L’enseignement par l’aspect à l’école primaire

Revue pédagogique, second semestre 18794 (p. 580-596).

L’ENSEIGNEMENT PAR L’ASPECT
À L’ÉCOLE PRIMAIRE
(MUSÉES TECHNOLOGIQUES ET PROMENADES SCOLAIRES)



I. — L’Enseignement par l’aspect à l’école primaire.

Pour faire œuvre d’éducation, la famille comme l’école doivent assurer le développement régulier de toutes les facultés perceptives et réflexives chez l’enfant, aussi bien que l’éducateur doit activer les facultés physiques.

Ces facultés instinctives, la curiosité et l’esprit d’imitation, donnent naissance à l’attention qui, elle-même, provoque la réflexion, lorsque l’esprit exercé compare les idées nées de la vue des choses. Le jugement ainsi formé donne à la mémoire cultivée une précision qu’aucune autre méthode, toujours factice, ne pourrait obtenir.

C’est dans cette suite naturelle d’opérations intellectuelles que l’enseignement trouve sa méthode la plus facile, parce qu’elle est la plus rationnelle.

Ainsi en voyant on observe, on juge, on se rappelle, on imagine, on raisonne « non pas sur les mots ou sur les idées, dit M. Ch. Hippeau, mais sur tout ce qui nous entoure », l’enfant dans son intelligence native, comme l’homme avec la supériorité du développement de ses facultés.

On ne saurait donc connaître une chose que par l’examen attentif et raisonné.

Apprendre à voir, à examiner, à connaître, à entendre, telles sont les formes successives de l’enseignement par lequel l’éducation s’accomplit.

C’est faire l’éducation des sens d’abord, puis exercer le jugement par Le raisonnement qui grave dans l’intelligence les connaissances positives.

C’est conduire l’esprit librement, du simple au composé, de l’exemple à la règle, de l’analyse à la synthèse, par les remarques toutes spontanées, par des rapprochements faciles, par des contrastes saisissants, par une suite de questions graduées, par une suite d’efforts constants propres à exciter Le talent d’exposition de l’instituteur aussi bien qu’à soutenir l’attention de ses élèves. Cet enseignement, depuis longtemps désigné par l’expression trop générale de Leçons de choses, est judicieusement nommé aujourd’hui l’Enseignement par l’aspect.

Cette méthode d’observation et d’investigations, cette analyse des choses peut recevoir son application à l’école primaire. Par cette gymnastique de l’esprit, l’enfant arrive à un savoir réel, parce qu’il s’intéresse vivement à ces objets d’étude, d’une si grande variété de formes et de couleurs, présentant des propriétés si diverses, ayant subi des transformations nombreuses avant d’arriver à être mis en usage.

Un instituteur distingué du Lot, M. Soulié, a remarqué, dans sa longue expérience de cet enseignement pratique par la vue des choses, quels avantages il relirait des Promenades scolaires, un de nos grands moyens pédagogiques, dont nous parlerons ci-après.

« L’enfant façonné à ces observations, mis sur les traces de ces prétendus secrets de la nature, s’intéresse beaucoup à ces découvertes, surtout si l’on sait lui laisser le mérite, lui inspirer l’adresse, le talent de les faire lui-même. Ces lois de la nature expliquent si naturellement certains faits qui pendant longtemps ont paru au peuple surnaturels, que l’instituteur, dont la mission est de faire la guerre à l’ignorance et aux préjugés par tous les moyens que la science met à sa disposition, serait très coupable de les négliger, »

E. Viollet-Leduc, dans l’examen qu’il fait de la pédagogie actuelle, s’écrie : « Pourquoi donc dans les méthodes d’enseignement en général, et dans celles appliquées au dessin en particulier, ne pas profiter de cette disposition naturelle à tout enfant de vouloir comprendre, faire une découverte, obtenir un résultat immédiat ?…

» Mais, dès que sa main peut tenir un crayon et tracer les premiers linéaments, il faut parler à son intelligence, apprendre à ses veux à regarder et à transmettre au cerveau ce qu’ils voient, apprendre à sa main à retracer ce qui s’est gravé dans son cerveau, apprendre à analyser ces objets, à se rendre compte de la raison de leur forme. »

Cette éducation générale, technique, intégrale, telle qu’elle est réclamée par notre temps, doit être l’œuvre de l’école primaire, afin qu’elle devienne le patrimoine de tous et le fondement de la démocratie. « Nos efforts doivent tendre à ce but : donner aux générations futures une éducation en harmonie avec les exigences de la société nouvelle, faire de nos enfants des hommes qui puissent trouver leur place dans la civilisation scientifique et productive », dit notre ami Georges Lassez dans ses Études sur l’enseignement professionnel.

Si nous concevons l’instruction avec cette largeur de vues, il faut que, dès son entrée à l’école, l’enfant soit exercé au raisonnement, mis en présence des choses usuelles, initié aux procédés généraux du travail, aux transformations multiples des produits employés par l’industrie pour satisfaire nos besoins moraux et matériels, afin qu’il acquière des connaissances sinon étendues, du moins exactes, qui l’aideront puissamment à perfectionner ses aptitudes et à acquérir le goût de l’étude.

L’enseignement par l’aspect est la méthode pédagogique par excellence, celle qui fournit à éducateur les moyens les plus propres à rendre l’instruction aussi attrayante qu’utile : il n’est pas de connaissance usuelle qui ne puisse être présentée à l’intelligence sous cette forme intuitive qui met en œuvre, chez l’enfant comme chez l’homme, l’œil, la main et la pensée.

Même dans l’enseignement abstrait de notre langue, la vue des objets est le moyen unique d’initier les plus jeunes enfants à la construction des phrases, tout en meublant leur mémoire de tous les termes nécessaires à la dénomination des choses. On oblige ainsi l’enfant à trouver les mots qui rendent l’expression de sa pensée dans la forme la plus correcte et la plus précise.

Dans l’enseignement élémentaire surtout, il est indispensable d’amener l’enfant à comprendre la raison de ces travaux multiples qui ont transformé la matière et l’ont façonnée de mille manières.

Non seulement faut qu’il examine, qu’il voie bien l’objet sous tous ses aspects ; mais il n’est pas moins important de lui faire rechercher l’utilité directe qu’on en retire par le travail. C’est là une méthode qui, en formant le jugement, fortifie la mémoire : le pourquoi des choses, de leur forme, explique la plupart des lois scientifiques. Un exemple peut donner une idée exacte de cet enseignement par l’aspect.

Un simple morceau de bois, de l’espèce qui sera choisie pour l’étude d’observation, fournira à l’éducateur les éléments d’une infinité de questions faciles à résoudre, pourvu que ces questions soient simples et graduées sur les variétés des essences de bois, sur l’accroissement des végétaux, sur la structure du tissu végétal, sur la préparation des bois d’industrie, sur leur force de résistance, sur les diverses formes données aux objets en bois selon l’utilité qu’ils doivent produire, sur l’emploi du bois avec le fer, sur les principaux outils et machines dont se servent le manouvrier et l’industriel, sur les localités centres de production ou de commerce.

Et pour intéresser vivement l’enfant, pour l’obliger à chercher le principe d’une forme quelconque, pour mieux lui faire saisir les relations qui existent entre ce que l’on conçoit et ce que l’on représente, entre la pensée et la représentation, entre la science et l’art ; pour donner à la main plus de hardiesse, plus de dextérité, et à l’œil plus de sûreté de goût, on a recours au dessin qui matérialise, pour ainsi dire, les idées si diverses et si subites de l’intellect exercé.

Le dessin est l’analyse des formes par laquelle l’enfant, aussi jeune qu’il soit, apprend à voir, à concevoir et à exécuter. Ce n’est donc pas la copie routinière de modèles graphiques qui peut initier à l’art (il faut la proscrire de l’enseignement au contraire), mais bien une suite progressive d’études qui mettent l’enfant en état de « se servir du crayon comme il se sert de sa langue », selon la belle expression de E. Viollet-Leduc, et en possession de « ce moyen d’exprimer la pensée et de la faire pénétrer dans l’esprit des autres ».

En résumé, l’enseignement par l’aspect ne saurait produire tous les résultats qu’il faut en attendre, qu’à la condition de lui donner pour base l’étude du dessin.

Il est plus facile d’enseigner aux enfants les premiers éléments du dessin linéaire que de leur apprendre à tracer des lettres, qui ne sont que des figures de convention, parce que l’application de ces figures géométriques est facilement aperçue dans le tracé sur le papier.

Depuis longtemps on a cherché à l’aire de l’école primaire une école d’apprentissage pour ainsi dire ; du moins on a voulu instruire l’élève pour l’atelier et pour l’usine. À Paris, le premier essai à eu lieu à l’école de la rue Tournefort ; mais il s’agit dans cet établissement de former l’enfant au maniement des outils, de l’initier à la forge, au tour, au modelage, ce que nous ne demandons pas encore pour toute école primaire, sauf pour les écoles urbaines supérieures.

Nous citerons comme exemple de l’enseignement primaire industriel fondé sur l’enseignement par l’aspect, ce qui se fait dans les écoles établies par l’usine du Creusot. « Là, on donne à l’enfant des réductions en bois de pièces de machines, de forme simple au début, On lui apprend à bien se pénétrer de l’objet et à le représenter le plus exactement possible, sous toutes ses faces : piston, cylindre à vapeur, bielle motrice, tiroir de distribution, soupape de sûreté, etc., etc. Puis on arrive à l’ensemble. C’est ainsi que l’élève arrive à lire un dessin comme un livre, dit notre ami Guénard, à représenter ce qu’il voit, ce qu’il conçoit, et à comprendre parfaitement le jeu, le mécanisme, la théorie des machines qu’il a ainsi dessinées. »

Toutes les études à l’école peuvent done s’appuyer sur l’étude du dessin. Les premières leçons de géographie ne sont que des leçons de lieux dans lesquelles on n’apprend pas seulement à dire la position des objets, mais on la représente sur le papier : quelle meilleure méthode pour la topographie et le levé des plans ? Les grandes époques de notre histoire nationale n’offrent-elles pas une progression d’œuvres d’art dans nos monuments, et le dessin de ces Ornementations ne forme-t-il pas le goût en instruisant ? Les notions élémentaires des sciences naturelles ne sont- elles pas mises le plus clairement à la portée de l’enfant par la reproduction des formes déterminantes de l’objet en même temps que l’élève analyse ses propriétés et son application industrielle ou agricole ? C’est ainsi qu’on acquiert une idée juste sur toutes choses qu’il n’est plus possible d’ignorer aujourd’hui, sur tout ce qui concourt, par la science, à augmenter la somme de jouissances morales indispensables au bonheur de la vie.

L’éducation à l’école par l’enseignement tel que nous désirons qu’il soit donné, impose à l’instituteur la création d’un Musée technologique, véritable champ du travail pédagogique.

C’est une œuvre d’initiative et de dévouement à laquelle les éducateurs s’attacheront fortement s’ils sont bien pénétrés de l’importance de leur fonction, celle de former de futurs citoyens, espoir de l’avenir.

Depuis l’asile ou la classe préparatoire jusqu’à la classe supérieure, l’enseignement par l’aspect exige, sans doute, une forme particulière en rapport avec l’âge et l’intelligence des enfants : mais le Musée scolaire n’en est pas moins d’une utilité pratique incontestable dans les cours de l’école primaire.

Cet enseignement, bien compris, nous disait M. Delarue, directeur à l’école professionnelle de Rouen, est appelé « à transformer l’instruction de nos enfants ».

II. — Le musée technologique scolaire.

Comment l’éducateur constituera-t-il le matériel nécessaire à cet enseignement ? Comment rassemblera-t-il tous ces produits en nombre infini, que la nature nous fournit et que la science industrielle multiplie sous mille formes ? Comment donner un certain arrangement à toutes ces choses, à ces collections de nature si différente, afin de faciliter les leçons ?…

Toutes questions qui semblent très complexes, mais qui se résoudront facilement si l’on met son initiative, son dévouement au-dessus d’un surcroît d’occupations, se préoccupant seulement du bien à accomplir par une ample moisson d’heureux résultats,

L’entreprise semble difficile, audacieuse, à cause du local à trouver, des collections à former, des soins minutieux et des Connaissances scientifiques qu’elles exigent.

Mais le Musée technologique pour l’école primaire offre dans sa création une œuvre aussi vaste qu’elle est utile, et demande conséquemment des années de recherches et d’études ! Le musée est à l’instituteur ce que le laboratoire est au savant, et il convient de le doter d’abord de tout ce qui est indispensable à l’enseignement primaire donné aux populations parmi lesquelles on vit,

Tout ce qui existe dans la commune, dans la région, tout ce qui est d’une utilité directe, sera mis facilement en évidence dans de modestes vitrines, sur les murs de l’école.

Il y a donc une sorte de gradation à observer dans la composition comme dans l’organisation du Musée scolaire. Nous croyons que l’instituteur doit compter beaucoup sur lui-même, beaucoup sur les enfants qui sont d’infatigables chercheurs, beaucoup aussi sur les particuliers. Combien de personnes de toutes conditions, de toutes professions, apporteront au fondateur du Musée toutes ces choses qu’il ne pourrait se procurer par lui-même, lorsqu’un appel chaleureux leur sera fut par l’instituteur, par une administration communale dévouée aux intérêts scolaires !

Il n’est pas d’école dans notre France, dans le plus humble hameau comme dans la plus grande cité, qui ne puisse, sans frais aucuns, inaugurer les premières collections de son enseignement. Vouloir, c’est pouvoir, et la volonté seule dans toutes les choses de la vice peut accomplir des prodiges.

Une œuvre à laquelle on s’attache fortement est toujours couronnée de succès, surtout quand elle a pour elle la nature avec tous ses trésors, et l’homme qui étudie, et le temps qui est le grand organisateur.

Commencez donc par vous bien pénétrer de la nécessité d’appliquer votre enseignement à l’instruction scientifique et technologique, et commencez sans tarder à rassembler les premiers éléments, à former ainsi le noyau de vos collections.

Agissez en toute liberté, pourvu que vous ne vous égariez pas dans les détails, qu’il faut toujours réserver au début afin de se créer une classification usuelle, facilitant toute recherche et présentant les avantages de l’organisation pédagogique.

La meilleure méthode à suivre est celle qui montre « l’activité humaine appliquée à produire toutes les utilités », ce qui permet à l’organisateur d’établir, par une suite d’objets, l’histoire d’une matière première, en y joignant de courtes notices sur les savants et inventeurs qui ont été les bienfaiteurs de l’humanité et sur les lieux et centres de production les plus renommés. I] serait bon aussi d’y ajouter une simple note indiquant le genre d’utilité usuelle.

La classification à adopter n’est donc pas indifférente : car l’ordre est une des premières conditions du succès dans le travail intellectuel ou matériel, et il est nécessaire que l’instituteur puisse facilement se procurer toutes les choses dont il a besoin.

Il y a déterminer un certain nombre de sections qui comprennent les différentes branches du travail, tout en tenant compte de la classification scientifique. Les collections demanderont un certain temps pour se former, et on ne pourra pas toujours se procurer des échantillons et même des modèles réduits ; il faudra employer les dessins, gravures, photographies et tableaux synoptiques.

Sans vouloir indiquer une classification générale, nous croyons qu’il est bon de suivre, dans chaque règne de la nature, la méthode que nous indiquions plus haut, de manière que les collections se complètent les unes par les autres, et favorisent ainsi le rangement méthodique.

Des tableaux récapitulatifs sont très utiles quand ils sont dressés de manière à présenter les groupes, classes, familles, genres, espèces d’animaux, de végétaux et de minéraux : c’est en quelque sorte un catalogue facile à consulter dont on peut faire la base de l’organisation.

Au point de vue des substances et matières premières employées par l’industrie humaine, la classification à adopter ne saurait être déterminée d’une manière fixe : car combien de matières servent dans différentes industries !

Cependant on peut classer les objets selon les genres d’industrie, et surtout selon les industries locales ou de la région, dans l’ordre suivi habituellement : Alimentation, vêtement, toilette, ameublement, logement ; industries du transport, des échanges ; monnaies ;

Modèles ou dessins d’outils, machines, appareils ;

Instruments usuels de physique, de chimie, de précision ;

Collection de fossiles, antiquités, manuscrits anciens, etc. ;

Plans et cartes (de la commune, du canton, de l’arrondissement) ;

Le relief d’une section du cadastre ou de la localité ;

Travaux d’élèves, mémoires statistiques précieux à conserver concernant la production agricole, industrielle, etc., la valeur des salaires, les événements et accidents survenus dans la localité, aussi bien que les actes de dévouement ;

Enfin, tous les documents relatifs aux progrès accomplis chaque année dans l’administration de la commune.

Comme nous l’avons déjà dit, les enfants, les jeunes gens seront de véritables collaborateurs, et même leur famille et tous les hommes qui s’intéressent à l’instruction. Et lorsque les collections auront reçu un certain arrangement, lorsque l’enseignement par l’aspect aura transformé les méthodes suivies jusqu’ici, lorsqu’un véritable progrès commencera à paraître dans le savoir des enfants, il est certain que le matériel de ces musées pratiques prendra un développement progressif. Nous en avons la preuve dans ce qui s’est déjà accompli en France depuis peu d’années : de tous les points du territoire nous avons reçu des communications qui nous portent à croire que le moment est venu de doter toute école, rurale ou urbaine, de ce Musée avec un matériel suffisant, aussi bien que d’une bibliothèque dont la fondation s’impose à toute localité.

« S’il nous manque bien des choses, celles que l’on trouve peu ou point dans son centre d’activité, celles qui sont rares, disions-nous il y a quelque temps à ceux de nos confrères qui ont déjà pris l’initiative de cette œuvre de progrès, pourquoi ne pas les demander à ceux qui les possèdent ? Pourquoi ne pas établir ces échanges qui seraient d’abord les premiers actes de la véritable confraternité ? Nous ne doutons nullement de la possibilité d’établir, à Paris même, une association pour favoriser ces échanges, »

D’ailleurs, l’industrie typographique et le commerce de la librairie sont arrivés aujourd’hui à livrer à un réel bon marché une infinité de publications composées au point de vue de la vulgarisation des sciences usuelles. Chaque localité de notre pays ne manque pas d’hommes de cœur qui font une part de leur fortune, de leur talent, pour l’amélioration morale et matérielle des populations, parmi lesquelles leur initiative dévouée assure la prospérité des œuvres d’éducation populaire.

La création des Musées scolaires en France, longtemps attardée surtout dans les petites localités, est entrée aujourd’hui dans une voie progressive, aussi bien que les Musées cantonaux.

Nous devons reconnaître qu’un grand nombre d’instituteurs ont depuis longtemps rassemblé de sérieuses collections. L’Exposition universelle nous à montré une excellente organisation de quelques musées, mais toutes nos écoles rurales ne sont pas encore dotées de ce matériel, Notre collègue M. Lucien Cazals, instituteur à Montesquieu-sur-Canal (Haute-Garonne), à écrit une petite brochure : Plan des Musées des Écoles primaires rurales, que nous désirerions voir répandue dans toutes nos campagnes. C’est l’exposé simple de ce que l'on peut établir au premier abord sans bourse délier. Il suffit de commencer, répéterons-nous, pour acquérir le goût de ce travail et pour le communiquer à ses élèves.

III. — Les Promenades scolaires et les Musées cantonaux.

L’infatigable fondateur des Musées cantonaux, le dévoué coopérateur de toutes les œuvres pédagogiques, M. Edm. Groult, de Lisieux (Calvados), parle ainsi des Promenades scolaires, que nous préconisons, que nous regardons comme le procédé le plus pratique dans l’application de l’enseignement par l’aspect :

« Elles sont le complément nécessaire des Musées cantonaux : on conçoit, en effet, que s’il est possible de réunir entre les quatre murailles d’un appartement un certain nombre d’objets instructifs et intéressants, les merveilles de la nature ne peuvent y être transportées, et que c’est dans la nature même qu’il convient de les étudier.

» Elles sont loin d’avoir pénétré dans les habitudes scolaires autant qu’il conviendrait eu égard à leurs avantages, » ajoute M. Edm. Groult.

Et cependant le Musée technologique y trouverait son profit. Par ces promenades périodiques organisées avec un but déterminé, l’enfant, si jeune qu’il soit, apprend à voir, à connaître, à analyser les choses de toute nature.

Partez de l’école avec dix, quinze, vingt élèves au plus (nous croyons ce nombre suffisant pour un seul maître), vous les verrez s’expliquer entre eux bien des choses qui d’abord étaient passées pour vous inaperçues. Que de détails échappent à l’homme qui n’échappent pas aux enfants ! Aussi les questions naissent à l’infini comme les idées !

On est surpris de leur faculté d’investigation et parfois aussi du peu de connaissances qu’ils possèdent sur les choses qui les entourent, sur les faits au milieu desquels ils vivent, parce qu’ils n’ont pas acquis l’habitude si précieuse de l’observation.

Il faut les amener à savoir voir, si l’on peut dire ainsi, à l’école comme au dehors, dans nos champs, nos exploitations, nos usines, nos ports, nos mines, partout où l’industrie humaine transforme, multiplie, échange Les richesses accumulées du travail, partout où l’éducation reconnaît un moyen d’enseignement pratique.

Quelle variété de leçons est offerte à l’éducation par ce procédé pédagogique trop négligé jusqu’à ce jour !

Que de notions utiles à semer dans ces jeunes intelligences, quand on sait utiliser au profit de l’éducation générale tout ce qui vient frapper les veux ! C’est là un véritable enseignement pratique des sciences et des arts, quand nos enfants peuvent apprendre, chemin faisant, à lire la carte, à tracer un itinéraire, un plan, à mesurer des distances, des hauteurs, à reconnaître la composition des terrains, la nature des diverses opérations agricoles, le fonctionnement des machines, à régulariser leur marche, à se tenir sans fatigue, à juger de l’ornementation par l’aspect des fleurs ct de la perspective à la vue des monuments, etc.

On ne saurait mieux inspirer de l’intérêt pour le savoir et de l’amour pour la nature, ni mieux préparer l’intelligence à l’observation, ni mieux la conduire à l’explication des lois générales.

On s’aperçoit des heureux résultats de cet enseignement par les promenades lorsque, de retour à l’école, on demande aux jeunes excursionnistes d’en faire un compte rendu verbal ou écrit. Les descriptions manqueront d’abord de méthode, la phrase de correction ; mais quels profits n’en pourra-t-on pas tirer pour la composition et le style ? Il n’y a pas de procédé plus simple ni plus sûr pour amener l’enfant à penser avec justesse ct à s’exprimer correctement,

Et si la promenade était faite à un point de vue spécial (agricole, industriel, topographique, historique, etc.) ; n’aurait-on pas la faculté de comparer les divers degrés d’intelligence et d’attention que les enfants ont mises dans leurs observations comme dans les explications données ?

Nous pouvons affirmer qu’il se trouve toujours une grande variété dans les rédactions, ce qui permet de régler, de former le jugement et surtout de contenir l’imagination souvent portée à une certaine exagération. Nous pensons qu’il est utile d’avoir un but de promenade qui puisse intéresser les enfants : car ils seront portés à se préoccuper de l’étude qu’ils doivent faire et se traceront une méthode indispensable à toute composition.

Pour donner aux promenades scolaires une application facile et fructueuse, on peut compiler sur les Musées cantonaux qui se multiplient dans nos départements, et qui viennent en aide aux écoles en leur communiquant une partie de leurs collections, sur les sociétés de sciences ou d’arts qui facilitent les visites d’élèves aux jours de congé dans leurs bibliothèques, dus leurs musées, dans les expositions qu’elles organisent périodiquement. Il y a au chef-lieu de canton des ressources que le Musée scolaire communal ne peut très souvent espérer.

De telles excursions présentent des avantages sérieux au point de vue de l’esprit de sociabilité, ainsi développé par le double courant de relations établies entre les enfants de nos villes et ceux de la campagne.

Ces relations sont aujourd’hui facilitées par l’extension donnée à nos voies ferrées, par les réductions des prix de transport que les compagnies accordent aux écoles comme aux sociétés excursionnistes.

Déjà certaines municipalités, pour ne citer que la ville de Paris, se font un devoir de récompenser les meilleurs élèves de leurs établissements scolaires de tout degré par des voyages d’instruction à l’époque des vacances.

Nous pourrions citer hon nombre de caisses des écoles, entre autres celle du IXe arrondissement, dont la sollicitude pour l’enfance s’étend jusqu’à procurer non seulement la gratuité dans les moyens de transport, mais encore la nourriture de route, pendant les excursions au dehors de la capitale.

Il est certain que de telles œuvres « éminemment éducatives » établissent de saines distractions intellectuelles et morales, qui apportent dans les idées, dans les mœurs, un progrès réel.

La mise en pratique des promenades scolaires, à quelque point de vue qu’on l’envisage, n’est done plus à étudier : le dévouement et le zèle des professeurs qui, les premiers, se sont efforcés de répandre le goût de cet enseignement, ont triomphé de toutes les hésitations. Leur initiative a produit d’heureux résultats que nous avons constatés comme maître et comme élève. Et l’on ne saurait trop remercier un homme de cœur, aussi modeste qu’infatigable, qui s’est montré, à Paris, le dévoué vulgarisateur des promenades topographiques et dont le nom est bien connu dans nos écoles communales : M. Loltin, chargé du cours d’application aux écoles municipales supérieures de Paris.

Conclusion.

L’éducation et l’instruction sont deux actions distinctes dans la forme, mais inséparables dans le but : l’éducateur doit se bien pénétrer de ce principe pédagogique et l’appliquer dans son enseignement,

C’est à l’école qu’un tel enseignement réclame la méthode qui conduit l’enfant de l’observation des fails, de l’expérimentation à la constatation des vérités, des lois morales ou économiques, par cet exercice simultané des sens et des facultés.

Ainsi s’affirme le progrès de l’éducation nationale par l’instruction scientifique, fondement de notre état social contemporain, qui peut, seule, mettre à profit et au profit de tous les bienfaits dus à la République, le véritable régime de la démocratie française.

Paul Berton,
Instituteur.

Septembre 1879.