L’enseignement du dessin à l’école primaire

L’enseignement du dessin à l’école primaire
Revue pédagogique, premier semestre 1886VIII (n. s.) (p. 340-341).

L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN À L’ÉCOLE PRIMAIRE

La loi du 28 mars 1882 ayant rendu l’enseignement du dessin obligatoire dans les écoles primaires, les instituteurs se sont appliqués à donner cet enseignement, mais la plupart l’ont fait avec plus de zèle que de méthode. Il n’y a là rien d’étonnant, si l’on songe que les uns enseignent ce qu’ils ne connaissent pas, et que les autres n’ont appris le dessin qu’en copiant, en vraie grandeur, des sujets lithographiés.

Le cahier-méthode est venu fort à propos pour tirer d’embarras les uns et les autres, en leur présentant la leçon de dessin comme une leçon d’écriture d’un nouveau genre. On remet à chaque élève un cahier-modèle dont les pages sont divisées en deux parties ; l’une comprenant le sujet à reproduire, l’autre blanche et souvent quadrillée, sur laquelle le sujet doit être reproduit en vraie grandeur. Quand vient la leçon de dessin, les enfants prennent leurs cahiers et dessinent : le maître passe dans les rangs pour faire les corrections. On procède ainsi dans les trois cours, élémentaire, moyen et supérieur, sans se soucier du programme, suivant ainsi l’exemple donné par les auteurs de cahiers-modèles, qui ont fait des cahiers pour chaque cours, c’est-à-dire pour toute la durée de la scolarité. L’enfant qui aura suivi ainsi un cours de dessin, en huit ou dix cahiers. aura peut-être acquis une certaine sûreté de main, mais il sera incapable de dessiner à vue le plus simple ornement plan, le carrelage le plus élémentaire.

On peut dire d’une manière générale que savoir dessiner, c’est savoir représenter les objets suivant leurs dimensions en vraie grandeur ou, le plus souvent, réduites proportionnellement. Il faut donc habituer l’enfant à la réduction des lignes, développer la sûreté de l’œil en même temps que la sûreté de la main ; l’usage des cahiers-modèles, tel qu’il est généralement pratiqué, ne saurait conduire à ce double résultat.

Quel parti peut-on tirer de ces cahiers ? À mon avis, ils ne doivent se trouver que dans les mains du maître, qui s’appliquera à faire un choix de sujets bien gradués, dont la reproduction devra préparer les élèves à l’exécution de la seconde partie du programme, c’est-à-dire à la copie de plâtres représentant des ornements plans d’un faible relief et aux premières notions de dessin géométral et de perspective. Pour la reproduction des sujets ainsi choisis, le maître procédera de la même manière dans le cours élémentaire et dans le cours moyen. Le dessin sera fait, avant la leçon, au tableau noir, puis le maître expliquera le sujet en le dessinant de nouveau sur le même tableau, et en indiquant les constructions ; les élèves, pourvus de cahiers ordinaires, exécuteront le dessin en même temps que le maître. Par ce procédé, les enfants ont sous les yeux, comme dans le cahier-modèle, le dessin achevé, tout en le reproduisant selon les principes indiqués par le maître, et ils prennent l’habitude de réduire les lignes proportionnellement, ce qui constitue le véritable dessin à vue. En effet, de cet exercice au croquis d’un objet suivant deux dimensions, il n’y a qu’un pas.

J’ajouterai que la discipline ne peut que gagner à ce procédé, car chaque élève, obligé de suivre ligne par ligne les constructions indiquées et réalisées par le maître, n’a plus le temps d’être distrait.

Dans le cours élémentaire, il sera bon d’employer, pour les leçons de dessin, des cahiers quadrillés ; le maître se servira également d’un tableau quadrillé. On n’obtiendrait que de médiocres résultats si l’on voulait, dès le début, exercer en même temps l’œil et la main. Avec les cahiers quadrillés, la réduction des lignes devient une opération mécanique, et le dessin n’a pour résultat que de faire acquérir à la main une certaine habileté.

Dans le cours moyen, les dessins seront exécutés sur papier non quadrillé.

L’enseignement du dessin ainsi pratiqué conduit insensiblement à la représentation de carrelages, de motifs de décoration, d’ornements plans d’un faible relief ; c’est le commencement du dessin à vue, du dessin d’après nature, qui doit faire l’objet des leçons du cours supérieur, conformément au programme du 27 juillet 1882.

J. V.,
Directeur d’école normale.