L’enquête du diplomate

Le Père Peinard du 22 août 1897Série 2, numéro 44 (p. 5).

PETITES JOIES


L’ENQUÊTE DU DIPLOMATE




Un diplomate visite la forteresse de Montjuich.

Une cour.

Le diplomate. — Ainsi, ce sont ces jolies chambrettes si spacieuses et si bien aérées que nous venons de quitter qu’ils appellent leurs cachots ! Les appétissantes salaisons qui embaument à l’office leur sont destinées ! Et ils osent se plaindre ?…

Le directeur de la forteresse. — Ils ont toutes les audaces !… Ah ! il y a bien des gens qui voudraient avoir, comme eux, de la morue à discrétion. Moi-même, je suis loin d’en manger à tous mes repas… de la morue !… Et encore plus de boire du Porto…

Le diplomate. — Du Porto ? Ils boivent du Porto ?… Et leurs journaux prétendent qu’un jour, l’un d’eux, mourant de soif, but le pétrole de sa lampe !

Le directeur — Oh ! C’est très possible ! Ces gens-là ont le génie du mal !… Le pétrole, d’ailleurs, est de première qualité !

Le diplomate. — C’est inouï ! (Apercevant divers instruments de torture.) À quoi donc servent ces appareils… dans ce coin ?

Le directeur. — Ce sont des jeux pour distraire les détenus… Ceci, tenez, c’est un casque… un jeu tout nouveau… breveté avec garantie du gouvernement, s’il vous plaît ! On les gâte…

Le diplomate. — Tiens ! une corde à nœuds…

Le directeur. — Ils adorent la gymnastique.

Le diplomate. — Voici, je crois, une petite forge ?

Le directeur. — Elle leur sert à faire rougir les barres de fer que vous voyez là-bas… Ils ont la manie d’allumer leurs cigares avec.

Le diplomate. — Voilà une habitude bien curieuse !… Que font-ils de ces pinces ?

Le directeur. — Il les ont demandées pour se faire les ongles…

Le diplomate. — Ah ! des cordes de guitare !…

Le directeur. — Il y en a qui sont musiciens… fort bons musiciens !…

(On entend un cri déchirant.)

Le directeur. — Tenez, en voici un qui chante…

(Des hurlements horribles s’échappent d’un soupirail.)

Le directeur. — Bon ! les voilà qui font enrager leurs gardiens !… Oh !…

Le diplomate. — Allons, je vois bien que tout ce qu’on m’a dit est faux. Mais pourquoi traiter si bien des bandits pareils ?

Le directeur. — C’est une tactique… Quand on soupçonne un individu d’anarchisme, on va lui proposer le marché suivant : rester libre et pauvre ou venir ici et jouir de tout le confort désirable.

Le diplomate. — Ils préfèrent perdre leur liberté ?

Le directeur. — Parbleu !… Et le pays est débarrassé ! C’est simple ! Malheureusement ce moyen humanitaire est aujourd’hui trop connu !… Tous les « sans-le-sou » se disent anarchistes pour goûter aux joies de la prison… L’étranger donne aussi, malgré les expulsions !… Toujours la concurrence !

Le diplomate. — Alors traitez-les moins bien…

Le directeur. — C’est ce que nous commençons de faire… Ainsi, l’autre matin, nous nous sommes vus obligés d’en fusiller cinq !

le malfaiteur de semaine,
Georges-Georges.