ahete et heite (français propre het, 3e p. sg. de haïr), sans supposer un infinitif *aheter, *heter[137] ; on trouve concurremment aïst, ahist (pour *haïst), forme inchoative (voir le Glossaire). La 1re p. pl. pousons et puison (de pooir) est due à l’influence de l’ital. possiamo. Ester ne se trouve qu’à la 3e p. sg., qui flotte entre estoit, este, ista et steit. Il est manifeste que comuet 12039, de cometre est dû à une confusion avec comovoir[138]. La forme analogique disent 344, 1091, etc. a supplanté la forme normale dïent. On trouve, à la rime, servon 15642 et traünt 7367, 3e p. plur. de servir et traire.

Imparfait. — La distinction entre -abam et -ebam n’est pas observée ; on a ordinairement -oie, -oies, -oit, -iomes, -iez, -oient (et, par suite, de même au conditionnel présent) ; exceptionnellement, oi se réduit à o à la 3e p. sg. : estot 178 (d’où par suite, au conditionnel, cheirot 895). En outre, dans la tirade CCLVI, et là seulement, le poète emploie des 3es p. sg. en -eit qu’il associe à des mots dont la forme normale est -ait et à d’autres dont la voyelle tonique remonte à ē du latin vulgaire ; ces 3es p. sg. imparf. sont : aveit 6037, 6047, atendeit 6040, aleit 6043, demandeit 6045, blastengeit 6046. À la 2e p. pl., la leçon devoiés 11741 n’est pas sûre, car on peut lire devoies, 2e p. sg. On trouve aveves 15652 pour « aviez » ; peut-être voleves 11220 (corrigé en volevés) doit-il être conservé ; en tout cas, ces formes isolées sont des calques de l’imparfait italien. Dans conevoit 11670 (d’où peut-être coneoit 15744) et risoient 11476, le parfait a introduit là son v, ici son s.

Parfait. — Il y a de rares exemples de 3e p. plur. en -ont, -unt, -on : aporteront 6320, ferunt 10915, var., troveron 11677, veront (virent) 6326. Donoit 6515 est un emploi abusif de l’imparfait, et boit 11498 un emploi abusif du présent en fonction de parfait. La forme presque constante de la 3e p. sg. du verbe avoir est oit, où l’i vient probablement de la 1re p. sg. oi. On trouve aussi i ou e rajouté à la 3e p. sg. des parfaits dont la désinence normale est, en français propre, -ut : aparuet 9987, apercuet 8548, 8976, 9199, conuet 2252, 8804, coruit 11790, fui 11125, paruit 766, percuit 9208, reçuit, recuit 4437, 13967 ; -uet est un affaiblissement de -uit dont l’i peut remonter aussi à la 1re p. sg. fui, etc. L’auteur modifie le thème des formes fortes usuelles : feirent et ferent (firent) 102, 345, 617, mestrent (mirent) 10021, 10073, remis (resta) 12430, 12436, rescuis (délivrai) 7925, tairent (turent) 8023, verent (virent) 426, 9190, 9192, vienrent (vinrent) 8863. Il en crée d’autres, comme desis ou desist (descendit) 401, 11095, 11153 imitation de l’italien discese, atendrent 4838, 9362, 9654, consuirent 9754, defendrent 9993, descendrent 11675, 15322, entendrent 4294, estrent, istrent ou instrent 713, 8347, 9630, 14577, oirent 110, proferrent 320, rendrent 357, 628, valdrent 8413, d’après une analogie assez naturelle. La première conjugaison elle-même n’échappe pas à la contagion, témoin leirent (laissèrent) 9329, 9639 et menrent (menèrent) 7283, 7350[139].En revanche, il substitue parfois des formes faibles aux formes fortes : bevi (but) 3804, 6233, esmoverent 8870, pleisi 9250, 13993, promitistent 84, ratenirent 9363, teisirent 451, venirent 8840, 9454. Ailleurs, il donne le pas à des désinences rares ou insolites, sinon hybrides : apari 3802, avis 13138, conovomes 7081, covristent 8486, descenderent 11370, mori 3805, penderent 12841, renderent 8933, vaili 9174, vinerent 6902, volistes 11721.

Futur. —  À la 1re p. sg., la désinence -ai (exceptionnellement -oi : feroi 12007) perd souvent son i devant le pron. je (exceptionnellement sero je 6305), et à la 2e p. sg. -as devient souvent -ais : cela a été dit plus haut. Exceptionnellement, la 3e p. sg. est en -oi, ce qui prête à confusion avec le conditionnel : avroit 9083, metroit 12851, seiroit (siègera) 12859, seroit (sera) 6881. On a parlé aussi du remplacement des futurs contractés par d’autres où l’infinitif est plus visible : la tendance inverse se manifeste dans revertra 2162 et (jusqu’à un certain point) dans dondrons (de doner) 4763. L’influence du parfait se réflète dans firai (de faire), dans parveras (de paroir), dans remeront (de remanoir), dans vinra (de venir). Quoique irai ne soit pas inconnu à l’auteur (cf. irons 211, 8070), alerai, formation que le français propre ne paraît pas connaître, revient beaucoup plus fréquemment sous sa plume. Il ne faut donc pas attribuer à l’influence de irai des formes de venir (ou de ses composés) comme vira, devira (ou divira), revirai. L’anc. français dit couramment verrai, pour venrai, qui se confond avec le futur de veoir ; il faut voir dans devirai un affaiblissement de l’e atone en i, comme dans firrai (pour ferrai), de ferir, et dans le conditionnel siroient (pour seroient) de estre.

Conditionnel. — La notation de l’i par dans g dans seroges 9120 et serviroges 10577, sofriroge 6461 n’est qu’un fait de graphie sans importance. À la 3e p. sg. on trouve parfois -oie pour -oit : staroie 8816. Ce qui est plus curieux, c’est que les désinences de l’imparf. sbj. se substituent parfois à celles du conditionnel et donnent naissance à des formes hybrides comme alerisois 15784, porisez, porisés (ou porises) 1548 N, 3609, 11540, poristes 4651, porosomes 15668, serises (ou serisés) 5407, toresez 252.

Impératif. — À signaler fais 588, d’après l’indicatif, et façomes 270, d’après le subjonctif présent.

Subjonctif présent. — Avoir et être ont parfois un e analogique à la 3e p. sg. : aie 1078, soie 4461, 6855, sie 15164 La désinence -iss- reçoit un s sonore en vue de la rime : assalixe 14440, fermixe 14437, finise 4516, fornise 13686, merise 4512, 13695. De même on trouve boie (pour boive) 2397, 6860, deçoie (pour deçoive) 1286, envoi (pour envoit) 930 et perçoie ou parçoie (pour perçoive) 263, 2404 N, voire desahert (pour desaherde) 14451.

Imparfait. — L’e posttonique est parfois supprimé à la 1re et à la 2e p. sg. (aparoilas 582, disis 9102, 11075, donas 2845, faïs 582, oncesis 1308, quidas 1491, laissas 2640) et parfois ajouté à la 3e p. sg. (fuise 13888). Sous l’influence des formes de la 1re conjug. en -issions, -issiez, régulières en français propre, l’i s’introduit à la 3e p. pl. (alisent 7254, apareilisent 4570). Falase 5300 est influencé par l’ital. fallare. À noter la prédominance de la désinence -is- dans des cas où le français propre préfère -us- : avisons 13338, avist 14551, 14612, coneïs 15610, creïssent 812, creïst 1210, fuise 13888, fuist 8356, legist 18, 10249, morist 12866, pleïst 5930, secorist 12100, sevisent 1173, sevist 12108, teissist 12272, volist 1716, 2006, voulisez 11884. L’imparfait est parfois formé sur le thème du présent, au lieu de celui du parfait : metises 3268, metisse 14374, prendisse 6612 ; et parfois influencé par la forme forte du parfait : teinst (pour tenist) 6459 Notons enfin la désinence -on la 3e p. pl. dans fesson (pour feïssent) 15650.

Participe passé. — Le participe fort escrit est altéré en escris pour la rime ; au fém. escrise 452. Les participes faibles en -u sont très nombreux et prennent la place soit des participes forts, soit des participes faibles en -i : complue 15536, esponue 447, metus 11529, offendu 4512, plevue 15551, prendu 9801, 15500, recolue 258, renplue 742, reprendue 1805 ; le v du radical est rétabli dans movu 3847, 6692, recevue 1799, le s dans cresus (ital. cresciuto) 4356. En revanche, on trouve mori 4157, au lieu de mort, et ensoi 4531, au lieu de issu.

Temps composés. — À signaler que le verbe être se sert fréquemment d’auxiliaire à lui-même : sunt estez 145, fusent esté 11572, etc.

Mots invariables. — Nous nous bornerons à relever ici quelques mots, formes ou locutions insolites, pour lesquels on trouvera le détail et les références au Glossaire : apormain, autresis 2733, cert, chose que non, curtement, da, daré, delons, den, dentre, deprés, deqa, deqi, desot, enfra[140], ensi, enz (préposition), falcis (a), fi (tote), foes (tote), gair, longor, neslepas, oc (avec), och (oui), ond[141], par (pour), por (par), porman, pur, rier, sot, trosquement, vis (en), volentiere. Et nous noterons que la conjonction se perd son e pour se combiner avec le pron. tu, d’où stu.

SYNTAXE

Comme je l’ai remarqué, la désorganisation de la déclinaison jette le plus grand trouble dans les lois d’accord entre article, substantif et adjectif en genre, en nombre et en cas. Aux exemples cités, j’en joindrai seulement quelques autres plus particulièrement représentatifs. Non seulement le poète hésite sur le genre de mer dans l’intérieur d’un vers (Pres la mer a .X. lieues o il est plus proçan 10977), mais, sollicité par la rime, il écrit sans scrupule : dela la mer salé 12083, la tere e mer fondu 14505, oltre la mer fondis 15599.

Non seulement, à l’imitation de l’ital. sera, il crée un subst. fém. soire à côté du masc. soir, seul en usage en français propre, mais il attribue à soir le genre féminin : une soir 4501, 5053.

La conjugaison est infectée par la confusion entre la 3e p. sg. et la 3e p. plur. (le singulier supplantant le pluriel), confusion due à l’idiome maternel de l’auteur et dont il n’y a pas lieu de rechercher ici l’origine[142]. Je relève seulement quelques exemples en suivant, l’ordre numérique des vers : totes lor demandes acomplies lor en fu 362, Il non venront... D’iluc avant se la citez non prent 611-12, totes armes qe se feit a vasal 708, Car les Juif por larons le prova, Entre dos leres en cros le aclava 2470-1, E com troi coses en unité remant 3694, Li campions lor bataille enforça 4071, Les dos barons s’anjenoille 4299, celor che vos faudra 8196, dui merceant entra 11511.

Il va de soi que la syllepse est fréquente, et que l’accord en genre et en nombre peut se faire avec l’idée plutôt qu’avec la forme grammaticale : La moitez mostrerent 111, Cascuns se vont ofrir 329, la vitaille se moinent 787, nostre gient sunt coie 1287, Tant rices vestes en furent depecee 4204, con tante de vertu 5427, Un jentil soudoier c’om apelent Hustace 10784. Mais ce qui est plus extraordinaire, c’est que l’attraction relâche les rapports syntactiques les plus étroits : milz vos fusent (fût) a nestre 2173, Se Paiens atendront, meus lor fusent (fût) a nestre 5281 A, quant lor ferunt (fera) mester 7235, François s’arment, cui furent (fut) comandé 7580, Et quant le roi le firont (fera) comander, Soient a terre cil che devront berser 7242-3. Un phénomène de même ordre a amené la transformation accidentelle des verbes impersonnels convenir et estovoir (falloir) en verbes personnels ayant pour sujet le régime indirect du verbe impersonnel (voir le Glossaire[143]). Et la combinaison d’une idée impersonnelle avec une forme personnelle se trouve souvent réalisée par l’institution d’un sujet pléonastique, ordinairement il : ne veul q’il soit ma parole mentie 87, Ja estoit il montés Rolant 5318, il est roi mon pere 5540, S’il vos ataint bien a droit le menor 6130 (ajoutez 6579, 6644, 6703, 6948, 7355, 7755, 7986, 8095, 11354. etc.).

Le verbe venir est employé comme auxiliaire analogue à être : quant il vos vient nomé 1559, non vient entendu 5443, etc.

Le pronom indéfini nul n’est pas suivi de la négation : Nuls se desflote 775, nus autre hom la baille 879, etc. ; il peut s’employer substantivement aux deux sens opposés de « néant » et de « quelque chose » (13047 et 3890).

La conjonction se, si se construit ordinairement avec le futur : s’il pleira a Dex 607, s’entendre me voldrais 996, se caisons ne sera 1612, si lui plaera 1618.


VIII
LA VERSIFICATION

L’Entrée d’Espagne est formée de tirades monorimes dont la longueur est variable : les plus courtes (tir. XVI et CCCXLVII ont 7 vers, la plus longue (tir. DXLV), 65. L’auteur a cependant eu recours une fois à un autre système : les vers 453-456 (lettre de Marsile à Charlemagne) sont des octosyllabes accouplés deux à deux[144].

Les dix premières tirades sont composées de vers dodécasyllabes sauf, dans les tirades VII et X, trois décasyllabes isolés (vv. 156, 162, 238). La tirade XI commence par des décasyllabes (vv. 286-306) et se termine par des dodécasyllabes (vv. 307-327). Par la suite, l’auteur entremêle capricieusement ces deux espèces de vers : il y a des séries de tirades en dodécasyllabes, d’autres en décasyllabes, d’autres où dodécasyllabes et décasyllabes sont admis concurremment en proportion variable. Le passage d’un mètre à l’autre se fait parfois au cours d’une phrase, sans raison apparente (vv. 306-7, 518-9, 860-1, etc.). Au total, les décasyllabes, l’emportent sur les dodécasyllabes par environ 8634 contre 7107.

La structure de ces deux espèces de vers, conforme, en général, à celle que présentent les textes épiques français, appelle les remarques suivantes. La désinence -ent des troisièmes personnes du pluriel est traitée soit comme atone (cf. vv. 659, 704, 784, 888, etc.), soit comme tonique (cf. vv. 16, 43, 102, 320, 373, 616, etc., à la fin de l’hémistiche ; 594, 4468, 4473, 4476, etc., à la fin du vers). La coupe métrique après l’hémistiche ne correspond pas toujours à un repos marqué pour le sens (cf. vv. 93, 180, 214, 268, 285, 637, 645, 1071, 1091, 1381, 1615, 1743, 1886, 2998, 4168, 5290, 6458, 8131, 8162, 10591, 11052, 11342, 11778, 11808, 12515, 12849, 12916, 13347, etc.). Les décasyllabes sont coupés 4 + 6 ; exceptionnellement, quelques-uns sont ou paraissent construits d’après le système 6 + 4 :

Novelle lor a dit  apertemant (749).
Bien dist q’il n’a son per  en livre escrit (1080).
Ne tornerois plus ci,  jel vos an (1939).
N’avrai sogne de Turc  ne d’Arabis (3362).
Che rien ne quireroit  che il n’i otri (6351).
Après le Rois de gloire,  in Aquilon (12858).
In ces jor rezeüz  des dous glotons (13339).
Quand n’estes ci a veor  la flor del mon (15657).
Le roi baise l’infant  et lui encline (13552),
Le roi perçuit la prese  ch’entor estoit (15743).

L’auteur donne assez fréquemment à l’e final atone sa pleine valeur syllabique, même lorsqu’il est suivi d’un mot commençant par une voyelle ; je aille 70 et 77, de estre 169, qe il 185, 218, 241, etc., qe or 206, le antrer 219, se il 229, le ost 256, ne il 264, terme avoient 369, ne auchuns 372, qe Espaigne 438, ne oit 561, le ardiz 959, fete ais 963, le uns 1082, trosqe en 1212, jusque in 1333, se une art 6286, ire esprant 11101.

En revanche, il lui arrive de ne compter que pour une syllabe les désinences en -ee ou -ie (desfie 395, acomplies 362, mie 435, 457, 806, etc., sagnie 777, profecie 1763, partie 4262, fouree 11778) ou les groupes intérieurs --, -ao-, --, -ea-, -ee-, --, -ia-, -ïé-, -ïo-, -- (traitor 213, deusez 297, voudriés 501, torniamant 609, creature 3856, 4027, paurosement 5723, aonbra 9784, oimes 11251, p[e]usent 14433, veez 913, 1099, etc.[145], campions 929[146], traisons 962, sospicion 1768. Le subst. orieflor est ordinairement de trois (1317, etc.), exceptionnellement (par ex. 8160) de quatre syllabes.

Il fait un grand usage de l’élision entre la voyelle finale d’un mot (que ce mot soit monosyllabe ou polysyllabe, que la voyelle soit atone ou tonique) et la voyelle initiale du mot suivant (que cette voyelle soit identique ou non à celle qui la précède) : qi achever 232, voldra avoir 234, ni il 252, ni i 262, a escrive 331, comança a retraire 382, fu escrise 452, ensi estes 482, a empereor 510, a escriture 577, e amoit 637, e insir 712, degna envaïz 967, porta en ventre 1782, fu estors 1817, a un fenestral 2033, etc. Comme la désinence féminine -ee ne compte parfois que pour une syllabe, elle peut s’élider complètement, ainsi qu’il arrive dans l’hémistiche nostre alee ymaginer 309. Exceptionnellement, l’initiale disparaît devant la finale précédente, comme dans ma’ncor (pour ma encor) 1247.

Bien que la rime soit la règle, il subsiste des traces d’assonance. Un mot en -ars (Gilars 10451) figure dans une tirade en -as, un mot en -ers (diners 10304, du lat. denarios) dans une tirade en -és, un mot en -is (onciis 7105) dans une tirade en -ist, un mot en -onte (amonte 10531) dans une tirade en -onde. Quelques mots en -arge, -arje sont admis dans les tirades en -age, -aje (encarje 1008, incarge 11830, 12949, large 11829, targe 12942), et l’auteur ne fait pas une distinction rigoureuse entre les mots en -este et ceux en -estre : à côté d’une tirade en -este pur (ccxcvii) et d’une autre en -estre pur (ccxxi), il y en a six où les deux désinences se rencontrent pêle-mêle (voir la table des rimes).

La rime groupe souvent des sons de provenance fort hétéroclite, que les textes français proprement dits ne songeraient pas à réunir. Il a déja été question, à propos de la phonétique, des altérations imposées aux désinences normales en vue de la rime. Sans revenir sur l’exposé méthodique qui en a été fait, il sera bon de montrer, par l’étude critique d’une tirade déterminée, l’application des procédés de notre auteur. Soit la tirade VI, en ois. Sur les 36 rimes qui y figurent, je n’en trouve que 21 de conformes aux usages de nos trouvères nationaux : mois (98), sordois (99, 117), vorois (100), avrois (101), François (102), bois (104), hernois (105), campois 109), Vormendois (112), trois (113), gabois (119), conois (120), dois (121), fois (123), Speignois (124), Aragonois (125), pois (126), Saracinois (127), bofois (128), pois (131). Pour grossir sa liste, le Padouan fait litière de la phonétique comme de la morphologie ; il écrit repois (96, 119) pour repos, rois (103) pour roi, secrois (106) pour secroi, corois (107) pour coroi, frois (110) pour froit, pois (111) pour poist, drois (114) pour droit, destrois (116) pour destroit, gallois (122) pour galop, lois (124) pour los, depois (130) pour depuis ; il fait appel à un mot italien habillé à la française (thois 97, poison), modifie, d’après l’analogie de la dérivation, le mot français marquis (ou marchis) pour en faire marcois (115), et, en dehors de toute analogie et de toute règle, transforme cronique en cronois (108).

Les mêmes procédés se retrouvent partout, plus ou moins fréquemment, ou des procédés analogues. Si le s s’ajoute (comme nous venons de le voir), il peut aussi se supprimer, qu’il appartienne à la flexion (seison 242 pour saisons[147], diner 320 pour deniers, chevaler 325 pour chevaliers, crenu 355 pour crenus, 1065 pour niés, avé 1042 pour avez, etc.) ou même au radical (leri 797 pour larris, plu 1031 pour plus, assé 1057 pour assez, Espainoi 935 pour Espanois, etc.).

Le r, le c, le t, le l mouillé disparaissent à l’occasion (mervoi 924 pour mervoil, son 1180 pour sont, vermoie 1294 pour vermoille, daré 1555 pour darer, mon 1765 pour mont, fon 1751 pour font, orgoi 1814 pour orgoil, lon 3943 pour lonc, pon 11085 pour point, etc.). L’e posttonique est souvent supprimé (pir 1167 pour pierre, mer 2040 etc. pour mere, Castel 8421 pour Castelle, sant 8596 pour sainte, Vian 10982 pour Viane, sant 11154 pour sante), plus rarement ajouté (peoire 3637 pour peoir, sbanoie 4995 pour sbanoi, etc.).

Pour finir, voici la table alphabétique des rimes, avec, à l’occasion, quelques remarques particulières :


A, ix, lxxiv, lxxviii, cii, cxviii, cli, clxvii, ccvii, cclxiii, cccxvii, cccxlix, ccclxxxvi, ccccxiv, ccccxxiii, cccclxi, d, dxix, dxxxviii, dlxxi, dciii, dcxxiv, dcxlviii.

ACE, xvii, cccciii, cccclxviii, dxliv. — L’auteur confond les formes qui, en français propre, sont en -ace avec celles qui sont en -ache, d’une part, face (*faciam), de l’autre, hache (*happia), sache (sapiam). La même confusion se trouve dans des poèmes composés en France.

AGE (écrit parfois AIGE, AJE), xiii, xix, xlvii, xc, cxix, cclv, ccciii, cccxc, cccclxxiii, dxi, dliii, dcxli. — Le principal groupe est formé par celui des mots qui possèdent le suffixe -aticus, auxquels s’ajoutent des mots isolés, populaires, savants ou exotiques, dont la constitution phonétique aboutit au même son en français propre (naje 345, Araje 349, saje 350, ymaje 417, Aufaje 2108, etc., asoage 11831), des barbarismes divers (avoage 422, 2105, etc., soraje 1005, anperage 9106, etc., doraje 10845, age 12928 pour ait, fayge 12929 pour face, de faire), et quelques assonances (voir-ci dessus, p. cxxvi).

AGNE (écrit aussi AIGNE), xii, xxxv, lxxxiii, clxviii, ccii, ccxlv, cclxxxviii, cccxxix, cccxcviii, ccccxl, cccclviii, cccclxxxvi, dcxxviii, dclxxii. — L’auteur réunit les représentants de l’a, de l’ĕ et de l’ǐ latins. Les mots Carlemaigne, cataigne, chevetaigne, estraigne, plaigne, ont des doublets en -aine, qui figurent dans les tirades en AINE.

AI, cccxcii, dcxxxix.

AIGE, voir AGE.

AIGNE, voir AGNE et AINE.

AILE, voir AILLE.

AILLE (écrit parfois AILE), xlii, cccclx, dlxi, dc. — L’auteur y admet paille (pâle) 10628, 13171, graille (trompette) 13163, amiraille (amiral) 13164, sparpaille (éparpille) 13166.

AINDRE, voir ANDRE.

AINE, xx, ccxxv, ccxlviii, ccxcvi, ccclxxiii, ccccxcviii, dx, dl, dclviii. — L’auteur y admet concurremment des mots qui remontent soit à a, soit à ĕ (ǐ) latins. Noter daine 8766, 12799, du lat. damnat. Certains mots ont des doublets qui figurent dans les tirades en AGNE, AIGNE (voir ci-dessus).

AINT, ccclxxi. — L’auteur réunit des mots qui, en français propre, donnent des résultats très distincts : -aint, -ant, -ent, -ient.

AIRE, lii, cxliv, ccxi, cclxxviii, ccclxii, ccccxxxvi, dxxvii, dlxxiii, dcxxxi. — À noter maire (mère) 1109, 3574, enperaire (lat. imperator) 1110, 3572, 5091, 14694, pecaire (lat. peccator), 3562, 5094, 12225, quaire (lat. quadrum) 3569, 10052, rementaire (lat. *rementator) 3571, paire (père), 8488, 13445, naire (lat. narrat) 10055, 14691, baire (barre) 10056, naire (narine) 10059, declarere ( lat. declarator) 12214, desquaire (lat. *disquadrat) 13436, fraire (frère) 14699. — Cf. ERE.

AIS, xlvi, cxliii, ccxxxv, cclxx, cccxxii, ccclxxxiv, cccclxix, dxxix, dlix, dclii. — L’auteur réunit des mots qui, en français propre, se répartissent entre -as et -ais ; cf. AS, ÉS et EIS.

AIT, lix, cxxviii. — Noter rait (lat. radit) 1251, 3186. Cf. EIT.

AJE, voir AGE.

AL, xxxiv, xcv, cxvii, cxxxix, cciii, ccxxii, cclxi, ccclxxii, ccccxliv, cccclxxxii, dxxxvi.

AN, lxx, xcvi, cxxxi, cclxxvi, ccclix, ccccxviii, cccclxxix, dii, dlxxviii, dci. — L’auteur réunit des mots dont les désinences, en français propre, seraient -ain, -an, -ans, -ant, -ein, -en, -ent, -ien. Les scribes maintiennent quelquefois le t final : tirant 1509, vivant 3250, Aufricant 9677, Trivigant 9682.

ANCE (écrit parfois -ÇE et -ZE), i, lxxi, xciv, clix, cc, cclxxx, cccxlii, ccclxxv, dlxii, dcix, dclv, dclxxiv. — Les résultats de l’a et de l’e (ĭ) latins y sont réunis ; la graphie étymologique des mots qui remontent à -en- est rarement conservée (sentençe 9, comence 6639). À noter blance et blançe (blanche) 1529, 2188, 14288, brance et brançe (branche) 2202, 13177, 15576, detrançe (trenche) 4861, rance (orange) 13181, mance (manche) 13186.

AND, voir ANT.

ANDE, ccccxliii. — L’auteur réunit les résultats de l’a et de l’e latins.

ANDRE, cxxi, cccxxiv, ccclxx. — L’auteur réunit les résultats de l’a et de l’e (ĭ) latins (la graphie étymologique -en- est rarement conservée : entendre 2967, aprendre 2972, contendre 2973, vendre 2974), auxquels il ajoute exceptionnellement des mots qui, en français propre, sont en -aindre (complandre 2970, 2982, ataindre 8694, atandre 8700, plaindre 8699), ou -eindre (çandre 7376). La graphie hésite entre -an- et -ain-, et cette dernière forme s’introduit même à la place de -en- dans taindre (tendre, adj.) 8693, raindre (rendre) 8695 et oufaindre (lat. offendere) 8697. Cf. ENDRE.

ANS, xviii, clxxvii, cxciv, ccxciii, cccxxxiv, cccci, dcxl. — À a, e, ĭ latins entravés, l’auteur réunit a et ē libres : plans (lat. plenus) 402, mans (lat. manus) 405, 4730, etc. Cf. ENS.

ANT, viii, xxxvi, xxxix, lx, lxviii, lxxvi, lxxxiv, xcviii, cxxiv, cxxxiii, cxlix, clxxxix, cclxv, cccix, cccxvi, cccxliii, ccclv, ccclxv, ccccxlvi, cccclix, cccclxxxi, cccclxxxiii, cccclxxxv, cccclxxxvii, dxvii, dxxv, dxxxix, dxlvii, dlxxxviii, dxcvii, dcx, dcxxvi, dcxlvi, dclxiv. — A, e et ĭ latins entravés sont réunis. La graphie étymologique -ent est rare : sagrement 1274, argument 7256, loialment 7259, present 7424, cent 11052, aprestement 13820. À noter la présence exceptionnelle de mots qui, en français propre, seraient en -aint ou -eint : enpant ( lat. impingit) 1265, 3322, remant (lat. remanet) 1695, 4589, 15352, sant (lat. sanctum) 3686, 8596, 14051. Cf. ENT.

ARD (et ART), clxxvi, cccxxvi, cccxxxvi, ccclxviii, cccclxxxix, dxiv, dlxv, dclxx. — À noter desart 7863, 13264 pour désert, Desnemart (et Dainesmart) 4295, 8662 pour Danemark, Monmard 11224 pour Montmartre, zart 13263 pour charte, çart 15468 pour char (lat. carnem), gart 15469 pour gars.

AS, lxxv, ccccliii. — La plupart des mots se retrouvent dans les tirades en -AIS. Noter l’assonance isolée Gilars 10451.

AUS, cccc, div, dxcv, dcxxxvii. — À noter la présence de galaus (galop) 9310, quaraus (carreaux) 9311, taus, itaus (tels) 11608, 11622, 14825, biaus (beaux) 11611, cadiaus (chet) 11618, castiaus (châteaux) 11620, batiaus (bateaux) 11630, consaus (conseil) 14814, cortiaus (couteau) 14826.

AUT, ccccxxxv dcxix.

É, xlix, lxv, lxxii, cxii, clii, clxix, clxxx, clxxxvii, ccxxxviii, cclxviii, cclxxxvii, cccxv, cccxxv, cccxxxii, cccclvi, cccclxxvii, ccccxcix, diii, dxxi, dxxx, dlxxix, dlxxxvii, dcxxxiv. — La plus grande partie des mots remonte à des types latins en a libre, soumis ou non à l’influence d’un élément palatal ; exceptionnellement, on y trouve (pour niés, neveu) 1064, 13807, (je tonique) 1406, 12295, espié (épieu) 1409, 10504, daré (derrière) 1555, Ercullé (Hercule) 1563, aré (arrière) 4101, pié (pied) 4132, aüsé (eussiez) 7600, atendissé (attendissiez) 7738, perdissé (perdissiez) 7741, veïsé (vissiez, de voir) 7759, (lat. laetus) 11481, 13643, ingré (anc. franç. engrès) 12296, De (Dieu) 12313, 13636.

EE, iii, lxix, lxxxvii, civ, cxxii, cxl, cl, clxxii, ccclxxxviii, ccccxvii, ccccxxviii, ccccl, dxxiv, dlvii, dlxxiv, dclvii. — Source : a latin libre, soumis ou non à l’influence d’un élément palatal.

EES, cccciv. — Même remarque.

EIS, ccccxxxi. — Sur les 15 rimes de cette tirade, 11 remontent à ē (ĭ) latin libre, qui donne ordinairement -oi (remarquer que le scribe a écrit François 9951, trois 9952, palatinois 9956 et fois 9959) ; les quatre autres (humeis 9946, paleis 9950, esleis 9954, peis 9955) remontent à a suivi d’un élément palatal, et se trouvent aussi dans les tirades en AS et en AIS.

EIT, cclvi, ccclxxxi. — Ces deux tirades, très courtes (13 + 10 vers), réunissent des mots qui, en français propre, donnent -ait ou -oit, et qui figurent, d’ailleurs, avec la graphie appropriée, dans les tirades en AIT ou OIT.

EL, cii, ccxxx, cclix, cccvi, ccclviii, cccclxv, ccccxcvi. — La plupart des rimes répondent à un type étymologique latin en -ell- ; on trouve cependant dans le nombre quelques représentants de -ale, notamment tinel 2484, ostel 5465, 6106, 7188, 8409, 11430, fenestrel 7206, et même de -ĭlium (conscel 2504, consel 7195, conseil 8417) et de -ĭculum (parel 5457, aparel 7190, solel 7191).

ELLE, iv, cv, ccli, ccccvii, cccclv. — Les types étymologiques latins en -ĭlia et -ĭcula sont exceptionnellement réunis aux types en -ella : mervelle 63, aparelle 67.

ENDRE, liii, cxxxviii, cciv, ccxxxiii, ccccxxix. — On y trouve exceptionnellement des mots qui remontent à un a étymologique latin, comme Alexandre 3437, 9919, Alexendre (Alexandrie) 4948.

ENS, ccclxi. Tirade très courte (11 vers), où se trouvent réunis des mots qui donnent en français propre -ains, -eins, -ens. Cf. ANS.

ENT, xxviii, cxvi, clxii, clxxxiv, ccxxiii, ccxxviii, ccxlii, cclxxiv, ccxc, cccxcv, cccclxxv, dlxiii, dlxxxiv, dcxxiii. — Les scribes écrivent quelquefois -ant (cf. esforçamant 606, torniamant 609, garnimant 2848, etc.), mais l’auteur exclut absolument de ces tirades les mots dont la désinence remonte à un a latin ; en revanche, il y fait place assez souvent à la désinence -ent des 3es pers. plur. des verbes : ahasterent 594, remistrent 4468, asterent 4473, deletoient 4476, estoient 4486, etc. À noter la présence exceptionnelle de formes comme vient 5741, estrent (étreint) 5759.

ER et IER, ii, xi, liv, lxiii, lxxxviii, cviii, cxx, cxlv, clviii, clxv, cxcii, ccxx, ccxxxii, cclxxi, cclxxv, cclxxxiv, ccciv, cccviii, cccxxxi, cccliii, ccclxxx, ccccvi, ccccxxx, ccccxlv, cccclxxi, ccccxc, dv, dvii, dxiii, dxli, dlx, dlxxxiii, dxciv, dcxiv, dcxlix. — On trouve réunis les représentants de l’a latin libre, soumis ou non à l’influence d’un élément palatal, et ceux de l’ě libre, diphtongué ou non ; la graphie -er est plus fréquente que la graphie -ier.

ERE et IERE, xxxvii, lxxvii, cxv, cxxix, cxcvii, cclxix, cccxcix, dxlvi, dclxi. — Même remarque ; noter en outre que les formes remontant à un type primitif en -rr- ne sont pas admises dans ces tirades ; cf. ERE, ERRE.

ERE et ERRE, xvi, cccclxxii. — Ces deux courtes tirades (7 + 10 vers) comprennent essentiellement des mots dont les formes primitives sont en -arr-, -err- (écrits parfois avec un seul r), auxquels s’ajoutent fere (faire) 381, 10834, retrere, retreire (retraire) 382, 10839, here (lat. ĭterat) 383, lere (lat. latro) 10841, here (haire) 10842 N.

ERRE, voir ERE.

ERS, clxxi, cccxcvii, dcxxv. — Ces tirades ne comprennent que des mots dont le type étymologique a un ě entravé.

ERS et IERS, ccccii. — Cette tirade comprend essentiellement les représentants du suffixe -arius, auxquels s’ajoutent fiers (lat. fěros) 9353 et cliers (lat. claros) 9358.

ERT, ccccix, dcxviii. — Ces tirades comprennent essentiellement les mots dont le type latin a un ě entravé, auxquels sont joints par exception quelques représentants de l’ě libre non diphtongué (tenert 9475 du lat. tenebricum, ert 14452 du lat. erit).

ÉS, vii, cccxciii, ccccxxvi, ccccxlvii, dc, dcxvi, dclvi. — Ces tirades comprennent essentiellement les mots dont le type étymologique latin a un a libre, soumis ou non à l’influence d’un élément palatal, et quelques mots dont le type a un ě, diphtongué ou non (griés 9168 du lat. pop. *grevis, aprés 10286, 14105, 14427 du lat. ad pressum, lés 10288 du lat. laetus, pés 10311, 14405 du lat. pedes, prés 15198 du lat. pressum, ingrés 15200, confés 15201 du lat. confessus, adés 15202, és 15205 la lettre esse), ou même a + j (palés 9850, 10285, lés 14115, 15204 du lat. laxo, més 14402 du lat. magis). À noter en outre diners 10304 du lat. denarios, fés 15199 du lat. fascem, lés 15206 (laid), voire bés (bas) 15203.

ESTE et ESTRE, xciii, ccx, ccxxi, ccxcvii, cccxcvi, ccccliv, dxliii, dclxviii. — On y trouve réunis des représentants de l’ě et de l’ĭ latins entravés, auxquels se joint exceptionnellement l’e issu de la diphtongue ai (nestre 2173 naître, plestre 9241, 10479 et pleste 12578 de plaire, mestre 10464, 12382, 15441 maître, irestre 15446 du lat. pop. *irascere). À noter vestre (lat. vestra) 10466, forme inconnue au français propre.

ESTRE, voir ESTE.

EU, cclviii. — Cette tirade comprend des mots dont le type latin offre soit ĕ (ae), soit ǒ, plus un mot qui a un ō (preu 6091).

EUS, ccxv. — Tirade tronquée, de 10 vers, formée d’éléments très hétéroclites, dont les voyelles primitives sont a, ĕ, ǒ, et ō.

I, xxxviii, lxxxv, cxli, cliii, clxiv, clxx, ccliii, cclxvii, cclxxiii, ccxcii, cccv, cccxxviii, cccxl, ccccxi, dxxxii, dxl, dlxxii, dlxxxix, dxcviii, dcxxvii, dcxxxviii.

IE, v, xxvii, xxxi, xl, xcii, cix, cxxxii, cxlii, clxiii, cxci, cci, ccxvi, ccxliii, cclxiv, ccci, cccxix, cccxxvii, cccxxxv, ccclii, ccclvi, ccclxiii, ccccxii, ccccxlviii, cccclxx, dxv, dxxxi, dlii, dlxvi, dcxv, dcxxix, dcliii. — À la désinence ie primitive (ou très ancienne) se joignent les formes féminines usuelles (-ie, pour -iee), et d’autres (particulières à notre auteur) où ie représente -ee (creantie 83, trecelie 851, etc. ; cf. ci-dessus, p. lxxxvi).

IER, voir ER.

ERE, voir ERE.

IERS, voir ERS.

ILLE, xxiii, ccxii, cccclxiii. — L mouillé et l non mouillé sont confondus, mais le second n’est représenté que par ville 522, 5102, 10677, Nille 5111, Mille 5115, anguille 10676, afille 10682.

IN, xliii, cvii, cx, cxxx, cxcv, ccxlvi, cclxxix, cccx, cccxviii, cccxxxiii, cccli, ccclxxxiii, cccclii, cccclxvii, di, dlxvii, dcviii, dclxii, dclxxvii. — À noter quelques contractions de -ien en -in (Païn 887, 2696, etc., engin 894, 2599, etc., Orlin 5842 Orléans, 6604, revin 14251 revient, tin 14267 tiens, aconvin 15305 convient), et le changement de dent en din 2699.

INE, cxxxvi, ccxxxvii, ccxcv, ccclxxix, ccccxciv, dlxxvii, dcxliii. — La contraction de Paiene en Païne, Païnne est fréquente : cf. 3409, 5589, 6953, etc.

IR, lv, cxxvi, cxlvi, clxxxviii, ccxlvii, cclxii, cclxxvii, cccxiv, cccxxxviii, cccl, ccclxvii, ccccxxxiv, cccclxxx, dviii, dxxxv, dliv, dlxxxii, dlxxxvi, dxcix, dcxliv, dclxv. — À noter les formes irrégulières pir (pierre) 1167, 6201, batistir (baptême) 3129, etc., sir (sire) 3131, etc., dir (dire) 3133, etc., mir (pour mire médecin) 3144, sorir (sourire) 3610, etc., conquir 4575, etc., Espir (Esprit) 6200, enpir (empire) 6574, etc., braïr (braire) 7379, pir (pire) 7909, desconfir (déconfire) 7914, etc.

IRE, xxxii, ccxcix, dlxiv, dcvii. — Beaucoup d’infinitifs en -ir sont arbitrairement allongés en -ire (tollire 669, asaelire 670, contenire 671, partire 676, etc.).

IS, xxvi, lviii, lxiv, xci, cxi, cxxxiv, clx, clxxix, cxcvi, ccxxiv, ccxxxi, cclxxxv, cccxxi, cccxlv, cccxci, ccccxxxviii, cccclxxvi, ccccxcv, dix, dxii, dxx, dxlv, dxlix, dxciii, dcii, dclxxv. — Beaucoup de formes verbales en -ist perdent leur t étymologique (reqis 555, tramis 566, 2119, etc.). Cf. IZ.

ISE, ISSE et IXE, xxi, lxxxii, cxxxvii, clxxxv, cccvii, ccccviii, ccccxxxii, dlxxxi, dcxvii, dclxxx. — Quelle que soit la graphie, toutes les rimes paraissent comporter s sonore, mais ce résultat n’est acquis qu’au prix de quelques barbarismes, dont le plus violent est escrise (écrite) 452.

IST, ci, ccxiv, ccl, cccii, ccclxxvii, dxxii, dclx. — À noter minist (ministre) 2429, 7108 et des formes inchoatives comme aïst, ahist (hait) 5139, 8827, ofrist (offre) 5150, 5923 ; l’auteur introduit même dans une de ces tirades onciis 7105, 1re pers. sg. du sbj. imparf., dont la forme normale serait oceïsse.

IT, l, ccccxix, dxxiii. — Au v. 1076, disdist est une faute de scribe pour disdit ; mais trahit 9702 est un barbarisme de l’auteur pour traïtre. À noter aussi le rétablissement du t latin dans les participes endormit 12115 et norit 12124.

ITE, dcxxxvi.

IU, xxx. — À noter çiu (lis) 652 et coriu (pour coroi) 653, barbarismes suggérés à l’auteur par les formes de son dialecte propre.

IZ, ccccxxii. — Cette tirade de 18 vers est la seule où l’auteur ait fait effort pour distinguer -is de -iz ; il y a cependant admis voluntaïz 9763 et Valentiz 9764 où le z n’est pas justifié. D’autre part, il est à peine besoin de dire que les tirades en -is contiennent maintes formes où le z serait à sa place.

OGNE et OIGNE, ccxlix, cccxlvii, ccccxvi, dxc.

OI, xliv, lxxxi, cxlviii, clxxxvi, ccxxvi, ccclxxxv, dxviii, dxxxvii, dlxix. — Pour obtenir la rime, l’auteur fait litière de s (Espanoi 1813, etc., foi 1815 etc., Françoi 1822, Turcoi 12453, veroi 5368 verrez, etc.), de t (envoi 930), de l mouillé (mervoi 924, orgoi 1814, vermoi 12010, etc.) ; il remplace ai par oi au futur (feroi 12007), écrit cloi 12455 pour clo (clou), Macloi 4527 (Maclou), et donne au verbe ensir (issir) un part. passé barbare ensoi 4531

OIE, lxi, c, ccvi, ccxci, ccclxxvi, dcxxxii. — À noter boie (boive) 2397, etc., deçoie (déçoive) 1286, parçoie (aperçoive) 2404 N, vermoie (vermeille) 1294, 8808, et l’addition arbitraire d’un e final dans Anjoie 8813, coie 6850, deloie 2395, recoie 6859, sbanoie 4995.

OIGNE. voir OGNE.

OINE, ccclxxxvii. — L’auteur altère -one et -une en -oine dans Pampaloine 9049, retoine 9050, persone (le scribe a reculé devant l’altération) 9051, Esclavoine 9054, Jeroine 9060, soine 9061.

OIR, ccix, cccxli, dclxix. — La rime est obtenue par la suppression d’un e final dans croir 5047, etc., soir 5053, etc., loir (leurre) 5054, etc., boir 8009, etc., Gregoir 15451, prevoir 15464 ; o est altéré en oi dans soir 5055 ; conoistre est remplacé par la forme barbare conevoir 5058.

OIRE, cxlvii, cccxciv. — À noter l’addition d’un e final dans savoire 3636, peoire 3637, voloire 3638, avoire 3639, veoire 3640, espoire 9191, estovoire 9193, noire 9194, manoire 9197, etc.

OIS, vi, xv, cxxxv, ccxliv, cclii, cclxxii, cclxxxix, cccxxxix, cccxlviii, ccclxxviii, ccccxiii, ccccxlii, cccclxii, ccccxcii, dxxxiii, dcxxii, dclxvi, dclxxxi. Cf. EIS. — Voir ci-dessus, p. cxxvi, l’étude critique des rimes de la tirade VI.

OIT, clxxviii, ccviii, ccclxvi, dxvi, dlxxxv, dxci, dcxlvii, dclxxix. — Altération de la désinence normale, en vue de la rime, dans ploit (plaît) 4314, 11966, etc., doit (doigt) 4316, Margoit (Margot) 4324, oit (eut) 4326, etc., croit (croit) 5036, 11960, etc., descloit (déclôt) 8606, Machloit (Maclou) 8607, flanboit (flamboie) 8608, recoit (lat. requietum) 11956, redoit (redoute) 15043, troit (trot) 15749, moit (mot) 15756.

ON (écrit parfois UN), x, xli, lvi, lxvii, lxxix, lxxxvi, cxiii, cxxiii, cliv, clxi, clxxxii, cxciii, ccxix, ccxxxiv, ccxl, ccliv, cclxxxiii, ccc, cccxx, cccxliv, ccclxiv, ccccxxi, ccccli, cccclxxxiv, ccccxci, dvi, dxxvi, dxlviii, dli, dlxx, dlxxv, dciv, dcxxxv, dcxlii, dclxxvi. — La dentale finale est supprimée dans son (sont) 273, perfond (profond) 285, fron (front) 867 et autres cas analogues cf. p. ci.

ONDE, cccclvii. — Noter l’assonance amonte 10531.

ONE, cccclxiv.

ONS, xxxiii, cclxxxi, ccclvii, dlxviii.

ONT (écrit parfois UNT), xxv, li, cvi, clxxiii, ccxviii, cclxvi, cccxiii, ccclxxxix, ccccxlix, ccccxciii.

OR, xxix, xlv, lxii, lxvi, xcix, cxiv, cxxv, clvi, clxxv, clxxxiii, cxc, ccxxxvi, ccxli, cclx, cclxxxvi, ccxcviii, cccxi, cccxxiii, cccxlvi, cccliv, ccclx, ccccxv, ccccxxv, ccccxxxiii, ccccxxxix, cccclxvi, cccclxxviii, cccclxxxviii, dxxviii, dxxxiv, dlv, dlxxvi, dxcii, dcvi, dcxx, dcxlv, dclxxviii. — Noter la chute de c (g) dans bor 4454, 4625, 5705, etc., carefor 9808, 10138, etc., de s dans secor 12241, de t (d) dans acor 12236, cor 10137 ; la réduction de -oir- à -or dans avor 14234, savor 15713, 15718, veor 15729, volor 12410, 12984, 15724, vor 1430, 2364, etc., et l’admission de quelques mots en o ouvert, cor (cœur) 3114, l’adverbe or, hor 2362, 4282, 4447, etc. et son composé ancor 2366, 2805, 3837, 4289, etc., etc.

ORT, ccv, ccccxli.

ORTE, dcxii.

OS, xxiv, lxxiii, ccclxix.

OUS, ccxiii, dlvi.

U, xiv, xlviii, xcvii, cxxvii, clv, cxcix, ccxxix, ccxxxix, cclvii, ccxciv, cccxii, cccxxxvii, ccclxxxii, ccccxxiv, dlviii, dlxxx, dxcvi, dcv, dcxxi, dcxxx, dcxxxiii, dclxiii.

UE, lvii, lxxx, clvii, clxvi, cxcviii, cclxxxii, ccclxxiv, ccccxxvii, cccclxxiv, dxlii, dcxi, dclix, dclxxiii.

UEL, dclxvii. — Noter la présence de el pour els (eux) 15345.

UIT, ccccx, dcliv. — Noter l’altération de -uet en -uit dans quelques mots (muit 9479, 15166, pluit 9486, 15178), et diverses formes verbales analogiques.

UN, voir ON.

UNT, voir ONT.

URE, lxxxix, ccccv, ccccxcvii.

US, clxxiv, clxxxi, ccxvii, ccxxvii, cccxxx, ccccxx, ccccxxxvii, dcxiii, dcli, dclxxi. — Réduction de -uis à -us dans hus 4234, frus 4240, 15491, et chute du t dans fus 4251, 4398 (fût, subj. imparf. du verbe être).


  1. Léon Gautier a comblé cette lacune en essayant « non sans peine », avoue-t-il (Épopées franç., III, 446-7), de combiner et de fondre en un seul deux récits en prose italienne, celui de la Spagna en prose de la bibliothèque Albani (dont les rubriques seules sont connues) et celui du Viaggio publié par M. Ceruti ; il aurait fallu tenir compte aussi de la Spagna en vers. La critique de ces différents textes n’est pas assez avancée pour qu’on puisse démêler à coup sûr ce que chacun d’eux a emprunté de ce qu’il a inventé ; cf. ci-dessous, pp. lxxxi-iii). Le roman franco-italien d’Aquilon de Bavière touche aussi cette partie des aventures de Roland en Orient et paraît reposer directement sur le texte de notre chanson de geste, mais son témoignage est très laconique (voir mes Nouv. rech., p. 33 ; cf. Romania, XI, 566). Voici le sommaire des événements qui forment la trame de ces récits : « Le retour offensif de Malcuidant est repoussé, et Roland tue Polinore, frère de Pélias, à qui Malcuidant avait confié le commandement de son armée ; Malcuidant se rembarque pour préparer une nouvelle expédition. Roland refuse pour la seconde fois la main de Dionès et décide le soudan à venir mettre le siège devant Jérusalem. D’autre part, Hugues de Blois et son frère Anseïs, partis à la recherche de Roland, sont entrés au service de Malcuidant et l’aident à défendre Jérusalem, sans se douter que le bailli de Perse, qui commande l’armée du Soudan, est précisément celui qu’ils veulent retrouver. Dans une sortie, Hugues va se mesurer avec le « bailli », quand Roland se fait connaître. Malcuidant préparant un guet-apens pour se débarrasser de Hugues, qui lui est devenu suspect, ce dernier, prévenu à temps, tue Malcuidant et livre Jérusalem à Roland et aux troupes du soudan de Perse. Les habitants de Jérusalem, ainsi que le Soudan, sa famille et ses sujets, se convertissent au christianisme : parmi eux se trouve Aquilant, autre frère de Pélias, qui doit accompagner Roland en Occident et dont l’Entrée d’Espagne nous racontera la mort en Espagne. La main de Dionès, refusée par Hugues, est accordée à Anseïs, frère de Hugues, qui est proclamé roi de Jérusalem. »
  2. Début de la continuation de Nicolas de Vérone.
  3. Latina et italica D. Marci Bibl. codicum manuscriptorum (Venise, 1741, in-fol.), p. 260.
  4. Bibl. Nat., fonds Moreau 1658, fol. 84, autographe.
  5. Romania, IX, 499, d’après l’histoire de la Bibliothèque de Saint-Marc par l’abbé Valentinelli.
  6. Voir le chap. iii, ci-dessous, pp. xxix-xxx.
  7. Voir le chap. iii, ci-dessous, pp. xxix-xxxii.
  8. Rapport sur une excursion littéraire en Italie, imprimé, en 1839, comme tome VII de ses Dissert. sur quelques points curieux de l’histoire littéraire, réimprimé par Champollion-Figeac, en 1847, dans le t. III, pp. 366-8, de ses Docum. hist. inédits, collection des Doc. inédits sur l’histoire de France.
  9. L’Entrée d’Espagne, chanson de geste inédite, article publié dans la Bibl. de l’École des chartes, t. IV de la IVe série (Paris, 1858), pp. 217 et ss.
  10. Nouvelles recherches sur l’Entrée de Spagne, fasc. 25 de la Bibl. des Écoles françaises d’Athènes et de Rome (Paris, 1882). — Nos conclusions ont été reproduites par M. le prof. G. Stefano Yocca dans une brochure de vulgarisation intitulée : Saggio su l’Entrée de Spagne ed altre chansons de geste medioevali franco-italiane (Rome, tipogr. di G. Ciottola, 1895 in-8o, 58 pages).
  11. I codici francesi della reale Biblioteca nazionale di San Marco in Venezia (Venise, Olschki, 1897), pp. 58-63.
  12. Le miniature dell’ Entree de Spagne della Bibioteca Marciana, dans Scritti... in onore di Rodolfo Renier (Turin, 1912), pp. 747-753.
  13. Voici, à ce sujet, des indications plus précises. La première main (A), dont l’écriture est arrondie, va jusqu’au folio 97 ; la deuxième (B) poursuit jusqu’au folio 110 v° et est remplacée par une troisième (C), dont l’écriture allongée et anguleuse rappelle celle du scribe de la Prise de Pampelune, jusqu’au folio 160 r° ; du folio 163 r° au folio 229 r° se retrouve la première main ou une écriture très analogue ; puis, après 4 vers, d’une main indéterminée, reparaît B (ou une écriture très analogue) pendant quelques pages, et l’on a ensuite des mains variées jusqu’au folio 242 r°, où C reprend jusqu’au folio 283 v° ; une quatrième main (D) règne alors jusqu’en haut du folio 303 r°, où a été ajouté plus tard le début de la continuation de l’Entrée d’Espagne par Nicolas de Vérone.
  14. Altfranz. Gedichte aus Venezian. Handschriften (Vienne, Carl Gerold’s Sohn).
  15. D’après la Romania, IX, 513. Je rappelle que cet inventaire a été publié par M. W. Braghirolli et annoté par G. Paris et par M.P. Meyer.
  16. La Prise de Pampelune. vv. 1-4.
  17. Ibid., vv. 215-19.
  18. Notons que M. E. Stengel, à propos de la publication de l’inventaire des manuscrits français de Francesco Gonzaga, a remarqué avec perspicacité que Nicolas pouvait être le continuateur de l’anonyme de Padoue (Z. f. rom.. Phil., V, 175).
  19. À la date où parurent mes Nouvelles recherches (1882), on ne connaissait de Nicolas de Vérone que le poème de la Passion, signalé par M. P. Meyer (Romania, IX, 505, n. 8) et dont je publiai d’assez longs extraits : le seul manuscrit de ce poème qui se soit conservé (n° 8 de l’inventaire de Francesco Gonzaga), alors dans une bibliothèque particulière, a été acquis en 1892 par la Bibliothèque de Saint-Marc et édité intégralement par M. C. Castellani (Atti del R. Istituto Veneto, t. V, ser. VII, 1892-1893, pp. 63-94). Depuis lors, en 1888, grâce à MM. Eugène Ritter et Hermann Wahle, on a retrouvé à la bibliothèque de Genève un autre poème de Nicolas, la Pharsale, dans le manuscrit même que possédait Francesco Gonzaga (n° 11 de l’inventaire), et M. Wahle l’a publié intégralement (voir Romania, XVIII, 164). Peut-être faut-il reconnaître notre Nicolas dans le rédacteur anonyme de quelques nouvelles en prose française que M. P. Meyer a signalées jadis dans le manuscrit Bibl. Nat. fr. 686 et que M. G. Bertoni vient de publier (Il testo francese dei « Conti di antichi cavalieri », dans Giorn. storico della letter. ital., t. LIX, 1912, pp. 69 et ss.) ; comme l’a remarqué l’éditeur (loc. cit., p. 73, n. 2), parmi les italianismes qui abondent dans ces nouvelles, figure la conjonction ond, qu’affectionne Nicolas de Vérone, soit simple, soit combinée avec que. Je reviendrai plus loin sur l’œuvre de Nicolas de Vérone en examinant (chap. V) la date de l’Entrée d’Espagne.
  20. Entrée d’Espagne, 10973-5.
  21. Z. f. rom. Phil., V, 175.
  22. Entrée d’Espagne, 22-5.
  23. Sur cette célèbre composition, voir l’article capital de M. J. Bédier intitulé : La Chronique de Turpin et le pèlerinage de Compostelle, paru d’abord dans Ann. du Midi, XXIII (1911), 425-450, et XXIV (1912), 18-48, puis inséré dans Les légendes épiques..., t. III (1912), pp. 41-114.
  24. Entrée d’Espagne, 46-54.
  25. Ibid., 10978-82.
  26. Entrée d’Espagne, 2779-2793 ; cf. 2930.
  27. Ibid., 2812.
  28. Ibid., 2825.
  29. La curieuse découverte, faite par M. P. Meyer, de 160 vers appartenant à une chanson de geste perdue dont l’affabulation se rapproche beaucoup de la chronique de Turpin (Romania, XXXVI, 22 et ss.) ne me paraît pas de nature à modifier la manière de voir que j’ai depuis longtemps à ce sujet et qui se rattache à celle de Gaston Paris. Il est hors de doute que, comme l’a dit G. Paris, le Patavian « donne ici l’exemple, si souvent suivi par ses compatriotes, d’alléguer de fausses autorités en preuve d’aventures de pure invention » (Hist. poét. de Charlemagne, p. 175). La chanson perdue n’était qu’une combinaison des données de Turpin et de celles de monuments connus de l’épopée française. À ce compte, l’œuvre du trouvère français peut être rapprochée de celle qu’a exécutée le Patavian, mais c’est tout.
  30. Entrée d’Espagne, 10939, 10945-7, 10954-5, 10960-5, 10991-6.
  31. Ibid., 13548.
  32. A-t-il existé une chanson de geste racontant spécialement le combat de Roland et de Ferragu devant Nájera antérieurement à la Chronique de Turpin ? Gaston Paris est porté à le croire (Hist. poét. de Charlemagne, p. 266), et la forme Fernagu au lieu de Ferragu, qui figure dans différents textes épiques, peut le faire légitimement supposer ; mais rien n’autorise à penser que le Padouan ait connu cette chanson perdue. Le texte italianisé de la Chanson de Roland que nous a conservé le ms. fr. IV de Venise fait allusion, dans un vers interpolé, la prise de Nájera par Roland :

    Pois li conquis la gran çité de Laçare.

    (Édit. Kölbing, v. 2485).
  33. Entrée d’Espagne, 1637-41, 3000-1, 8255, 11726, 11749, 14173, 14744, 14960, 15567-8, 15638.
  34. Ibid., 15705 ; cf. des allusions plus vagues, 11302, 11562, 15678.
  35. Ibid., 2149, 3141.
  36. Ibid., 3627, 12415.
  37. Ibid., 4004, 4006.
  38. Ibid., 4009.
  39. Ibid., 11816.
  40. Ibid., 9377.
  41. Ibid., 5577, 9339.
  42. Ibid., 5578.
  43. Ibid., 8958.
  44. Ibid., 646.
  45. Ibid., 12039.
  46. Ibid., 11554.
  47. Entrée d’Espagne, 727, 3576, 5961, etc.
  48. Ibid., 10408 et ss. ; pour les autres allusions, voir la Table des noms propres, art. Alexandre et Eumenidus.
  49. Voir la Table des noms propres.
  50. Entrée d’Espagne, 366-7.
  51. Ibid., 9711 et ss.
  52. Entrée d’Espagne, 8728 et 9230.
  53. Ibid., 5428, 10088, 14917.
  54. Voir G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, pp. 263-5.
  55. Par M. F. Castets, Recherches sur les rapports des chansons de geste et de l’épopée chevaleresque italienne (1887), p. 235 ; cf. Prise de Pampelune, 1533-8 :

    Oï avés comant Maozeris l’aomensour
    S’en ala a Saragoze plein de duel e d’irour ;
    Il se pena pues tant, selong che di l’autour,
    Che Marsille le fist e cief e guieour
    De cinquante mil homes, tant li portoit amour ;
    Si li dona Sibille, tant oit de lui tendrour.

  56. Entrée d’Espagne, 6654-6.
  57. Ibid., 3052, 11164, 12801, 12739, 13245.
  58. G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, pp. 186 et 324. Voir mes Nouvelles rech., p. 40, et les extraits d’Aquilon de Bavière donnés dans Romania, XI, 564 et ss. Personne ne semble avoir remarqué que Fauchet a connu un manuscrit de cette chanson perdue et en a cité un vers (Œuvres, fol. 503b) : « Au Roman de Gerar du Frate parlant de Charles le Grand :

    Son Mareschal a fait tout devant chevocher. »

  59. Entrée d’Espagne, 160, 5566, 5610, 12793, 12803.
  60. M. Pio Rajna a fait, en 1873, une étude approfondie du Karleto (voir Romania, II, 270). Récemment, M. Chichmaref a dédié à ce même savant une édition, encore inachevée, de ce poème : Di alcune Enfances dell’epopea francese. I. Il Karleto del cod. fr. XIII della Bibl. Marciana (Pietroburgo, 1910). À son tour, M. Reinhold vient d’éditer le Karleto dans la Z. f. Phil., XXXVII, 27-56, 143-76 et 287-312.
  61. Voir l’édition donnée par G. Paris, Romania, IV, 315 et ss.
  62. Cf. Pio Rajna, Rinaldo da Montalbano, mémoire paru en 1870 dans le t. III du Propugnatore (Bologne), et les observations complémentaires sur le même sujet faites par M. F. Castets dans le chap. VI (pp. 183-226) de ses Rech. sur les rapports des chansons de geste et de l’épopée chevaleresque italienne (Paris, 1887).
  63. On peut admettre jusqu’à un certain point que la connaissance des exploits de Renaud de Montauban en Orient peut avoir suggéré au Padouan l’idée de faire prendre le même chemin à Roland, mais il me paraît exagéré d’attribuer au roman des Quatre Fils Aimon, comme l’a fait M. F. Castets (loc. laud., p. 228), « une sorte d’influence générale sur la façon dont l’auteur de l’Entrée de Spagna a compris et traité son sujet ».
  64. Entrée d’Espagne, 81-3.
  65. Ibid., 8358 et ss.
  66. Voir la note sur le v. 11228.
  67. Or lesomes de Carles, si feruns menteüre
    Dou jentil cont Rollant qe ne garde a mesure :
    Comant il en port bleisme, segir veult sa nature.
    (Entrée d’Espagne, 9407-9.)
    La couse qe tot jorn un poi li fu germaine
    L’a visitei, e dir i fist parole vaine.
    (Ibid., 14454-5.)

  68. Entrée d’Espagne, 13318-9.
  69. Ibid., 13324.
  70. Les Épopées françaises, 2e éd., t. III, p. 405.
  71. Hist. poét. de Charlemagne, p. 176.
  72. Entrée d’Espagne, 1556.
  73. Entrée d’Espagne, 15152 et ss.
  74. Ibid., 783, 4614, 6899, 6960, 7631, 8193, etc.
  75. Ibid., 904, 1671, 4365-83, 4834, 4896-7, 4912-14, 5051, 5064-5, 8845, 8870-1, 8896-7.
  76. Ibid., 7156-67.
  77. Ibid., 7202 et ss.
  78. Ibid., 9312, 9953.
  79. Entrée d’Espagne, 9410-10938.
  80. Ibid., 13522-991.
  81. Ibid., 15406-7.
  82. Entrée d’Espagne, 8744-68.
  83. M. F. Castets a présenté d’intéressantes observations sur la genèse et révolution du caractère de ce personnage (Recherches déjà citées, p. 238 et ss.) ; cf. G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, p. 174, et L. Gautier ; Épopées franç., 2e éd., III, 177-9.
  84. Bibl. l’École des chartes, 4e série, t. IV, p. 219.
  85. T. III (1880), p. 404.
  86. Ibid., p. 455.
  87. Romania, IV, 171-173, au cours d’un article intitulé : Le origini delle famiglie padovane e gli eroi dei romanzi cavallereschi.
  88. Prise de Pampelune, 339-54.
  89. Prise de Pampelune, 10-13.
  90. À la rigueur, Antoine de Padoue pourrait avoir été tué avant le moment où s’ouvre le fragment du poème qui nous a été conservé.
  91. Voir ci-dessus, p. xxxiv ; cf. un mémoire de M. V. Crescini, intitulé : Di una data importante nella storia dell’ epopea francoveneta, lequel a paru dans les Atti del R. Istituto Veneto série VII, t. VII, pp. 1150-74.
  92. Prise de Pampelune, 1676-9.
  93. Prise de Pampelune, Introd., p. iii.
  94. La Passion débute ainsi :

    Seignour, je vous ay ja pour vers e pour sentançe
    Contié maintes istoires en la lengue de Françe.

  95. Dans un mémoire paru en 1897, dans les Atti del R. Istituto Veneto, série VII, t. VIII, pp. 1290-1306, et intitulé : Di Nicoló da Verona, M. V. Crescini a signalé la mention d’un « D. Nicolaus de Verona legum doctor » dans un catalogue des professeurs de droit de l’Université de Padoue rédigé en 1382 et s’arrêtant à 1349 ; il est porté à croire que ce juriste, sur lequel tout autre renseignement fait défaut, est précisément notre auteur, hypothèse intéressante, mais qui ne fournit aucune donnée nouvelle pour la question chronologique que nous avons en vue.
  96. M. Pio Rajna veut bien m’informer que l’hypothèse d’une interpolation du texte de Giovanni de Nono lui parait inacceptable, et qu’il croit que le généalogiste de Padoue et Nicolas de Vérone sont des échos indépendants d’une légende antérieurement établie sur la part prise par les Lombards au siège de Pampelune.
  97. Cf. G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, pp. 165-172 (et pp. 526-8 de la nouvelle édition, avec notes additionnelles de M. P. Meyer, parue en 1905).
  98. Voir Romania, XI, 538-69.
  99. Romania, XI, 547.
  100. Romania, p. 569.
  101. Ibid., p. 568.
  102. Ibid., p. 568.
  103. Ibid., p. 566.
  104. Ibid., p. 566. Ce Guron (que les textes italiens appellent Algirone, Ghione, Lione, ou même Chirone) est une création de Nicolas de Vérone, dont M. Castets veut trouver, sans grande raison, le prototype dans Gui de Bourgogne ; cf. les Recherches déjà citées, p. 233.
  105. Ibid., p. 568.
  106. Je dois cependant attirer l’attention sur une curieuse coïncidence entre une donnée d’Aquilon de Bavière et un détail du combat de Roncevaux, tel que le raconte la Spagna en vers. À côté des douze pairs français, l’auteur de la Spagna mentionne deux héros sur la provenance desquels on n’est pas fixé jusqu’ici, Marco et Matteo de Pian di San Michele (c. XXXII, 33). Comme l’a noté M. Pio Rajna (Rotta di Roncisvalle, p. 168), Pulci s’est diverti à jeter un doute sur l’état civil de ces deux héros peu connus :

    Marco e Matteo, ch’ ognun dice del Piano
    Di San Michele, ed io truovo del Monte.

    Or Aquilon de Bavière met aussi ces deux frères parmi les compagnons de Roland et il leur donne un rôle honorable, les appelant soit Marc (et Mathé) del Plan de San Michel, soit Marc (et Mathé) de San Severin, soit Marc (et Mathé) de Puile (voir Romania, XI, pp. 549 et 553).

  107. Un élève de M. Pio Rajna, M. Michele Catalano, travaille depuis longtemps à la préparation de cette édition critique, dont l’apparition suivra sans doute de près celle de l’Entrée d’Espagne.
  108. Paru en 1871 dans Il Propugnatore, t. IV.
  109. P. 52 et ss. du tirage à part.
  110. L’édition princeps de la Spagna concorde généralement avec le manuscrit laurentien.
  111. Romania, XIX, 207-221.
  112. Une fâcheuse distraction m’a fait dire (Romania, XIV, 209) « manuscrit de Ferrare » au lieu de « manuscrit laurentien ».
  113. La Spagna, écrite en octaves, comprend 40 chants ; la fin de l’œuvre du Padouan correspond à une partie du chant 21.
  114. Jahrb. für rom. und engl. Litteratur, t. XII, pp. 65-72, 217-32 et p. 396-406. L’œuvre comprend 188 chapitres.
  115. La Rotta di Roncisvalle, pp. 32 et ss. du tirage à part. Ce manuscrit n’a pas de rubriques comme celui de la collection Albani ; mais la comparaison de l’analyse manuscrite de M. Pio Rajna avec les rubriques publiées par Michelant ne laisse aucun doute sur l’identité du texte contenu dans les deux manuscrits.
  116. Mém. cité, pp. 36-38. Aux deux exemples indiqués par M. Pio Rajna (invulnérabilité de Ferragu, trahison d’Anseïs de Pontieu) on pourrait facilement en ajouter quelques autres : Roland reçoit du pape 20.600 chevaliers (chap. 11 ; la rubrique publiée par Michelant porte à tort XXVIm), comme dans la Spagna en vers (chant 1, oct. 18), et non 20.000, comme dans l’Entrée (v. 363) ; Marsile envoie un seul ambassadeur à Charlemagne (chap. 8), comme dans la Spagna en vers (chant 1, oct. 29 et ss.), et non deux, comme dans l’Entrée (v. 421) ; avant l’ouverture même des hostilités, par ordre de Marsile, Serpentin va occuper Estella avec 10.000 hommes (chap. 16) : il en est de même dans la Spagna en vers (ch. 2, oct. 8), mais non dans l’Entrée, qui ne connaît pas le personnage de Serpentin.
  117. Ms. de la Laurenziana, fol. 9 r°. Le ms. Albani emploie la forme Iseres (chap. 35, 36, etc.).
  118. Ricieri dans le ms. Albani, d’après Michelant.
  119. « Non credetti neçessario osservare la più scrupulosa fedeltà nel riprodurre il ms., sino a conservarne i troppi arcaismi e solecismi. Il sostituirvi quasi ovunque le corrispondenti voci e forme italiane, più che un mutamento, fu una pretta correzione » (introd., p. xvii, note).
  120. Viaggio, introd., p. xvi : « quantunque, a vero dire, il primo traduttore sembra essere stato toscano. »
  121. Loc laud., p. xvi, n. 2. Léon Gautier dit « fin du xve » (Épop. fr. ; 2e éd., III, 426, note 21°), mais c’est par distraction.
  122. Épop. fr., 2e éd., III, 332.
  123. Cf. notre chap. i, ci-dessus, p. xviii.
  124. Il faut noter que le ms. ital. 395 de la Bibl. Nat. a changé le nom de Pepagi en celui de Pilliati (chant 19, oct. 3).
  125. Cf. P. Meyer, De l’expansion de la langue française en Italie au moyen âge (Congrès de Rome, 1904).
  126. Voir ci-dessus, p. xxv, note 1.
  127. Nous prenons comme point de départ les sons primitifs (latins ou latinisés).
  128. À la tirade iii, qui est en -ee, le premier scribe avait écrit par -ie quelques mots qu’une seconde main a ramenés à la forme normale -ee.
  129. Je note en passant que paire < patrem se trouve quelquefois dans des textes épiques composés en France ; voir W. Cloetta, Moniage Guillaume, II, 244.
  130. Chin 14193, pour chien, est douteux, le texte étant fautif.
  131. L’i est quelquefois remplacé par e : mesfaire 1103, refaere 1104, traere 1105.
  132. On trouve aussi i dans estrine 6967, 13559, etc., et serine 11385, formes que connaît aussi le français propre.
  133. La forme ols 14755, si le sens de « porte » est admis, reste énigmatique.
  134. Romania, VI, 497, vers 55 (exemple relevé par Godefroy).
  135. Cf. roon 3952, de regionem (au sens de « royaume »).
  136. Tosco-venez. Bestiarius, éd. Goldstaub et Wendriner, p. 490.
  137. Et peut-être breste 12583, d’après *brest (on a, en fait, breis- 10871), fausse graphie de brait, du verbe braire.
  138. Les formes en -uet et -uit des verbes conoistre, movoir, percevoir, plovoir, recevoir, que l’auteur emploie indifféremment au présent et au passé défini, appartiennent proprement à ce dernier temps ; cf. la tir. CCCCX.
  139. L’emploi de irent (allèrent) 8017, sous l’influence de l’italien, appartient à un ordre d’idée un peu différent, mais est bon à rappeler ici.
  140. À l’exemple cité au Glossaire il faut ajouter enfra soi 15076,
  141. Cet ond, relativement rare, n’est jamais employé au sens de  « c’est pourquoi », comme dans la Prise de Pampelune.
  142. Cf. Meyer-Lübke, Ital. Gramm., § 393.
  143. C’est ainsi que le français moderne a remplacé il me souvient par je me souviens. On a signalé rhéto-roman, c’est-à-dire dans une région qui n’est pas, en somme, très éloignée de Padoue, le même emploi personnel de stuvair « falloir » ; voir E. Walberg dans Romania, XL, 616.
  144. Par un procédé analogue, sinon identique, Nicolas de Vérone a écrit en quatrains monorimes une lettre de Charlemagne à Marsile qui forme les vers 2369-3028 de la Prise de Pampelune.
  145. Disyllabe ailleurs, notamment 1583.
  146. Le mot est ordinairement trisyllabe (cf. 1556, 1752, etc.).
  147. Le s de Bertons 282 est probablement du fait du scribe.